Une petite révolution est en route depuis quelques années, dans le monde du monitoring : la correction des enceintes. Et parmi les différentes solutions existantes, l'ARC Studio ouvre de nouveaux horizons.
La mode du DSP
C’est la grande tendance dans le monde des moniteurs de studio depuis deux ans, l’avancée technologique majeure : la correction des enceintes d’après les mesures acoustiques de la pièce. Parmi les premiers acteurs de ce phénomène, on pourra citer Sonarworks et son logiciel SoundID Reference, Adam qui intègre dans ses nouvelles générations de moniteurs un outil de calibration en partenariat avec Sonarworks, justement. Neumann propose son propre logiciel d’alignement, le MA 1 couplé à un micro de mesure, et IK Multimedia fait de même avec ARC, comme on l’avait découvert lors du test de ses moniteurs iLoud Precision. Mais ces systèmes de corrections ne sont possibles qu’avec certains modèles de moniteurs récents, équipés de DSP et capables de recevoir des informations depuis un logiciel. Ce système ARC Studio est une vraie nouveauté, car il permet de corriger n’importe quelle paire de moniteurs, ancienne ou récente, de n’importe quelle marque.
En tant qu’utilisateurs de ce type de solutions de correction numérique des écoutes, on a déjà largement eu l’occasion de se confronter aux avantages et limites des configurations existantes. On utilise depuis 18 mois le SoundID Reference, qu’on insère sur le bus Master de notre DAW, Pro Tools ou Cubase. C’est un système très performant, qui nous aide à optimiser la qualité de nos moniteurs Genelec en mix, mais le fait de l’avoir inséré sur le bus Master est une limite : la correction n’est pas appliquée lorsqu’on passe par d’autres voies audio que DAW. On aime, par exemple, écouter des références depuis un service de streaming, et un artiste qui vient au studio peut nous faire écouter une référence, maquette ou autre directement sur son téléphone qu’on recevra en Bluetooth sur notre contrôleur de monitoring… tout ça passera par une écoute non corrigée. De la même manière, si on écoute sur plusieurs paires d’enceintes, la correction calculée en fonction de la réponse d’une seule de ces paires dans la pièce sera appliquée à tout ce qui sort du bus Master, et ce sera à nous de penser à désactiver le plugin lorsqu’on change de paire de moniteurs. Si vous passez par des systèmes de calibration intégrant les corrections dans le DSP des moniteurs, alors c’est très différent. Mais pour cela, il faut avoir des moniteurs achetés il y a moins de deux ans, dans les marques et modèles qui proposent cette solution. Si vous êtes contents de vos moniteurs achetés précédemment et voulez bénéficier de ces nouveaux systèmes de calibrations, c’est moins évident. Et dans ce sens, la correction proposée par ARC Studio, insérée physiquement entre la carte son et les enceintes, est très pertinente ! La correction sera appliquée à tous les flux audio dirigés vers ces moniteurs, et uniquement à cette paire. Le boîtier, avec son micro de mesure et le logiciel pour gérer l’ensemble, coûte 359,99 € TTC, ce qui est un peu plus cher que le SoundID Reference ou le MA 1 Neumann, mais c’est plutôt logique, car le système comporte un élément supplémentaire. Forcément, cette solution pose une question : on va ajouter deux conversions audionumériques (puis numérique-audio) dans notre chaîne. Il va falloir que ces conversions soient le plus transparentes possible pour ne pas perdre des fréquences ou de la dynamique en chemin. IK Multimedia fait appel aux convertisseurs AKM Velvet Sound, et nous les présente comme « les meilleurs », rien que ça !
En Analyse
Ce test de l’ARC Studio arrive dans un contexte bien particulier, dont on va essayer de tirer profit. On vient de recevoir une nouvelle paire de moniteurs, les Neumann KH120 II que l’on installe sur une régie B dans le studio. C’est une régie placée de manière un peu particulière, dans un angle, avec peu d’espace et pas de vrai bass trap derrière les enceintes. Dans ce contexte, la calibration est extrêmement utile, car on se doute que la réponse en fréquences va être altérée par la proximité des murs, et la disposition asymétrique de l’espace environnant. Et cela tombe bien, Neumann a développé son propre outil de calibration, très bien pensé à destination des différents modèles KH sortis récemment. On va donc pouvoir comparer la correction de l’ARC Studio à celle du MA 1 de Neumann.
La première étape consiste à effectuer des mesures avec le micro prévu à cet effet et le logiciel ARC Analysis. L’analyse se fait en 21 points, autour du lieu d’écoute, plus précisément 7 points à trois niveaux : à la hauteur des oreilles, 15 centimètres en dessous et 15 centimètres au-dessus. Pour celles ou ceux qui ont déjà expérimenté les mesures du SoundID Reference, c’est assez similaire, mais les points mesurés sont moins exactement localisés et plus centrés autour du point d’écoute. Une fois ces mesures enregistrées, on ouvre le logiciel ARC System, qui reprend ces informations pour proposer la correction : le graphique représente ici, en différenciant évidemment les deux enceintes, la courbe originale mesurée dans les tons verts, et celle de la correction proposée dans les tons orange. Le constat est sans appel : la proximité des cloisons, notamment pour l’enceinte de droite qui est vraiment située dans un angle, génère un excès spectaculaire de basses fréquences, notamment autour de 50 Hz. On s’en doutait un peu après quelques écoutes, et la correction prend réellement tout son sens dans ce genre de cas de figure. Au-dessus de 100 Hz, la réponse en fréquence originale est déjà très satisfaisante et les corrections sont donc plutôt légères, ce qui n’est pas surprenant quand on connaît la qualité des KH 120. Pour ensuite écouter cette correction, il nous a fallu connecter le boîtier ARC Studio à notre ordinateur en USB et l’insérer en analogique, câblé en XLR, entre la sortie de la carte son et l’entrée des moniteurs. Depuis le logiciel, on charge la correction choisie — celle qu’on vient d’obtenir suite aux mesures — dans le boîtier, et le tour est joué.
On corrige les copies
À partir de là, on peut écouter de la musique avec ou sans les modifications en appuyant sur le bien nommé interrupteur « correction ». Et le résultat est bluffant ! L’écoute corrigée sonne de manière très équilibrée, à tel point que le retour en arrière est un peu désespérant. On se rend compte que le centre était légèrement déporté vers la droite, du fait de l’excès de fréquences graves de ce côté, et globalement, cet excès sonne encore plus problématique à nos oreilles maintenant qu’on a entendu la version corrigée. Cette correction manque maintenant peut-être légèrement de grave à notre avis, mais globalement, c’est très convaincant.
En revenant dans la fenêtre du logiciel ARC System, on trouve un certain nombre d’options pour orienter la correction. On a le choix entre une phase « naturelle », qui tend à corriger les deux canaux de manière plus marquée, tandis que la phase « linéaire » respecte pour chaque canal stéréo sa phase d’origine pour éviter un déphasage. On a tendance à préférer le résultat dans la première configuration. On peut également viser d’autres « cibles » que la réponse en fréquences neutre, qui est l’objectif par défaut. Derrière des noms peu évocateurs comme « standard control room » ou « lively room 2 » se cachent des options d’égalisation qui donnent des tendances à la courbe, un léger shelf vers le haut dans le grave pour la première, vers le bas dans les aigus pour la seconde. En choisissant la première, on peut donc éventuellement rattraper ce léger manque dans le grave à notre goût, alors pourquoi pas… Mais ces propositions ne sont pas très claires, alors que par ailleurs, on peut accéder dans l’onglet « edit » à 6 bandes d’égalisations qui vont nous permettre de sculpter la correction à notre guise… très utile ! Beaucoup plus farfelu (à notre avis), en revanche, le menu « virtual monitoring » propose de viser toute une collection d’égalisations basées sur différents systèmes d’écoutes. On trouve ici une liste de paires de moniteurs de studio, des classiques au nom codé (« Classic-31 »), des modèles IK Multimedia, et pour chaque modèle une nouvelle courbe cible de la correction appliquée. Franchement, on ne voit pas bien l’intérêt de choisir une paire de moniteurs, de la corriger en fonction de sa pièce, pour finalement lui demander d’adopter les défauts ou du moins les inclinaisons d’une autre paire de moniteurs. Nous n’avons en aucun cas envie que nos moniteurs Neumann sonnent comme des modèles IK Multimedia, et nous ne croyons pas que ce boîtier pourra transformer le son d’une paire de moniteurs bon marché en celui d’un modèle de référence, donc pour nous cette partie-là de l’ARC n’est pas intéressante. À la marge, on peut admettre que les options d’écoute type téléphone, TV ou enceinte Bluetooth peuvent être utiles, mais c’est un peu du gadget, tout cela.
Comparaison n’est pas raison
Pour aller plus loin dans notre évaluation de la correction ARC, on refait la même démarche, avec ces mêmes moniteurs KH120, en utilisant cette fois le MA 1 de Neumann. La démarche est assez similaire, si ce n’est que la correction ne sera pas insérée dans un boîtier, mais directement dans le DSP des moniteurs. L’analyse de la réponse en fréquences des moniteurs dans cet espace est quasi identique. On constate la même bosse autour de 50 Hz, dont la pente retrouve des altitudes plus raisonnables vers 100 Hz, puis un creux autour de 200 Hz. L’analyse ARC est donc complètement validée par cette deuxième mesure. Pour ce qui est de la correction proposée, elle est également très semblable. La cible visée par le MA 1 n’est pas aussi neutre que celle de l’ARC, les fréquences graves étant un peu rehaussées, mais en dehors de cela, les deux propositions sont assez similaires.
Comme on travaille dans un environnement qui comporte différents studios, on est allé chez les voisins, qui avaient entendu parler de l’ARC et semblaient très intéressés en vue de corriger leur écoute. On débarque donc avec micro et boîtier sous le bras, dans une configuration très différente. Ici, on trouve une paire de Focal Twin 6, il y a de l’espace derrière et autour, et la pièce est très allongée, profonde. Nos camarades mixeurs qui travaillent ici ont la certitude de manquer de certaines fréquences graves, et on leur prête volontiers l’ARC pour affiner le diagnostic et tester la correction proposée par IK Multimedia. Au point d’écoute, les Twin 6 (pourtant de très bons moniteurs !) ne génèrent pas suffisamment de graves, entre 60 Hz et 150 Hz. En revanche, on constate un net excès au-dessus, entre 150 Hz et 500 Hz, donc les tendances dans cet environnement acoustique sont à l’opposé de ce qu’on avait rencontré lors du premier test. Tout en haut du spectre, la courbe descend un peu trop nettement au-dessus de 8 kHz. Après avoir envoyé la correction dans le boîtier inséré avant les Focal, on écoute le résultat : c’est franchement bluffant ! On retrouve des kicks et basses présents, homogènes et équilibrés, et cela fait un bien fou d’être débarrassés de cette bosse de bas-medium, qui n’est pas très agréable et nuit vraiment à la lisibilité du mix. Résultat des courses, nos voisins décident tout simplement d’acheter l’ARC Studio, tant il leur semble être la solution à leur problème.
Conclusion
Cet outil de correction est dans l’ensemble vraiment convaincant, et surtout, il répond à un réel besoin : vous pouvez garder vos moniteurs si vous les aimez, ou choisir ceux qui vous plaisent, puis leur appliquer cette correction en fonction de la pièce et ainsi les optimiser. On n’a pas toujours la possibilité de travailler dans une pièce parfaite, ni le budget pour acheter les nouveaux moniteurs avec correction intégrée, et dans ce cas la proposition ARC Studio est réellement très pertinente. Le petit inconvénient qui en découle, c’est qu’on rajoute deux conversions et de la connectique entre la sortie stéréo et les moniteurs, mais dans ce cas, on n’a pas vraiment le choix. On n’a pas trouvé franchement utiles les émulations d’autres systèmes d’écoutes, mais par contre la possibilité d’affiner l’égalisation proposée est très intéressante.