Rendu célèbre grâce à ses modifications de grands classiques de la pédale, Robert Keeley peut se targuer d’avoir créé avec Keeley Electronics l’une des marques « boutique » les plus attractives du monde de la guitare.
Particulièrement actif, le fabricant ajoute régulièrement des produits à son catalogue, et ces derniers mois ont vu apparaître un nouveau type de machine pour Keeley : les multi-effets. Cela avait notamment débuté avec les trois « Workstation » regroupant au sein d’un même boîtier différentes pédales du constructeur. Puis, c’est la Monterey qui fit son apparition, avec une promesse : réunir les effets favoris de Jimi Hendrix et se rapprocher du son du maître. Alors qu’enfin des exemplaires viennent de débarquer en France, on passe au crible cette alléchante pédale. Enfilez votre veste d’officier, nouez votre bandana, on file en Californie !
18 juin 1967
La Monterey tire évidemment son nom du fameux festival américain. Événement symbolique de la contre-culture des années 60, le mythique concert posa les jalons d’une nouvelle façon d’envisager les rassemblements musicaux. Mais notre pédale ne fait pas qu’emprunter son nom au festival. Elle reprend également l’esthétique de la Stratocaster brûlée par Jimi Hendrix lors de sa prestation. D’ailleurs, visuellement, la pédale est plutôt réussie. Mais les finitions manquent clairement de soin ! L’impression des petits dessins et des différentes indications est en effet légèrement décalée sur l’exemplaire que j’ai reçu. Ce n’est pas bien grave, mais l’on est en droit d’attendre un peu mieux de la part d’un produit qui représente tout de même un investissement conséquent (413 € officiellement, mais des magasins la proposent moins chère).
Le format du boîtier est étonnant vu le nombre d’effets embarqués. La Monterey en rassemble cinq (une fuzz, une simulation de cabine Leslie, une Uni-Vibe, une wah, et un octaver), et pourtant ses dimensions ne sont que de 11,5 × 9 × 3 cm. Pour naviguer parmi tout cela, elle est divisée en deux canaux avec pour chacun un footswitch. À droite se trouve la Fuzz, à gauche les modulations. La fuzz est analogique, elle s’inspire de la Fuzz Face, et est basée sur des transistors Fairchild Semiconductor. Les modulations, elles, sont numériques. En plus des deux footswitchs, l’on trouve les réglages suivants :
- Un contrôle de volume pour la fuzz
- Un contrôle de volume pour les modulations
- Un contrôle de gain pour la fuzz
- Des contrôles Depth et Rate pour les modulations
- Un contrôle dédié à l’octaver
- Un sélecteur à trois positions pour choisir entre l’effet Leslie, l’effet Vibe, et la wah wah
- Un petit sélecteur interne pour placer la fuzz en aval des modulations
Vous l’aurez compris, il vous faudra faire un choix entre la simulation de cabine Leslie, l’uni-vibe, et la wah wah. L’octaver et la fuzz peuvent par contre être cumulés avec l’une de ces modulations. En termes d’entrées et de sorties, nous avons à faire à du très classique : connecteur pour l’alimentation 9V (non fourni), entrée et sortie jack mono, et entrée pour pédale d’expression.
Enfin, ajoutons que la pédale est livrée dans un élégant sac velouté, en compagnie d’un petit papier délivrant des informations succinctes sur le fonctionnement de la pédale.
L’effet fuzz
Rentrons tout de suite dans le vif du sujet : j’ai trouvé l’ergonomie de la Monterey assez moyenne. Le fonctionnement global est bien pensé, mais la logique n’est pas toujours respectée. J’aurais aimé que les boutons dédiés à la fuzz soient tous sur le côté droit (vers le footswitch Fuzz), et que ceux dédiés aux modulations soient de l’autre côté, de façon à vraiment visualiser les deux canaux. Évidemment, cela aurait déséquilibré la pédale, car seulement deux réglages concernent la Fuzz, mais nous aurions gagné en lisibilité.
Nous allons commencer notre découverte sonore avec le canal fuzz. Comme d’habitude, j’ai utilisé des modélisations du Kemper Profiler, mais je n’ai pas utilisé le même preset que d’habitude. En effet, j’ai navigué entre de nombreuses modulations, et les résultats étaient parfois décevants : la fuzz était trop étouffée, ou alors, sans être étouffée, elle manquait d’épaisseur. Je me suis donc mis en quête d’un preset simulant un vieux Marshall des années 60 et, magie, le résultat était enfin à la hauteur de mes espérances.
Dans les 6 extraits suivants, je modifie le gain et j’utilise différents micros de la Stratocaster. J’utilise le micro chevalet d’une Les Paul dans le dernier exemple.
- 1 Strat Chevalet Fuzz level 3 4, Gain 0 00:26
- 2 Strat Manche Fuzz Level 3 4 Gain 1 4 00:32
- 3 Strat Chevalet Fuzz Level 3 4 Gain 1 2 00:46
- 4 Strat Chevalet Fuzz Level 3 4 Gain 3 4 00:50
- 5 Strat Chevalet Fuzz Level 2 3 Gain Full 01:12
- 6 Les Paul Chevalet Fuzz Level 2 3 Gain Full 01:08
J’ai d’abord remarqué que la fuzz a tendance à manger certaines fréquences dans les aigus. Le son est un peu plus étouffé, plus rond par rapport à mon son dry lorsque j’enclenche l’effet avec le gain au minimum. Il y a donc une forte coloration, et cela explique les résultats très différents suivant les amplis utilisés. Certains apprécieront, d’autres non. Personnellement, je n’ai pas trouvé ça dérangeant lorsque le gain est fort, mais un peu plus embêtant avec un son quasi clean, car je le trouve moins riche. Pour autant, la fuzz est intéressante. Elle s’éclaircit très facilement avec le potard de volume ou avec le réglage de gain. Le son est certes compressé, mais l’attaque du guitariste est bien retranscrite.
Avec le gain à 0, on obtient déjà une petite saturation pas toujours très harmonieuse. C’est beaucoup mieux lorsque l’on pousse le gain, puisque la saturation devient plus homogène et accompagne le guitariste de façon plus naturelle. La fuzz est assez subtile, sa réserve de gain n’est pas énorme, mais elle est amplement suffisante pour du rock pêchu. Elle offre un beau sustain, et ne cafouille jamais à outrance. De plus, il y a très peu de bruits indésirables, hormis lorsqu’on la pousse vraiment à fond. En fin de compte, malgré sa grosse coloration, j’aime bien cette fuzz. Je reste par contre dubitatif quant à son adaptation à tous les amplis sans passer par la case égalisation. Il est temps de nous pencher sur la wah wah de la Monterey.
L’effet wah wah
Cette fois, de nombreux réglages sont disponibles. Lorsque le bouton Depth est complètement vers la gauche, il s’agit d’une wah classique que l’on peut soit contrôler avec la pédale d’expression, soit garder en position bloquée et modifier les fréquences avec le bouton Rate. En poussant légèrement le bouton Depth, le mode « Auto Wah » est enclenché, et l’effet répondra donc à votre attaque. Après 12 h, la wah devient une « harmonic wah », une sorte de vibrato. Écoutons dans un premier temps l’incidence des réglages Depth et Rate.
Il est aussi possible d’activer l’octaver en utilisant le bouton Octave. À 12 h, l’effet n’est pas enclenché. Mais en tournant le bouton légèrement vers la gauche, l’octave inférieure pointe le bout de son nez. Il en va de même pour l’octave supérieure vers la droite.
L’effet est clairement moderne, et l’on s’interroge sur la pertinence de sa présence au cœur de la Monterey. Mais au niveau sonore, c’est indubitablement intéressant ! Poussée dans les aigus au maximum, l’octave supérieure est légèrement décalée et cela donne un résultat étonnant. C’est synthétique, mais pas dénué de charme. Terminons notre découverte du mode wah wah en y ajoutant la fuzz.
Au final, la wah wah est très convaincante. Mon unique réserve concerne son utilisation avec la fuzz. Je préfère largement lorsqu’une wah wah est placée avant la saturation. Mais l’étonnant vibrato du mode « harmonic wah » fait son effet, et la polyvalence de l’ensemble ne peut que séduire. J’ai tout de même trouvé qu’il est parfois difficile de maîtriser certaines fréquences (vos oreilles en ont certainement fait les frais dans le dernier extrait), et un EQ n’aurait certainement pas été de trop.
L’effet uni-vibe
L’effet Vibe est probablement l’un des éléments les plus notables du son d’Hendrix. Il s’agit d’une forme de phaser qui agit plus ou moins fortement sur les fréquences sonores. Keeley Electronics a cherché à reproduire le son caractéristique des machines à base de cellule photo-électrique. Il m’est difficile de juger si la simulation est réussie, je ne suis pas un grand expert de l’Uni-Vibe, mais voici une série de trois extraits sonores qui vous permettront de vous faire un avis. Dans le premier exemple j’utilise seulement les boutons Depth et Rate, dans le deuxième j’ajoute l’octaver, et enfin j’ajoute à tout cela la fuzz dans le troisième.
- 10 Strat manche Vibe Level 1 2 Octave 1 2 01:38
- 11 Strat intermédiaire Vibe + Octaver Level 1 2 Depth 1 2 Rate 1 2 01:52
- 12 Strat chevalet Vibe Level 1 2 et Fuzz Level 1 2 Gain variable 02:58
À l’image de la fuzz, la vibe colore le son. En l’enclenchant avec le bouton Depth au minimum, on entend que l’on perd une partie du spectre par rapport à la guitare dry. Cet effet n’est pas destiné à être utilisé avec le réglage aussi bas, et l’effet enveloppe tellement le son que l’on oublie rapidement cette coloration. Personnellement, je trouve tout de même que l’on perd un peu de pêche. Mais c’est probablement une question de goût et, encore une fois, un effet n’est pas forcément fait pour être transparent. Passons maintenant à l’effet rotary.
La simulation de cabine Leslie
Cet effet tente de recréer les sonorités du fameux système de haut-parleurs rotatifs. Cette fois, il n’est pas possible d’ajouter l’octaver. En effet, le bouton Octave permet de contrôler le volume du HP dédié aux graves (tambour) et du HP dédié aux aigus (trompette). Concrètement, en poussant le bouton vers la gauche, on entend plus le tambour, et vers la droite plus la trompette. Comme à notre habitude, le premier extrait est dédié aux boutons Depth et Rate. Dans le deuxième, je joue avec le potard Octave. Pour terminer, j’ajoute la fuzz dans le dernier exemple.
- 13 Strat manche Leslie Level 1 2 Octave 1 2 01:12
- 14 Strat intermédiaire Leslie + Octaver Level 1 2 Depth 2 3, Rate 2 3 01:12
- 15 Strat intermédiaire Leslie Level 1 2 Fuzz Level 1 2 Gain variable 02:22
J’aime beaucoup les simulations de cabine Leslie. Suivant les réglages, l’on tend vers un chorus, ou vers un trémolo. Jouer avec les boutons Depths et Rate permet d’obtenir un effet fou ou alors beaucoup plus subtil. Le mode Rotary de la Monterey est très fin et, quels que soient les réglages, ça sonne !
Ce mode offre même une option très intéressante pour modifier l’empreinte sonore de la fuzz. En effet, en plaçant le bouton Rate à 0, l’oscillation entre les deux haut-parleurs de la Lelise va s’arrêter, et le bouton Octave devient alors une sorte de simulateur de HP. Dans l’exemple suivant, je débute avec le bouton Octave à 12 h, puis je le baisse complètement, avant de l’augmenter au maximum. Pour cet extrait, j’ai modifié le sélecteur interne de la Monterey. Il permet de placer la saturation après la modulation, ce qui dans notre cas permet de modifier le signal reçu par la fuzz et de mieux percevoir l’influence du « faux » simulateur de HP.
Profitons-en pour découvrir l’influence du sélecteur interne sur les trois modes de modulations (Uni-Vibe, Leslie, et wah wah). Pour chacun des exemples, je débute avec la fuzz en amont des modulations (réglage d’usine), puis je la place en aval.
- 17 Dipswitch sur vibe 00:42
- 18 Dipswitch sur Leslie 01:02
- 19 Dipswitch wah 01:02
Le changement est radical, et j’entrevois enfin les sons « hendrixiens » tant recherchés ! Non contente de proposer une multitude d’effets et de réglages, la Monterey s’offre le luxe de doubler toutes les possibilités grâce à ce petit sélecteur. On en arrive à regretter que ce bouton ne soit pas en façade, car, par exemple, j’aime placer ma wah wah en amont de ma saturation, mais je préfère la plupart des autres modulations en aval. Malheureusement, il ne sera pas possible de modifier cela à la volée.
« I stand up next to a mountain »
Il est difficile de se faire un avis définitif sur la Monterey de Keeley Electronics. Il faut du temps pour découvrir la pédale, maîtriser toutes ses possibilités, et surtout trouver LE son. C’est un bon point, et en même temps ce n’est pas forcément ce que l’on attend d’une pédale dont la communication s’axe autour du son d’un artiste. Si vous vous attendez à obtenir rapidement un son typé Hendrix, passez votre chemin. Il s’agit plus d’une addition d’effets utilisés par le guitariste légendaire qu’une reproduction de son empreinte sonore. C’est donc une certaine déception qui prévaut, même s’il faut bien avouer qu’en plaçant la fuzz après les modulations, l’on retrouve un peu plus les sonorités de Jimi. Mais, en dehors de toutes ces considérations, la Monterey est-elle une bonne pédale ?
Les effets ne sont jamais trop extrêmes, et ils restent exploitables dans la plupart des conditions. Parfois, certaines fréquences sont trop boostées, et même si les potards déjà présents permettent souvent de régler ça, j’aurais beaucoup aimé qu’il y ait un bouton de tonalité ou un EQ. Il faut en plus ajouter à cela la forte coloration de la pédale. Une égalisation intégrée aurait permis d’adapter facilement la machine à son ampli. Les effets sonnent tous bien mais, fondamentalement, aucun ne m’a profondément marqué.
En résumé, hormis si cette pédale rassemble exactement les effets que vous désirez, il est certainement plus sage de cibler quelques pédales avec un usage dédié à un effet. La Monterey pourrait être un outil utile au débutant, mais son identité est trop marquée pour plaire au plus grand nombre. Quel débutant souhaiterait une Leslie et une Uni-Vibe plutôt qu’une réverbe et un delay par exemple ? Sans être un échec, cette Monterey m’a déçu. L’erreur principale est certainement d’avoir axé la communication autour de Jimi Hendrix. Certes l’on retrouve les effets chéris par le guitariste, mais la promesse du son d’Hendrix dans une pédale n’est pas complètement tenue (ou difficilement accessible). Elle pourra, par contre, certainement convenir à la petite niche de guitaristes qui souhaiteraient à moindre coût s’équiper d’une wah, d’une simulation de cabine Leslie, d’une Uni-Vibe, d’un octaver, et d’une fuzz. D’autant plus que la plupart des effets sonnent (pour peu que l’on passe du temps à découvrir la bête), et que les possibilités sont innombrables. À réserver donc aux utilisateurs avertis.