En 2016, Arturia nous avait gratifiés d'un premier clavier/contrôleur/séquenceur, le Keystep, dont nous avions déjà vanté les qualités, mais qui nous avait également laissé sur notre faim par certains aspects.

Nous avions alors envisagé la possibilité que la marque propose à terme un modèle plus évolué, à l’instar de ce qu’elle avait fait pour la série des Beatstep. Mais alors que pour ces derniers, Arturia n’avait mis qu’un an à faire évoluer son concept, ce n’est que cette année que nous avons vu apparaître finalement un successeur au Keystep d’origine, et ce au prix conseillé de 399 €.
Le Keystep Pro saura-t-il justifier ce délai et ce tarif ? Répondra-t-il aux attentes que le précédent modèle avait générées en nous malgré ses multiples qualités ? C’est ce que je vous propose de découvrir ensemble.
Premiers pas
L’appareil est un parallélépipède de 589 × 208 × 38 mm et de 2,7 kg. Le châssis est métallique mais recouvert d’une robe de plastique. L’ensemble repose sur 4 patins caoutchoutés qui assurent une bonne adhérence à n’importe quelle surface. L’appareil est fabriqué « comme un tank », il est solide jusque dans ses potards qui sont bien ancrés, et s’il pèsera un peu dans le sac-à-dos, on n’aura en revanche pas à craindre les aléas du transport. Sa face supérieure est divisée en deux parties distinctes, l’une pour le jeu et l’autre pour le séquençage. La partie consacrée au jeu est constituée principalement d’un clavier de 37 touches sensibles à la vélocité et à l’aftertouch par canal. Les touches sont toutes surmontées de petites LED RGB dont l’emploi variera en fonction des différents modes d’utilisation du contrôleur. À gauche du clavier se trouvent les bandeaux tactiles verticaux dévolus au contrôle du pitch-bend et de la modulation ainsi que les boutons de changement d’octave. Mais on trouve déjà dans cette section des commandes dédiées aux fonctionnalités de séquençage, notamment un petit haut-parleur (oui oui !) pour le métronome mais surtout un bandeau tactile horizontal appelé « looper » et sur lequel nous reviendrons. La partie du Keystep Pro dédiée au séquençage à proprement parler recouvre toute la moitié supérieure de l’interface. Les pas de séquences sont matérialisés par 16 pads RGB surmontés de leurs boutons de sélection de page et de cinq encodeurs crantés sans fin entourés de leur couronne de LED. À leur gauche se situe la section régissant les 4 pistes de séquençage proposées par le Keystep Pro, chacune surmontée d’un écran LCD attitré. On trouve ensuite la section de commandes dédiée à la gestion des séquences, scènes et projets, et enfin la section regroupant les commandes de transport et la touche « shift » qui permettra d’accéder à de nombreuses fonctions alternatives. Ces deux dernières sections sont surmontées par les encodeurs pilotant le tempo et le swing, le bouton de tap tempo/métronome, ainsi que par un écran OLED indiquant toutes les informations importantes du contrôleur et accompagné de son encodeur dédié. À l’exception de ce dernier, tous les autres encodeurs sont sensibles au toucher.
Pour terminer cette première prise de contact avec le Keystep Pro, on notera que toute la nomenclature des connexions a été également sérigraphiée sur la face supérieure du contrôleur, nous évitant ainsi d’avoir à constamment retourner l’appareil à chaque branchement de câble. On ne manquera pas de remercier Arturia pour cette délicate et trop rare attention !
Le clavier
Le clavier du Keystep Pro est un semi-lesté à mini-touches sensibles – comme nous l’avons vu – à la vélocité ainsi qu’à l’aftertouch par canal. Il s’agit du même clavier que sur le Keystep premier du nom à ceci près que l’on dispose maintenant de 37 touches et non plus 32. La différence peut sembler minime mais elle se fait sentir. J’avais déjà exprimé dans mon article concernant le Novation Launchkey 37 MK3 tout le bien que je pensais de cette configuration, et je réitère ici : 37 touches sont à mon sens le compromis idéal entre portabilité et plaisir de jeu, même s’il faut reconnaître que les mini-touches sont forcément un peu moins confortables que des touches de taille normale. Et c’est toujours avec joie que l’on constate la présence de bandeaux tactiles en lieu et place des traditionnelles molettes de pitch-bend et de modulation, des bandeaux qui conjuguent aussi bien l’accès direct aux valeurs de paramètres que la possibilité de contrôler ces derniers de manière continue. Le jeu sur le clavier se trouve par ailleurs encore valorisé par la présence d’un puissant arpégiateur et d’un mode « chord » permettant comme son nom l’indique de créer des accords. Nous reviendrons plus en détail sur ces fonctionnalités après nous être penchés sur les grands principes de fonctionnement de l’appareil.
4 pistes pour les dominer tous
Celles-ci sont au nombre de quatre, plus une piste dédiée à l’automation des messages MIDI CC. La première piste permet de choisir entre une ligne de séquence normale ou bien dédiée aux éléments de batterie. Pour les trois autres pistes, on peut choisir d’activer le séquenceur ou bien l’arpégiateur individuellement grâce aux boutons dédiés. Les pistes du Keystep Pro peuvent piloter chacune un ou plusieurs modules hardware ou logiciel indépendants, et ce via les connectiques USB, MIDI ou CV. Chacune d’elle dispose de sa propre section de paramétrage facilement identifiable sur le panneau supérieur du clavier grâce à un code couleur. Chaque piste peut ainsi facilement être activée, mise en solo ou mutée, et sa destination USB, MIDI DIN ou CV peut également être rappelée et modifiée à la volée. Selon la piste activée, le contenu de ses séquences sera reproduit et modifiable sur la série de 16 pads rétro-éclairés, reprenant à chaque fois la couleur de la piste sélectionnée. Toutefois, si des séquences sont actives sur d’autres pistes que celle actuellement sélectionnée, leur activité sera rapportée par un petit témoin lumineux sur chacune des pistes concernées. On garde ainsi tout le temps une vision d’ensemble sur l’activité générale du séquenceur. Nous verrons plus loin qu’il est possible de programmer plusieurs séquences – ou « patterns » dans le jargon du Keystep – par piste, et l’on peut naviguer directement entre elles grâce aux petites flèches gauche et droite situées sur chaque piste. Le numéro du pattern actif pour chacune d’elle s’affiche alors dans le petit écran LCD attitré. On notera avec plaisir que le Keystep Pro permet d’associer deux pistes entre elles pour les piloter simultanément via le clavier avec un point de split librement définissable. Chaque partie du clavier conservera alors les réglages propres à la piste correspondante. Ces réglages ne se limitent d’ailleurs pas uniquement à la programmation des séquences mais englobent également d’autres paramètres, dont l’un des plus importants est la tonalité.
La clé de l’harmonie
La programmation des lignes de séquences, celle des arpèges ainsi que l’utilisation du mode chord seront fortement influencées par le choix de la tonalité. Chaque piste peut d’ailleurs bénéficier de la sienne propre, ce qui fait que l’on pourra par exemple avoir un arpège mineur joué à la main gauche pendant que la main droite ajoute des notes à une séquence majeure lue sur la deuxième piste. Oui, ce clavier permet bien des expériences ! Mais poursuivons. Comme pour de nombreux autres éléments de l’appareil, le paramétrage de la tonalité s’effectue directement via des combinaisons de la touche « shift » et des touches du clavier concernées. On accède ainsi aux gammes chromatique, majeure, mineure naturelle, mineure harmonique et aux modes dorien et mixolydien, ainsi qu’à deux autres gammes ou modes librement définissables, tout autant que la tonique. Si le choix de la tonalité se fait aisément et fonctionne parfaitement avec le système de séquençage et l’arpégiateur, j’aurais en revanche des réserves à formuler sur la manière dont ce système interagit avec le jeu pianistique à proprement parler, mais nous y reviendrons à la fin de cet article. Pour le reste, on ne pourra que souligner que l’ergonomie du Keystep Pro révèle une réflexion qui semble avoir globalement traversé toute la conception du contrôleur comme nous allons le voir au cours de cet article.
Les potards de contrôle
Globalement, toutes les fonctionnalités du clavier sont facilement accessibles via des contrôleurs dédiés, et notamment les 8 encodeurs rotatifs. On accède ainsi facilement aux commandes globales ou par piste de tempo ou de swing, ainsi que de hauteur, de durée, de décalage temporel, de vélocité ou encore de déclenchement aléatoire des notes. 7 encodeurs sur 8 sont sensibles au toucher : un simple effleurement déclenche l’affichage du paramètre concerné sur l’écran OLED de l’appareil. Les cinq encodeurs de droite peuvent également envoyer des messages CC d’une simple activation de la touche « control », ce qui emplira de joie les habitués de l’ancien modèle auquel cette fonction faisait cruellement défaut !
Mais le Keystep Pro améliore les performances déjà honorables de son prédécesseur dans bien d’autres domaines, comme par exemple la création d’accords.
En parfait accord…
Le Keystep Pro reprend ainsi le système du modèle précédent qui permet de créer des accords composés d’autant de notes que l’on souhaite, accords que l’on déclenchera ensuite par l’activation de leur note la plus basse.
… décomposé
Bien entendu, l’arpégiateur du Keystep Pro propose toutes les fonctionnalités habituelles de ce genre d’outil. On peut ainsi faire jouer les notes des touches enfoncées vers le haut, le bas, en aller-retour avec ou sans la répétition des notes extrêmes, dans l’ordre dans lequel elles ont été actionnées ou bien de manière aléatoire. L’amplitude de l’arpège peut s’étendre d’une octave au-dessous des touches enfoncées jusqu’à trois octaves au-dessus. La touche « hold » libérera nos mains de l’obligation de conserver les touches enfoncées, permettant non seulement de nous consacrer à d’autres tâches comme par exemple la manipulation de paramètres, mais également de remanier les arpèges à notre guise en ajoutant ou modifiant des notes et leurs règles de jeu, le tout sans jamais interrompre le flux sonore.
La marche au pas !
Comme précisé plus haut, les pas de séquences sont matérialisés par une rangée de 16 pads que l’on peut virtuellement multiplier par 4 grâce aux boutons de pages dédiés pour obtenir ainsi des séquences de 64 pas maximum. On peut enregistrer pour chaque piste individuellement jusqu’à 16 séquences et librement programmer leur enchaînement dans l’ordre que l’on souhaite. Les patterns des 4 pistes actives à un instant T peuvent être sauvegardés à leur tour dans 16 scènes. Enfin l’ensemble de tous les patterns, enchaînements, scènes et paramètres peut être sauvegardé dans un « projet », 16 au total également ! Et tout cela peut ensuite être exporté vers l’ordinateur grâce à l’application MIDI Control Center sur laquelle nous reviendrons. Toutes ces options de sauvegarde sont particulièrement bienvenues car si l’on dispose bien d’une fonction « undo », celle-ci n’est cependant applicable que dans certains contextes bien précis.
Les séquences peuvent être enregistrées de trois manières différentes: directement en activant les pas concernés, en mode « pas-à-pas » (avec possibilité de définir la durée des notes et des silences) ou bien grâce à l’enregistrement « live » de ce que nous jouons sur le clavier.
L’enregistrement et la lecture des séquences sont pilotées par les commandes de transport du clavier, rien de particulièrement neuf là-dedans. Sauf qu’Arturia a décidé d’y adjoindre une fonctionnalité particulièrement bienvenue. Il s’agit du « looper », ce bandeau tactile horizontal auquel je faisais référence au début de cet article. Celui-ci permet de répéter la part de séquence qui vient d’être jouée aussi longtemps que l’on maintient son doigt appuyé. La durée de ce segment pourra être d’un temps, d’un demi-temps, d’un quart de temps ou d’un huitième de temps selon l’endroit que l’on touchera sur le looper.
Les clés du fonctionnement
Faux-pas ?
En effet, à part le MIDI Control center, le clavier/contrôleur/séquenceur d’Arturia arrive nu comme un vers en termes de bundle logiciel et ne bénéficie même pas de la licence d’ Ableton Live qui accompagne quasiment tous les matériels liés de près ou de loin à la musique assistée par ordinateur. On aurait pu en attendre un peu davantage à ce niveau-là.
En ce qui concerne l’appareil lui-même, il n’est pas non plus totalement exempt de défauts malgré ses nombreuses qualités. Ainsi, on pourra éventuellement regretter que le bouton « hold » ait perdu par rapport à l’ancien modèle sa fonction d’alternative de pédale de sustain. Mais cela peut à la rigueur se comprendre sur un clavier comme celui-ci, plus grand que le précédent et auquel on aura plus facilement tendance à adjoindre une véritable pédale. On pourrait également se sentir un peu frustré que la piste de séquençage réservée aux « drums » ne permette de séquencer que 24 sons, limitant ainsi l’usage de certaines banques… mais ce serait oublier que c’est déjà beaucoup et que la plupart des séquenceurs de ce type ne se limitent qu’aux 16 sons des formats « MPC » et dérivés habituels.
Mais ce qui m’a réellement interrogé, c’est le système étrange de programmation des gammes. En général, ce genre de système se justifie pour les personnes ne maîtrisant pas forcément l’harmonie et qui ne souhaitent pas trop se prendre la tête sur l’usage des touches noires du piano. Donc bien souvent sur d’autres appareils ou logiciels, ce genre de système applique la gamme choisie sur les touches blanches de la gamme de Do Majeur afin d’en faciliter l’exécution. Ici, point du tout, si vous souhaitez jouer une gamme autre que Do majeur ou La mineur naturelle, vous serez obligé de jouer les altérations concernées sur les touches noires correspondantes. Donc le système part du principe que vous connaissez les notes altérées correspondant à la gamme que vous souhaitez jouer. Dans ce cas, quel est l’intérêt d’un tel système si pour le faire fonctionner, on doit déjà maîtriser la transposition harmonique sur le piano ? Ceci serait déjà suffisamment étrange en soi si le système n’était pas en plus incohérent avec lui-même: pour jouer la gamme de Ré majeur, il vous imposera d’enfoncer réellement les touches noires correspondantes aux Fa # et Do # de la gamme, en revanche pour la gamme de Fa majeur, vous pourrez la jouer intégralement sur les touches blanches, le Sib de la gamme étant alors dévolu à la touche blanche du Si. On obtient donc avec tout cela un système de transposition automatique qui s’avère trop complexe pour ceux qui ne maîtrisent pas la transposition harmonique manuelle sur le piano et inutile pour les autres.
Alors, que penser finalement du Keystep Pro ?
Conclusion
Je ne vais pas y aller par quatre chemins, tourner autour du pot ou encore faire preuve d’une retenue mal placée : le Keystep Pro m’a emballé !
Avec ses nombreuses possibilités de jeu, de séquençage et de contrôle, sa connectivité pléthorique lui permettant de piloter aussi bien des logiciels que du matériel physique en USB, en MIDI et en CV, son ergonomie générale absolument limpide et sa capacité à être autonome d’un ordinateur au point de pouvoir même s’en passer pour le paramétrage, le Keystep Pro d’Arturia est à mon sens aujourd’hui unique en son genre. Et les quelques défauts relevés – dont le bundle logiciel quasi-inexistant et le système de transposition pour le moins étrange – ne viennent entacher son éclat que de manière très superficielle.