Spécialisée dans les boites à synthèse qui bougent, Elektron nous propose un nouveau module séquenceur MIDI à base de FM… une cuisine enfin digeste ?
Elektron aura été très prolifique en 2017. Après le Digitakt, trois nouvelles versions des produits phares de la gamme ont été développées : Octatrack MKII, Analog Rytm MKII et Analog Four MKII : robe redessinée, électronique revisitée, connectique regarnie, fonctionnalités enrichies, ergonomie améliorée… de quoi satisfaire bon nombre d’aficionados de la marque suédoise. Alors que les premiers modèles arrivaient sur le marché fin 2017, Elektron a remis le couvert au NAMM 2018 en annonçant le Digitone, un nouveau module combinant séquenceur MIDI et synthé FM, avec la bénédiction de John Chowning, père de la fameuse synthèse. Nous venons d’en recevoir un exemplaire (en OS 1.02) en direct du producteur ! Voyons si la vision Elektron de la FM la rend intuitive…
Pavé noir
Dans la nouvelle gamme de produits Elektron, il y a deux styles de design : les monolithes noirs compacts et les consoles grises agrandies. Le Digitone (tout comme le Digitakt) appartient à la première catégorie, en bon parallélépipède rectangle tout en métal. Côté mensurations, on est à 215 × 176 × 61 mm pour 1,5 kg. Comme on le voit sur la photo, c’est donc le même gabarit que les AR et A4 MkI en un peu moins large. Si le format est comparable à l’ancienne génération, les commandes et la sérigraphie sont clairement de nouvelle génération : encodeurs poussoirs lisses, boutons poussoirs rétroéclairés, seulement cinq diodes séparées… tout cela apporte une certaine clarté à la façade. La partie supérieure comprend 2 rotatifs à gauche (potentiomètre de volume et encodeur lisse de données), un écran OLED jaune 128 × 64 points (parfaitement lisible de jour comme de nuit) et huit encodeurs poussoirs lisses contextuels (dont la fonction dépend de la page menu).
En dessous de l’écran, on trouve des commandes de paramétrage / outillage / tempo (avec fonction Tap) / MIDI, de transport du séquenceur et de navigation (4 flèches, 2 boutons incrément / décrément et la touche Page pour accéder aux 4 sections de 16 pas des motifs). La partie inférieure de la façade est réservée à la sélection des banques / motifs (8 banques x 16 motifs), à la programmation des pas (2 rangées de 8 touches lumineuses pouvant se transformer en mini-clavier virtuel) et à la sélection/activation/coupure des pistes (4 touches lumineuses très colorées). Comme toujours chez Elektron, les commandes ont toutes une fonction secondaire et il y a un certain nombre de raccourcis accessibles par combinaisons de touches… l’ergonomie est toutefois plus simple que celle des AR/A4. La connectique est condensée sur le panneau arrière : sortie casque, sorties ligne stéréo TRS, entrées ligne stéréo TS (toutes au format jack 6,35), trio MIDI (avec 2 fonctions synchro), prise USB 2 (notes, CC, Sysex, Dump MIDI et audio), borne pour alimentation hélas externe (12VDC/2A) et interrupteur secteur. Sans fioriture !
Sonorités FM
Le Digitone est un synthé–séquenceur 8 pistes : 4 pistes Synthé (polyphonie totale de 8 voix) et 4 pistes MIDI (polyphonie de 8 voix par piste). Chaque voix de synthé offre un moteur numérique de type FM + filtres + modulations. Les voix sont indépendantes des pistes et à allocation dynamique (les pistes piochent dans les voix disponibles et coupent les plus anciennes en cas de nécessité). Le Digitone permet toutefois de spécifier une réserve de polyphonie par piste. Huit voix pour du numérique pur, c’est un peu juste, surtout avec de la multitimbralité. La mémoire du Digitone est structurée en 128 projets, chacun constitué de 128 Patterns et 128 sons ; elle offre aussi une bibliothèque séparée de 2 048 sons, chargeables selon le besoin. On peut transférer ces données par dump MIDI/USB.
L’écoute des premiers motifs fournis laisse immédiatement apparaître une couleur FM fort sympathique : des sons précis, ciselés, évolutifs, claquants, métalliques… que ce soient des basses, leads, nappes, percussions, effets ou drones. On devine assez vite la présence de filtres, qui apportent un complément intéressant à cette palette FM. Du coup, on obtient une belle polyvalence sonore. Chose amusante, les sound designers en ont tiré des rythmes EDM que l’on retrouve dans les samplers, BAR hybrides et synthés analo de la marque. Un air de famille indéniable, en somme, même si la technologie n’a au départ rien à voir !
On apprécie au passage la qualité de la section effets, en particulier la réverbe. Le Digitone reprend l’esprit des boites Elektron, c’est avant tout une machine de performance live : on lance un motif, on active une piste, on tripote le son, on lance un Fill, on ajuste les effets… Les possibilités de modification des sons à chaque pas sont tellement radicales que cela donne l’impression d’avoir beaucoup plus que quatre pistes sous la main !
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Pistes Synthé
Les quatre premières pistes du séquenceur sont des pistes Synthé, auxquelles est assigné un son interne. Il n’y a pas de kit comme sur l’AR, ce qui s’avère plus direct mais moins pratique dans certains cas (par exemple créer plusieurs Patterns avec les mêmes sons ou tester rapidement différentes combinaisons de sons). Chaque piste peut utiliser de 1 à 8 voix en monodie, polyphonie ou à l’unisson (avec désaccordage + élargissement stéréo simultanés). Ici, point de DCO ou samples pour générer le son. Dans le monde FM, on utilise des opérateurs (générateurs d’ondes) arrangés en algorithmes (liaisons entre les opérateurs). Les algorithmes sont des sortes d’arbres à plusieurs troncs et branches : à la verticale, les opérateurs se modulent (suivant des ratios de fréquence) ; à l’horizontale, ils s’ajoutent (aux ratios de fréquence définis). Un opérateur peut également s’auto-moduler (feedback).
Le Digitone propose une approche très simplifiée de la FM, qui permet d’aller beaucoup plus vite mais bien moins en profondeur qu’un synthé FM type DX. Il y a 4 opérateurs A-B1-B2-C arrangés en 8 algorithmes (cf. schéma). C est toujours porteur et A modulateur. B1 et B2 partagent les réglages et peuvent être porteurs ou modulateurs suivant l’algorithme. Ceci est vrai pour les ratios, les niveaux et les enveloppes. Ces dernières sont de type DADE ou DASDE (E pour End Level) avec différents modes de redéclenchement ; une remarque importante en FM : sur un opérateur porteur, le niveau et l’enveloppe pilotent le volume, alors que sur un opérateur modulateur, ils pilotent la quantité de modulation que l’opérateur va infliger au porteur, donc le timbre.
Le Digitone ne se contente pas d’ondes sinus pour ses opérateurs, puisqu’on peut en modifier le contenu harmonique en continu, pour passer par des variantes d’ondes carrées, dent de scie ou cloches. Le réglage peut être dirigé soit vers l’opérateur C, soit vers les opérateurs A + B1. Par ailleurs, on peut désaccorder les opérateurs C et B2, intéressant pour créer du contenu inharmonique. Les opérateurs A, B1 et B2 ont chacun un réglage de suivi de clavier (0 à 100%) sur le niveau de sortie (donc de modulation). Chaque algorithme offre deux sorties audio X et Y, dont on peut doser le mélange (balance).
Si la partie génération sonore est confiée à la FM, le Digitone permet des traitements de synthèse ultérieurs plus conventionnels, issus de la synthèse soustractive : un overdrive, un filtre basique, un filtre multimode et un ampli. Le filtre basique est un filtre statique passe-bande 1 pôle type EQ semi-paramétrique dont on peut régler la fréquence de base et la largeur de bande. Plus intéressant, le filtre multimode est résonant et peut fonctionner en modes LP 4 pôles, LP 2 pôles ou HP 2 pôles. La fréquence de coupure peut être modulée par une enveloppe ADSR dédiée (modulation bipolaire) et le suivi de clavier (0–100%). En sortie, la section ampli offre un volume (modulable par la vélocité), un panoramique, une enveloppe ADSR dédiée (libre ou re-déclenchable) et trois niveaux de départ vers les effets (cf. ci-après).
Hormis les enveloppes assignées à des paramètres fixes, on trouve 2 LFO identiques et complets assignables à un des paramètres de synthèse au choix ; ils offrent 7 formes d’onde (triangle, sinus, carrée, dent de scie, exponentielle, rampe et aléatoire), une vitesse multiple/division du tempo (avec valeurs négatives qui inversent le cycle), une quantité de modulation (bipolaire), un fondu (entrée ou sortie), une phase et différents modes de déclenchement (dont un mode libre). Tiens, nous n’avons pas trouvé de portamento, dommage…
Pour en finir sur les modulations, on peut assigner certaines commandes physiques (pitchbend, vélocité, molette, contrôleur de souffle et pression) à quatre destinations simultanées (à choisir parmi les paramètres de synthèse). C’est donc une combinaison intéressante de FM et de synthèse soustractive, bien plus simple à appréhender qu’une synthèse FM façon DX, mais beaucoup moins subtile également. Le mieux, c’est qu’on va pouvoir modifier tous ces paramètres à chaque pas dans les motifs rythmiques !
Effets quasi statiques
Pour traiter les pistes Synthé et les entrées audio, le Digitone est équipé d’une triple section effets. Ils sont placés en parallèle du signal, comme des auxiliaires d’une table de mixage (trois départs pour chaque piste Synthé et trois retours mix, cf. schémas). C’est en mode Master que l’on règle les trois départs des entrées audio vers les effets, ainsi que leurs niveaux et panoramiques (gauche et droite séparément). Il ne s’agit pas d’effets dynamiques assignables à une piste FX comme sur l’AR ou l’A4, où l’on peut moduler tous les paramètres sur chaque pas du séquenceur. Ici, ils sont réglés une fois pour toutes dans chaque Pattern et on ne peut en modifier que les départs, à chaque pas du séquenceur, pour enclencher le délai ici, envoyer la réverbe là… Les effets proprement dits sont des versions simplifiées de ce que l’on trouve sur une AR ou un A4.
Le premier est un chorus, avec réglages de profondeur, vitesse, filtrage passe-haut, largeur, départs vers le délai, départ vers la réverbe et niveau de sortie. Il ne nous a pas plus emballés que les autres fois. Le deuxième est un délai synchronisé au tempo par 128ème de note. Il fonctionne en stéréo ou ping-pong, avec largeur ajustable, feedback, filtrages passe-bas et passe-haut, départ vers la réverbe et niveau de sortie. La réverbe enfin est une simulation de pièce d’excellente qualité, très fluide, y compris sur les temps très longs. On peut en régler le pré-délai, le déclin (taille de pièce), la fréquence du signal réverbéré, le gain, le filtrage passe-bas, le filtrage passe-haut et le niveau final. Une réverbe simple, mais parfaitement maitrisée ! En sortie du module, une overdrive globale finale ajoute de la saturation sur le signal, avec une bonne plage de réglages.
Pistes MIDI
On reproche à l’A4 de ne pas avoir de piste MIDI pour piloter des modules externes. Le Digitone, en revanche, en possède 4, chacune polyphonique 8 notes. Chaque piste peut avoir un canal MIDI différent. Par défaut, ce sont les canaux 5 à 8, les canaux 1 à 4 étant pré-assignés aux pistes Synthé, le canal 9 aux effets et le canal 10 au MIDI automatique (pilotage via un appareil externe de la piste en cours).
Outre les notes (dont nous parlerons plus tard), les réglages se font au sein du Pattern. Tout comme pour les pistes synthé, on peut définir, dans chaque piste, une note de référence, la vélocité, la longueur et les conditions de déclenchement (voir ci-après).
On peut également faire des réglages spécifiques aux pistes MIDI : canal MIDI, numéro de banque MIDI, numéro de programme MIDI et calibrage des contrôleurs envoyés en MIDI (pitchbend, aftertouch, molette de modulation et contrôleur de souffle). On peut également assigner 8 numéros de CC aux encodeurs avec une valeur de départ, pour ensuite envoyer des changements de CC en enregistrement et lecture de Pattern.
L’un des paramètres décrits précédemment peut être modulé en temps réel par un LFO propre à la piste MIDI en cours, qui offre peu ou prou les mêmes réglages que les LFO des pistes Synthé. Bien évidemment, toutes les fonctions des pistes MIDI sont des candidates idéales aux fonctions Parameter Locks (modulations en temps réel) dont nous reparlerons un peu plus tard. On apprécie l’intégration de ces pistes MIDI indépendantes, toutes les machines Elektron devraient en faire de même !
Patterns déchainés
Le Digitone fonctionne en permanence en mode Pattern. Un Pattern comprend 4 pistes Synthé et 4 pistes MIDI ; il mémorise les réglages initiaux des 4 sons des pistes Synthé (paramètres de synthèse détaillés précédemment) et des 4 pistes MIDI (paramètres MIDI décrits précédemment). Un Pattern peut contenir entre 1 et 64 pas (4 sections de 16 pas, accessibles rappelons-le via la touche Page). À noter que le tempo est mémorisé avec chaque Pattern, ce qui n’est pas toujours courant chez Elektron. On peut toutefois commuter sur un tempo global, pour ceux qui veulent rester bien calés toute la soirée. Chaque piste peut avoir sa propre longueur (polymétrie) et sa propre signature temporelle (polyrythmie). En lecture, on peut lancer un Pattern (à l’endroit uniquement), activer/muter une piste (pour un Pattern donné ou pour tous), modifier des paramètres (synthèse, effets), revenir aux valeurs initiales instantanément (sons, séquences des pistes, Patterns). On peut aussi ajouter un peu de Swing. Les séquences sont transposables (pistes individuelles ou Pattern entier) par demi-ton, mais pas directement en utilisant le clavier virtuel intégré ou un clavier MIDI externe, dommage.
Pour l’enregistrement, on trouve les modes pas à pas (avec entrée rapide graphique et micro-timing post enregistrement avec une résolution au 24ème de pas) et temps réel (avec quantification pré/post). Les notes sont entrées avec un mini-clavier formé par les deux rangées de 8 touches (et sa transposition par octave) ou un clavier MIDI/USB externe. On peut même choisir un tempérament de clavier parmi 8 Presets ou entrer des accords prédéfinis (7 types).
Elektron nous a habitués aux fonctions Locks, le Digitone ne déroge pas à la règle. La première, Sound Locks, permet de placer un son différent à chaque pas des pistes Synthé (issu de la mémoire de 128 sons du projet en cours) ; la deuxième, Parameter Locks, permet de modifier, à chaque pas des pistes Synthé ou MIDI, n’importe quel paramètre programmable (72 maximum par Pattern) ; ceci s’enregistre et s’édite en temps réel ou en pas à pas, avec les 8 encodeurs et les sélecteurs de pages de paramètres situés en dessous ; la troisième fonction enfin, Trig Condition, permet de lier le déclenchement de notes à la réalisation ou non-réalisation de fonctions logiques : suivant qu’on a activé la touche Fill (cycle de Fill-in comme sur une BAR), suivant qu’une note a déjà été jouée sur la piste en cours ou la piste voisine, note à jouer uniquement sur le premier cycle du Pattern ou suivant un nombre d’itérations (genre, jouer le pas n°12 une fois toutes les quatre boucles), avec une probabilité à définir (1 à 100%)… Toujours aussi difficile à décrire, mais aussi puissant à l’usage !
Ceux qui aiment laisser jouer tout seul leur séquenceur sans y toucher vont être déçus. Lorsqu’on sélectionne un nouveau Pattern à la main, la bascule se produit à la fin du cycle du Pattern précédent (pas de mode saut ou bascule temporaire comme sur les AR/A4). Plus rageant, il n’existe pas de mode Song. En guise d’ersatz, un simple enchainement de 64 motifs maximum relus en boucle (y compris répétitions), mais qui n’est pas mémorisé, donc perdu dès qu’on change de motif ou qu’on éteint la machine. L’alternative est d’envoyer un changement de programme (donc de Pattern) à partir d’un appareil MIDI/USB externe. Plutôt décevant…
Conclusion
Le Digitone est une alternative très intéressante aux synthés séquenceurs classiques. Il présente la synthèse FM sous un format inédit et une approche un peu plus compréhensible que d’habitude, bien que limitée en nombre de paramètres. Du coup, on sort des sentiers battus, avec des sons typés FM conjugués aux Patterns ultra flexibles signatures de la marque. On ajoute une bonne section filtrage, des effets de qualité et on a en main un module très original, compact, bien construit et abordable sur le plan ergonomique. Nous apprécions la multitimbralité 4 canaux internes, les 4 pistes MIDI supplémentaires, la polyrythmie et la polymétrie. Nous regrettons la polyphonie limitée à 8 voix, l’absence de mode Song, le manque de sorties séparées et l’indisponibilité chronique de l’Overbridge. Nous avons également rencontré quelques bugs dans l’OS 1.02 (freeze à l’allumage notamment) qui ont un peu plombé l’ambiance du moment. Quoi qu’il en soit, pour qui veut ajouter une couleur FM à ses motifs rythmiques, le Digitone n’a pas d’équivalent.
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