Après les Diamond et Gold, il manquait à la gamme orchestrale EW/QL Hollywood de l’éditeur EastWest une version plus légère. Nommée Silver, que propose-t-elle, produit d’accès trop bridé ou solution de travail efficace pour les petits budgets ?
Lorsqu’une question du type « que puis-je acheter avec mon petit budget ? » est posée, il est, la plupart du temps, très dur d’y répondre, que l’objet de l’achat à venir soit du matériel ou un logiciel. Même si certaines réponses peuvent paraître évidentes dans certains domaines, d’autres sont difficilement compatibles avec les exigences de vérité, de restitution d’un son, ou de finesse de programmation, de souplesse dans le travail et de fidélité envers un instrument ou un ensemble d’instruments qui sous-tendent la plupart de ces questionnements. Car, finalement, la grande question est là, savoir comprendre, identifier, et accepter les limites induites par le budget, ce qui évitera toute déception, voire incompréhension face à un produit qui ne fait pas les merveilles que l’on en attendait, souvent par manque de réelles informations, c’est-à-dire loin du discours du marketing.
Une des familles de l’instrumentarium virtuel à avoir le plus progressé, grâce aux nouveaux contenants (disques durs et Ram), aux processeurs permettant toujours plus de puissance et aux logiciels partis d’échantillonneurs « basiques » pour atteindre des degrés de sophistication extrême, est la famille orchestrale. Il suffit de comparer n’importe quelle banque de sons d’il y a quelques lustres avec ce que l’on trouve d’origine dans les DAW pour mesurer les progrès accomplis. Bien entendu, ce sont surtout les grosses bibliothèques de sons du type Vienna Symphonic Library, EastWest/Quantum Leap Orchestra Platinum ou la série Diamond Hollywood, la Spitfire Sable en cours de réalisation, les Kirk Hunter, Sonic Implants, Orchestral Tools, les Adagio de 8DIO maintenant complètes, les LASS d’Audiobro (liste non exhaustive…) qui font rêver, tant leurs qualités sonores et plus encore la qualité (variable selon les éditeurs et leur logiciel de lecture) de programmation et de scripting ont repoussé les limites du virtuel pour se faire quasi indécelables, sous certaines conditions, bien entendu. Les nombreux tests sur AudioFanzine ainsi que les forums consacrés par une petite bande d’AFiens passionnés donnent une idée de l’état des lieux.
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Mais, si les professionnels ou utilisateurs n’ayant pas de difficultés à sortir des sommes parfois considérables (un Vienna Super Package complet, c’est 10 480 euros…) n’hésitent pas à faire chauffer la CB, de nombreux musiciens et compositeurs (ne pas oublier, l’orchestre, même virtuel, ne sonnera pas tout seul…) rêveraient de pouvoir commencer à travailler sur de la matière sonore correcte, pour entendre leur musique autrement que dans leur tête. Car il y a une autre chose à ne pas oublier : quand on compose une chanson, un blues, de l’électro ou toute autre forme de musique hors orchestrale, il est assez simple d’entendre le résultat de la compo, via les potos musiciens, ou le virtuel qui offre là aussi d’excellentes solutions. En revanche, quand on écrit une symphonie, un opéra, ou même un quatuor à cordes, cela peut prendre des années avant d’entendre sa musique interprétée par l’ensemble souhaité. Que l’on songe à la chaîne nécessaire : copistes, solistes, musiciens, chef d’orchestre, lieu, ingénieur(s) du son, mixage, etc. Il n’y a qu’en musique de films que les choses peuvent aller plus vite. Mais là aussi, tout a changé : quand, à une époque, les réalisateurs ou producteurs devaient se contenter d’une présentation par le compositeur sur un piano le plus souvent, de nos jours tout le monde exige des pré-maquettes très sophistiquées. Les décideurs ayant perdu, dirait-on, leur capacités d’abstraction ou d’imagination…
Bref. Conscients du problème (et toujours soucieux d’occuper le terrain pour tous les types de demandes…), les éditeurs ont depuis longtemps présenté des versions limitées, légères, de leurs bibliothèques de prestige. EastWest, par exemple, a proposé des versions Gold et Silver de son orchestre virtuel EWQL Symphonic Orchestra Platinum, et vend les versions Diamond et Gold de ses banques EWQL Hollywood. Il y rajoute aujourd’hui les Silver, voyons ce qu’elles nous proposent pour un tarif très raisonnable (environ 150€ l’unité).
Introducing East West Quantum Leap Hollywood Silver Series
La déclinaison Silver est disponible pour les Hollywood Strings, Hollywood Orchestral Woodwinds et Hollywood Brass (ces derniers ayant été testés ici). Pas de livraison sur DVD ou disque dur comme pour les autres produits de l’éditeur, mais le téléchargement depuis le site de l’éditeur, six fichiers .zip pour Woodwinds, quatre pour Brass et cinq pour Strings, est relativement rapide (cela dépend aussi de la connexion de l’acheteur, bien sûr). Une fois installées, la première pèse 12,8 Go, la deuxième 9,78 Go et la dernière 12,8 Go. Les bibliothèques sont vendues 149 euros TTC pièce, ce qui place un orchestre regroupant les trois grandes familles instrumentales à 447 euros, à comparer aux solutions offertes par d’autres éditeurs, même s’il est difficile de trouver exactement la même configuration. L’autorisation s’effectue toujours sur iLok.
Ces bibliothèques sont exclusivement conçues pour Play, le logiciel maison, qui en est au moment de la rédaction de ce test à la version 3.0.47. Je ne reviendrai pas sur l’arlésienne qu’est la version promise de Play permettant l’édition de scripts, la possibilité de faire ses propres mappings, etc. Comment ? Mais non, je ne l’ai pas dit…
Silver boulette ?
Première caractéristique des banques Silver : elles ne proposent qu’une seule position de micros, Main (mid tree), quand les Diamond en offrent cinq : Main, Mid, Close, Surround et Alternate Room. On le comprend facilement, l’éditeur a sévèrement rogné sur le nombre de programmes et d’échantillons fournis, il suffit de comparer la liste des articulations des Diamond Strings avec celle des Silver Strings par exemple, et il ne fournit que des échantillons 16 bits au lieu de 24 (ce qui est non négligeable en termes de qualité, certes, mais aussi de poids, puisque les premiers sont seulement deux-tiers du poids des seconds).
Restons sur les Strings : ne sont pas inclus les divisi, c’est-à-dire la possibilité de jouer les sections séparées, par exemple neuf et sept violons pour les premiers violons, ce qui évite des sections gargantuesques et donc irréalistes (un accord de deux sons sur une section de 16 violons donne 36 violons simultanés, alors qu’un son via les divisi neuf et un autre via les divisi sept font toujours 16 violons). Ni le nombre d’échantillons de Round Robin proposés sur le haut de gamme de la marque (16 pour les Staccatissimo !). Ici, le maximum est de quatre échantillons (ce que ne proposent pas toutes les bibliothèques spécialisées). En revanche, on retrouve bien les premiers et deuxièmes violons, quasi indispensables pour tout travail sérieux.
Manquent aussi les fameux Legato Bow Change, les notes jouées legato avec poussé-tiré de l’archet. Mais les articulations proposées permettent de répondre à de nombreux cas de figure, et l’on bénéficie quand même d’un Legato Slur LT 3 Ni pour chaque instrument, en clair un programme legato avec moins d’échantillons, LT pour Lite, et offrant une transition courte entre les notes (issus des Quick Start Instruments des versions supérieures).
Le bruit d’archet est raisonnablement présent, disparaissant lors de l’utilisation en ensemble, parfois gênant dans des passages où les cordes sont seules. Plus embêtantes sont les diverses résonances dans les graves des premiers et seconds violons, notamment au niveau des échantillons de relâchement (mais pas seulement), à couper si l’on ne veut pas se retrouver au mixage avec de sérieux problèmes. On pourra entendre dans la phrase suivante, sans réverbe, les premiers violons sans égalisation, puis avec un coupe-bas placé à 180 Hz, avec une pente de 24 dB/oct (voir aussi capture d’écran, rouge avant et jaune après correction).
Les altos semblent préservés (enregistrés à un emplacement différent dans le studio ?) et bien sûr les violoncelles et basses masquent les éventuelles piques présentes. Dommage cependant que cela n’ait pas été corrigé à la prise ou en post-production, car même si elles ne sont pas devant le son utile, l’addition de ces fréquences, si on les retrouve dans d’autres instruments, fera mal à la dynamique et au son final.
Et Play montre toujours ses limites en termes de legato : il est parfois impossible de faire jouer une phrase, à cause d’accentuation d’une note ou une autre, aucune correction n’étant efficace, automation, décalage, longueur des notes, etc. Sauf à la faire jouer par une version non legato… Un exemple dans la phrase suivante.
Diamond matures, Silver ados
Concernant les cuivres, on se reportera au test mentionné plus haut. Rien de neuf, mais même principe, disparition de nombreuses articulations et prises de son et les qualités et les défauts mis en avant. Il est d’ailleurs amusant de constater qu’à la faveur d’un remaniement de son site, EastWest mentionne une mise à jour corrigeant les défauts mentionnés comme récente (datée du 15 avril 2013), alors qu’elle date du 30 janvier 2012…
Passons du côté des Woodwinds, la plus récente famille sortie par EastWest. Notons d’ailleurs que la version Diamond est la seule à être encore vendue plus de 760 euros, alors que les Strings et Brass sont disponibles aux alentours de 530 euros (quelqu’un se souvient des 1400 euros demandés lors de la sortie des Strings ?). Là encore, de prime abord, c’est la qualité sonore qui impressionne. Puis on rentre dans le détail : et comme d’habitude, la munificence cache des défauts incompréhensibles. Par exemple, ce cor anglais, pourtant d’une belle sonorité, montre plusieurs des défauts récurrents des produits de l’éditeur : d’abord la fréquence dans le grave produite par les échantillons de relâchement et certaines notes, puis les problèmes de stéréo, l’instrument se baladant dans le panoramique.
Ce qui manquera à cette banque, du moins dans sa version Silver, ce sont les ensembles. En effet, on a coutume de doubler voire tripler les instruments dans l’orchestre (il n’est pas rare de voir trois clarinettes, deux bassons, trois flûtes, etc.). Ici, pour des raisons évidentes de phase, il est difficile de tripler, même si dans certains cas on peut se débrouiller pour doubler. Dommage.
Pour conclure, et peut-être montrer que malgré tout on peut travailler, voici un extrait d’une œuvre (celui qui trouve le compositeur a droit à toute ma sympathie), utilisant premiers et seconds violons, altos, violoncelles, contrebasses, clarinettes, cor anglais, bassons, flûtes, hautbois, cors d’harmonie et timbale. Cette dernière provient de la bibliothèque de l’exs24 de Logic, et pour doubler/tripler certains instruments, j’ai utilisé ceux provenant de Symphonic Orchestra du même éditeur (un basson, une clarinette, une flûte) : les voix principales sont toutes jouées par les Hollywood Silver, et les instruments du EW/QLSO sont en retrait.
On peut constater sur la capture d’écran comment les choses ont été organisées : l’absence d’instruments regroupant toutes les articulations accessibles via KeySwitches oblige à ouvrir plusieurs instances de Play pour un même instrument, ou tout du moins d’utiliser un Play multisortie chargé avec différentes articulations sur différents canaux Midi, avec ce que ça implique de routage dans Logic (par canal une piste pour la séquence et une piste pour l’automation de volume et autres).
De plus, il y a un problème à partir du moment où l’on dépasse un certain nombre d’instances de Play multisortie : sur plusieurs d’entre elles, seul le canal 1 était reconnu, les autres ne réagissant plus aux notes et infos de la piste. Il a donc fallu ouvrir des Play simplement stéréo… D’où le nombre de pistes totalement hors de proportion avec l’instrumentation. Avec un logiciel performant et les programmes adéquats (trois clarinettes, deux hautbois, etc.), le maximum aurait été de 12 pistes et beaucoup moins en cas d’utilisation de Multis. Je n’ai pas utilisé la réverbe à convolution directement dans les différentes instances de Play (trop nombreuses pour ça), en revanche j’ai ouvert une QL Spaces du même éditeur, dont proviennent la majorité des IR orchestrales. Les deux effets sur le Master (UAD Precision Limiter et TC MD3) sont là par défaut dans le template que j’utilise habituellement, et n’ont pas servi dans le contexte.
Bilan
On connaît les qualités et les défauts du lecteur d’EastWest, et l’on ne peut qu’imaginer en termes d’ergonomie, de gain de rapidité et d’efficacité ce que donnerait la qualité sonore de la majorité de leurs produits avec un logiciel digne de ce nom (Kontakt 5, par exemple). En sus de problèmes déjà mentionnés, notons lors de la réouverture de projets sauvegardés, le déclenchement au hasard d’un pop-up me disant que l’une ou l’autre des licences n’est pas autorisée, l’interface qui se fige sans aucune raison, obligeant à fermer puis rouvrir la fenêtre, sans garantie que ça ne se reproduise pas, le legato bien moins performant que celui des concurrents (je viens d’acheter les dernières Adagio et aussi Sable de Spitfire, c’est le jour et la nuit), la navigation parfois pénible (quand on ouvre Play, le browser ne présente pas l’instrument en cours sur la piste, mais le dernier chargé)…
Malgré tout cela, les banques, avec leurs défauts clairement identifiés (échantillons faux, bouclages ratés, clics, mauvais mapping, voix manquantes, problèmes de panoramique, stéréo hors-phase, etc.) mais aussi leurs énormes qualités, permettent d’effectuer un travail satisfaisant, pas forcément dans tous les contextes (trop d’articulations sont absentes pour cela), et le tout à un tarif plutôt compétitif (149€ la banque) si l’on songe à la somme orchestrale qu’elles concentrent. Un bon moyen d’accéder à un certain type de sonorités orchestrales, en n’attendant pas des merveilles vu les limites qu’elles présentent.
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