Non content d'avoir mis à jour un certain nombre de ses logiciels phares, Native Instruments sort Massive, un nouveau synthétiseur basé sur la synthèse soustractive et sur des oscillateurs à table d'ondes. Si le concept semble à première vue manquer d'originalité, l'éditeur promet un rendu typé analogique et un ‘gros son. Pari tenu ?
Non content d’avoir mis à jour un certain nombre de ses logiciels phares, Native Instruments sort Massive, un nouveau synthétiseur basé sur la synthèse soustractive et sur des oscillateurs à table d’ondes. Si le concept semble à première vue manquer d’originalité, l’éditeur promet un rendu typé analogique et un ‘gros son. Pari tenu ?
Massive se présente sous la forme d’un plug-in aux formats VST, DXi, RTAS, Audio Unit pour PC et Mac, ainsi qu’en version Standalone. L’activation se fait sur Internet, sans la nécessité d’un dongle USB, ce que l’on apprécie particulièrement. De plus, le synthétiseur est livré avec deux manuels en Français, relativement clairs, mais sans plus (parfois des erreurs de traduction, des imprécisions), détaillant les procédures d’installation et d’utilisation de Massive.
Nous avons donc affaire à un synthétiseur soustractif, c’est-à-dire dont le son est généré par des oscillateurs, de contenu fréquentiel plus ou moins riche, puis traité par des filtres et accessoirement par des modulations diverses ou des enveloppes pour rendre le son plus intéressant.
Massive propose ainsi 4 oscillateurs basés sur des tables d’ondes, dont un permettant de moduler les autres, et un générateur de bruit. Deux filtres sont à choisir parmi les huit types différents, avec des sonorités plutôt inspirantes, des effets et surtout des capacités de modulation pertinentes et ergonomiques. Une grande partie des éléments est visible sans avoir à faire dérouler 50 onglets qui changent toute la configuration de la fenêtre, ce qui permet assez rapidement d’avoir une vue sur l’ensemble des paramètres. Autre élément intéressant, un canal de feedback pouvant être réinjecté à différents endroits dans l’architecture du synthétiseur. Voyons tout ça de plus près…
Oscillateurs
Les oscillateurs de Massive sont basés sur plusieurs dizaines de formes d’ondes, classiques (sinus, carré, triangle) ou plus complexes. Mais surtout, deux paramètres attirent notre attention, permettant de modeler les formes d’ondes : Wt-Position et Intensity. Le premier peut réaliser un morphing entre deux formes d’ondes différentes dont l’association est fixée par le choix de l’onde de base. Intensity permet en revanche de lire la table d’onde de différentes manières : en filtrant avec le mode Spectrum (spécifiable pour chaque oscillateur par l’utilisateur), en accélérant ou en ralentissant progressivement la lecture de la forme d’onde pour les modes Bend ou encore en transposant les formants de l’onde en mode Formant.
On trouve également deux sources supplémentaires dans la section oscillateur : un oscillateur de modulation et un générateur de bruit blanc. La modulation peut se faire sur l’amplitude des autres sources par multiplication (modulation en anneau), sur la phase (modulation FM), sur le paramètre Wt-Position et enfin sur la fréquence de coupure des deux filtres du logiciel. Quant au générateur de bruit, il permet de générer des sons inharmoniques (souffle, bruitages, percussions…), et propose un choix de différentes formes d’ondes de bruit, ainsi qu’un paramètre Color pour translater sur l’axe des fréquences le contenu fréquentiel du résultat.
On remarque enfin un onglet Feedback, qui permet de régler la quantité de signal à réinjecter en entrée des filtres à partir de différents points d’insertion, que l’utilisateur peut choisir sur l’onglet Routing. On peut ainsi se servir de ce paramètre pour faire saturer les filtres à émulation analogique, ou adoucir leur résonance… Que dire des filtres de Massive donc ?
Filtres
Les filtres constituent souvent l’argument commercial de chaque synthétiseur soustractif. En effet, ce sont souvent eux qui façonnent de la manière la plus marquée la signature sonore de l’instrument, ce qui explique la réputation des filtres analogiques, et l’acharnement des développeurs à les reproduire en version software…
Dans le cas de Massive, les filtres sont décrits comme des modélisations analogiques, et peuvent être choisis parmi 8 modèles pour chacun des deux filtres de la chaîne de traitements du synthé : filtres résonants passe-bas, passe-haut, passe-bande, mais aussi un filtre en peigne, un filtre passe-tout qui agit uniquement sur la phase, et des filtres passe-bas spéciaux (le Scream avec son feedback interne contrôlable et le Daft qui est réactif à la modulation de fréquence de coupure). Ces deux derniers modèles de filtres ont des sonorités un peu typées, mais très intéressantes et qui élargissent le potentiel créatif, en particulier avec l’usage des modulations que nous allons voir, avec des valeurs de résonance ou un gain en entrée du filtre importants par exemple. Tout comme les filtres analogiques dont s’inspire le synthétiseur, ils ont une réponse qui n’est pas linéaire, ce qui contribue à la musicalité du rendu. Un bon point donc pour Native Instruments. Notons également qu’ils peuvent fonctionner en série ou en parallèle comme c’est le cas en général, et que la mise à jour de Massive apparue pendant le test a donné le jour à un autre modèle de filtre : Acid.
Modulation
Le système de modulation dans Massive est pour le moins intéressant. 4 enveloppes peuvent être assignées à n’importe quel paramètre du synthétiseur, automatisable dans l’hôte et par MIDI (par MIDI Learn), ainsi que 4 modules qui peuvent être au choix un LFO, un Stepper, ou un Performer. Les deux derniers éléments sont équivalents à des séquenceurs pas à pas, le Performer permettant en plus de dessiner à la souris la forme de la modulation, là où le Stepper ne permet que des rectangles à chaque pas. Ces deux éléments sont extrêmement utiles et efficaces. Enfin, 8 « macro-commandes » contrôlables par MIDI ou à la souris sont également assignables, plusieurs paramètres pouvant être associés à la même macro-commande, ce qui donne des possibilités en temps réel pertinentes.
Mais surtout, l’assignation d’un modulateur à un paramètre se fait d’une manière originale, à l’aide de trois petites cases en dessous de chaque potard pouvant accueillir un chiffre référence de la source de modulation, dont la couleur détermine la nature (CC MIDI, macro-commandes ou onglets de modulation). On peut cliquer dessus pour sélectionner cette source, puis faire glisser le curseur avec un bouton enfoncé pour laisser apparaître une jolie raie colorée autour du potard, qui va définir l’étendue des possibilités de modulation du paramètre concerné. La troisième case SC ou Side Chain va en plus donner la possibilité de contrôler l’étendue des autres modulations, en appliquant un multiplicateur aux effets de la modulation entre 0 et 1 (de la modulation de modulation en bref). Un peu compliqué, mais toujours intéressant ! Quoi qu’il en soit, le concept derrière ces potards est une excellente idée, et se révèle très efficace à l’usage.
Au passage, les macro-commandes ont un onglet à part en bas à droite de la fenêtre de Massive, et permettent grâce à la modularité des assignations de modulation de mettre en relation un CC MIDI avec autant de paramètres du synthétiseur que l’on veut, et le potard de macro-commandes correspondant.
Enfin, dans un registre un peu différent, on retrouve les fonctionnalités de Key Tracking chères à Native Instruments. Deux onglets permettent de définir un pitch de sortie ou une fréquence de coupure des filtres en fonction de la touche du clavier MIDI enfoncée. Dans le premier cas, le réglage par défaut est bien entendu une droite simple, mais il est possible de réaliser quelques bizarreries intéressantes en donnant un comportement différent aux touches MIDI. De même, on peut contrôler l’ouverture des filtres en fonction de la note jouée.
Effets
Autres éléments utiles pour magnifier le rendu sonore après les modulations : les effets. Dans Massive, ils sont divisés en deux catégories : Insert et Master. Les premiers agissent à un endroit spécifiable par l’utilisateur (encore avec l’onglet Routing), tandis que les derniers agissent en fin de chaîne.
Dans le premier cas, nous avons un Delay, un échantillonneur bloqueur (Sample & Hold), un BitCrusher (qui réduit la résolution du son en bits), un Frequency Shifter pour translater les fréquences, un double filtre basique passe-bas/passe-haut, et enfin deux Waveshapers, qui appliquent une fonction non linéaire au signal entrant avec un gain d’entrée donné. L’intérêt de ces effets est clairement orienté synthèse, permettant de modifier le signal au milieu de la chaîne de modules, par exemple dans le conduit de Feedback, pour obtenir des formes d’ondes intéressantes.
La section d’effets Master est plus orientée mixage ou amélioration du rendu global que la section Insert. Elle comprend un module de Reverb, un Flanger, un Chorus, un Phaser, un Delay, un EQ, le Dimension Expander (combinaison de Delay et de Chorus pour élargir l’espace), et vous allez deviner, encore des simulations d’amplificateurs à tubes ! Les effets sont globalement de très bonne facture, en particulier ceux jouant sur la spatialisation. Ils n’ont pas un nombre important de paramètres à régler (3 au maximum plus un Dry/Wet), mais ils sont très efficaces, et peuvent être remplacés par des traitements externes plus précis si le besoin se fait sentir…
Onglets Global et Voicing
Deux onglets de paramètres méritent encore notre attention : les sections Voicing et Global. La première section permet de régler différents paramètres agissant sur le nombre de voix et la polyphonie. En plus des habituels nombre de voix maximum, paramètres legato ou triggers pour commander le déclenchement des modulations, on trouve aussi un mode Unison qui permet d’ajouter des voix en plus de celles commandées par l’utilisateur, avec des variations de pitch, de forme d’onde et de panning, pour épaissir le son produit.
Quant à la section globale, elle permet de régler le tempo au sein du synthétiseur (fixe ou synchronisé sur l’hôte), un offset global sur le pitch, l’utilisation d’un filtre anti-aliasing (voir page suivante), et également de copier-coller l’ensemble des paramètres oscillateurs/filtres/effets d’un preset à un autre. Il est également possible d’y apporter des variations aléatoires par l’intermédiaire d’une fonction Random, ce qui peut donner des résultats intéressants…
Notons enfin la présence d’une section Bypass qui permet de récupérer le signal direct en sortie des oscillateurs pour l’injecter à la sortie du synthétiseur, afin de rendre le son un peu plus agressif, moins rond… D’ailleurs, à l’usage, comment peut-on qualifier les sonorités et l’utilisation de Massive ?
Sonorités
Au niveau rendu, il n’y a pas à dire ça sonne ! La réputation du synthétiseur rapport au gros son n’est nullement usurpée (voir démo mp3 et site de Native Instruments). Cependant, nous sommes loin d’obtenir des sonorités dites ‘analogiques’ comme cela a pu être dit. Qu’à cela ne tienne, le registre est différent, mais le résultat est là, il est facile d’obtenir des sons avec une certaine épaisseur, en particulier grâce aux filtres d’excellente facture, et de leur association aux différents types de modulation, ou à la fonctionnalité Unison. Cela rend ainsi Massive assez polyvalent, sans pour autant lui permettre de remplacer une modélisation de Prophet ou de Moog par exemple.
Quant à l’explorateur de presets, il suit la norme imposée aux logiciels Native récents, à savoir la possibilité de filtrer la liste des sons en fonction d’une centaine d’attributs pour trouver rapidement des sonorités particulières sans avoir à tout faire défiler de manière fastidieuse… On apprécie beaucoup ce système, qui permet de plus de se faire une idée rapide des possibilités du logiciel, avant d’aller plus loin dans l’édition, par exemple si vous voulez tester la version démo (ce que je vous invite très fortement à faire). L’explorateur permet d’ailleurs une intégration optimisée au sein de l’interface Kore.
Consommation CPU
Le gros défaut de ce synthétiseur est sa consommation de ressources. En effet, Massive est du genre à utiliser entre 15% et 25% de mon CPU selon les presets. Il est possible de réduire un peu cette consommation avec des réglages disponibles sur l’onglet Global, ce qui a pour effet de supprimer le filtrage anti-aliasing mais aussi de diviser par deux la consommation CPU. Nous avons le choix entre les réglages de qualité sonore Ultra, High et Economic, dans le sens décroissant de la consommation CPU et de la précision du rendu.
En tout cas, en moyenne, il consomme quand même beaucoup plus que d’autres synthétiseurs que j’ai pu utiliser… Pour information, le test a été effectué sur un Pentium-M 1.76 GHz avec 1 Go de RAM.
Conclusion
Pourquoi Massive plutôt qu’un autre ? La question qu’il convient de se poser est l’intérêt d’un logiciel comme Massive. Le marché de l’instrument virtuel est vraiment encombré de synthétiseurs soustractifs, surtout avec la démocratisation du freeware et d’outils de création comme Synthedit… Cela a permis de voir apparaître le pire comme le meilleur, assumant le support numérique ou se plaçant comme des modélisations analogiques de synthétiseurs soustractifs hardware de légende. Comment Massive se place-t-il donc dans ce contexte ?
Il est évident qu’il a des arguments de poids à proposer, grâce aux petites attentions que Native Instruments implante dans chacune de ses créations. Le son est là, l’ergonomie rend l’apprentissage du logiciel et son utilisation agréables, les possibilités de modulation sont extrêmement intéressantes… Mais on a vraiment des impressions persistantes de déjà-vu gênantes, et on se dit qu’un nouveau synthétiseur ‘cool’ vient de s’ajouter à la liste de ceux dont on a déjà entendu beaucoup de bien, qu’on devrait essayer un jour, pour leurs multiples qualités qui font l’unanimité… Et qu’on n’aura sûrement jamais l’occasion de tester, parce qu’on a déjà des équivalents, peut-être un peu moins bien, mais que l’on connaît beaucoup mieux, parce que la liste commence à être beaucoup trop longue et que le temps libre que l’on a n’est pas extensible à l’infini, surtout qu’un nouveau synthétiseur ne s’apprivoise pas en quelques minutes… Mais surtout, parce que Massive tout comme ces autres synthétiseurs n’apporte rien de révolutionnaire, rien ‘d’ultime’, ce n’est ‘qu’un bon petit synthétiseur de plus’. Et pas forcément donné au niveau du prix.
Entendons-nous bien, Massive a des qualités indéniables. Mais on ne peut pas cautionner le manque d’imagination flagrant des développeurs de synthétiseurs ces derniers temps… Les modélisations de synthétiseurs analogiques ont encore le vent en poupe, en particulier celles des machines majeures qui ont marqué les 30 dernières années. Par contre, au niveau du numérique ‘assumé’, le son de ces petites bêtes continue de s’améliorer, mais nous n’avons pas l’impression que les développeurs se creusent suffisamment la tête sur des concepts vieux de plusieurs dizaines d’années (oscillateur + filtre, effets, arpégiateurs…). A quand un nouveau modèle de synthèse innovant ? Une interface homme-machine rendant la synthèse plus intéressante ? En attendant, si vous cherchez un synthétiseur soustractif qui sonne, et que vous avez une configuration informatique avec un minimum de puissance, vous pouvez vous jeter sur Massive les yeux fermés, vous ne serez pas déçus. Pour les aficionados de la synthèse, il y a un risque de lassitude…
Enfin, autre bémol, notons la présence de bugs mineurs recensés avant la version 1.1 de Massive apparue pendant le test (incompatibilités avec certains séquenceurs, bugs sur l’enregistrement de presets). Il y a eu des mises à jour quotidiennes depuis la sortie, qui ont réglé ce genre de problèmes au fur et à mesure, mais on regrette que NI ait sorti des produits perfectibles rapidement, au lieu de passer plus de temps sur le débogage (c’était déjà le cas avec Absynth4 par exemple).