Créer des effets analogiques, mais dotés de fonctions modernes et innovantes, voilà l’ambition du fabricant américain Chase Bliss Audio. Pour cela, la marque s’appuie sur un contrôle numérique, tout en proposant un traitement du signal purement analogique. Chase Bliss a d’ailleurs pour maxime : « Digital brain, analog heart ». Tout un programme… La rédaction d’Audiofanzine s’est procuré l’un des derniers nés du constructeur, la Brothers. Cette pédale pleine de promesses permet de mêler six saturations différentes de manières variées. Avons-nous affaire au Graal des pédales de saturations ?
Pour chacune de ses pédales, Chase Bliss s’appuie sur une recette hybride analogique/numérique maintes fois éprouvée. La Brothers reprend donc l’architecture des précédents modèles de la marque, mais, cette fois, finis les effets de modulations et les delays ! C’est aux saturations que les américains s’attaquent. Cette machine dispose de deux sections utilisant des circuits différents : l’une fonctionne avec un transistor JFET, et l’autre avec un circuit intégré. Mais la grande originalité de la Brothers réside en la possibilité de réunir en série ou en parallèle ces deux sections. Chacune étant indépendamment paramétrable et disposant de modes boost, overdrive et fuzz, c’est bel et bien à 6 sons différents que nous avons affaire, avec un total de 33 combinaisons possibles. Il faut ajouter à cela des presets, une compatibilité MIDI, et un port EXP/CV. Plutôt impressionnant, non ? Avant de débuter l’analyse des fonctions et des sonorités de notre étonnante machine, jetons un œil à ses caractéristiques.
La guerre des boutons
La Brothers est livrée dans un étonnant petit coffre en bois. C’est très rare de bénéficier d’un tel packaging, et l’on sent tout de suite que l’on est sur un produit haut de gamme. La machine en elle-même prend la forme d’une pédale au format simple, dont les dimensions sont de 12 × 6 × 4 cm. Doré et pailleté, le châssis en métal est élégant, mais chargé. De nombreux boutons et inscriptions parsèment en effet l’appareil, ce qui peut effrayer de prime abord. Malgré son format simple, la machine de Chase Bliss est bien une double pédale dotée de deux sections de saturations et de deux footswitchs. Il faudra d’ailleurs être précis lors de l’activation de ces derniers, puisqu’ils sont proches l’un de l’autre.
La section A et la section B possèdent chacune des contrôles du gain et de la tonalité, ainsi qu’un sélecteur pour naviguer entre les modes Boost, Drive et Fuzz. Deux boutons agissant sur les deux sections en même temps modifient le volume général, et le mix entre les deux sonorités lorsqu’elles sont cumulées. Un sélecteur détermine d’ailleurs la façon dont les sections interagissent : en parallèle, A + B, ou B + A. L’ordre des sections dans la chaîne est donc pris en compte.
Enfin, un dernier sélecteur placé entre les deux footswitchs donne accès à deux presets. Il est très facile d’enregistrer à tout moment des réglages, mais il est impossible de les rappeler par l’intermédiaire des footswitchs. Il faudra donc utiliser ses doigts. C’est dommage, mais vous pourrez toujours utiliser le footswitch externe Faves de Chase Bliss, ce qui augmentera en plus le nombre de presets à 6. Une autre solution consiste à piloter la pédale en MIDI, mais il faudra pour cela acquérir un boîtier MIDI.
Nous avons fait le tour des boutons présents sur la face avant du boîtier, mais la Brothers nous réserve encore une surprise. Probablement atteinte d’une forme de varicelle aiguë, la pédale dispose de 16 commutateurs à l’arrière. Ils sont principalement destinés à l’assignation des différents paramètres de la machine à une pédale d’expression, et permettent aussi d’alterner entre les modes True Bypass et Buffered Bypass. Mais nous reviendrons en détail sur cet élément.
Et soudain, le ciel s’assombrit
Avant de débuter la découverte sonore de notre pédale, insistons sur les différences de comportement d’une pédale de saturation en fonction de l’ampli utilisé. Lampes, transistors, modélisations, ampli sombre ou brillant, les configurations sont multiples. Nous avons utilisé un Kemper Profiler configuré pour délivrer le son d’un Twin Reverb. Il est enregistré via une carte son Steinberg UR22. La guitare, quant à elle, est une Ibanez RG Prestige dotée de deux humbuckers et d’un micro simple. Nous naviguons régulièrement entre les micros dans les extraits, puisque leur nature influe fortement sur le comportement de la Brothers.
Commençons avec la section A. Que ce soit en mode Boost, Drive, ou Fuzz, le son de la guitare se colore énormément. Il est assez sombre, et il ne faut pas hésiter à pousser le potard de tonalité au 3/4 pour retrouver la brillance originelle de la guitare. Le son est donc plus mate, mais aussi chaud et crémeux.
Le boost rehausse le volume tout en appliquant la couleur particulière de la section. Avec des micros simples, il ne sature presque jamais et l’on peut pousser le potard de gain sans complexe. Inversement, un humbucker engendrera très rapidement une légère saturation agrémentée d’une compression douce, mais présente. C’est très joli ! En poussant le gain, la saturation se fait moins douce et prend la forme de « craquement » lorsque le guitariste attaque fortement les cordes. C’est alors moins flatteur, et le boost s’avère bien plus limité avec des humbuckers.
- 1. Section A Boost gain à 12h, micro simple 00:58
- 2. Section A Boost gain variable, micro double 02:00
- 3. Section A Boost gain à 12h, Tone à 12h puis variable 01:16
Le mode drive offre une montée en saturation très graduée. On peut obtenir un boost quasiment clean avec des micros simples, puis un léger crunch, pour terminer avec une saturation rock, mais raisonnable. La réserve de gain est suffisante, mais on n’entre pas non plus sur les territoires d’une distorsion métal. Le son est toujours aussi sombre et chaud, avec un côté vintage et boueux marqué, surtout lorsque le gain est à fond. C’est clairement un overdrive blues à l’ancienne qui fait des merveilles en crunch, mais qui s’avère un peu brouillon, baveux dans les graves lorsqu’on pousse trop le gain.
On sent assez vite que l’overdrive et la fuzz proviennent du même circuit. En effet, on a le sentiment que la fuzz prolonge la réserve de gain de l’overdrive tout en apportant un petit côté « fuzzy » dans les aigus. Nous sommes donc plus sur le territoire d’une OD-Fuzz, voire d’une distorsion, qu’en présence d’une fuzz épaisse avec un gate prononcé. Elle est très utile pour des sons façon Hendrix avec un gain modéré. La compression est toujours importante, sans toutefois manger trop de dynamique, et l’utilisation du potard de volume permettra d’éclaircir le tout. En augmentant le gain, le résultat est encore une fois un peu brouillon et il ne faut pas hésiter à pousser la tonalité pour retrouver de la définition.
- 5. Section A Fuzz gain au minimum 01:58
- 6. Section A Fuzz gain au max 02:36
Au final, il s’avère que la gestion des fréquences est commune à l’ensemble des trois modes, comme le symbolise la présence d’un unique potard de Tone. Les saturations sont évidemment différentes, mais la tonalité reste globalement la même. Ainsi, il est possible de relever une forme d’identité sonore propre à chaque mode, mais aussi à la section. Très typée, cette section A à base de transistors JFET trouvera son public, mais aussi des détracteurs. Heureusement, le terme polyvalence n’est pas galvaudé avec la Brothers, et vous trouverez certainement votre bonheur dans les autres possibilités sonores de la pédale.
Rayon de soleil
Tout comme la section A, la section B se distingue par une identité sonore commune à l’ensemble des modes. Mais, à l’inverse de la première section, la section B préserve la brillance du matériel utilisé. Elle rehausse même la présence en offrant une belle bosse dans les médiums et les aigus. On se retrouve ainsi avec des sons plus typés Tube Screamer, voire Klon, ce qui se fait aux dépens des graves.
Avec cette section, le boost ne sature quasiment pas, même avec des humbuckers. Il faut vraiment pousser le gain au maximum avec des micros à haut niveau de sortie pour entendre à nouveau des « craquements » que nous trouvons déplaisants. Le boost offre donc surtout un surplus de volume, et la bosse caractéristique que nous avons évoquée. Il est idéal pour obtenir des sonorités cristallines et ajoute une très jolie résonance qui n’est pas sans évoquer la KTR.
Le mode Drive est dans la même lignée que le boost, avec une compression moins marquée que la Section A et des hauts médiums et aigus assez présents. La saturation augmente très finement au fur et à mesure que l’on pousse le gain, et l’on obtient des crunchs subtils. Passé midi, le bouton de gain offre une saturation assez franche, assez agressive et acide tout en étant maîtrisée. Le bouton de tonalité permet d’adoucir le son en réduisant les aigus, et c’est l’occasion d’entendre l’élégante légère compression de cette section. Les notes restent toujours très distinctes les unes des autres, et la dynamique est admirablement respectée. Il est donc possible de nuancer son jeu en fonction de son attaque, mais aussi du bouton de volume de la guitare.
- 8. Section B Drive gain variable 04:22
- 9. Section B Drive gain au maximum, Tone variable 01:48
Quant au mode Fuzz, il offre une saturation plus précise et bien plus fuzzy que celle de la section A. Pour autant, il n’y a pas de gate prononcé et l’on a donc du liant entre les notes. Sans être d’une épaisseur démesurée, puisqu’on reste dans la lignée très axée médiums de la section, la fuzz s’en sort tout aussi bien avec des riffs constitués d’une suite de notes qu’avec des accords. À l’instar de l’overdrive, elle réagit assez bien au potard de volume de la guitare, bien qu’il soit difficile d’obtenir un son très clair sans perdre trop de volume. Nous avons en tout cas beaucoup apprécié ce mode, et cette fuzz est indéniablement l’une des grandes réussites de la Brothers.
- 10. Section B Fuzz gain au minimum 02:08
- 11. Section B Fuzz gain à fond 01:36
La section B s’avère au final très différente de la A. Elle la complète à merveille en offrant des sons plus tranchants et moins compressés. Néanmoins, l’on perd un peu de graves, surtout avec un gain peu élevé. L’idéal serait en fait de pouvoir mêler les points forts de nos deux sections… Ça tombe bien, Chase Bliss y a pensé bien avant nous !
Combinaison gagnante
Cumuler les deux sections en mode Drive ouvre l’accès à des overdrives excellents. On peut finement régler l’interaction entre les deux circuits en utilisant le sélecteur Stack et le bouton Mix, mais aussi en modifiant les tonalités et les gains de chacune des saturations. Il faut prendre son temps, et compter sur son oreille. Le mélange des deux sections n’est pas évident, mais en fouinant l’on trouve des combinaisons qui permettent réellement d’allier les qualités de chacun des circuits et d’ainsi obtenir des sonorités jusque-là inaccessibles. Vous souhaitez une distorsion tranchante avec du bas ? C’est possible. Un overdrive doux et compressé, mais avec des aigus présent ? C’est possible aussi.
Voici trois extraits dans lesquels les réglages des sections A et B ne bougent pas. La section A est en mode drive avec le gain à 1/3 et le tone à midi. La section B est en mode drive avec le gain à 1/4 et le tone à midi. Ce sont en effet les réglages Stack et Mix qui nous intéressent. Nous commençons avec le bouton Mix à 12h, puis nous cherchons différents réglages en passant par les trois modes de stack (parallèle, A+B, et B+A).
- 12 . Drive A+Drive B, mix variable 01:58
- 13. Drive B+Drive A, mix variable 02:04
- 14. Drive A et Drive B en parallèle, mix variable 02:22
Dans l’extrait qui suit, la section A est en mode Fuzz, et la section B en mode Drive. Nous ne touchons à aucun réglage, hormis le type de « chaînage ». Toutefois, il y a une différence de niveau entre la section A et la section B. Ainsi, suivant le chaînage ou le placement du bouton Mix, le volume est drastiquement modifié. Nous avons donc compensé cela.
Avec des gains très élevés, la machine commence à générer beaucoup de souffle si les deux sections sont actives en même temps. La gestion des deux saturations n’est pas évidente, et l’on cherche constamment à équilibrer le côté brouillon de la section A avec le côté plus sec de la section B. C’est en parallèle que cela fonctionne le mieux, et l’on obtient enfin cette fuzz à la fois épaisse et sèche, idéale pour des riffs.
Finalement, bien mêler les deux sections nécessite une phase d’apprentissage. Un Master EQ et des volumes pour chaque circuit auraient été idéals, mais cela aurait encore alourdi la manipulation et Chase Bliss n’a pas fait ce choix. C’est une pédale de demi-bidouilleurs : on ne vous demandera pas de mettre complètement les mains dans le cambouis, mais il faudra tout de même lire le manuel et expérimenter. Au cours de votre quête, vous obtiendrez des résultats décevants, mais aussi des petites perles sonores. En résumé, avec un peu de maîtrise, le mélange des sections offre une grande richesse à la Brothers et constitue indéniablement son meilleur atout. On regrettera quand même l’absence d’une sortie stéréo qui aurait été très utile lorsqu’on combine les deux sections de saturations en parallèle.
Express yourself
Avant de clore ce test, nous nous devons d’aborder les jolies possibilités de la pédale Chase Bliss en termes de pilotage externe. Tout d’abord la Brothers est compatible MIDI. Avec des messages CC, vous pourrez modifier n’importe quel paramètre. Malheureusement, il est obligatoire de passer par une MIDI Box. Une autre possibilité est d’utiliser le footswitch Faves de Chase Bliss. Il s’appuie également sur le MIDI, et donne uniquement accès à 6 presets, soit 4 de plus que la capacité initiale de la pédale.
Un autre port EXP/CV permet de piloter la machine avec du Control Voltage, ou bien avec une pédale d’expression. C’est en utilisant cette dernière que les commutateurs à l’arrière de la pédale sont utiles. Une première série de boutons permet de choisir les paramètres pilotés : le master volume, le mix, les gains des sections A et B, et les tonalités des deux sections. Ainsi, il est possible de piloter à la fois le gain de la section A et la tonalité de la section B, ou même de modifier d’un seul coup tous les réglages ! La deuxième série de dip switchs offre la possibilité d’inverser la course pour chacun des paramètres. Ainsi, on pourra augmenter le gain tout en baissant la tonalité lorsqu’on appuie sur la pédale d’expression, et inversement. C’est simple, mais fichtrement bien foutu et très configurable. Un autre commutateur permet d’affiner la course de la pédale d’expression : en position T la course débutera là où le potard est placé et se terminera en atteignant la valeur maximale disponible, alors qu’en position B, la course débutera à la valeur minimale et se terminera là où le potard est placé. Oui, il est nécessaire de lire le manuel… En tout cas, les possibilités sont énormes, mais il est difficile de trouver facilement une utilisation autre que pour agir sur la tonalité ou le gain. Il est possible de jouer avec le Mix lorsque les deux sections sont enclenchées, mais les différences de volume rendent l’exercice difficile. Il faudra clairement fouiller pour trouver des utilisations intéressantes et originales. Voici une humble tentative se contentant d’agir sur le gain.
Outre le commutateur pour passer du mode True Bypass au mode Buffered Bypass, il nous reste deux dip switchs à décrire. Répondant aux doux noms de MoToByp A et MoToByp B, ils transforment les footswitchs en interrupteurs pour appuis momentanés. Le système est très simple et l’idée géniale : en bougeant le dip switch correspondant à une section éteinte, le footswitch activera la saturation grâce à un appui permanent. Si vous relevez le pied, vous retrouverez votre son dry. Mais si l’on active le dip switch lorsqu’une section est allumée, un appui désactive alors l’effet et l’on a donc du clean uniquement lorsque le pied repose sur le footswitch. Chez Chase Bliss, on a clairement le sens du détail, et on aime le travail bien fait !
Conclusion
La Brothers est une pédale de saturation originale capable de passer d’un clean boost à une bonne grosse disto, ou d’un overdrive doux à une fuzz rageuse. Les deux sections offrent des sonorités vraiment différentes et de qualité, et l’on retrouve le caractère analogique que certains apprécient tant. La possibilité de cumuler les saturations est au cœur de la machine, et lui permet de se distinguer. Rares sont les pédales à proposer deux sections de saturations actionnables en parallèle, surtout dans un format aussi compact. Il faudra néanmoins fournir des efforts pour obtenir la quintessence sonore du produit de Chase Bliss, et vous rencontrerez quelques embûches, notamment à cause des différences de volume entre les deux sections. Des efforts, il en faudra aussi pour appréhender les fonctions de la Brothers. Grâce à ses contrôles numériques, elle offre des presets et des pilotages variés (MIDI, CV, EXP), mais le nombre de boutons — et surtout de dip switchs — peut faire peur. Pas de panique, c’est en fait très simple, bien que peu intuitif. La lecture du manuel est donc tout simplement obligatoire.
Malgré des défauts qui auraient pu être évités, le bilan est positif. Mais Chase Bliss n’est pas la seule marque à s’illustrer avec des pédales de saturation innovantes. Il y a quelques mois, nous avions testé l’Analog Drive d’Elektron. Les deux machines sont analogiques, contrôlées en numérique, et ultra polyvalentes. Côté son, il s’agira avant d’une question de goût. L’Analog Drive a des modes plus nombreux et variés, mais ne permet pas de cumuler des circuits. C’est là une différence majeure, et la Brothers tire donc son épingle du jeu. Pour autant, l’intégration MIDI est plus complète sur l’Analog Drive (pas besoin de MIDI Box…), le nombre de presets plus important, et la machine est certainement plus facile d’accès grâce à son écran. La Brothers est par contre bien plus compacte, mais aussi plus chère d’une soixantaine d’euros. Bref, le positionnement n’est pas le même, et tout cela dépendra de vos attentes. Un autre produit mérite d’être cité : la Strymon Sunset. Moins chère que la Brothers, elle permet aussi de cumuler de différentes manières deux circuits. Elle parait même plus ergonomique, tout en étant extrêmement pilotable. Oui, mais c’est une machine intégralement numérique, qui se concentre sur les overdrives. Encore une fois, ce n’est pas le même créneau. Finalement, toutes ces pédales se valent, mais ne correspondent pas aux mêmes attentes.
Vous l’aurez compris, Chase Bliss a réussi son pari en délivrant une pédale innovante, mais surtout unique. Le produit est loin d’être parfait et a les défauts de ses qualités, mais si vous ne jurez que par l’analogique et aimez expérimenter, il pourrait bien être fait pour vous. D’autres instrumentistes que les guitaristes devraient d’ailleurs se pencher sur la bête, elle pourrait rendre de fiers services.
Nous remercions le magasin The Effect Factory pour le prêt de la pédale.