Les vacances sont finies depuis longtemps et la chaleur torride que les touristes apprécient tant par chez moi a quitté mon studio dépourvu de climatisation. Dans ma boîte mail, un message de la rédaction me mandate pour tester un nouveau compresseur virtuel. C’est le cinquième plug-in du genre que je passe au grill cette année… Et pourtant, un magnifique sourire orne mon visage en sueur ! Serait-ce Noël avant l’heure ?
D’une certaine façon oui, car depuis le banc d’essai du SDRR que j’ai réalisé voici bientôt deux ans, j’attends avec impatience le prochain joujou conçu par le génialissime Tony Frenzel, alias Klanghelm. Baptisé MJUC, le petit dernier est-il à la hauteur de son ainé ? C’est ce que je vous propose de découvrir au travers des quelques lignes qui suivent…
Variable-Mu
Disponible aux formats VST, AU, RTAS et AAX pour Mac OS X et Windows 32 et 64 bits, MJUC est un plug-in dédié à la compression. Pour sa conception, l’éditeur allemand s’est inspiré de modèles hardware à lampes utilisant une topologie variable-mu. Les compresseurs disposant d’une telle architecture utilisent des lampes « variable-mu » qui ont la particularité de réduire leur gain en fonction de l’augmentation du signal. Le résultat sonore est souvent qualifié de chaud et musical. Bref, l’ambition de ce joujou se résume ni plus ni moins au Saint Graal du monde de l’audio virtuel : délivrer entièrement « in the box » la pâte sonore « old school » si chère à nos cœurs. Pour ce faire, le MJUC (à prononcer « miouk ») nous propose non pas une, mais trois modélisations. Voyons donc chacune d’elles en détail…
Curieusement, nous allons commencer par jeter un œil à la modélisation Mk2 puisque c’est par celle-ci que Monsieur Frenzel a débuté la création du plug-in en 2013. Cette version est basée sur les modèles 175 et 176 d’Universal Audio sortis dans les années 60 et qui sont les ancêtres vari-mu du 1176, le célèbre compresseur FET. Niveau réglages, nous avons droit à deux gros potards : Compress pour la quantité de compression et Make Up pour le gain en sortie. Notez qu’ici, comme pour les deux autres modélisations, il n’y a pas de réglage de seuil puisque les machines hardware n’en étaient pas pourvues. Le Mk2 dispose également d’un switch 4 positions pour le ratio (2:1, 4:1, 8:1 et Inf:1), de potentiomètres pour les temps d’attaque (de 0.8 ms à 35 ms/variable suivant le signal source) et temps de relâchement (de 20 ms à 3.6 secondes/variable suivant le signal source), d’un bouton Density ajoutant un second étage vari-mu pour une compression plus dense avec une dépendance au signal source moins marquée des constantes temporelles, et enfin d’un switch IStage activant un transformateur entre les étages qui réduit le bruit et la distorsion tout en accentuant la compression.
Le modèle Mk1, quant à lui, s’inspire d’une machine plus ancienne et tape dans la compression ultra-vintage sauce 50's. Ici, nous retrouvons les potards Compress et Make Up. En revanche, le réglage du ratio se limite au choix entre les modes Comp et Limit. Quant aux constantes temporelles, il faudra se contenter d’un potentiomètre à l’ancienne offrant le choix entre 6 pré-réglages pour les temps d’attaque et de relâchement.
Enfin, le Mk3 est une création originale autour de l’architecture variable-mu. Le « circuit virtuel » combine deux étages variable-mu, l’un en feedforward et l’autre en feedback. Niveau réglages, ce modèle reprend ceux du Mk2 avec cependant deux différences. Tout d’abord, le réglage de ratio se limite à un switch High Ratio pour logiquement basculer sur un ratio plus sévère. Ensuite, un slider Punch fait son apparition et permet de renforcer le comportement punchy du compresseur.
À l’usage, ces trois modèles sont vraiment très différents. Entre le son doux et très coloré du Mk1, le côté plus brut de décoffrage du Mk2, ou la compression pêchue et plus « propre » du Mk3, il y a franchement de quoi voir venir. D’autant que Klanghelm a également doté son nouveau joujou d’autres joyeusetés ! En effet, tout en bas de la superbe interface graphique se trouve une petite flèche qui ouvre un panneau supplémentaire regroupant 4 potentiomètres forts intéressants. Pour commencer, il y a le réglage Timbre qui permet de modifier plus ou moins subtilement la réponse en fréquence du rendu sonore global : en tournant vers la gauche nous obtenons un son plus sombre alors que vers la droite, le haut du spectre se retrouve plus en avant. Vient ensuite le potard Drive qui, comme son nom l’indique, sert à doser la quantité de saturation induite par le traitement. Notez au passage que cette saturation est différente pour chacun des modèles. Les deux derniers réglages sont plus « classiques » avec un filtrage (passe-haut) du circuit sidechain et un dosage du mixage entre signal source et signal traité. Mine de rien, ces 4 potards sont redoutables tant ils élargissent la palette d’utilisation de ce compresseur, sans pour autant nuire à sa simplicité d’emploi, qui est, au demeurant, exemplaire à tout point de vue.
Il me reste encore pas mal de choses à vous dire à propos du MJUC pour clôturer la partie « audio théorique ». Premièrement, sachez que le plug-in peut fonctionner en mono, stéréo ou double mono. Il n’y a malheureusement pas de gestion Mid/Side. D’autre part, il est possible de calibrer le niveau de référence pour une utilisation optimale du compresseur. Ce dernier est par défaut fixé à –18 dB, mais il peut être utile de modifier cette valeur afin d’adapter le comportement du compresseur au signal à traiter. L’éditeur a aussi eu la très bonne idée d’intégrer une fonction de compensation automatique du gain afin d’éviter le piège des variations du niveau sonore perçu induites par le traitement. Enfin, MJUC dispose d’un mode haute qualité (HQ) qui influe énormément sur le rendu. En effet, ce mode active non seulement l’oversampling, mais engendre également l’utilisation d’algorithmes de modélisation plus précis et cela se ressent. Attention cependant au surcoût en ressources CPU. Sur ma machine de guerre (Mac Pro fin 2013 hexacœurs Xeon 3,5 GHz), une instance du plug-in passe d’environ 0,47 % en mode normal à plus d’un pour cent en mode HQ. Cela dit, il n’y a rien de vraiment rédhibitoire, surtout en regard de la qualité offerte.
À ce stade du banc d’essai, je suis sûr que vous n’avez qu’une seule hâte : foncer directement à la section des exemples sonores. Pourtant, je vous invite à patienter encore quelques instants, car le paragraphe suivant réserve encore quelques surprises…
Mue variable
Lors de la conception de ce nouveau joujou, Klanghelm en a profité pour revoir intégralement le canevas sur lequel sont construits ses plug-ins. Et pour le coup, en termes d’ergonomie cela facilite grandement la vie ! En effet, il est possible de choisir entre 5 tailles pour l’interface graphique, ce qui permet de travailler sereinement sur n’importe quel écran. Une fonction de comparaison A/B est également de la partie. Seul regret à ce sujet, il faut passer par le menu des présets pour copier de A vers B… Un bouton dédié aurait tout de même été plus pratique. Mais ne boudons pas notre plaisir, car justement, MJUC dispose d’un véritable gestionnaire de présets avec possibilité d’échanger les présets avec d’autres utilisateurs au moyen d’un simple texte. De plus, il est possible de modifier le comportement des potentiomètres, d’afficher ou non les valeurs numériques des paramètres, et d’activer l’aide contextuelle pour ceux qui ont la flemme d’aller voir le manuel — ce dernier étant par ailleurs très bien fait. La bonne nouvelle, c’est que maintenant que ce canevas est fait, Monsieur Frenzel ne devrait pas tarder à mettre à jour ses autres plug-ins afin d’y intégrer toutes ces nouvelles fonctionnalités. Elle est pas belle la vie ?
Bon, j’en vois certains qui s’impatientent dans le fond, passons donc à notre séance d’écoute afin de découvrir ce que ce MJUC a réellement dans le ventre !
100 % pur son
Commençons par un riff de guitare électrique joué au travers d’un ampli virtuel assez « bruyant ».
- 01 Gtr dry 00:10
- 02 Gtr wet 00:10
- 03 Gtr wet HQ 00:10
- 04 Gtr clean 00:10
- 05 Gtr drive mk1 00:10
- 06 Gtr drive mk2 00:10
- 07 Gtr drive mk3 00:10
Le premier extrait se résume au signal source. Le deuxième correspond à une compression assez sévère (réduction de gain maximum : –7 dB) avec le modèle Mk2 afin de donner un peu plus d’épaisseur au son. Le troisième reprend exactement les mêmes réglages, mais avec le mode HQ activé. La différence sonore est indéniable avec un domptage tout en douceur du haut du spectre qui donne de suite un côté plus véridique. Dorénavant, tous les exemples seront en mode haute qualité. Les 4 extraits suivants illustrent les différences de saturation entre les différents modèles. Plutôt convaincant, non ?
Passons maintenant à une ligne de basse.
- 08 Bass dry 00:18
- 09 Bass dark 00:18
- 10 Bass hifi 00:18
Comme d’habitude, le premier sample est « sec ». Les suivants sont traités à l’aide du Mk1 avec 10 dB de réduction de gain. Seule différence, le réglage du Timbre qui passe d’un extrême à l’autre. Quand je vous disais que ce paramètre avait un potentiel du tonnerre !
Poursuivons avec un piano électrique.
- 11 ePiano dry 00:28
- 12 ePiano mk3 00:28
- 13 ePiano mk3 punch 00:28
Ici, j’ai essayé de travailler le claquant des notes à l’aide du Mk3. Le premier résultat est déjà fort sympathique, mais le dernier extrait avec le réglage Punch au maximum est tout simplement criant de vérité sans pour autant donner dans la surenchère artificielle.
Du coup, cela donne envie d’entendre la bête à l’œuvre sur une batterie…
- 14 Drums dry 00:23
- 15 Drums wet 00:23
Il s’agit ici d’une batterie virtuelle. Le premier extrait est bien évidemment le signal source. Pour le second, j’ai utilisé pas moins de 5 instances du MJUC réparties sur la grosse caisse (Mk1), la caisse claire (Mk2), les overheads (Mk3), l’ambiance (Mk1), et le bus (Mk3). Avouez que le résultat final sonne tout de suite plus comme un disque, n’est-ce pas ?
Pour finir, j’ai voulu voir ce qu’il était possible d’obtenir en insérant l’engin sur le bus master.
- 16 Whatsoever Master dry 00:49
- 17 Whatsoever Master wet 1 00:49
- 18 Whatsoever Master wet 2 00:49
Le premier exemple se résume au mix brut réalisé sans aucune intervention du MJUC. Pour le deuxième, le Mk1 m’a permis de rendre la rythmique beaucoup plus vivante en accentuant le côté bondissant du couple basse/batterie tout en ajoutant une couleur globale très plaisante, même si j’ai tout de même eu la main un peu lourde. Du coup, pour le dernier extrait, j’y suis allé plus calmement avec le Mk2. Le résultat semble toujours plus vivace que la source avec en sus une coloration subtile, mais bel et bien présente, et surtout diablement agréable à l’oreille.
Avant de conclure, j’aimerais tout de même apporter quelques informations supplémentaires relatives aux possibilités audio du MJUC. Certes, l’éventail sonore proposé est extrêmement large, j’en veux pour preuve les exemples ci-dessus. Toutefois, il serait totalement faux de prétendre que ce plug-in peut s’adapter à toutes les situations et/ou répondre à toutes les attentes. En effet, n’oublions pas qu’il s’agit là d’une topologie variable-mu, et donc, à ce titre, les compressions ultra-violentes ou la maîtrise absolue de la moindre crête sont hors de propos. De mon point de vue, MJUC délivre une compression plus esthétique qu’utilitaire, ce qui n’est absolument pas un défaut, bien au contraire, c’est juste un fait inhérent à la technologie modélisée qu’il faut bien garder à l’esprit.
D’autre part, j’ai récemment travaillé sur le mixage d’un titre comprenant de nombreuses voix, féminines comme masculines, et le MJUC a vraiment fait des merveilles sur celles-ci. Malheureusement, pour des questions de droits, je ne peux pas joindre d’extraits à cet article. C’est dommage, car vraiment, ce plug-in est impressionnant sur les pistes de chant.
Cerise sur le gâteau…
Voilà, comme vous devez vous en douter, mon verdict est sans appel : mission accomplie Monsieur Frenzel ! Vous nous livrez là un plug-in aux qualités sonores indéniables qui joue clairement dans la cour des grands. Le plus beau, c’est que cette jolie bête ne coûte que 24 € ! Et je ne parle même pas de la facilité d’installation ou de l’absence de système de protection envahissant. Bref, si ce n’est déjà fait, je vous invite à vous jeter sur ce MJUC les yeux fermés, vous m’en direz des nouvelles. Et pour les plus frileux d’entre vous qui ont encore un doute, téléchargez donc le plug-in gratuit MJUC Jr., vous aurez alors un petit aperçu de la qualité de ce compresseur qui devrait achever de vous convaincre.
Téléchargez les extraits sonore (format FLAC)