Ce n'est pas souvent que nous avons l'occasion de voir passer dans nos bureaux des casques en provenance de Slovénie : cette semaine, la start-up Ollo Audio nous a fait parvenir deux casques (qui forment à ce jour l'intégralité de sa gamme). Autant vous dire qu'on était impatients de les tester !
Fondée en 2018 par Rok Gulik, Ollo Audio propose une gamme restreinte de casques qui allient qualité des matériaux et approche artisanale. Très active sur les réseaux sociaux, la marque sait bien présenter ses produits : design irréprochable, plus inspiré des casques audiophiles que de ce que l’on trouve habituellement en studio, certificat d’authenticité, courbe de mesure pour chaque casque, accessoires simples mais de qualité, etc.
Alors, qu’est-ce qui se cache derrière ce marketing de haute volée ? Pour venir à bout de cette question, nous procéderons, comme d’habitude, à des mesures objectives et à une écoute critique. Mais d’abord, déballons !
Déballage : élégance et pièces détachées
Dès le déballage, difficile de ne pas être séduit, ou au moins intrigué, par les casques Ollo : élégance, simplicité et surtout le sentiment que l’on a affaire à un fabricant sérieux. Le premier élément sur lequel on tombe en ouvrant la boîte du casque est une petite note indiquant la bonne manière de manipuler le produit, de façon à ne pas abîmer les haut-parleurs, et une note sur l’entretien des parties en noyer.
Une fois le casque sur la tête, on remarque que le confort est au rendez-vous, mais l’isolation ne nous semble pas si bonne que cela. À titre d’exemple, le Hi-X55 de Austrian Audio, avec ses mousses “mémoire de forme”, nous avait bien plus impressionnés sur ce point. Avec leur mélange de noyer et de métal, les casques Ollo sont assez lourds (382 gr pour le S4R et 350 gr pour le S4X), mais leur ingénieux système de bandeau souple, qui vient s’adapter naturellement à la taille de chaque tête, permet un confort assez remarquable pour un casque de presque 400 gr.
Il s’agit donc d’un casque robuste, mais cela ne signifie pas qu’il est pour autant raide : au contraire on découvre un arceau métallique bien souple, et la possibilité de faire pivoter les écouteurs à 360° (aucun câblage n’est présent dans l’arceau, il n’y a donc aucun risque de torsion de câble). Alors, certes, les casques ne se plient pas et ils prendront de la place dans un sac de transport (sac qui est fourni avec), mais on est favorablement impressionné par l’ergonomie générale de l’objet.
Le caractère artisanal des casques est particulièrement apparent dans le fait qu’ils sont entièrement démontables par l’utilisateur, pièce par pièce. Il est non seulement possible de changer les mousses (ce qui est habituel), mais l’utilisateur pourra à volonté remplacer n’importe quelle pièce qui aurait, à l’usage, fini par se dégrader. On peut même imaginer que les plus bricoleurs pourront s’en donner à cœur joie et modifier leur casque pour tenter d’en améliorer les résultats.
Pourquoi se priver ? Nous avons sorti notre plus beau tournevis et nous avons été voir ce qu’il y a à l’intérieur. Comme on peut le voir sur les photos comparatives, il y a très peu de différence entre les modèles S4X et S4R : ils embarquent tous les deux le même haut-parleur de 50 mm, avec un câblage minimal et de bonne qualité. Tout ce qui semble, à nos yeux, différencier les deux casques c’est donc la plaque arrière (ouvertes ou non) et la présence d’une mousse absorbante à l’arrière de l 'aimant néodyme. De toute façon, Ollo Audio propose ces deux casques exactement au même prix.
Pour finir ce tour d’horizon, précisons que le casque est fourni avec un câble Y, terminé par un jack 3,5 mm + son adaptateur vissable 6,35 mm, vers deux jacks 3,5 mm (qui vont s’enficher dans les écouteurs) clairement badgés et R et L. Ce câble, tout comme le casque, ne contient presque aucune pièce serti et peut, à volonté, être modifié/amélioré. Ollo Audio va jusqu’à conseiller, dans la brochure fournie avec le casque, de tester l’utilisation d’autres câbles custom.
Pour finir, si nous n’avons pas trouvé de défaut au niveau du confort, ni au niveau de la solidité, nous formulons toutefois une critique concernant les conséquences de l’utilisation d’un arceau métallique non doublée d’une matière absorbante : une fois posé sur la tête de l’utilisateur l’arceau est en tension, et n’importe quel choc (même léger) sur n’importe quelle partie du casque le fait résonner, à travers le bois, et jusque dans les oreilles de l’utilisateur. On dirait le son d’une cloche ! Même en réajustant légèrement le casque sur ses oreilles, on l’entend. Bien évidemment ceci constitue une critique très légère (personne ne passe son temps à tripoter son casque), mais, pour tout objet lié à l’audio, une bonne atténuation des fréquences de résonance nous paraît être la base.
Benchmark
Si vous êtes un habitué de ces tests, vous le savez déjà : nous avons mis en place un protocole de mesures objectives, afin de compléter l’écoute comparative subjective. Avec l’aide précieuse de notre partenaire Sonarworks, nous avons le plaisir de pouvoir vous fournir des courbes précises de la réponse en fréquence et du taux de distorsion harmonique (THD), réalisées à l’aide d’une tête artificielle et de matériel de mesure de laboratoire.
NB : le fait que les courbes publiées ici ne ressemble pas exactement à celles fournies par le constructeur n’est pas significatif. En effet, deux approches différentes de la mesure donneront des résultats différents. Il ne faut donc comparer les résultats publiés ici qu’avec les résultats déjà publiés dans nos pages pour d’autres casques.
Éliminons déjà la question de la THD : les résultats sont excellents. En effet, la THD mesurées sur les casques est, de toutes façons, toujours assez basse. Mais ici, on ne retrouve pas (ou à peine) les petites pointes qui correspondent généralement aux zones de non-linéarités du casque. Le S4R est particulièrement bluffant pour le coup, avec un résultat non seulement bas mais assez égal sur tout le spectre.
Pour ce qui est de la linéarité, on est plutôt face à des courbes que je nommerais « classique » : le S4R, axé monitoring, fera la part belle aux voix masculine et aux instruments médiums, avec un montée régulière de 100 Hz à 1000 Hz, puis une redescente pas trop raide jusqu’à 3 kHz. Ensuite, on trouve l’habituel profil boosté dans le haut médium et l’aigu, avec une chute bien raide à 15 kHz. Comme d’habitude (c’est un problème de linéarité typique des haut-parleurs à large bande), cette bosse dans l’aigu, qui apporte de la clarté au casque, n’est pas constante et comporte souvent un creux important, ici à 7 kHz (creux qui est causé par un pic d’impédance, et qui a pour conséquence un pic de THD). Pas trop de grave : à notre avis, c’est plutôt bienvenu pour un casque axé monitoring.
Quant au S4X, on prend le même haut-parleur et on change la résonnace de l’oreillette : de 1 kHz on descend à 100 Hz, ce qui nous donnera un casque beaucoup plus généreux dans les basses, mais sans pour autant avoir un creux trop important dans le médium. Même accentuation au dessus de 3 kHz, mais moins forte que sur le S4R (on s’attend à des aigus moins prononcés) pour amplifier la clarté de l’écoute (et palier les défauts des oreilles des utilisateurs), avec le même creux à 7 kHz (cf. explication ci-dessus). En revanche, on remarque un meilleur rendu des fréquences au dessus de 10 kHz. Dans l’ensemble, malgré ses creux et ses bosses, le S4X trace une courbe moyenne plus linéaire.
Dernier bon point à noter : pour des casques fabriqués d’une façon assez artisanale, on remarque un bon contrôle qualité des haut-parleurs, avec des courbes gauche-droite qui ne se différencient pas trop.
S4R : linéarité et THD
S4X : linéarité et THD
Écoute
Richard Hawley – Don’t Get Hung Up In Your Soul (sur Truelove’s Gutter)
Une ballade acoustique, avec beaucoup de réverbe et une différence de dynamique importante entre la voix et la guitare. Tout de suite la différence entre les deux casques saute aux oreilles : le S4X est plein de détails dans le médiums, avec une basse bien présente, mais avec un profil général que je décrirais comme “feutré”, c’est-à-dire manquant d’aigu, par exemple, sur la voix, dont le timbre baryton est plus accentué que le souffle ou que les articulations. Même remarque pour la guitare, sur laquelle on perçoit assez peu les attaques de plectre. La basse est bien présente, mais manque un peu de précision (cela arrive toujours sur ce morceau avec les casques généreux dans le grave). Le S4R, quant à lui, donne la part belle aux attaques de la guitare, aux consonnes sur la voix. La basse est bien plus en retrait, mais gagne ainsi un peu en précision. Sur les deux casques, les suivis de réverbe sont excellents, l’image stéréo également.
Sun Kil Moon – Butch Lullabye (sur Common As Light And Love…)
Sur l’intro, on doit entendre à la fois les notes graves, les harmoniques médiums ajoutées par la distorsion, l’attaque légèrement piquée des notes, tout en séparant bien la grosse caisse qui sonne assez sèche et médium. Nos perceptions du premier morceau se confirment : le S4X ne fléchit pas sur les basses, tout en reflétant finement leurs attaques. La voix est bien en avant, avec des médiums soulignés. On est très impressionné par la précision des timbres de chaque élément percussif : la grosse caisse, médium et pêchue, le shaker, bien filtré dans l’aigu, la caisse claire en pré-refrain, avec son égalisation dans le haut médium. En comparaison, le S4R convainc surtout par son rendu des attaques, mais ne fait pas le poids en ce qui concerne la tenue des graves et le rendu de la voix. Dans l’ensemble nous avons trouvé son écoute un peu terne, manquant d’une coloration, même légère, qui lui conférerait sa personnalité.
Massive Attack – Teardrop (sur Mezzanine)
Un titre avec beaucoup d’extrême grave, mais qui ne doit jamais masquer les nombreux détails dans le haut médium et l’aigu. Sans surprise, le S4X s’en tire mieux pour ce qui est des basses. Même constatation sur le timbre du piano, qui est très riche harmoniquement sur le S4X et un peu nasillard sur le S4R. En revanche pour tout ce qui concerne les détails de la coda (touches d’orgues, craquement, percussion, et cetera), et l’image stéréo, les deux casques sont, à notre avis, en concurrence au même niveau. Quant à la voix, les deux casques s’en sortent excellemment, même le S4R pourtant plus porté sur le haut du spectre : pas de sifflantes gênantes, ce qui arrive parfois avec ce morceau. Aucune fatigue ne se fait sentir sur le S4X ni sur le S4R.
Charlie Mingus – Solo Dancer (sur The Black Saint And The Sinner Lady)
Voilà un morceau avec beaucoup de soufflants jouant dans des tessitures similaires : c’est très touffu et le but est d’essayer de discerner les timbres. Le S4X nous laisse une excellente impression sur ce morceau particulièrement difficile. Durant la progression initiale l’accumulation, les cuivres passent sans aucun problème, avec des timbres précis, une image stéréo nette, et un très bon équilibre entre la batterie, la contrebasse (à gauche), le piano (à droite). tout en laissant sa place au sax solo. Après le break, sur les notes ultra graves du trombone-basse, le S4X ne bronche pas : le rendu est excellent. Le S4R quant à lui, s’il se tire assez bien du fouilli de cuivre, n’offre pas les mêmes détails ni sur la contrebasse (très effacée) ni sur le trombone-basse (presque absent). Les cymbales, très brillantes, ont aussi tendance à noyer la section cuivre avec le S4R.
Edgar Varèse – Ionisation (New York Philharmonic, dir. Pierre Boulez)
Ici on cherche à juger de l’image stéréo et du suivi de la réverbération naturelle de la salle, qui joue sur l’impression d’espace. L’écoute se fait entre 0:30 et 1:15 mins. Ici la différence entre les casques est moins flagrante. De peu, le S4X remporte la palme, grâce à sa tenue exemplaire sur l’ensemble du spectre et même malgré un léger déficit dans les aigus. Rien à redire quant au timbre des instruments, au rendu de l’acoustique de la salle, ou à l’image stéréo : tout est très convaincant. Le S4R ne nous a pas particulièrement paru à la traîne, étant donné sont accentuation des aigus, permettant un excellent rendu des attaques et des résonances. Seul léger défaut : un manque de précision sur le timbre des instruments les plus graves (grosse caisse d’orchestre, gong).
Conclusion
Voilà deux casques très intéressants, et qui nous semblent mériter une bonne note. Pour résumer nos impressions, nous pourrions dire que le S4X offre des performances de haut niveau pour ceux qui cherchent une écoute pas trop analytique, et qui n’ont pas peur des basses un peu gonflées (voire colorées). Nous le dirions donc adapté à une écoute plus globale, « d’ensemble » : ce qui reviens à dire qu’il s’agit d’un bon casque Hi-Fi, qui trouvera également sa place dans un studio/home-studio comme écoute de référence, pour travailler un mastering par exemple. On le comparerait volontiers au AKG K371, casque au rendu sonore assez similaire (même si les courbes ne se ressemblent pas totalement, je parle ici seulement de l’écoute subjective), mais dont la construction était beaucoup plus banale et industrielle. Le S4R, quant à lui, s’il augure de bons résultats comme casque de monitoring durant un enregistrement, nous a semblé avoir deux défauts pour cet usage : son isolation phonique correcte, mais moyenne, et son coût (399 euros) qui, de facto l’inscrit au même niveau que le S4X, alors qu’il nous a semblé être un casque légèrement moins désirable lors des écoutes. Ollo Audio reste, malgré cette critique, une marque à suivre, pour son approche indépendante, artisanale, et inventive.