Savons-nous toujours ce qui nous attend lorsque nous découvrons un nouvel appareil, un nouvel outil, un nouvel instrument à tester ? Non, la réponse semble évidente. Et lorsque nous avons attendu fiévreusement telle arlésienne depuis bien trop longtemps, la réaction est d'ailleurs bien souvent la déception.
Concernant le Dexibell Vivo S7, je dois reconnaître qu’à ma grande honte je suis complètement passé à côté lors de l’annonce de sa sortie. C’est donc sans aucune attente particulière que je me suis lancé dans le banc d’essai de ce clavier. Je dois même avouer que j’étais plutôt sceptique : quelle pouvait être la pertinence de lancer une nouvelle marque dans ce marché du piano numérique déjà passablement encombré, et dans lequel de puissants antagonistes tels que Yamaha ou Roland imposent leur loi depuis longtemps ? Il allait falloir que le challenger ait de sérieux arguments à défendre.
Voyons donc ensemble ce qu’il en est réellement concernant ce clavier, designé et fabriqué intégralement en Italie par d’anciens ingénieurs de chez Roland Europe et disponible à un tarif public tournant globalement autour de 1695 € TTC.
Juger sur le physique ?
Le Vivo S7 est un clavier de scène de 88 touches, ce qui est l’une des principales différences vis-à-vis de son frère cadet, le Vivo S3, qui n’en compte « que » 73. La bête mesure 1330×135 × 372 mm, pour un poids de 17,5 kg. Ce poids s’explique par la présence d’une véritable mécanique de piano qui s’avère d’ailleurs particulièrement agréable à jouer, que ce soit pour du piano classique ou pour des instruments plus électriques. Premier bon point !
Mais ne nous égarons pas et poursuivons notre tour du propriétaire. Le Vivo S7 dispose de deux molettes (pitch bend et modulation), de cinq encodeurs rotatifs crantés et sans fin, parfaits pour modifier les divers (mais point trop nombreux) paramètres mais pouvant également être affectés au contrôle MIDI, ainsi que d’un encodeur non cranté à butée pour le volume, de divers poussoirs destinés à activer ou désactiver les voix ou les effets : les modes « freeze » (pour conserver un accord en mémoire), transpose, split, layer, octave ou encore librement assignables (nous verrons dans quelle mesure). Deux autres rangées de poussoirs toujours permettent de sélectionner les banques de sons et leurs presets. Enfin, pour en finir avec les … poussoirs (ouf!), nous disposons sur la section centrale du panneau de commande de flèches directionnelles agrémentées de quatre autres boutons qui permettent de naviguer dans le menu affiché sur un petit écran noir et blanc et de sélectionner ou modifier tous les paramètres accessibles.
La face arrière regroupe la connectiques suivante : prise secteur, sorties audio au format jack 6,35 mm, 3 entrées pour pédale de sustain, footswitch et pédale d’expression (les deux dernières entrées pouvant être utilisées pour des pédales de commande), prises MIDI THRU/OUT et IN, prise USB de type A pour la connexion de mémoires USB et de type B pour la connexion à un ordinateur.
Voulez-vous jou-er avec moi, ce soir ?
Les vidéos de présentation du Dexibell nous présentent le Vivo S7 comme une révolution en termes de génération sonore et de plaisir de jeu, vantant notamment une polyphonie « infinie ». Celle-ci est rendue possible par la présence de 320 oscillateurs, gérés par un processeur quadricoeur de type CORTEX spécialisé dans le traitement de données en temps réel. Et il faut reconnaître que comparé aux 64 voix de polyphonie du Keyscape de Spectrasonics testé l’année dernière par votre serviteur, on est ici dans une tout autre dimension à ce niveau-là (et oui, je compare un instrument hardware avec un VST, et alors?). On dispose de ce fait d’une belle homogénéité de reproduction sonore, si lyriques que soient les envolées que l’on se permet avec cet instrument. Et l’on ne craint plus de maintenir la pédale de sustain enfoncée jusqu’à la bouillie sonore : ici, on est clairement à l’abri du décrochage de voies.
La puissance informatique embarquée se fait également sentir par l’absence totale de latence lorsque l’on passe d’un son à l’autre : la transition se fait automatiquement et de manière totalement transparente. On peut même, pendant que l’on tient avec la main gauche un accord sur une sonorité donnée, choisir une autre sonorité pour jouer un riff de la main droite, sans nécessité de créer un split définitif. Excellent point !
Puisque l’on parle de split, on notera qu’il est possible de diviser le clavier en deux parties distinctes (4 pour le contrôle MIDI), avec un point de split librement définissable. Chacune des deux parties pourra bénéficier de certains réglages indépendants, notamment de volume général, d’EQ (très bonne initiative !) et de hauteur tonale. Il est également possible de superposer deux sonorités, avec toujours la même indépendance de réglages. On ne pourra toutefois pas affecter de règles de déclenchement de layers comme sur certaines autres machines ou instruments virtuels. Cette superposition de layers pourra se faire aussi bien sur l’ensemble du clavier que sur la partie supérieure d’un split de clavier, ce qui nous amène à parler des sonorités.
Le son de conduite
La génération sonore repose sur la technologie propriétaire T2L (True 2 Life), basée sur un mélange d’échantillonnage et de modélisation. Pour ce qui est des échantillons, ceux-ci ont été réalisés en 24 bits et 48 kHz, et peuvent avoir une durée allant jusqu’à 15 secondes pour les notes les plus basses, ce qui est assez considérable.
Par défaut, le Vivo S7 dispose de huit banques de sons d’usine. Outre la première banque concernant les pianos, nous avons une banque de pianos électriques, une banque dédiée aux claviers à cordes pincées (clavinet, clavecin) ou à maillets (vibraphone, xylophone, marimba), une autre pour les orgues (d’église et électriques), une banque pour les instruments à cordes frottées, une banque pour les pads et les choeurs, une pour les cuivres et les nappes synthétiques apparentées et une autre pour les instruments à cordes de type guitare et basse. Enfin, le Vivo S7 propose une neuvième banque « user » pouvant quant à elle recueillir 82 presets définis par l’utilisateur. Il est enfin possible de stocker autant de presets que l’on souhaite sur une mémoire USB (clé ou disque dur) que l’on pourra connecter au piano. Il sera toutefois nécessaire d’importer lesdits presets dans la mémoire interne du clavier pour pouvoir les jouer.
Écoutons d’un peu plus près les sonorités proposées, en commençant par celles de piano. Sur un piano numérique, on s’attend bien sûr à ce que ces dernières soient particulièrement chouchoutées et c’est clairement le cas ici, en commençant par la sonorité de piano classique. Le son principal, « Vivo Grand », présente à mon sens un parfait compromis entre instrument classique de la période romantique et instrument pop. Comparé notamment au C7 de Spectrasonics cité plus haut, le son peut paraître un peu moins étoffé et plus brillant, mais aussi plus naturel.
Dexibell insiste sur le fait que la reproduction des différentes articulations du jeu pianistique a été obtenue par un sampling rigoureux et non par modélisation, tout comme l’a été la création des autres sonorités pianistiques. Chacune d’entre elles a donc été obtenue par l’enregistrement d’un véritable instrument distinct. Si l’on en croit la marque, nul traficotage à l’EQ ou re-modélisation du son n’ont été employés. Dexibell reste toutefois relativement discret sur la nature des pianos utilisés à l’origine desdits enregistrements. On saura seulement que c’est un Pleyel de 1850 qui a été utilisé pour le « Romantic piano » [Note du testeur : Dans une version précédente de l’article, j’avais de manière erronée associé le piano « Pleyel » au preset « Classic Grand » présenté ci-dessous. N’ayant plus l’appareil de test à ma disposition, je ne peux malheureusement vous fournir d’exemple audio de ladite sonorité.]. Le plus simple est peut-être de se faire une idée avec ces quelques exemples audio concoctés par votre serviteur :
- Piano Vivo 00:57
- Piano Pleyel 00:55
- Honky tonk 00:16
C’est principalement sur les résonances qu’un très gros travail a été entrepris. La différence de résonance que l’on constate en fonction des articulations de jeu dans les notes graves et les notes aiguës est particulièrement bien rendue, avec une résonance longue lors du jeu piqué et courte lors du jeu normal. Les résonances sympathiques sont elles aussi particulièrement bien simulées, comme nous pouvons le constater ci-dessous, d’abord avec la note de Sol pré-enfoncée, puis avec la quinte Do-Sol pré-enfoncée :
Mais le plaisir que l’on ressent à utiliser le VIVO S7 ne se limite pas au pur jeu pianistique classique. On a ainsi par exemple d’excellents sons de clavinet ou d’orgue :
- clavinet 00:09
- orgue église 00:25
- orgue jazz 00:31
Les pads et les choeurs quant à eux s’en tirent plutôt pas mal, surtout que l’on peut utiliser la fonction « enhancer » pour leur faire encore « gagner du poil », essentiellement par l’ajout d’une basse ample et profonde très flatteuse. Cette fonction s’applique également sur les instruments à cordes frottées dont nous parlerons après.
Autour du son
Mais il est une caractéristique que les pianistes parmi vous ne manqueront pas d’apprécier à sa juste valeur : la gestion du sustain. Contrairement à ce que l’on trouve chez la concurrence, celui-ci est n’est ici plus géré de manière absolue (enfoncé/relâché), mais bel et bien de manière progressive du moment que l’on utilise une pédale de type « expression » à course progressive et non pas un simple interrupteur maquillé, comme c’est quasiment toujours le cas. C’est là l’une des principales innovations de Dexibell, et l’effet en est parfaitement simulé. Du vrai bonheur !
On appréciera également le réalisme des bruitages de la pédale, ainsi que ceux d’enfoncement et de relâchement des touches, tous bien entendu dosables à volonté, voire totalement escamotables si on le souhaite. La qualité des bruitages se retrouve également sur les autres instruments simulés, notamment en ce qui concerne les claviers électriques et le clavecin, avec le son si caractéristique du sautereau qui revient en position au relâchement des touches.
Venus d’ailleurs
Une autre caractéristique particulièrement intéressante du Vivo S7 est de pouvoir charger des banques de sons supplémentaires au format DFX propriétaire de Dexibell ou – et cela peut ouvrir des perspectives sonores particulièrement intéressantes – au très répandu format soundfont SF2. Au vu de ce qu’internet offre en termes de banques gratuites dans ce format et d’outils permettant de créer aisément ses banques personnelles à partir de ses propres fichiers audio, nul doute qu’il s’agit ici d’une excellente idée de la part des designers du Vivo. Le chargement se fera via une mémoire USB (clé ou disque) branchée dans la prise USB de type A de l’appareil.
Effet tout ce qu’on lui dit
Dexibell se targue de livrer chacun de ses sons avec la configuration d’effets appropriée mais celle-ci peut être modifiée à loisir. En effet (haha…), toutes les sonorités aussi bien internes qu’externes peuvent bénéficier de deux effets simultanés chacun, à choisir parmi une liste de 14 effets : trémolo et trémolo pour piano électrique, égaliseur (en plus de l’EQ général), vibrato, flanger, chorus, phaser, réverbe (en plus de la réverbe générale), delay, cross delay, triple tap delay, rotary, tremolo pan et overdrive. Ceci reste valable lors d’un split de clavier ou d’une superposition de sonorités, sachant qu’il peut y avoir jusqu’à trois sonorités actives en même temps lors d’un split de clavier (une sonorité en partie basse et deux sonorités superposées en partie haute), on peut avoir un total de six effets différents actifs simultanément, ce qui est plutôt pas mal pour un instrument dédié au jeu et non à la production ou au sound design. La machine embarque d’ailleurs 6 DSP distincts dédiés chacun au traitement d’un effet différent.
Disque d’or
Enfin pour pour couronner le tout, le Vivo S7 permet d’enregistrer ses interprétations, d’exporter autant de fichiers audio que l’on souhaite vers l’extérieur via une mémoire USB, au format WAV 48 kHz/32 bits, ou de jouer par-dessus des morceaux existants enregistrés sur votre mémoire USB ou même transmis via Bluetooth !
X-Mure et Vivo Editor
Dexibell propose deux applications extérieures, Vivo Editor et X-Mure. Les deux ne fonctionnent que sur iOS (et même que sur iPad pour Vivo Editor) et nécessitent une connexion USB via le Camera Connexion Kit. La première application, comme son nom l’indique, permet de retrouver sur son iPad l’intégralité des paramètres du clavier et autorise un accès et une modification bien plus aisés desdits paramètres que via le petit écran et les boutons du Vivo. La seconde est une application musicale qui permet de jouer et de réarranger en temps réel des boucles audio existantes ou bien fournies par l’utilisateur. Le Vivo pourra alors servir de contrôleur, pour modifier par exemple le contenu harmonique desdites boucles en fonction des accords joués au clavier. Le système se base sur une technologie propriétaire de Dexibell, le « Harmony Poly Fragmentor ».
Nul amour ne saurait être parfait…
Si les sons de claviers du S7 sont globalement très satisfaisants, on pourra parfois être frustré par le faible nombre de paramètres modifiables, guère plus de 4 ou 5 par instrument en moyenne. J’ai dans un premier temps pensé qu’il n’y avait pas de gestion du capot concernant les pianos (oui, j’avais souligné le même manque dans mon banc d’essai concernant le Keyscape de Spectrasonics, que voulez-vous, c’est mon dada !), aucune mention n’en étant faite dans le mode d’emploi. Il m’a toutefois ensuite été indiqué que c’était la molette de modulation qui prenait en charge cette gestion. Pourquoi n’en est-il fait mention nulle part dans le mode d’emploi ? Mystère.
Sinon, on regrettera que les orgues ne bénéficient pas d’un réglage harmonique via tirettes, tout comme le fait que toutes les banques ne soient pas forcément au même niveau qualitatif. Ainsi certaines sonorités comme les cordes, les cuivres ou certaines guitares révèlent assez vite un côté synthétique.
- slow strings 00:24
- brass 00:18
On réservera donc ces sections soit au layering, soit à un usage très cadré de revival Eighties par exemple. Globalement on soulignera qu’en dehors des instruments à clavier, la diversité des articulations de jeu des autres instruments est beaucoup moins bien traduite.
Enfin, je trouve un peu dommage de ne pas pouvoir effectuer de layering sur la partie basse d’un split, même si je dois reconnaître qu’il ne s’agit que d’une tare mineure sur un instrument non destiné au sound design mais davantage au jeu.
USB qui se tend
Concernant la connectique USB, on remarquera également certaines limitations un peu frustrantes, surtout en 2017. Ainsi, la connexion USB à l’ordinateur ne permet que la transmission de données MIDI… et c’est tout ! Pas de transmission de l’audio — adieu donc l’idée de transformer votre clavier en carte son ou de pouvoir enregistrer directement l’audio provenant du Vivo S7 dans votre STAN favorite. Même les updates de firmware ne peuvent se faire par ce biais. Il vous faudra en effet d’abord télécharger les fichiers sur une clé USB ou un disque externe que vous connecterez ensuite au Vivo. Cette dernière limitation pourra en revanche éventuellement faire l’objet d’un … update justement, en tous cas c’est ce que l’on peut souhaiter.
On notera que la connectique destinée aux mémoires USB n’accepte exclusivement que des périphériques formatés en FAT32. Enfin, pour en finir avec les limitations liées à l’USB, on regrettera de ne pouvoir enregistrer aucune performance directement en interne, et qu’il faudra impérativement pour cela connecter une mémoire USB.
Ergonomie figue mi-raisin
Si l’ergonomie s’avère globalement très agréable et simple (on retrouve ici la philosophie d’accessibilité de l’instrument de scène), certains détails pourraient être améliorés.
Ainsi, dans le menu, le fait que la flèche de navigation droite serve à la fois de bouton d’ouverture de sous-dossier et de bouton de modification de paramètre peut se révéler déroutant. Ceci n’est encore rien comparé à la fonction d’annulation, qui est représentée à l’écran par … une flèche Return ! Combien de fois ai-je cru ainsi avoir validé un paramètre alors que j’avais annulé mon action ! Certes, on s’y fait avec le temps, mais attendez-vous à piquer quelques crises dans les premiers temps.
C’est le moment de parler de la programmation des pédales de contrôle. Il est prévu que par défaut, ladite programmation se fasse par preset, ce qui en soi n’est pas forcément une mauvaise idée, permettant d’affecter à chaque pédale de contrôle un rôle différent selon le preset choisi. Pourquoi pas. Ce qui m’agaçait dans un premier temps, c’est que je pensais qu’il était impossible de programmer ces dernières de manière globale, ce qui aurait alors représenté un véritable cauchemar. Il n’en est heureusement rien, le Vivo S7 permettant de programmer les pédales de manière globale. Il vous faudra toutefois explorer le mode d’emploi en détail pour découvrir cette possibilité.
Conclusion
Il serait dommage de juger le Dexibell sur ce qu’il n’est pas : une station de travail. C’est un outil pensé pour le jeu, et à ce niveau, il remplit parfaitement son office grâce à des sons d’instruments à clavier très convaincants avec un gros travail effectué sur les détails (bruits de pédale, de touches, etc), un clavier très agréable à jouer pour tous les types de sonorités embarquées, une polyphonie illimitée, une absence totale de latence dans le passage d’un son à l’autre et cerise sur le gâteau, une véritable gestion progressive de la pédale de sustain.
On ajoutera également l’interaction avec le monde extérieur offerte par la connectique USB, avec ainsi la possibilité d’exporter ses interprétations au format Wav ou encore d’importer des banques de sonorités supplémentaires, qu’elles soient au format propriétaire DFX ou bien au format ultra-populaire SF2. On appréciera enfin la possibilité de connecter le Vivo en Bluetooth, ainsi que la qualité des applications externes.
On regrettera cependant que celles-ci soient limitées à l’environnement iOS, que quelques banques soient moins réussies que d’autres, que certains aspects de l’ergonomie – par ailleurs très satisfaisante globalement – puissent s’avérer un peu irritants. Certaines limitations dans l’utilisation de la connexion USB à l’ordinateur, interdisant par exemple l’utilisation du Vivo S7 comme carte son, peuvent également se révéler un peu frustrantes. Globalement, toutefois, il faut bien se rendre à l’évidence : pour le meilleur et pour le pire, cette mariée mérite qu’on lui passe la bague au doigt !
Tarif moyen constaté : 1 655 €