Après notre critique très élogieuse de la Scarlett 2i2, nous nous penchons cette fois-ci sur l'intégralité du pack Scarlett Solo Studio de Focusrite, avec l'interface Scarlett Solo Gen 4, le micro CM25 mkIII et le casque SH-450. Un "mégatest", en sorte...
Est-ce un paradoxe présocratique ? Un « pack » peut-il s’appeler « solo » ? Est-ce qu’un mot qui signifie, en gros, « un ensemble » peut recevoir un qualificatif qui signifie « seul » ?
Vous avez quatre heures.
Pendant ce temps-là, je vais tester chacun des éléments contenus dans ce pack Scarlett Solo Studio, qui nous est récemment parvenu de chez Focusrite. Le test de la Scarlett 2i2 Gen 4 avait fait couler beaucoup d’encre, ou plutôt de bytes, dans les colonnes de nos forums (ou fora pour les mordus d’exactitude grammaticale et typographique), nous ne pouvons qu’espérer pareil déchaînement de passions autour de celui-ci.
Notez bien, ce test contient de vrais morceaux de musique enregistrés et performés par votre serviteur. Soyez indulgent !
Présentation du pack
C’est très simple : le pack Scarlett Solo Studio contient trois éléments principaux : une interface (Scarlett Solo Gen 4), un casque (SH-450) et un micro statique à électret (CM25 mkIII).
En sus, Focusrite fournit un câble micro XLR<>XLR et un support de micro.
Prenons chaque élément à son tour…
La Scarlett Solo Gen 3 (interface)
L’interface est dans la lignée de la Solo Gen 3, en cela qu’elle en reprend les éléments principaux, avec une révision du design général de l’appareil.
- deux entrées : une entrée ligne (canal 1) sur jack TRS 6,35 mm, situé à l’avant de l’appareil — entrée commutable en entrée instrument — et une entrée micro (canal 2) avec prise XLR située à l’arrière de l’appareil.
- Une façade avant « rationalisée », avec les contrôles correspondant à chaque entrée situés juste en dessous du potentiomètre de gain de celle-ci : bouton « inst » sous le réglage de gain du canal 1, boutons « 48V » et « Air » sous le réglage du canal 2.
- Un potentiomètre (pas un encodeur) général pour le niveau de master sur les sorties lignes (deux jack TRS 6,35 mm, situés à l’arrière de l’appareil).
- Un bouton de monitoring direct, pour router le signal d’entrée directement vers les sorties sans passer par la STAN, et le mixer avec les retours de STAN
- Une sortie casque, avec gain réglable, tout à droite de la face avant.
C’est extrêmement simple.
Est-il mieux d’avoir une entrée à l’avant et une à l’arrière, plutôt que deux entrées devant (façon Gen 3) ? La séparation permet une interface plus petite, moins d’embrouillage de câbles entre eux, et un meilleur accès aux contrôles. Toutefois elle est moins pratique en pure installation desktop pour laquelle on aimerait pouvoir accéder à toutes les entrées + les contrôles en façade. Disons que c’est à la fois une amélioration et une dégradation, et que certains préfèreront le design de la Gen 3, tandis que la préférence d’autres ira vers celui de la Gen 4, selon leur installation personnelle.
Une seule vraie remarque négative pour l’instant : on aimerait une connectique combo XLR/Jack pour la voie 2, avec sélection automatique d’un niveau mic/ligne selon l’entrée choisie, histoire de pouvoir bénéficier de deux entrées lignes — utile pour tout possesseur de clavier ou machine sortant en stéréo.
Benchmark (interface)
Précisons-le d’abord, la Scarlett Solo Gen 4 travaille dans une résolution max de 24 bits/192 kHz. Un petit tour du côté de RTL Utility nous apprend que la latence réelle est la suivante :
Le buffer sur 32 samples en 44,1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 5,750 ms
Le buffer sur 64 samples en 44,1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 8,220 ms
Le buffer sur 128 samples en 44,1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 14,842 ms
Le buffer sur 256 samples en 44,1 kHz, RTL Utility remonte une latence de 26,012 ms
Le buffer sur 32 samples en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 4,376 ms
Le buffer sur 64 samples en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 5,054 ms
Le buffer sur 128 samples en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 7,501 ms
Le buffer sur 256 samples en 96 kHz, RTL Utility remonte une latence de 14,014 ms
Afin de tester l’interface, nous avons fait un benchmark avec notre fidèle APx515 d’Audio Precision. Comme d’habitude, nous publions les résultats obtenus en THD, THD+N, distorsion d’intermodulation, rapport signal/bruit et déviation des voies, pour les entrées et sorties analogiques. Pour toutes les configurations, je règle le gain pour obtenir le meilleur résultat possible.
Gain max : 56,8 dB
Plage dynamique : 120,825 dB
Commençons par les entrées ligne :
Déviation : ±0,026 dB
THD+N : 0,0019% THD : 0,00051 %
Rapport signal/bruit : 100,741 dB.
Distorsion d’intermodulation : –91,254 dB
Passons aux entrées micro :
Déviation : ±0,045 dB
THD+N : 0,0012 % THD : 0,00053 %
Rapport signal/bruit : 102,790 dB.
Distorsion d’intermodulation : –90,847 dB
Qu’en est-il de la sortie casque ?
En restant sur l’entrée micro, qui a donné de meilleurs résultats…
Déviation : ±0,044 dB
THD+N : 0,0013 % THD : 0,00055 %
Rapport signal/bruit : 101,456 dB.
Le CM25 MkIII (micro)
Le micro Scarlett CM25 MKIII est un micro statique, de 15,8 cm de long hors-tout, sur un diamètre de 4,4 cm.
La cellule fait 3,5 cm de diamètre. Son circuit est basé sur un couple NPN/PNP de transistors bipolaires. Le micro pèse 388 gr, poids très classique pour cette taille, et il a une directivité cardioïde.
La structure interne est costaude sans être luxueuse (métal de qualité moyenne).
J’ajoute ici un mot sur une petite invention de Focusrite : la boîte qui se transforme en pied de micro à construire soi-même. En effet, en détachant un carton présent dans l’emballage du pack, on peut réaliser un petit stand de micro, déposable sur un bureau, qui permet de commencer à s’enregistrer immédiatement. Bien sûr, c’est un gadget sur le long terme, mais on a beaucoup aimé l’idée, très démocratisant, qui peut faire de ce pack un bon cadeau pour un débutant qui n’aura pas à dépenser un centime de plus pour se lancer, en tout cas initialement. Idée marrante et innovante !
Quelques prises (micro)
Voici quelques quelques prises réalisées au studio Ruido Maximo, situé dans le 12e arr. de Paris, avec l’aide de Cristián Sotomayor, musicien et ingé son que je remercie chaleureusement.
Je précise en introduction que Focusrite met ce micro en avant comme spécialement dédié aux voix et aux instruments acoustiques. Comme on le verra, cette description est très adéquate.
Commençons par quelques prise rapide de piano droit :
- Piano_Arpège00:32
- Piano_Arpège_AIR00:36
- Piano_BalayageClavier00:20
- Piano_BalayageClavier_AIR00:22
Le micro est installé à proximité du sommier du piano, vers le milieu du clavier. Sur l’arpège on entend bien non seulement l’aigu souligné par la fonction AIR, mais aussi les harmoniques supérieures. Sur l’empilement de tierces (« balayage ») tout le long du clavier, on perçoit une assez frappante, surprenante même, égalité du micro qui parvient aussi bien à capturer le grave, que le médium ou l’aigu avec un bon équilibre du timbre de l’instrument.
Passons à la guitare classique :
- GuitClassique_Arpèges00:24
- GuitClassique_AccordsDEF00:26
- GuitClassique_Accords_AIR00:27
Le micro placé face à la touche, le son est très agréable, avec un rendu réaliste du timbre de l’instrument. En baissant le gain, on obtient des résultats satisfaisants sur des accords joués en battue. Là aussi, la fonction AIR vient ajouter un petit plus très agréable.
Sur la guitare électrique, on n’a pas un résultat aussi positif :
- GuitElec_CLOSE00:31
- GuitElec_Clean_Ambiance00:31
Une prise réalisée, dans un premier temps, à proximité du HP (guitare : Danelectro 56-U3, ampli : Wem Watkins Dominator III (18 watts), HP : Celestion Greenback), et l’on obtient avec le gain à zéro un son difficilement exploitable, avec un cellule du micro qui sature (ce n’est pas l’interface, qui restait dans le vert !). Sur une seconde prise d’ambiance (micro à presque 1 m) avec un son plus clair sur l’ampli, on obtient un meilleur résultat, mais quelques petits « pics » d’écrétage se font encore sentir.
Ce n’est donc pas un micro pour la prise d’instruments électriques…
Passons à la voix :
- Voix_Lecture_Radio00:20
- Voix_Timbrée_Proximité00:10
D’abord une voix « radiophonique » (proximité moyenne du micro, voix calme, lente, presque murmurée — je lis un paragraphe de La Vérité en Peinture de J. Derrida pour ceux qui souhaiteraient savoir). Le gain doit être poussé à plus de 12 h, et un bruit parasite (ronronnement) se fait vraiment trop entendre. On essaie donc rapidement une prise ou je parle fort, voix bien timbrée, à proximité du micro : les résultats sont tout de suite meilleurs.
Et en chantant ? Je chope la guitare classique, on installe le micro une première fois vers la bouche, une seconde vers la touche de l’instrument, pour deux prises d’une moitié du premier couplet + du refrain de The Golden Age de Beck. Je ne suis pas un chanteur pro, vous le remarquerez, mais c’est justement ça l’idée…
- TheGoldenAge_ProcheVoix00:53
- TheGoldenAge_ProcheGuit00:59
Résultats intéressants : ça donne envie de poser des démos qui sonnent bien, dans l’intimité d’une chambre à coucher.
Terminons par des prises de batteries. Cristián se met derrière les fûts, je passe dans la control room, et c’est partie :
- Batterie_Ambiance_GainNormal00:23
- Batterie_Ambiance_GainNormal_AIR00:17
- Batterie_Ambiance_GainMax00:15
- Batterie_Ambiance_GainMax_AIR00:16
On est tous les deux impressionnés : comme micro d’ambiance, ça le fait. La fonction AIR amène vraiment un petit plus. En poussant le gain jusqu’à piquer dans le rouge, on obtient un son garage super satisfaisant, typique d’une prod rock-punk-DIY bien sentie, avec moins d’effet de pièce que sur les prises à gain « normal », saturation de la bande passante oblige (tout est « devant », donc la profondeur se réduit). Là aussi, la fonction AIR est très convaincante.
Le SH-450 (casque)
Spécifications
Le SH-450 est un casque de type circumauriculaire, fermé, avec un transducteur dynamique.
Les spécifications annoncées par le constructeur sont les suivantes :
impédance : 32 ohms
réponse en fréquence : 15 Hz — 30 kHz
Démontable ?
Pas vraiment,
Comme d’habitude, il faut commencer par retirer les mousses des écouteurs :
Elles révèlent trois vis, qui s’enlèvent facilement avec un petit tournevis cruciforme :
Et là, comme c’est souvent le cas des casques peu coûteux, on découvre un transducteur collé, et un câblage un peu léger, avec en particulier ce détail :
Des deux câbles rouges soudés entre eux, puis recouverts d’une goutte de colle pour isoler la soudure, plutôt que d’utiliser, en bonne forme, de la gaine thermorétractable. C’est à tout le moins décevant.
Confort
Très bon, le casque est léger, ce qui fait que même si l’arceau n’est pas très rembourré, il reste « discret » sur le haut du crâne. Les écouteurs prennent bien tout le pourtour de l’oreille, et ne serrent pas trop. Le faux cuir chauffe un peu à la longue, mais pas plus que n’importe quel autre casque circumauriculaire.
Bonne, le casque se plaque adéquatement sur le crâne, sans laisser passer d’air.
Transport
Moyen.
Le casque est léger, certes, mais non pliable et livré sans housse. De plus il n’a pas l’air d’une grande robustesse, il sera donc important d’essayer de bien le protéger lors des déplacements.
Benchmark (casque)
Voici donc le nouveau protocole de mesures objectives, mené par nos soins afin de compléter l’écoute subjective. Avec l’aide précieuse de notre testeur EARS de MiniDSP, nous avons le plaisir de pouvoir vous fournir des courbes de réponse en fréquence et distorsion, réalisées dans notre atelier.
Réponse en fréquence :
On remarque :
- une linéarité générale de 30 Hz jusqu’à 2 kHz, avec deux creux mineurs (55 Hz et 1 kHz).
- une accentuation marquée à 2,4 kHz (de + de 5 dB SPL)
- deux creux à 4 et 6 kHz
- une certaine linéarité jusqu’à 18 kHz.
On remarque des transducteurs plus ou moins bien appairés, rien de catastrophique, mais pas excellent non plus.
Distorsion :
La distorsion mesurée est plutôt bien basse, inférieure à 0,1 % sur la plupart des fréquences, inférieures à 0,2 % jusqu’à 60 Hz et ne dépassant pas 1 % à 20 Hz. C’est excellent ! En revanche, on remarque une présence aussi importante d’harmoniques paires qu’impaires, mais vu le niveau très bas de l’ensemble, cela devrait être inaudible.
Écoute (casque)
Richard Hawley — Don’t Get Hung Up In Your Soul (sur Truelove’s Gutter)
Une ballade acoustique, avec beaucoup de réverbe et une différence de dynamique importante entre la voix et la guitare. Tout de suite, on sent un casque plutôt conçu pour mettre les voix en avant. La bosse à 2,5 kHz fait vraiment son effet. Pour le reste, le grave est bien présent, les médiums sont très neutres, présents, mais pas en avant, on sent vraiment le rendu linéaire et la distorsion basse. Le suivi des queues de réverbes, la localisation dans l’espace panoramique, tout cela est aisé, en particulier grâce à une présence un peu soulignée, mais pas trop, des fréquences aiguës.
Sun Kil Moon – Butch Lullabye (sur Common As Light And Love…)
Sur l’intro, on doit entendre à la fois les notes graves, les harmoniques médiums ajoutées par la distorsion, l’attaque légèrement piquée des notes, tout en séparant bien la grosse caisse qui sonne assez sèche et médium. Le casque s’en sort très bien, on perçoit bien la différence entre l’attaque de la grosse caisse, sèche et précise, suivie d’une courte résonance grave, et l’attaque piquée du clavier-basse sur certaines notes. Le casque suit bien la ligne de basse vers le très grave, en donnant un rendu égal du timbre de l’instrument sur toutes les notes.
Massive Attack — Teardrop (sur Mezzanine)
Un titre avec beaucoup d’extrême grave, mais qui ne doit jamais masquer les nombreux détails dans le haut médium et l’aigu. La voix est un peu marquée par cette accentuation à 2,5 kHz, elle devient un petit peu nasale et mise en avant. On sent, avec cette voix soulignée, que le casque a été conçu avec deux grands axes en tête : l’enregistrement de démos avec quelques instruments en environnement home-studio et le podcasting. Toutefois, comme on le sent également sur ce titre, il est tout à fait utilisable pour monitorer des ensembles d’instruments plus complexes, et s’en sort correctement en présence de basses subs.
Charlie Mingus — Solo Dancer (sur The Black Saint And The Sinner Lady)
Voilà un morceau avec beaucoup de soufflants jouant dans des tessitures similaires : c’est très touffu et le but est d’essayer de discerner les timbres. À part des cymbales un peu trop soulignées, on est très satisfait à l’écoute : bonne lisibilité des instruments au sein de l’ensemble, piano en retrait, mais audible, bon suivi des réverbes. Pas grand-chose à redire.
Edgar Varèse — Ionisation (New York Philharmonic, dir. Pierre Boulez)
Ici on cherche à juger de l’image stéréo et du suivi de la réverbération naturelle de la salle, qui joue sur l’impression d’espace. L’écoute se fait entre 0 h 30 et 1 h 15 min. Là aussi, la bonne linéarité du casque, avec des aigus accentués, mais pas trop, joue en faveur d’un enregistrement comme celui-ci : on retrouve bien chaque percussion à sa place dans le panoramique, et les instruments graves sont retranscrits avec une certaine fidélité. L’acoustique de la salle est perceptible, et le casque s’en sort bien avec les dynamiques extrêmes.
Triple Conclusion
Ce qui fait la force de ce pack c’est, et j’ai conscience que c’est redondant, son caractère d’ensemble. Certes chaque élément pourrait être amélioré, et nous leur avons trouvé à chacun un ou deux points négatifs qui nous paraissent indubitables. Mais ce qui laisse une bonne impression, c’est le fait que les éléments sont bien sélectionnés pour se marier en un tout cohérent et utile. Ces deux adjectifs me semblent être le meilleur résumé de notre impression.
1/ Cohérence des éléments, qui se marient bien autant grâce à leur niveau de qualité que grâce à leur forces respectives : forces techniques (simplicité de prise en main, interface class compliant, présence de tous les éléments nécessaire pour débuter), forces sonores (micro adapté à la prise de voix + casques soulignant légèrement les voix, par exemple).
2/ Utilité qui découle de cette cohérence : tout est fait pour faciliter le passage de la théorie à la pratique (ou, en sautant la théorie, le passage direct à la pratique) et pour permettre aux plus débutants de se lancer et d’expérimenter l’enregistrement dans un environnement domestique. Ce qui n’empêchera pas, et c’est important de le souligner, des personnes plus chevronnées de pouvoir bénéficier de ce pack pour se faire un petit set-up portatif pour s’enregistrer de façon sérieuse dans diverses situations.
Le pack a donc les limites d’un ensemble pour les débutants et les petits budgets (limites qui tiennent surtout à la construction des éléments), mais dans son ensemble, il nous a semblé être tout à fait convaincant, et parfaitement adapté au public qu’il vise.