Après la superbe réédition Taurus 3 de la célèbre basse éponyme, Moog Music propose un petit module reprenant les composantes sonores de la machine à faire trembler les murs… et bien plus encore !
Cela fait plus de 35 ans que la basse Taurus défonce les boomers et fait vibrer les cages thoraciques, si ce n’est l’inverse. Fin 2009, Moog Music remet le couvert avec la Taurus 3, un instrument au son qui n’a d’égal que la classe. Initialement prévue à 1000 unités, la T3 a jusqu’à présent été produite à 1500 exemplaires, pour faire le bonheur des aficionados de tout ce qui se passe dans le bas du spectre audio. Lors de notre test, nous avions constaté à quel point la T3 parvenait à éclipser son ancêtre, conservant l’âme originelle tout en ajoutant les technologies actuelles. Mais la T3 est très balèze, tant par le son que par le poids et le volume. Par ailleurs, tout le monde n’a pas forcément besoin d’un pédalier ; certains installent même leur T3 sur une table ou un support non seulement pour la programmation, mais aussi pour le jeu. Pour coller à ce type d’usage et aux besoins de mobilité, Moog Music a donc imaginé puis présenté au NAMM 2012 un petit module proposant dans un volume réduit un concentré de T3… voire un peu plus. C’est au moment du 78e anniversaire de Bob Moog que nous avons reçu ce fameux Minitaur. De quoi mettre à l’épreuve le nouveau caisson de basses du studio !
Très concentré
Si le trou noir concentre une énergie infiniment grande dans un espace relativement petit, le Minitaur s’y apparente pour ce qui est des synthés analogiques monophoniques. À peine 1,2 kg sur la balance ! À l’intérieur, tout comme pour la T3, les composants sont montés en surface, à quelques exceptions traversantes près. La construction tout en métal est excellente, comme toujours chez Moog. Le Minitaur se présente sous la forme d’un petit module parallélépipédique rectangle de 22 × 13 × 8 cm. On pourrait d’ailleurs aligner 2 Minitaur dans un rack 19 pouces 3U à la verticale, s’il existait des équerres adaptées. La façade légèrement oblique comporte 17 gros potards typiques Moog qu’on aime tant et un petit ajusteur pour l’accordage fin. Les potards sont vissés sur la façade, mais contrairement au Voyager, l’axe en plastique fretté a un léger jeu ; toutefois, les potards restent fermes et offrent une réponse excellente. Ils sont complétés par 4 poussoirs qui s’allument en fonction de la valeur du paramètre assigné et 2 diodes indiquant respectivement l’activité Midi et la fréquence du LFO ; sur le Minitaur, tout ce qui brille est de couleur ambre.
Les différentes sections de synthèse sont parfaitement indiquées, même si la place disponible en façade n’a pas permis de disposer les commandes suivant une progression logique du signal, comme sur un Voyager ou un Little Phatty. En revanche, il n’y a pas d’écran, donc pas de menu, mais une prise en main directe et immédiate. Il n’y a pas non plus de programmes internes… comment ça ?! Du calme, le Minitaur ne renferme certes pas d’emplacement pour les programmes utilisateur, mais nous allons voir que toutes les commandes de la face avant émettent des CC Midi via USB et que les circuits analogiques internes sont pilotables par des CC Midi reçus de l’extérieur ; de quoi se remettre en appétit !
Connectique essentielle
Le Minitaur est plutôt bien doté en matière de connectique, le tout situé sur le panneau arrière. De gauche à droite, on trouve tout d’abord les prises audio : une sortie casque au format mini-jack stéréo, puis une sortie et une entrée audio jack 6,35 TS. L’entrée audio permet de traiter des sources externes via le VCF et le VCA (en maintenant une note enfoncée ou en envoyant une tension de 5V dans l’entrée Gate) ; couplée à la prise casque et un atténuateur externe, on peut également créer une boucle de réinjection de la sortie audio dans le filtre, mais attention à l’impédance si on utilise la sortie casque ! Viennent ensuite les interfaces CV / Gate : 3 prises CV (pitch, filtre, volume en jack 6,35 TRS – réponse 1 Volt / octave) et 1 prise Gate (jack 6,35 TS) : ceci permet de connecter des sources de modulation externes telles que pédales, effets maison (type CP-251), synthés modulaires ou séquenceurs analogiques. Les commandes CV / Gate et Midi peuvent fonctionner simultanément, amenant parfois des résultats inattendus ! Côté Midi, on trouve une prise Midi In (mais pas de Midi Out, dommage) et une prise USB type B vers hôte, travaillant cette fois en Midi In / Out (ouf !). Enfin, la borne pour alimentation 12V DC externe est le seul point un peu cheap du Minitaur, là où le Slim Phatty bénéficie d’une alimentation interne universelle. Toute cette connectique est solidement vissée à la carrosserie et ne bouge pas d’un millimètre, bravo et merci pour ce niveau de qualité à ce prix ! Ah mais au fait, il est où le bouton marche / arrêt ? Euh, ben, pas trouvé, chef…
Boîte à basse
Fièrement munis de notre joli caisson de basses délivrant 120 W sur une plage 19–85 Hz, nous avons pu apprécier avec délectation ce qu’était un bas du spectre couillu. Indéniablement, le Minitaur possède le timbre caractéristique des Taurus. Lorsque les VCO sont accordés, la machine ne souffre pas d’annulations de phase désagréables, garantissant une présence de tous les instants dans les conditions les plus extrêmes. Avec un léger désaccord, le timbre s’épaissit magistralement. Le manuel (téléchargeable et en anglais) comprend 10 « Hardware Presets », reprenant certaines sonorités typiques Taurus, que nous avons partiellement utilisés pour les illustrations sonores. À ce sujet, Moog Music ferait bien de s’inspirer d’Arturia, qui a prévu de livrer des feuilles de programmes cartonnées avec différents réglages à placer en façade du MiniBrute.
Poussés au-delà de 70–80%, les VCO génèrent une belle saturation du filtre qui fait peser davantage les sons, s’il en était besoin. Nous en avons un peu abusé dans nos exemples audio… En descendant le clavier, nous avons atteint le domaine vibratoire (fin d’exemple n°3, attention les gamelles !). Les ondes carrées étendent le territoire sonore classique des basses Taurus, marchand parfois sur les platebandes d’autres basses analogiques à transistors. En synchronisant le cycle des VCO, on crée un impact additionnel, comme illustré dans certains exemples sonores où on joue alternativement sur les notes détachées et liées. Pour sa part, le filtre résonant ravira tous les adeptes de l’échelle de Moog, la tradition maison est bien respectée. Pousser la résonance met le filtre en auto-oscillation, ce qui permet des effets spéciaux et des sons de percussions, grâce à de nouvelles enveloppes hyper rapides. Avec le LFO capable d’osciller dans le domaine audio, on peut créer une pseudo-FM, ajoutant de nouvelles harmoniques. Cela ne remplace toutefois pas l’absence de modulation en anneau entre les VCO. Nous avons également utilisé l’entrée audio pour colorer des sources externes avec le filtre, les traiter avec le LFO et les enveloppes ; les exemples reprennent un massacre de Sweet Dreams – pardon – et un réchauffage d’une nappe de Kronos avec saturation du filtre sur l’attaque.
- 1Classic00:32
- 2Eighties00:12
- 3BigButt00:31
- 4Rise00:42
- 5TimeSquare00:34
- 6HiQ00:29
- 7HiQLowF00:33
- 8KickAss00:19
- 9VariousArp01:01
- 10SqBass00:18
- 11AudioIn Sorry Annie01:10
- 12AudioIn Kronos seul puis dans Minitaur00:45
Synthèse classique
Dans le Minitaur, le parcours du signal est on ne peut plus classique : 2 VCO et un signal audio externes sont mélangés avant de passer par un VCF, puis un VCA. Les 2 VCO vont toutefois un cran plus loin que ceux, basiques, de la T3, puisqu’ils proposent les ondes dent de scie (pour les sons classiques Taurus) et carrées, sélectionnables par 2 interrupteurs. Une impulsion à largeur variable aurait été du luxe, mais visiblement on s’éloignait trop du design Taurus originel. Le parfait accord des VCO est obtenu après 15 minutes de chauffe pour la stabilisation des circuits, après l’accord est parfaitement maintenu. Il peut être modifié sur plus ou moins un demi-ton, avec le petit ajusteur situé en façade, dont nous avons déjà parlé (ce paramètre n’est pas transmis en Midi). Le VCO2 peut être désaccordé par rapport au VCO1 sur une plage de plus ou moins une octave, avec un potard dédié. Un désaccord ultra précis est difficile à obtenir directement avec ce potard, la plage étant assez élevée. Heureusement, on peut se rabattre sur un CC Midi pour modifier un paramètre de désaccord fin distinct (voir VCO2 Beat ci-après).
Comme sur les précédentes Taurus, les VCO sont commandés en Hz / Volt ; identiques à la T3 pour ce qui est des ondes dent de scie, leur tessiture est limitée aux 6 octaves inférieures (notes Midi de 0 à 72), soit 523 Hz au plus haut (C5 juste au-dessus du A4 – La 440). On peut d’ailleurs déjà lire un tas d’âneries sur la toile au sujet des VCO : le Minitaur monterait une octave au-dessus de la T3 ; les VCO seraient étalonnés en Volt / octave… tout ceci est faux, nous l’avons directement vérifié auprès des concepteurs chez Moog Music. Lorsqu’on essaie de jouer au-dessus de 523 Hz (en cas de Detune positif du VCO2 notamment), le VCO2 est bloqué à cette fréquence jusqu’à ce qu’on atteigne la note Midi 72, alors que le VCO1 continue à suivre correctement le clavier, beurk ! Nous avons suggéré à Moog Music de faire jouer le VCO2 à l’octave en-dessous dans cette zone critique, pour éviter la distribution gratuite de pains ! Tant qu’on râle, signalons qu’il manque à cette section VCO une hard-synchro pour être parfaite ; par contre, l’absence de Sub-VCO ne se fait pas sentir un seul instant.
Filtre d’amour
Les VCO disposent de leur propre potard de volume et sont mélangés à l’entrée audio avant d’attaquer le VCF. La conception de celui-ci repose sur la traditionnelle échelle de Moog passe-bas 4 pôles à résonance oscillante, avec une plage de fréquence allant de 20 Hz à 20 kHz. La réponse des commandes est ultra fluide, sans effet d’escalier audible. Pour ce faire, toutes les commandes continues bénéficient d’un scan à une fréquence de plusieurs kHz suivi d’un adoucissement pour éliminer les effets d’escalier. Lorsque la fréquence de coupure du filtre est à zéro, rien ne passe. Lorsque les VCO sont des dents de scie réglées avec un volume élevé, ils créent une saturation naturelle du filtre qui apporte ce grain Taurus si caractéristique.
La modulation de fréquence est cette fois bipolaire, un gros avantage par rapport à la T3, permettant des attaques de filtre bien claquantes avec l’enveloppe dédiée. La résonance peut entrer en auto-oscillation dès qu’on dépasse les 80% de gain. Ceci se fait sans écrasement du spectre, ce qui diffère de la réponse du filtre du Little Phatty. En réduisant le volume des VCO à zéro et en réglant le suivi de clavier à 100% (voir ci-après), on obtient une onde sinusoïdale parfaitement jouable. En sortie, un potard de volume global permet d’ajuster le niveau final du signal. À l’écoute, on se dit que ce filtre est archiconnu, mais tellement agréable !
Bien enveloppé
Reprenant à l’identique la conception de la Taurus, les enveloppes de la T3 ne nous avaient pas particulièrement emballés, car limitées en nombre de segments (AD sur le VCF et ASR sur le VCA) et en plage d’action (5 ms à 560 ms de temps d’attaque, 50 ms à 2,8 s de temps de Decay). Cette fois, Moog Music nous propose 2 enveloppes ADSR de type Minimoog, avec valeurs communes de Decay et Release. On applaudit des 2 mains ce choix, surtout avec le punch en attaque que n’ont pas les Taurus ; en effet, les segments de temps ont cette fois une très large plage de réponse, allant de 1 ms à 30 secondes ; inutile de le préciser, ça claque beaucoup mieux ! Le segment de Release est activé globalement pour les 2 enveloppes avec un bouton poussoir dédié, comme sur les synthés vintage type Minimoog ou Kobol. Toutefois, ces enveloppes sont uniquement cantonnées à la modulation de la fréquence de coupure du filtre et du volume. Rien de bien neuf à ce stade…
Côté LFO, on n’a le droit qu’à un exemplaire, comme sur la plupart des monophoniques Moog. Hélas, il n’offre qu’une seule forme d’onde triangulaire pour faire bouger le son. La plage de fréquence est en revanche excellente, de 0,01 à 100 Hz (niveau audio). Elle peut également être synchronisée à l’horloge Midi (de la ronde au triolet de 64e de noire, en passant par les valeurs pointées), tant mieux ! Le LFO peut moduler séparément les VCO et le VCF, mais rien d’autre. La quantité de modulation est pilotée par la molette de modulation dès qu’on la bouge (elle prend alors la priorité sur la valeur des 2 potards réglant la quantité de modulation sur les VCO et le VCF). Si nous gagnons beaucoup de paramètres par rapport à la T3, nous perdons en revanche l’arpégiateur, dommage. Enfin, le pitch global peut être piloté par un Portamento avec réglage de vitesse et bouton d’activation situé en façade.
Édition spéciale
Le Minitaur se connecte à un clavier de commandes via Midi In et à un ordinateur via USB ; le driver (Win XP, Win 7, OSX) s’installe d’ailleurs automatiquement. Le canal Midi se règle par apprentissage direct, après une combinaison de touches et la réception d’un message Midi externe sur un canal donné. On pourrait d’ailleurs se contenter des paramètres directement accessibles en façade et on aurait déjà un synthé-basse bien fourni. Mais le Minitaur renferme encore quelques bonnes surprises dans ses entrailles. En effet, en plus de la vingtaine de paramètres accessibles directement depuis la façade, le Minitaur donne accès à une vingtaine de paramètres supplémentaires via des CC Midi. À nous l’automation des 40 paramètres au grand complet ! La résolution est de 7 ou 14 bits suivant la nécessité du paramètre, soit 16384 valeurs, rendant les effets d’escalier inaudibles, parfait. Le pilotage peut se faire à partir d’une surface de contrôle via l’entrée Midi, un séquenceur Midi ou l’éditeur PC / Mac via USB ; ce dernier est gratuitement fourni par Moog Music lorsqu’on enregistre son produit en ligne.
Les 20 commandes additionnelles, qui font l’objet d’une fenêtre séparée sur l’éditeur, concernent tant la synthèse pure que les commandes physiques. VCO2 Beat permet le désaccord fin du VCO2 de plus ou moins 50% par rapport au VCO1 ; il se comporte d’ailleurs comme un Detune, vu que la quantité de désaccord suit le pitch au lieu d’être constante. Le Minitaur permet également de synchroniser la phase des 2 VCO lorsqu’une note est triggée, pour ajouter du punch à l’attaque, évitant les suppressions de phase. On peut également sélectionner le mode de réponse du Portamento : vitesse constante linéaire, temps constant linéaire, exponentiel ; le premier est le mode typique de Portamento, où plus l’intervalle entre les notes est élevé, plus la transition est longue ; dans le deuxième mode, le temps est constant quel que soit l’intervalle ; dans le troisième enfin, la modulation part rapidement et ralentit à l’approche de la note cible, comme c’est le cas sur la Taurus.
Pour être complet, signalons qu’un paramètre Legato Glide permet de n’enclencher le Portamento que sur les notes liées, sympa ! En CC Midi, on peut également régler le volume de l’entrée audio, le suivi de clavier sur le filtre (de 0 à 200%), la réponse à la vélocité sur le filtre, la vélocité sur le volume, ainsi que le volume global. Concernant le LFO, on accède aux paramètres de synchronisation Midi, de division temporelle et de synchro de cycle à l’enfoncement de touche ou à la réception d’un signal de Gate. Via l’éditeur du Minitaur, on peut donc envoyer un ensemble de commandes identiques à des dumps Midi d’un programme. La version bêta testée ne comprend que quelques programmes d’usine, on aimerait par la suite disposer de tous les programmes d’usine de la T3, l’arpégiateur en moins bien évidemment. Réciproquement, l’éditeur est capable de générer une commande de capture, priant le Minitaur de bien vouloir lui envoyer la position de toutes ses commandes physiques et valeurs Midi via USB ; du coup, l’éditeur se transforme en bibliothécaire, capable d’envoyer et recevoir des programmes complets, excellent ! Enfin, l’éditeur permet également la mise à jour de l’OS… le meilleur des mondes numérique et analogique rassemblés !
Droit dans le mille
Au final, le Minitaur est une excellente réussite : le son, l’ergonomie, l’interfaçage avec le monde informatique, l’automation des paramètres, la mémorisation externe, le prix… imbattable ! Les compromis faits sont plutôt judicieux et largement acceptables. On pourrait reprocher un manque d’originalité au niveau synthèse et l’accès direct limité à 20 paramètres sur 40. De sorte qu’on se prend à rêver d’un module rackable « Slim Taur », avec toutes les commandes en prise directe et des mémoires internes. Mais pour celui qui recherche le grain puissant et inégalable de la basse Taurus sans se ruiner ou se casser les reins, dans un module compact, ergonomique et robuste, le Minitaur s’impose tout naturellement, aussi bien sur la route qu’au studio.