Dans la famille Step d’Arturia, je voudrais un clavier à mini-touches incorporant un séquenceur hardware… Bonne pioche que ce nouveau Keystep ?
Depuis plusieurs années, Arturia, qui nous avait principalement habitués à exercer ses talents dans le domaine de la modélisation numérique de synthétiseurs de légende, a commencé à étendre son activité vers la production de matériel physique. La marque française y a fait preuve d’un savoir-faire qu’on ne lui soupçonnait pas forcément, comme l’ont démontré les succès critiques et commerciaux de ses synthétiseurs analogiques Mini – et MicroBrute, en attendant l’arrivée du MatrixBrute.
Mais le clavier KeyStep que nous testons aujourd’hui s’inscrit dans une autre gamme de la marque, celle des séquenceurs/contrôleurs composée jusqu’à présent des BeatStep et BeatStep Pro, également testés dans nos colonnes. Si ces derniers proposaient une interface reposant essentiellement sur un ensemble de pads et/ou de pas de séquences, le KeyStep se distingue par son clavier, comme son nom l’indique, ce qui pose la question suivante : avons-nous toujours essentiellement affaire à un séquenceur, ou bien à un (énième) clavier-maître nomade, ou les deux ? Pour un prix public se situant en moyenne autour des 120 euros, voyons ce que le nouveau venu a dans le ventre.
Tour du propriétaire
Dès le déballage, on reconnaît la marque de fabrique de la gamme « Step » : un parallélépipède de plastique blanc de 485 × 145 × 35/50 mm, sur une base métallique qui lui confère un poids de 1,8 kg et une sensation de solidité certaine. La stabilité de l’appareil sur le plan de travail est assurée par cinq patins antidérapants. Dans la boîte de l’appareil, rien d’autre en-dehors de lui qu’un câble USB, un petit feuillet « quick start guide » indiquant principalement comment enregistrer le produit et le connecter au sein de votre configuration, et enfin un autre feuillet vous donnant des précisions sur la licence Ableton Live Lite livrée avec le KeyStep.
Le clavier lui-même est composé de 32 mini-touches, soit environ deux octaves et demie. Si celles-ci ne bénéficient pas forcément d’un alignement au micropoil près, il n’y a toutefois rien de rédhibitoire. Il est non seulement sensible à la vélocité, mais également à l’aftertouch par canal (mais pas polyphonique !) Au-dessus du clavier, on retrouve les boutons de transport habituels de la série ainsi qu’un bouton de tap tempo également utilisé pour lier des notes ou insérer des silences dans les séquences.
On dispose également de trois encodeurs rotatifs, dont deux sont crantés. Le premier permet de choisir soit entre huit emplacements mémoire dédiés aux séquences, soit entre huit modes d’arpégiateur différents. Le second encodeur permet de sélectionner la division temporelle que l’on souhaite affecter aux pas de séquence, de la noire à la triple-croche de triolet. Le troisième intitulé « rate » permet de jouer sur la vitesse de reproduction des séquences ou des arpèges. C’est un petit sélecteur à deux positions qui permet de définir justement si l’on souhaite utiliser le clavier en mode séquenceur ou arpégiateur. Sur la gauche, les traditionnelles molettes de pitch bend et de modulation sont remplacées par des rubans tactiles. Ces derniers sont surplombés par quatre boutons-poussoirs dédiés à de multiples tâches comme, entre autres, la transposition de note ou d’octave, l’enregistrement d’accords ou encore le choix des modes de lecture de séquences. La combinaison du bouton « shift » et du clavier permet également de définir le canal MIDI, le niveau de « gate » des pas de séquence ainsi que leur niveau de « swing ».
La face arrière du KeyStep se montre assez riche en connexions. À ce niveau, on se situe entre le BeatStep et le BeatStep Pro avec tout d’abord une prise micro-USB servant aussi bien à la transmission de données (notamment MIDI) qu’à l’alimentation. Comme sur les autres modèles de la gamme, on peut ainsi employer un chargeur de smartphone, mais contrairement aux deux BeatStep, le Keystep propose également une prise d’alimentation externe traditionnelle de 9 V (transformateur non fourni). Trois sorties CV sont aussi disponibles, dédiées respectivement à la modulation de paramètre (mod), au déclenchement de notes (gate) et à la transmission d’informations de hauteur (pitch). Une prise jack est prévue pour le branchement d’une pédale de sustain, et deux mini-jacks assurent la connectivité d’horloge (sync) avec des systèmes antérieurs à l’apparition du MIDI. Deux prises DIN assurent la connectivité MIDI traditionnelle tandis qu’un duo de micro-sélecteurs permet de choisir l’origine de l’horloge de synchronisation. Enfin une encoche pour une sécurité Kensington vient compléter le tout à l’autre extrémité de la face arrière.
Le paramétrage en profondeur du KeyStep se fait comme pour les autres appareils d’Arturia via le MIDI Control Center (MCC) que nous avons déjà présenté lors d’articles précédents. Notons que celui-ci fonctionne même si le KeyStep est déjà connecté à une DAW, ce qui ne vous oblige pas à la quitter et interrompre votre travail pour pouvoir configurer votre clavier. Excellente chose.
Côté Key
J’entends déjà les clameurs s’élever du fond de la classe : quoi, encore des mini-touches, il y en a assez, et patati et patata. Soit. Il n’empêche que dans le domaine, sans atteindre le haut de gamme, on a affaire à du très bon niveau malgré le petit souci d’alignement des touches, plus esthétique qu’autre chose. Celles-ci sont semi-lestées et répondent parfaitement bien à la vélocité. Un petit test via MIDI-OX a permis de vérifier que l’engin transmettait aussi bien des valeurs extrêmement faibles (1–2) qu’extrêmement hautes (126–127). Du coup, l’on peut se permettre d’avoir un jeu très nuancé, du pianissimo au fortissimo, et dans ce dernier cas, sans déclencher l’aftertouch à tort et à travers comme cela peut être le cas sur des claviers moins bien conçus à ce niveau. En effet, l’aftertouch du KeyStep nécessite pour se déclencher un appui marqué sur le clavier après l’attaque initiale. Et ça, c’est juste le bonheur, sans compter que 32 touches s’avèrent un compromis tout à fait intéressant entre le nomadisme et les possibilités d’expression musicale.
On appréciera aussi la présence des deux bandeaux tactiles cités plus haut. Ceux-ci sont particulièrement réactifs et, par rapport aux molettes traditionnelles, présentent l’avantage de pouvoir accéder instantanément à une valeur donnée sans passer par une progression intermédiaire (qui reste toutefois possible). On peut ainsi obtenir des effets très « cut » sur le pitch bend ou la modulation. On peut définir le numéro de message CC du bandeau de modulation via le logiciel de paramétrage MIDI Control Center déjà décrit dans les tests concernant les BeatStep. Via ce même logiciel, les boutons de transport pourront se voir détournés de leurs fonctions premières pour envoyer d’autres types de messages. Toutefois, n’espérez pas pouvoir faire de même avec les trois encodeurs rotatifs : ceux-ci ne sont pas midifiés. Disons-le aussi clairement : du strict point de vue de sa fonctionnalité « clavier-maître », le KeyStep est dédié au jeu, pas au triturage de sonorités et encore moins bien sûr au mixage.
Je ne saurais clôturer ce paragraphe sans une remarque importante. Comme nous l’avons vu précédemment, le KeyStep est pourvu de sorties « CV ». Or, celles-ci ne sont pas débrayables. Du moment qu’un appareil y est branché, celui-ci recevra des données, que vous le souhaitiez ou non. On peut aisément imaginer une configuration comprenant un ordinateur avec des VST branchés à la prise USB, un expandeur branché à la prise MIDI OUT et un vénérable synthé aux sorties CV. Même si vous ne souhaitez faire sonner que l’expandeur à l’instant T, vous déclencherez également les sonorités du synthétiseur branché sur les CV. Seule solution à part l’éteindre : muter ses sorties sur votre table de mixage. Personnellement, je trouve ça un peu dommage.
Pour ce qui est de la répartition des messages entre les sorties MIDI DIN et MIDI USB, c’est traditionnellement par l’affectation des canaux MIDI que cela se fera. On peut également, via le MIDI Control Center, définir si les messages MIDI doivent transiter exclusivement par l’une ou par l’autre des sorties, ou par les deux.
Côté Step
L’une des spécificités du KeyStep par rapport à ses cousins les BeatStep est bien évidemment directement liée à la présence du clavier : c’est la possibilité de bénéficier d’un arpégiateur indépendant de la fonction de séquenceur, sur laquelle nous reviendrons dans le dernier paragraphe de ce test.
Tout d’abord, soulignons qu’en marge de sa fonction d’arpégiateur, le KeyStep est capable d’enregistrer des accords. Il suffit en effet d’activer la fonction « chord » et de jouer autant de notes que l’on souhaite (jusqu’à 16). On peut entrer ces notes de manière détachée, sachant qu’au final elles seront exécutées par le Keystep comme un seul accord. Une fois ce dernier « programmé », le jeu sur le clavier provoque le déclenchement dudit accord et sa transposition automatique en fonction des touches enfoncées. On peut à tout moment alterner entre ce mode et le mode de jeu normal, l’accord restant en mémoire tant que le KeyStep reste allumé et qu’un nouvel accord n’est pas programmé. Notez qu’on peut à tout moment aussi lui ajouter des notes (mais pas en supprimer), ce qui s’avère extrêmement pratique.
Les huit modes de jeu de l’arpégiateur regroupent aussi bien des montées que des descentes de notes, des suites aléatoires ou encore la possibilité de jouer un arpège en alignant les notes dans l’ordre suivant lequel les touches correspondantes ont été enfoncées. En utilisant le bouton « hold », et tout comme pour la construction d’accords, on peut ajouter autant de notes que l’on souhaite du moment qu’une seule touche de l’arpège initial est maintenue enfoncée, ce qui permet donc construire des arpèges sur plusieurs octaves au-delà des notes directement accessibles via les 32 touches du clavier. C’est une idée superbe et qui s’avère très ergonomique, d’autant plus que la fonctionnalité du bouton « hold » peut être dévolue via le MIDI Control Center à la pédale de sustain, libérant ainsi complètement les mains.
Comme indiqué dans le paragraphe précédent, le sens de lecture de l’arpège, les divisions temporelles utilisées et le tempo général peuvent être modifiés grâce aux encodeurs correspondants. Soulignons à ce sujet que le bouton « Rate » peut être paramétré dans le MCC pour éviter (ou autoriser) les sauts de valeur.
Concernant les deux encodeurs crantés, on peut sauter des valeurs en enfonçant la touche Shift pendant que l’on tourne l’encodeur concerné, ce afin d’accéder directement à la valeur souhaitée sans transiter par des valeurs intermédiaires. Un arpège, tout comme une séquence, peut être redémarré du début. Mais contrairement aux séquences, un arpège ne peut être sauvegardé.
De l’arpège à la séquence
Le KeyStep peut générer des séquences ayant une durée maximale de 64 pas. Il dispose en interne de 8 emplacements mémoire permettant de sauvegarder ces fameuses séquences. Toutefois, comme sur les BeatStep, il suffit d’une connexion informatique pour sauvegarder autant de séquences que l’on souhaite grâce au MCC.
Et puisque l’on parle des BeatStep, la principale nouveauté du KeyStep est de pouvoir enregistrer non plus seulement une note par pas de séquence, mais des accords complets allant jusqu’à huit notes simultanées ! Rappelons-nous que cela était impossible dans le BeatStep, et que dans le BeatStep Pro, seule la ligne dédiée aux « drums » permettait la superposition de plusieurs sons sur un même pas de séquence. On pourra ainsi également enregistrer des séquences en mode « chord » (cf plus haut). Les accords construits via ce mode contenant jusqu’à 16 notes, seules les 8 plus basses seront conservées dans le pas de séquence concerné.
Les séquences peuvent être enregistrées pas à pas ou à la volée, avec ou sans silences entre les notes. Celles-ci peuvent être liées entre elles. On peut même superposer successivement plusieurs couches de notes tenues.
Au début, il peut paraître déroutant que les pas de séquences ne soient pas matérialisés par des pads rétro-éclairés comme sur les BeatStep et la grande majorité des séquenceurs hardware en général. Il est vrai que cette absence confère un aspect beaucoup moins visuel que d’habitude à la conception de séquences. En ce qui concerne les séquences courtes, on s’y fait assez vite et cela incite même à faire davantage confiance à ses oreilles qu’à ses yeux, d’autant que le système proposé par le KeyStep ne limite nullement l’édition des séquences. En effet, lors de la lecture, il suffit de réactiver l’enregistrement à la volée pour pouvoir remplacer chacune des notes existantes par d’autres notes ou par des silences. Et en mode pas à pas, on peut à tout moment ajouter des pas de séquence supplémentaires à une séquence déjà existante. Globalement, on peut donc dire que tout ce système « non visuel » fonctionne très bien, tant que l’on reste dans le domaine de séquences courtes, encore une fois. Pour des séquences plus longues, c’est autrement plus ardu toutefois et on peut être décontenancé par le fait de ne pas pouvoir modifier une séquence « offline » ou par celui de ne pouvoir activer/désactiver des pas de séquences avant que ceux-ci ne soient lus. À chacun de se faire son opinion là-dessus.
Bien évidemment, la vélocité employée lors de la création d’un pas de séquence est prise en compte, ce qui est très agréable. J’aurais personnellement poussé le concept un peu plus loin encore en permettant de prendre en compte la vélocité avec laquelle on enfonce les touches lors de la lecture desdites séquences. Et puisque lors de la reproduction d’une séquence, on peut la transposer automatiquement via le clavier, la touche enfoncée devenant le nouveau point de départ, avouez qu’il eût été sympa de pouvoir également agir sur le volume général de la séquence… Quoi qu’il en soit, on peut également choisir de ne pas utiliser le clavier pour transposer une séquence, mais pour jouer librement tandis que la séquence tourne en arrière-fond. On peut même affecter un canal MIDI différent à cette fonctionnalité, permettant de jouer un son différent de celui piloté par la séquence. À noter que dans ce cas de figure, si vous avez un appareil branché sur les sorties CV de votre clavier, il recevra les notes de la séquence. Celles jouées par-dessus en revanche n’emprunteront pas ces sorties-là, mais exclusivement les sorties MIDI (en fonction des paramétrages définis dans le MCC).
Bien évidemment, le séquenceur bénéficie des mêmes possibilités de réglage des paramètres de tempo et de division temporelle que l’arpégiateur. Enfin, à l’instar de ce que nous pouvons trouver sur nos STAN, nous pouvons éditer intégralement les séquences sauvegardées sur l’ordinateur à l’aide d’un piano-roll au sein du MCC, tout comme pour le BeatStep Pro.
Conclusion
Pour répondre aux questions posées en introduction à ce banc d’essai, disons-le clairement : le KeyStep est un vrai séquenceur. Par certains aspects, il en fait même un peu plus que bien d’autres puisqu’il intègre une fonction d’arpégiateur et qu’il permet de séquencer des accords. On appréciera également la possibilité de jouer librement par-dessus une séquence active, et de pouvoir employer des canaux MIDI différents pour la partie séquencée et la partie jouée. Toutefois, si l’absence de témoins visuels ne s’avère absolument pas gênante sur des séquences courtes et incite à travailler davantage avec ses oreilles, elle peut s’avérer plus déroutante pour les séquences plus longues. On peut notamment regretter de ne pouvoir modifier les séquences qu’en temps réel.
Un séquenceur donc, mais aussi un vrai clavier-maître qui s’avère extrêmement agréable à manipuler malgré les mini-touches, très réactif à la vélocité, et avec un aftertouch, certes non polyphonique, mais qui a le bon goût de ne pas se déclencher à tout bout de champ dès qu’on a un jeu un peu nerveux. Les bandeaux tactiles de pitch bend et de modulation sont également une bonne idée. En dehors de ces derniers et des boutons de transport dont la fonction initiale peut être détournée pour envoyer des MIDI CC en passant par le logiciel de paramétrage MIDI Control Center, pas de salut toutefois : vous n’aurez que cela pour triturer un peu les sons des instruments physiques ou virtuels branchés à votre clavier. On regrettera également l’impossibilité de gérer le routing vers les sorties CV, celles-ci étant actives en permanence.
Ces constatations faites, il est permis de penser qu’au vu de ce qu’il apporte et de ce qui lui manque, le KeyStep a été conçu pour s’intégrer dans le reste de la gamme « Step » d’Arturia, les fonctionnalités des différents appareils se complétant parfaitement. Mais on peut éventuellement imaginer aussi qu’à l’instar du BeatStep d’origine, le KeyStep se verra peut-être rejoint d’ici quelque temps par une version « pro » plus musclée, qui sait ? Quoi qu’il en soit, peut-être est-ce justement le côté assez épuré de ses fonctionnalités qui en fait un instrument aussi agréable à utiliser.