En bêta publique depuis fin octobre, le premier compresseur signé U-He est finalement sorti juste à temps pour prendre place au pied de notre sapin de Noël virtuel.
Depuis, nous avons testé la bête en long, en large et en travers, entre deux bouchées de dinde fumante copieusement arrosées du nectar des Dieux… Quelques Efferalgan saupoudrés de Citrate de Bétaïne plus tard, voici nos conclusions.
Dans l’épisode précédent…
Chapeauté par Urs Heckmann, l’éditeur de plug-in berlinois U-He est surtout connu pour ses fabuleux synthétiseurs virtuels tels le fameux Diva , le célèbre Zebra, le plus récent ACE, ou bien encore le gratuit, mais non moins efficace, Tyrell N6. Cependant, la marque allemande ne se résume pas à ces seuls bijoux, loin s’en faut ! En effet, leur catalogue abrite également d’autres joyeusetés comme le trop méconnu delay More Feedback Machine 2, la remarquable série d’effets Uhbik, ou bien encore la superbe simulation d’enregistreur à bande Satin. Un tel foisonnement n’est bien entendu pas l’œuvre d’un seul homme, et monsieur Heckmann est épaulé depuis quelques années par Sascha Eversmeier. Or, ce dernier est loin d’être un illustre inconnu dans le petit monde de l’audionumérique puisqu’il a signé quelques pépites pour le compte de Magix (éditeur de Samplitude et Sequoia), ainsi qu’une poignée de plug-ins freeware sous le nom de Digital Fish Phones que certains connaisseurs utilisent encore malgré l’abandon du support (à titre personnel, je pleure encore à chaudes larmes le de-esser Spitfish…).
Bref, tout cela laisse présager du lourd. Voyons si ce nouveau compresseur est à la hauteur…
Sculpteur de dynamique polymorphe
Presswerk, c’est son petit nom, est donc un plug-in dédié à la compression. Il est disponible pour Mac (10.5 ou supérieur) et PC (XP ou supérieur) aux formats VST, AU et AAX en 32 et 64 bits. Notez qu’une version compatible avec Linux est actuellement disponible en bêta publique à cette adresse, chose suffisamment rare pour être saluée. Comme d’habitude chez U-He, l’installation n’est qu’une simple formalité, tout comme l’autorisation d’ailleurs, ce qui est un excellent point.
Dès la première ouverture d’une instance de ce plug-in, deux choses sautent aux yeux. La première, c’est la superbe interface graphique, ce qui est une constante chez l’éditeur teuton. Signalons au passage que l’utilisateur peut changer la luminosité de cette interface ainsi que sa taille (de 70 % à 200 %) via un simple clic droit sur une zone « vide » du plug-in, de quoi s’adapter à tous les écrans. La deuxième, c’est que toute belle soit-elle, cette interface est largement plus chargée que le compresseur lambda. Ce qui n’est pas très étonnant non plus puisque U-He met toujours un point d’honneur à donner les clés de « l’arrière-boutique » de ses plug-ins à l’utilisateur. Devant un tel foisonnement de paramètres, nous n’allons pas nous amuser à tout décrire par le menu. D’une part, parce que le manuel au format PDF (en anglais) fait déjà cela très bien ; et d’autre part, parce qu’il y a beaucoup mieux à dire, comme nous allons le voir…
Tout d’abord, sachez que même si Presswerk n’est pas la modélisation d’un modèle particulier de compresseur hardware, il a définitivement un parfum analogique. En effet, ce dernier dispose d’une section de saturation pour rajouter de la distorsion harmonique avant ou après compression. La beauté de la chose, c’est que l’on peut en gérer la quantité (Amount), la zone du spectre affectée (Warmth), ainsi que le moment où elle s’applique – tout le temps ou uniquement lorsqu’il y a compression, et tout ce qu’il y a entre les deux (Dynamics). Rien qu’avec cela, il y a de quoi reproduire le comportement typique de la saturation à bande, ou bien encore la distorsion caractéristique des compresseurs à FET de la fin des années 60. Cependant, notez que la « couleur » apportée par Presswerk lui est propre, et elle est furieusement agréable.
Pour aller plus loin du côté analogique de la force, nous disposons également du switch DPR (Dual Phase Rotator) qui joue avec la phase des bas-médiums en entrée (autour des 200 Hz d’après le manuel). Cette « astuce » est bien connue dans le monde analogique pour réduire l’asymétrie du signal d’une voix humaine, ce qui permet de gagner en réserve de gain. Ce switch DPR n’est pas efficace sur tout type de signal, mais quand il marche, c’est à la limite de la magie noire tant c’est beau !
C’est bien joli tout ça, mais pour l’instant nous ne nous sommes pas encore penchés sur la compression à proprement parler. Qu’à cela ne tienne, vous allez être servis.
Presswerk propose bien évidemment les paramètres « de base » d’un compresseur moderne : niveaux d’entrée et de sortie avec affichage à LED virtuelles, réglages du seuil, du ratio, du knee, des temps d’attaque et de relâchement, affichage « vintage » du niveau de réduction du gain, section sidechain complète et mixage du signal dry/wet. C’est on ne peut plus complet et surtout diablement fonctionnel. De fait, la disposition de chacun des réglages est suffisamment claire pour que l’utilisateur averti ne s’y perde pas malgré l’exhaustivité outrancière de l’engin.
Mais le plus intéressant avec Presswerk, ce sont les options permettant de tordre le comportement interne des circuits de détection et de compression. En effet, il est possible de choisir si la bête fonctionne en mode Feedforward, Feedback, ou un mix des deux. La section sidechain permet de filtrer le signal servant à la détection avec un passe-haut et un passe-bas de −6 ou −12 dB, et ce signal peut être le signal traité, un signal externe ou un mix des deux ! Et l’on peut même appliquer un delay à ce signal de détection (pensez lookahead ou l’inverse) afin de préserver les transitoires ou de carrément donner dans la compression créative sauce Sound Design. Bien sûr, il est possible de faire à peu près la même chose avec d’autres compresseurs au prix de multiples manipulations de routages complexes… si votre DAW le permet ! Ici, c’est d’une simplicité extrême, ce qui pousse à l’expérimentation.
Au niveau de la compression en elle-même, c’est la même tisane. Le potentiomètre « Non Lin » permet de gérer l’aspect non linéaire de la compression. C’est quelque chose de difficile à expliquer par écrit, mais il se trouve que les compresseurs analogiques sont loin d’être constants. De fait, certains voient le ratio diminuer en fonction de l’augmentation du niveau du signal de détection, alors que d’autres ont un comportement inverse. Ces non-linéarités sont une composante essentielle de la personnalité d’un compresseur. Et avec Presswerk, il est possible de toutes les reproduire. D’autre part, le potard « RMS Window » permet de passer d’un fonctionnement « true peak » à un fonctionnement RMS, voire au comportement type des compresseurs optoélectriques. Quant au réglage « Adapt », il facilite le relâchement de la compression en fonction du signal pour une action plus musicale.
Ajoutez à cela le fonctionnement en stéréo, dual-mono ou M/S, les options avancées pour le mixage dry/wet avec un passe-haut et une fonction « Expand » pour le signal dry, ou bien encore les possibilités de monitoring du sidechain et vous obtenez un véritable caméléon de la compression. Et c’est bien là toute la beauté de la chose, car Presswerk est capable de reproduire le comportement de n’importe quel style de compresseur (FET, Opto, Vari-Mu, etc.) tout en pouvant aller au-delà et en se payant même le luxe d’avoir un caractère bien à lui. À l’usage, nous n’arrivons toujours pas à nous décider sur ce qui nous enthousiasme le plus : la souplesse avec laquelle on peut plier l’action du compresseur à sa convenance ou l’immense palette sonore qui en découle !
Malheureusement, toute médaille a son revers, et Presswerk ne déroge pas à la règle. Tout d’abord, il faut bien avouer qu’une telle débauche de possibilités d’utilisation a de quoi donner le vertige, ce qui ne facilitera pas la prise de décision du néophyte comme de l’amateur éclairé. D’ailleurs, même le plus chevronné des ingénieurs du son risque fort de passer plus de temps à s’amuser avec la bête plutôt qu’à réellement travailler s’il n’y prend garde. Heureusement, les présets livrés sont d’une très grande qualité et sauront remettre tout le monde dans le droit chemin. D’autant que le gestionnaire de présets est d’une efficacité redoutable ! En effet, ce dernier trie les présets par genre et livre pour chacun d’entre eux une petite explication quant à son utilisation. De plus, la fenêtre du gestionnaire peut être déplacée librement de haut en bas sur l’interface du plug-in, autorisant ainsi la manipulation des paramètres tout en lisant les indications fournies. Enfin, sachez qu’il est possible de bloquer un paramètre via un clic droit sur le bouton idoine afin que celui-ci ne soit pas affecté par le changement de présets. C’est simple, efficace, et ça évitera certainement bien des nœuds au cerveau de celui qui veut travailler rapidement.
Cependant, une interface graphique alternative simplifiée aurait été la bienvenue. Or il se trouve qu’au début de la période de bêta publique, Presswerk disposait justement de trois interfaces alternatives reprenant le design et l’ergonomie de compresseurs connus (type LA-2A, 1176 et Fairchild 670). Mais l’éditeur a préféré retirer ses interfaces en cours de route face à la confusion qu’elles pouvaient générer chez certains utilisateurs. En effet, si l’ergonomie et le comportement étaient similaires aux modèles représentés, le son, lui, n’était bien évidemment pas exactement le même, car Presswerk n’a jamais eu l’ambition de reproduire à l’identique telle ou telle machine. Bref, il n’y a pour l’heure plus aucune trace d’interfaces simplifiées et c’est bien dommage. Espérons qu’une future mise à jour corrigera le tir.
L’autre point noir de taille, c’est la consommation en ressources qui est loin d’être anodine. En effet, lors de nos tests, nous avons pu constater que Presswerk s’accaparait de base entre 0,7 et 1,4 % de notre processeur i7 bicœur de 2 GHz. Or, le manuel conseille d’utiliser l’option HQ qui active l’oversampling pour éviter les artefacts numériques. Si le gain en qualité sonore est incontestable, la gloutonnerie que cette option engendre est tout aussi indiscutable. Nous avons mesuré jusqu’à 4,7 % de consommation CPU pour une seule instance. Autant vous dire qu’une bécane ultra musclée sera nécessaire si vous comptez utiliser Presswerk en mode haute qualité sur chacune des pistes d’un projet un peu cossu. Bien entendu, il est possible de travailler sans HQ et de ne l’activer qu’au moment de l’export final de votre titre. Cependant, le travail de votre son sera forcément moins précis puisque ce que vous entendrez ne sera pas exactement le résultat que vous obtiendrez au final. De plus, le fait de devoir penser à activer le mode HQ sur chacune des instances du plug-in avant tout export est pour le moins rébarbatif, sans parler des éventuels oublis. Une option pour activer l’oversampling sur toutes les instances en une seule fois aurait simplifié les choses. D’autant que l’affaire ne doit pas être insurmontable pour U-He vu que la fonctionnalité « Group » de Satin permet déjà de piloter plusieurs instances via un seul plug-in, alors pourquoi ne pas implémenter la chose ici ? Mystère…
Bref, ne laissons pas ces petits défauts gâcher notre plaisir et passons plutôt à une petite séance d’écoute afin de juger la bestiole sur pièce.
Leçon de son
Les champs d’application de Presswerk sont tellement immenses qu’il nous est impossible de vous présenter ici une série exhaustive d’exemples sonores. Malgré tout, voici un petit échantillon assez représentatif de ce que l’engin a dans le ventre.
Commençons par un bus batterie.
- 01 Drums Dry 00:24
- 02 Drums Explosion 00:24
- 03 Drums Explosion DPR 00:24
- 04 Drums Fat 00:24
- 05 Drums Glue 00:24
- 06 Drums API 00:24
Le premier extrait est comme d’habitude le son de la batterie dans son plus simple appareil. Le deuxième illustre une compression sévère façon vari-mu. Le troisième utilise des réglages identiques avec en sus l’option DPR activée, ce qui fait gagner en corps dans le grave, mais fragilise un peu le mordant. Le quatrième applique une compression plus raisonnable qui grossit le son sans trop le dénaturer. Le cinquième est encore plus subtil et se contente de rendre l’ensemble de la rythmique plus constante et cohérente. Enfin, le dernier flirte avec le punch caractéristique au compresseur API 2500. Bref, il y a de quoi faire, car tous les résultats obtenus pourront trouver leur place au sein d’une production, le choix final étant une simple affaire de goût.
Passons maintenant du côté Sound Design de la force avec le travail sur une grosse caisse.
- 07 Kick Dry 00:08
- 08 Kick Sub 00:08
- 09 Kick Click 00:08
- 10 Kick Reconstructed 00:08
- 11 Kick Reconstructed Mix 00:08
- 12 Kick Reconstructed Context Dry 00:08
- 13 Kick Reconstructed Mix Context 00:08
D’abord, le son du kick nu. Puis nous utilisons Presswerk pour créer à partir du son original un sub surdimensionné (Kick_Sub). Faisons de même avec une autre instance pour créer cette fois-ci une attaque artificielle (Kick_Click). En mélangeant les deux résultats précédents, nous obtenons un nouveau son de grosse caisse dont nous pouvons régler indépendamment le sub et l’attaque (Kick_Reconstructed). Pour un résultat plus naturel, nous pouvons mélanger cela au son original (Kick_Reconstructed_Mix). Remettons maintenant tout cela dans le contexte de la batterie (Kick_Reconstructed_Mix_Context). Sympathique, n’est-ce pas ?
Explorons à présent la section saturation de Presswerk au moyen d’un piano électrique.
- 14 Synth Dry 00:28
- 15 Synth Warmth 0 00:28
- 16 Synth Warmth 15 00:28
- 17 Synth Dyn Min 00:28
- 18 Synth Dyn Max 00:28
Juste après le sample « dry » de référence, nous avons deux extraits illustrant l’impact du paramètre « Warmth » qui cible la zone du spectre affectée par la distorsion. Pour les besoins du test, nous avons bien entendu exagéré la quantité de distorsion ajoutée en fixant le potard « Amount » à 100 %. Les deux exemples suivants décrivent le comportement du réglage « Dyn » qui sert à gérer le lien entre l’ajout de distorsion et la dynamique du signal. Avouez qu’une fois encore les perspectives offertes sont réjouissantes !
Enfin, utilisons Presswerk sur une prise de voix.
- 19 Vox Dry 00:30
- 20 Vox Compact 00:30
- 21 Vox Compact DPR 00:30
- 22 Vox Opto 00:30
- 23 Vox 1176 00:30
L’extrait Vox_Compact, comme son nom l’indique, rend la prise plus consistante, ce qui facilitera son insertion dans le mix, d’autant qu’une légère touche de saturation post-compression lui apporte un brin d’air et de chaleur. Le même exemple avec activation du DPR ajoute un contrôle plus strict du bas-médium qui n’est pas désagréable. L’extrait Vox_Opto, quant à lui, est un poil plus naturel, un peu à la manière du célèbre compresseur LA-2A. Enfin, le sample Vox_1176 reproduit d’une certaine façon le comportement caractéristique du célèbre compresseur arborant le même matricule en accentuant les moindres détails de la voix comme cela est de mise dans la musique pop.
Bilan
À l’issue de ce test, force est de constater que le nouveau joujou signé U-He ne manque pas d’arguments convaincants face à la concurrence pourtant rude dans ce secteur de l’audionumérique. Avec son immense palette sonore et son polymorphisme galopant, nul doute que Presswerk trouvera une place de choix dans votre arsenal de traitements audio, pour peu que sa complexité et sa gourmandise en ressources CPU ne vous effraient pas.
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