Avec le Synthx V, Arturia enrichit encore son musée virtuel dédié aux synthétiseurs de légende. Il s’agit cette fois d’une modélisation de l’Elka Synthex. Découvrons ce que nous propose ce nouvel instrument et les bonnes idées qu'il apporte.
« S’il vous plaît… dessine-moi un synthé ! »
Mario était bien plus isolé qu’un musicien seul dans son home studio, il sauta sur ses pieds comme s’il avait été frappé par la foudre. Il frotta ses yeux pour bien regarder. Et il vit un petit bonhomme tout à fait extraordinaire qui le considérait gravement.
« Dessine-moi un synthé… »
Alors, Mario Maggi n’eut d’autre choix que de s’exécuter et lui dessina le magnifique Synthex.
Euh… Non. Ça ne s’est bien sûr pas passé ainsi, mais ça fait une intro sympa.
Exhumation d’une légende de la synthèse
Dans le monde réel, Mario Maggi est un ingénieur italien qui a d’abord œuvré à la conception de plusieurs synthétiseurs programmables dans les années 70. Au début de la décennie suivante, alors que les premiers synthétiseurs polyphoniques programmables sous contrôle numérique, comme le Sequential Prophet-5 et l’Oberheim OB-X, ont le vent en poupe, il nourrit l’ambition de créer un synthétiseur capable de rivaliser avec ces grands noms.
Après avoir travaillé de manière indépendante pendant plus d’un an, il approche plusieurs fabricants italiens de claviers pour leur proposer son ambitieux projet. Seule la société Elka, davantage spécialisée dans les orgues et les string machines, accepte de se lancer dans cette aventure.
Sorti en 1981, l’Elka Synthex est un puissant synthétiseur analogique polyphonique bi-timbral (lower et upper) à 8 voix. Il figure parmi les plus complets de son époque : chaque voix possède deux DCO, un générateur de bruit blanc ou rose, un filtre multimode, un LFO, deux enveloppes, auquel s’ajoute un séquenceur quatre pistes mono, un LFO maître ainsi qu’un superbe chorus stéréo. Les DCO offrent une stabilité supérieure à celle de ses concurrents de l’époque, et surtout permettent des possibilités d’intermodulation uniques, telles qu’une double modulation en anneaux.
Malheureusement, le Synthex ne rencontra pas un grand succès commercial à sa sortie et sa reconnaissance fut tardive. Son utilisation par des artistes comme Jean-Michel Jarre, Tangerine Dream et Vitalic, ainsi que ses qualités désormais reconnues, en font aujourd’hui un synthétiseur très recherché. Sa rareté accentuant encore ceci, l’arrivée de la modélisation d’Arturia est une véritable aubaine pour tous ceux qui souhaitent goûter à ses nappes amples, ses cordes rêveuses, ses cuivres majestueux et ses leads tranchants et métalliques.
Synth en examen
C’est une habitude chez Arturia, l’interface graphique est superbe. La partie principale respecte les codes visuels et la philosophie du Synthex, tandis que des fonctions supplémentaires, absentes de l’instrument d’origine, sont accessibles via un volet qui s’ouvre en bas, remplaçant le clavier. Notons l’effort significatif qui a été fait pour assurer la lisibilité sur les petites résolutions. Ainsi, le Synthx V reste parfaitement lisible sur un petit laptop doté d’un écran de 13 pouces.
Une vaste collection de présets est incluse, dont ceux du Synthex original. Leur gestion s’effectue via l’habituel browser d’Arturia, qui inclut des fonctionnalités de recherches et de tags. Ces présets couvrent un large éventail de timbres et permettent de découvrir toute l’étendue des possibilités et la richesse de l’instrument. Des cordes soyeuses aux basses italo-disco, en passant par de profondes nappes et des cuivres majestueux, le Synthx V impressionne. Il excelle également dans les sons de cloches, les timbres métalliques et les effets spéciaux ; son ring mod et la synchro des oscillateurs y contribuent beaucoup. Son caractère et ses domaines de prédilection se révèlent rapidement : ce n’est pas un synthé au tempérament agressif, son terrain de jeu, c’est plutôt les timbres profonds et majestueux. Une élégance certaine se dégage de ce qu’il en sort. La classe italienne sans doute.
Il est également intéressant de faire défiler les présets originaux du Synthex et de les comparer avec les nouveaux du Synthx V. Cela permet de mesurer à quel point les ajouts du plugin enrichissent le rendu et la variété des timbres.
- 01 – Strings – Bachelor01:23
- 02 – Strings – Sin01:11
- 03 – Pad – Lynch Peaks00:41
- 04 – Pad – Exit01:36
- 05 – Bass – Germany Japan (Solo-Dual mode)01:21
- 06 – Synth – Electric00:51
- 07 – Synth – S Dreams00:26
- 10 – Synth – Cars00:41
- 11 – Sync lead – Odysseus00:27
- 14 – Key Sixties00:47
- 16 – Organ – Perfect00:28
- 17 – Harp Lazer – Rdv1 No FX00:50
- 18 – Harp Lazer – Rdv200:45
- 19 – Harp Lazer – Rdv300:36
- 31 – Survivre (3 Synthx V+Drumbox+Reverb)01:07
- 32 – Solitaire (Tout au Synthx V)01:42
- 33 – Clair de Lune (5 Synthx V+Mello-Fi)03:33
- 34 – Cold and Grey01:10
(Sauf mention, tous les extraits sont intégralement réalisés avec le Synthx V et ses effets. Seul un limiter de contrôle a été utilisé en fin de chaîne)
À l’instar de son inspirateur, le Synthx V est un synthétiseur qui possède une architecture à deux couches, malheureusement, la possibilité de splitter le clavier entre celles-ci n’est pas reprise. Arturia précise cependant qu’il est possible de recréer cette fonctionnalité via Analog Lab Play (gratuit). Bien que cela soit effectivement faisable, il faut reconnaître que cette méthode n’est pas pratique. Analog Lab semble avant tout conçu comme un gros lecteur de présets, et pour éditer un patch avec deux synthétiseurs, il faut passer d’une occurrence à l’autre, ce qui devient vite fastidieux.
La compatibilité MPE est assurée, ainsi que celle du NKS pour les claviers et contrôleurs Native Instruments.
Des tutoriels sont proposés directement dans l’interface graphique, mais uniquement en anglais. Le mode d’emploi, quant à lui, devrait être disponible au format PDF dans plusieurs langues, dont le français (pas encore disponible au moment de l’écriture de ce test).
Le Synthx V est proposé en standalone ainsi qu’aux formats de plugins VST, Audio Unit et AAX pour Windows et Mac. Comme d’habitude avec Arturia, l’installation et l’autorisation se font via l’Arturia Software Center.
Synthex, sonnez pour nous
Rentrons maintenant dans le vif du sujet en commençant par les deux oscillateurs. Ceux-ci sont particulièrement complets et reproduisent presque à l’identique les DCO du synthétiseur original. La hauteur se règle via un sélecteur d’octave sur 1, 2, 4, 8, 16 pieds, et l’accordage se fait de façon continue sur deux octaves (par demi-ton sur une octave sur l’original). Les formes d’ondes disponibles incluent un triangle, une dent de scie ascendante, un carré, une impulsion variable et une PWM, assez inhabituelle, qui peut être modulée par l’autre oscillateur. On trouve également une modulation en anneau qui, contrairement au synthétiseur original, ne peut être activée que sur un seul oscillateur à la fois. Il faut choisir l’un ou l’autre, ce qui nous prive de certains sons uniquement programmables sur le Synthex. À noter qu’il est aussi possible de synchroniser l’oscillateur 2 avec le 1. L’association de la modulation en anneau et de la synchronisation permet de créer des timbres métalliques très emblématiques du Synthex. Enfin, un générateur de bruit blanc ou rose est disponible. Ces trois générateurs possèdent chacun leur propre réglage de volume avant d’être envoyés dans le filtre multimode.
Celui-ci modélise les modes du Synthex original : passe-bas 24 dB/octave, passe-bande 6 dB/octave, passe-bande 12 dB/octave et passe-haut 12 dB/octave, en y ajoutant un mode passe-bas 12 dB/octave. Ce filtre peut auto-osciller en poussant la résonance au-delà de 6. Fidèle à l’original, cette dernière a tendance à écraser le signal. Dommage qu’Arturia n’y ait pas ajouté de réglage de compensation optionnel. Ce filtre offre une jolie couleur, mais surtout, avec ses différents modes sur deux layers, il permet des combinaisons qui sortent des sentiers battus. Côté modulation, on trouve deux enveloppes ADSR : l’une dédiée au filtre avec un réglage d’envoi bipolaire, et l’autre au VCA. Ces deux enveloppes possèdent chacune un réglage de vélocité.
Ensuite, vient un premier LFO avec les formes d’ondes classiques : triangle, dent de scie, rampe, carré, auquel Arturia a ajouté une forme d’onde aléatoire et une synchronisation au tempo de l’hôte. En plus d’un délai, il dispose de deux groupes de destinations, chacun avec un potentiomètre d’intensité. Le premier groupe permet de moduler le pitch et le PW de chaque oscillateur ; le deuxième module le filtre, l’amplificateur et le panoramique. Un deuxième LFO général propose simplement un triangle. Ici, chaque destination a son propre curseur, permettant de moduler séparément ou simultanément le pitch, la PWM, le filtre, l’amplificateur et le panoramique. Bien que ce LFO soit principalement destiné à la molette de modulation, il est néanmoins possible de le désolidariser de celle-ci. De plus, il est possible de n’agir que sur un seul layer si on le souhaite. Bien évidemment, la synchronisation au tempo est également présente ici.
Quelques mots sur l’un des autres atouts du Synthx V : sa magnifique reproduction du non moins magnifique Chorus BBD du Synthex. Il s’agit d’un double chorus, activable indépendamment sur chaque layer. Il suffit de l’activer pour que le son prenne une saveur irrésistible. Trois positions sont disponibles, du plus doux au plus prononcé.
Citons également un portamento ET un glide polyphonique, parfaits pour s’amuser à faire des jingles façon THX, ainsi qu’un réglage Spread pour répartir les voix sur la largeur stéréo. On retrouve aussi le module de dispersion habituel d’Arturia, qui recrée les aspérités de l’analogique, cette fois avec un potentiomètre général « Vintage » en plus, pour en contrôler l’intensité.
Par rapport au Synthex, le nombre de voix est doublé pour atteindre 16, et un unisson est inclus, et là où ça devient intéressant, c’est que ce dernier est configurable pour chaque layer. Par exemple, il est possible d’avoir une couche avec 8 voix jouant à l’unisson et l’autre avec 8 voix polyphoniques. Sympa.
Index des Arps
Le Synthex possédait un séquenceur 4 pistes mono. Plutôt que de reproduire ce dernier, assez inutile dans une configuration moderne, Arturia a préféré incorporer 4 arpégiateurs.
Et c’est une très bonne idée : il ne s’agit pas ici de simples arpégiateurs comme on en voit souvent, mais d’une petite usine à séquences en tout genre. Chaque arpégiateur peut être affecté à l’un ou l’autre layer ou les deux ensembles. En plus des sens de lecture habituels, ascendant, descendant, ascendant et descendant, Random, une trentaine de motifs est proposée. Le paramètre Transpose règle le pitch dans lequel est jouée la séquence, Octave définit finement la plage dans laquelle elle est jouée et Start Offset détermine à quel pas la séquence commence.
Le rythme peut ensuite être ajusté en choisissant un modèle prédéfini ou en programmant le sien sur 16 pas. Ici encore, on peut sélectionner à quel moment la séquence débute. Il est ensuite possible de définir la longueur des notes de manière aléatoire ou non, leur répétition et leur vélocité.
Enfin, on peut soumettre la séquence à une gamme, soit en choisissant parmi les options proposées, soit en programmant la sienne. Bien sûr, la vitesse de lecture, synchronisée ou non au tempo, peut également être ajustée.
Avec cette architecture à quatre arpégiateurs sur deux layers, il est possible de créer des séquences très complexes et polyrythmiques. Les possibilités créatives sont presque infinies.
Amaretti sur le gâteau,, les séquences peuvent être envoyées en MIDI pour contrôler un autre instrument.
Synth ex cætera
Pour la section de modulation additionnelle, plutôt que d’utiliser une matrice avec abscisses et ordonnées, Arturia s’est judicieusement inspiré de Pigments, son synthétiseur virtuel à tout faire. On retrouve ici des modules souvent aperçus chez la marque : Random, Function (comme son nom l’indique, un modulateur multifonction), un séquenceur de paramètres et une enveloppe supplémentaire appelée ADSR, qui n’est d’ailleurs pas vraiment une ADSR, puisqu’un délai est inclus et que chaque segment dispose de sa courbe paramétrable. Cette enveloppe est bien utile pour programmer des sons de percussions, car elle s’avère plus rapide que celles modélisées sur le Synthex. Tout ce petit monde se connecte par glisser-déposer et inclut des visualisations dynamiques très utiles pour nous indiquer en temps réel le mouvement des modulations.
Pour conclure, quelques mots sur l’excellente section effets. Quatre slots peuvent inclure, au choix, des delays, reverbs, pitch-shift délai, filtres, chorus (dont celui du Jun-6 V), compresseur, distorsion, etc. Tous ces effets sont irréprochables et s’intègrent parfaitement avec le synthé ainsi que dans un mix. Notons que, si les effets peuvent être glissés et déplacés dans l’ordre souhaité, on ne peut pas sauvegarder l’ensemble de la chaîne. Un bypass général accessible depuis l’interface principale aurait également été appréciable, sans avoir besoin de déployer la fenêtre du bas. Chipotons quoi, puisqu’il n’y a pas grand-chose à reprocher au synthx V et on s’amuse beaucoup avec lui.
Notons que dans cette version 1.0, la consommation CPU est un peu élevée — sans être gargantuesque — mais le logiciel sera sans doute mieux optimisé lors d’une prochaine mise à jour. Par contre, aucun bug n’est venu gâcher la fête.
Une légende de plus dans le plus beau musée virtuel dédié aux synthétiseurs vintage. Et, vu la réussite de ce dernier venu, on se met à rêver d’un grand bleu carburant aux tables d’ondes, et d’un Moog polyphonique qu’on ne peut effacer de nos mémoires…