iZotope nous présente la nouvelle version de son plug-in de traitement multifonction, Alloy 2, prévu pour l'enregistrement et le mixage. Que se cache-t-il sous le capot de la bête ?
Même si la tendance au plug-in monofonction reste majoritaire dans la production logicielle, depuis les débuts de celle-ci jusqu’à nos jours, de nombreux éditeurs ont retenu l’option Channel Strip, inspirés à la fois par les fonctions d’une véritable tranche de console et par les périphériques matériels proposés par de nombreux fabricants sous ce nom. Bien entendu la mode « vintage » a vu apparaître dans le monde logiciel de nombreux Channel Strips proposant des émulations de consoles et de périphériques connus ; on voit ainsi fleurir des versions numériques de tranches SSL, Neve, Focusrite, Summit Audio, chez Universal Audio, Waves, URS, Avid, McDSP, Softube, Metric Halo, etc. (listes non exhaustives).
Généralement ce type de produit offre une section amplification, une autre dédiée à l’égalisation et une troisième au traitement de la dynamique. La plupart du temps sous sa forme logicielle, le Channel Strip, pour des raisons compréhensibles n’inclut pas d’options sophistiquées de préamplification, mais offre inverseur de phase, possibilité de side-chaining, voire d’agencement des différents étages. Les différentes sections peuvent être spartiates ou sardanapalesques : plusieurs bandes d’EQ paramétriques, des shelves, types de filtres variés, et du côté de la dynamique, des gate, expandeur, limiteur, compresseur, le tout avec fonction side-chain pour créer des dé-esseurs par exemple (quand celui-ci n’est pas inclus d’origine). L’éditeur iZotope, connu entre autres pour ses excellents RX2, Ozone 5 ou encore iRis vient de sortir la version 2 de sa vision du Channel Strip. C’est parti pour un décorticage en règle.
Introducing iZotope Alloy 2
On peut acquérir le plug-in chez l’éditeur, pour la somme de 199 dollars, sachant qu’un update depuis la version 1 coûtera 79 euros, et qu’un bundle Mix & Master est disponible, incluant Alloy 2 et Ozone 5 (399 dollars). Disponible au téléchargement uniquement, le logiciel est fourni aux formats RTAS/AudioSuite, VST, VST3, DirectX, Audio Unit et AAX et est bien sûr compatible Mac (à partir d’OS 10.5.8) et PC (Windows XP, Vista et Seven). L’autorisation repose toujours sur le même principe, via une application permettant de choisir entre le challenge/réponse et la clé iLok. Dans les deux cas, la procédure est simplifiée et l’utilisateur est entièrement guidé.
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Résumons les grandes différences entre les deux versions : d’abord, pas mal de choses au niveau de l’interface utilisateur, un des grands soucis de l’éditeur. Ensuite des nouveaux présets (plus de 200), des options de mesure, le support du 64 bits, et des améliorations et nouvelles fonctions pour les divers modules composant le plug-in : EQ, Transient Shaper, Exciter, De-Esser, Dynamics et Limiter. Le tout sur des algorithmes maison à modélisation analogique, un fonctionnement possible en Zero Latency (au détriment des fonctions de Lookahead, bien sûr) et la possibilité de travailler jusqu’en 192 kHz.
Alloy, de A à Y
Un petit coup d’œil sur l’interface pour commencer. L’éditeur a souvent fait montre de créativité et de recherche d’ergonomie, c’est encore une fois le cas. On dispose d’une fenêtre de taille confortable, dotée de quatre indicateurs de niveaux et faders sur la droite (L/R entrée et sortie, pouvant basculer du niveau global ou niveau par module), avec réglages d’échelle, verrouillage, etc. La barre inférieure horizontale propose un Bypass global, l’accès aux présets (l’éditeur a fourni des présets globaux mais aussi par module, bravo) et l’on dispose de sept boutons flanqués d’un switch On/Off par afficher et activer/désactiver les modules, ainsi que d’un bouton Overview affichant l’ensemble des modules actifs en une seule fenêtre, avec possibilité d’intervenir sur les réglages les plus usités. Enfin Options donne accès à neuf onglets permettant de régler le comportement de chacun des modules, de l’analyseur de spectre et du plug en général. History ouvre la fenêtre permettant de gérer les Undo/Redo.
Graph enfin donne la possibilité d’agencer les modules du plug-in dans l’ordre désiré, sachant que les deux modules de dynamique peuvent être placés en parallèle plutôt qu’en série ; une option qui permet par exemple de déplacer le Spectrum (l’analyseur) à différents endroits de la chaîne afin de lire les modifications apportées par un module ou une série de modules. Tout cela est bien conçu, très lisible et simple à mettre en œuvre, avec le look habituel d’iZotope à base de transparence (l’un de mes préférés avec les graphismes de Fabfilter) et une optimisation quasi sans failles (voir les nombreuses fonctions accessibles via clic droit suivant l’endroit où l’on se place). Passons ensuite aux différents modules.
EQ à gogo
Commençons par l’EQ, en rappelant déjà un fait simple, c’est que les réglages d’un paramétrique conçu comme un « vrai » paramétrique (c’est-à-dire sans saturation et/ou compression pour faire vintage) pourront être obtenus avec un paramétrique d’une autre marque. Pour rappel, il sera intéressant de consulter ce qui suit : le livre L’Audionumérique de Curtis Roads pour les types de filtres et d’EQ et leur comportement, notamment au niveau des rebonds, de la phase et autres effets induits (les lecteurs assidus d’AF connaissent l’importance du bouquin et l’histoire de sa dernière version française) et puis ce site, rhythminmind dont l’auteur a publié un très édifiant papier (en anglais seulement) sur les EQ paramétriques logiciels (voir aussi la discussion sur Audiofanzine à ce sujet). À titre d’info, je suis arrivé en cinq minutes à obtenir une bonne annulation via inversion de phase entre Alloy 2 en mode Bell et le Channel EQ de Logic (sons résiduels entre –60 et –56 dB).
L’éditeur nous offre ici une solution d’égalisation complète, avec huit EQ pouvant être activés à volonté. Pour chacun d’eux, on pourra choisir entre six types d’EQ, Bell, Low ou High Shelf, Low ou High Pass et Baxandall. Chacun de ces types offre lui-même plusieurs topologies : Bell et Vintage pour les Bell, Analog, Resonant ou Vintage pour les Shelves, Flat, Resonant, Sharp ou Brickwall pour les Pass, Bass ou Treble pour les Baxandall. Au niveau des paramétriques, les différences entre Bell et Vintage sont très subtiles quand on booste une fréquence (certaines fréquences sont un peu accentuées autour de la fréquence de coupure). En revanche, en cut, le mode Vintage montre un Q beaucoup plus resserré (résultant en une quasi courbe) que le mode Bell naturel (qui lui se montre plus linéaire).
Chaque topologie fait entendre en résultat vraiment différent (principalement en cut), l’action sur le facteur Q pouvant engendrer des comportements très particuliers. Le Baxandall est un ajout plutôt anecdotique, en revanche on appréciera le superbe Brickwall pour les filtres Hi et Low Pass ; on pourra mesurer les différences sur la capture d’écran, coupure à 1000 Hz, en rouge Flat (pente 48 dB/oct.), en jaune Resonant (Q à 5), en vert Sharp (Q à 5) et en blanc Brickwall). Idéal pour l’isolation d’éléments séparés sur des prises multi-micros (attention comme toujours à la phase et aux pics de résonances à la fréquence de coupure). Bref, on dispose là d’un outil puissant, incluant un analyseur de fréquence, et offrant suffisamment de variétés de filtres pour que l’on y trouve son compte.
On apprécie la possibilité d’effectuer les réglages par valeur ou directement sur l’afficheur, avec toujours le principe de « cible » affichant Hz et dB (les crochets pour modifier le Q sont une excellente idée). Petit bonus, on peut activer dans les options une Soft Saturation, qui modifiera l’amplitude des fréquences autour de celles modifiées, tout en les compressant un peu. Ou comment rajouter un défaut pour donner une sonorité plus… roots (?). Au moins, ici, l’utilisateur a le choix de l’inclure ou pas, ce qui n’est pas le cas de nombreux EQ numériques, dont le son si « analogique » n’est souvent dû qu’à un artifice du genre, parfois très loin des effets de saturation ou de compression possibles d’un périphérique purement analogique.
Dynamique et multibande
On l’a déjà mentionné, Alloy 2 intègre un équivalent du Transient Designer, sauf qu’ici, on peut l’utiliser en multibande en plus du fonctionnement normal. Et ça, ça change tout. Une réverbe trop présente à certaines fréquences ? Une caisse claire trop longue dans un groove ? La possibilité de travailler l’attaque et le sustain sur trois bandes librement réglables devrait pouvoir arranger ça. Partons de ce groove avec une réverbe exagérée sur la caisse claire.
Voici le résultat après traitement.
Pour comparaison, voici le même traitement en single band.
Impressionnant, non ? Autre exemple sur un groove dont l’ensemble des éléments est réverbéré. L’exemple fait entendre avant/après.
On remarquera que le traitement n’entre pas en action tout de suite, un petit défaut. Prenons comme autre exemple, la voix dont je me sers toujours pour ce type de manipulation, très mal enregistrée, dans un espace réverbérant en plus.
Et après traitement du Transient en mode Multiband.
Puis après ajout du De-Esser, compression et égalisation, une option parmi d’autres (on aurait pu complètement détimbrer aussi…).
Bon, en même temps, « shit in, shit out »… Passons à l’étage Dynamics, en précisant que l’on dispose du même module dupliqué. Alloy 2 nous offre un ensemble compresseur/gate de la meilleure facture, qui plus est pouvant travailler en multibande. Tout comme avec le Transient, on dispose d’un afficheur multimode, où l’on pourra visualiser la forme d’onde et l’action du traitement, ou passer en mode Crossover View, c’est-à-dire lors de l’utilisation en multibande, avec possibilité de déplacer les zones, les muter ou les passer en solo, superbe. On bénéficie en plus d’une vue fonctionnelle Detection Filter, avec Lo et Hi Pass résonants afin de déterminer si besoin la bande de fréquences qui pilotera le compresseur (pour faire un De-esser par exemple), et écoute du signal d’entrée ou du sidechain, bravo.
Au menu, les habituelles fonctions de compression et gate, chacun disposant d’enveloppes et d’entrées sidechain séparées (bravo), avec fonctionnement Peak ou RMS, Mode Digital ou Vintage (ce dernier réagissant plus doucement après l’attaque et avant le release, et prévu pour être plus sensible aux fréquences entre 1 et 10 kHz), choix de Knee (Hard ou Soft) et Autogain. Évidemment, Gate et Compressor peuvent être utilisés en mode Multiband. Et le compresseur fonctionne en mode Upward… Seul reproche, pas de mode Auto sur le compresseur, parfois bien pratique. Voici quelques exemples à partir d’une guitare. D’abord, en accentuant les attaques (avant/après).
Vu la rapidité de l’enveloppe (Attack, de 0,01 ms à 0,5 seconde, Release de 1 ms à 5 secondes), on peut s’amuser à écrêter le signal, pour obtenir une saturation assez roots.
Dernier exemple sur une voix (j’attends les commentaires sur la justesse dans les forums, moi, je ne dis plus rien…), avant et après. Mode Vintage, puis Digital.
Un petit exemple de multibande. Sur ce mix, les harmoniques de l’orgue au moment de la tenue me semblent trop en avant, un peu criardes (entre 2 et 5 kHz). Les retravailler via un EQ serait un peu complexe, alors qu’une sélection idoine de la plage de fréquences, une légère compression donne tout de suite un résultat moins agressif.
Excellent outil, le module vaut aussi par ces superbes affichages, comme tous les autres modules d’ailleurs. Autre outil, le De-Esser. Extrêmement simple, offrant un réglage de Threshold, une enveloppe A/R et un fonctionnement Broadband ou Multiband, il n’en est pas moins efficace, sur toute sorte de matériau sonore. On l’a déjà entendu en action sur la voix réverbérée plus haut.
Le Limiter propose quant à lui deux modes, Hard et Soft, avec réglages de seuil et de Margin (niveau de sortie), ainsi qu’un Phase Rotate, permettant de rattraper une éventuelle asymétrie de la forme d’onde, à manier avec précaution (quand on ne sait pas ce qu’on fait, mieux vaut s’abstenir).
Enfin, dernier module, l’Exciter, qui propose quatre types de saturation, Tube, Tape, Warm et Retro avec réglage de Drive, de Mix et de largeur stéréo (là aussi, attention à la phase). On dispose d’un pad X/Y permettant de mixer les quatre types ou de n’en utiliser qu’un ou deux, etc. Évidemment, cerise sur le gâteau, le module est aussi multibande, ce qui fait qu’on peut appliquer trois comportements différents à trois bandes de fréquences différentes… Voici un Rhodes (sans d’abord) traité par Tape, Tube, Warm et Retro. Le réglage de départ a été effectué afin d’obtenir une saturation « agréable », c’est-à-dire qui reste dans le contexte du piano électrique, puis passé par les différents types de saturation sans modifier le niveau de Drive (la réverbe étant incluse dans l’exemple, elle ne réagit pas comme elle devrait ; disons qu’elle a été placée sur un Bus, départ pré-exciter…). On dispose aussi d’un Shelf en sortie pour corriger toute brillance trop marquée.
Le module réagit très bien aux nuances, c’est très plaisant. La possibilité de mélanger les quatre types permet aussi de moduler très finement le son, sachant que le fader Drive est aussi fondamental dans la couleur sonore finale.
Dernier petit test : j’ai pu ouvrir 60 Alloy 2 stéréo, tous les modules activés et en multibande, avant de rencontrer des problèmes de CPU. Il faut bien dire que c’est une configuration extrême ayant peu de chances de se retrouver dans sur un projet réel.
Bilan
Difficile de trouver quelque chose à redire à ce nouveau produit iZotope. Deux choses, simplement, l’absence de fonction Auto pour le release du compresseur et le lookahead du Transient qui semble avoir du mal avec la première transitoire en lecture. Sinon, devant la qualité des modules, celle des afficheurs et outils de mesure, celle de l’ergonomie et des fonctionnalités, devant les modules quasi tous multibande, le son des uns et des autres, il est difficile de faire la fine bouche. Les possesseurs d’Ozone profiteront en plus du spectrogramme de ce dernier, puisque Alloy 2 peut y envoyer ses données (non testé, je n’ai pas Ozone)…
Vous cherchez un Channel Strip à la fois sophistiqué et offrant une grande simplicité de mise en œuvre et une ergonomie idéale, qui sonne, tout en incluant nombre d’outils aussi efficaces en prise de son qu’en mixage, et au tarif somme toute raisonnable vu le contenu du plug, alors il faut jeter un œil et les deux oreilles à Alloy 2, qui n’a pas à rougir des ses aînés. Une version démo complète de dix jours est disponible chez l’éditeur, ce serait dommage de ne pas l’essayer. Je pense quant à moi qu’Alloy 2 va devenir le plug-in par défaut de nombre de mes Templates.
Téléchargez les fichiers sonores : Flac article