Basé sur les oscillateurs numériques et les filtres analogiques conçus par le regretté Chris Huggett, le Mantis est un synthé duophonique turbulent à mémoires qui sort résolument des sentiers battus. Apprécions le britannique héritage…
Après le Malevolent de 2021, testé dans nos colonnes, le Mantis est le deuxième synthé de la jeune marque anglaise PWM, créée par Paul Whittington, un sympathique développeur et musicien passé par M-Audio, Avid, Focusrite et Novation. Sa vocation est de donner du plaisir aux utilisateurs avant tout, dans une petite structure à échelle humaine. Paul était aussi un proche du regretté Chris Huggett, également sujet de Sa Majesté, brillant créateur des marques EDP et OSC, dont les enfants terribles furent les célèbres Wasp et OSCar parmi d’autres créations aussi originales qu’attachantes. C’est lui qui a conçu les oscillateurs mathématiques et les circuits analogiques VCF-VCA intégrés au Mantis. Le synthé marque une rupture avec le Malevolent, un vrai petit teigneux dans son genre, puisqu’il abandonne la conception semi-modulaire au profit des mémoires de programmes et le tout analogique au bénéfice de l’hybride. Voyons ce que Paul et ses amis ont fait de l’héritage de Chris…
En vert et noir
Le Mantis est un synthé compact et trapu, doté d’une façade en métal, d’un dessous en plastique rigide, de flancs en plastique avec inserts métalliques magnétiques sur la coque (donc amovibles et livrés prêts à aimanter). Le synthé mesure 62 × 32 cm et pèse 5,3 kg, c’est très bien pour la scène ou les studios où la place est comptée. Il est doté d’un clavier de 3 octaves à touches standard semi-lestées, sensibles à la vélocité et à la pression. Il est de marque chinoise non définie (mais pas Medeli) et s’avère de très bonne facture. La qualité de construction est d’ailleurs globalement satisfaisante, que ce soit la mécanique, la résistance des potentiomètres ou le sertissage de la connectique (non vissée).
La sérigraphie conjugue le blanc et le vert menthe sur fond noir, parfaitement lisible. La façade est clairement organisée en modules, mais les commandes sont relativement serrées et les potentiomètres assez minces, leur résistance à la rotation étant toutefois suffisante pour éviter les accidents de parcours. On trouve 56 potentiomètres, 8 sélecteurs rotatifs et 62 interrupteurs, ce qui invite à la programmation. Les fonctions Compare/Init/mode Panel (SHIFT + SET PARAMS) sont bien présentes et on trouve 10 niveaux d’annulation d’édition (SHIFT + numéro de programme), bien vu !
La section à gauche du clavier comporte un petit bâton de joie (pitchbend à l’horizontale, modulations en poussant, maintien de note en tirant) et quatre touches de fonction, permettant de transposer (-4 à +3 octaves), activer/désactiver la modulation du pitch, régler la plage de pitchbend, piloter le comportement de l’arpégiateur en mode Duo (une voix arpégée, l’autre jouée) et régler quelques fonctions globales, avec parfois la complicité du clavier et de l’interrupteur secteur (réinitialisation de la NVRAM aux réglages-usine, choix du canal Midi, mode local On/Off). Sur ce point, on attend le manuel de pied ferme pour se mettre en tête ces fonctions et d’autres points de fonctionnement pas triviaux.
La connectique, située à l’arrière droit, est très classique : sortie casque stéréo en jack 6,35 TRS, sorties L/R en jack 6,35 TS, entrée pour pédale continue, entrée pour pédale de maintien, trio Midi DIN, prise USB-C class compliant (Midi, CC/NRPN/Sysex, mise à jour du micrologiciel et alimentation électrique) et borne pour alimentation externe 9VDC bien cheap. Il n’y a donc pas d’entrées CV/Gate (le Mantis n’est pas semi-modulaire) ni d’entrée audio vers les filtres, ce qui est bien dommage vu l’originalité de ceux-ci.
Son distinctif
Le Mantis est capable de sauvegarder ses programmes sonores au sein de 200 mémoires réinscriptibles, dont 100 préprogrammées d’usine, de bonne facture. Qui dit mémoires, dit quantification numérique des commandes. La résolution de la plupart d’entre elles est sur 7 bits (CC), mise à part la fréquence de coupure du VCF qui est codée sur 8 bits (256 valeurs), ce qui limite les effets de saut. Le synthé est capable de transmettre et recevoir des CC/NRPN pour ses commandes. On peut également envoyer le programme en cours via Sysex (et le recevoir en retour), mais pas gérer toute la mémoire à ce stade de la compétition : un point facile, mais indispensable à améliorer.
Le Malevolent se distinguait par un son cash et crade, le Mantis joue dans la même ligue, mais avec son propre grain sale. On est loin des sons propres et conventionnels façon Moog/Sequential/Oberheim, on apprécie cette singularité. Il y a beaucoup moins de souffle du VCA que sur le Malevolent, on ne s’en plaindra pas. On est tout de suite frappé par la bonne patate du synthé, les basses saturées implacables, les leads déchirants, les textures hybrides polyphoniques, les voix sombres, les strings éthérés et les orgues mystiques. On sent que la synthèse ne se borne pas à des ondes basiques cuisinées dans un filtre passe-bas, mais fait appel à des sources plus complexes passées dans des filtres multimodes combinables. Bref, ce n’est pas un synthé pour jeunes mariés, il est teigneux, avec des réglages extrêmes non bridés. Les concepteurs nous poussent à mater la bête et on aime cela ! On applaudit des deux mains PWM d’avoir repris le flambeau du regretté Chris Huggett, qui a su concevoir des circuits numériques et analogiques dans la lignée des Wasp et OSCar.
- Mantis_1audio 01 Talking Filter00:31
- Mantis_1audio 02 Wide Band00:20
- Mantis_1audio 03 Poly Pipes00:29
- Mantis_1audio 04 Res Bass00:22
- Mantis_1audio 05 Sad Strings00:50
- Mantis_1audio 06 Driven Arp00:52
- Mantis_1audio 07 Bowed Duo00:19
- Mantis_1audio 08 Filter Width00:35
- Mantis_1audio 09 Drift Pad00:34
- Mantis_1audio 10 Wide Notch00:35
Oscillateurs mathématiques
Le Mantis est un synthé programmable polyphonique 2 voix, capable de fonctionner dans différents modes : Mono, Duo et Paraphonique 4 voix. En mode Duo, les filtres se limitent à 2 pôles (LP, BP, HP), mais on peut régler la largeur stéréo des voix (elles sont alternées). On peut même combiner les modes Duo et Paraphonique, ce qui permet d’alterner le placement stéréo des 4 voix. C’est très original et ça étend les possibilités sonores. Chaque voix est dotée de deux oscillateurs (accordables par octave et désaccordables), un suboscillateur, un générateur de bruit, un modulateur en anneau, un mélangeur à trois étages, deux VCF combinables, un VCA, deux LFO et deux enveloppes. Les oscillateurs sont produits par un microprocesseur ST, qui se charge également de produire les effets en bout de chaine. Ils offrent les ondes sinus, triangle, dent de scie, impulsion, orgue et une table d’ondes. Les ondes sinus, dent de scie, impulsion et orgue sont générées mathématiquement. Toutes sont variables en continu (pilotable manuellement ou via la matrice de modulation).
Attardons-nous un moment sur cette variation de forme d’onde. Pour l’impulsion, il s’agit d’une impulsion à largeur variable classique. Pour la dent de scie, il s’agit d’une impulsion variable ajoutée à une dent de scie statique. L’évolution continue de l’onde d’orgue fonctionne quant à elle par synthèse additive : au centre, on est sur les rangs harmoniques 1–2–4–8–16-etc (tonalité Shepard). À gauche, on est sur les rangs 1–3–5, puis on ajoute 8–16-etc. (donc point de départ carré, puis ajout d’harmoniques de rang supérieur). À droite, il n’y a pas de fondamentale, mais on ajoute les rangs 3 et 6, donc cela produit les rangs 2–3–4–6–8–16. Cela s’apparente aux tirettes harmoniques d’orgues, rappelant une fonctionnalité de l’OSCar permettant de créer ses propres harmoniques additionnées. La variation de l’onde sinus fonctionne à peu près de la même manière. Pour l’onde triangle, il s’agit d’une table d’ondes et pour la table d’onde, on passe en continu entre 7 ondes numériques variées. Le second oscillateur est identique au premier, à ceci près qu’il s’agit de deux oscillateurs mélangés avec réglage de densité et désaccordage, histoire d’épaissir le son. S’ajoute à cette section décidément généreuse un suboscillateur carré, un générateur de bruit à densité variable allant du crépitement à la houle déchaînée (SHIFT + Noise) et un modulateur en anneau. Il ne manque qu’une synchro d’oscillateur pour être parfait…
VCF teigneux
Le mixeur avant filtrage forme une cascade pour le moins originale : un niveau pour le Suboscillateur, une première balance entre les deux oscillateurs, une deuxième balance entre la première balance et le générateur de bruit et une troisième balance entre la deuxième balance et le modulateur en anneau. On a fait plus simple ! Le signal mixé attaque alors la section VCF, dotée pour chaque voix de deux VCF multimodes résonants combinables via 8 modes en série ou en parallèle : LP/BP/HP 2 pôles, LP/BP/HP 4 pôles, passe-bande étendu et réjection de bande étendu. Lorsque le mode DUO est désactivé, les deux VCF sont combinés et le signal passe par les deux (tous les types de filtres sont disponibles). Lorsque le mode DUO est activé, les VCF sont séparés et quand on joue deux notes ensemble, chaque voix emprunte un VCF. Ces combinaisons constituent une boite à outils fantastique pour sculpter le son, capable de produire des formants de voix, des effets de phase, des réponses type Twin Peaks en plus des filtrages classiques.
On peut régler et moduler la fréquence de coupure, la largeur entre les deux fréquences de coupure et la résonance commune. Une saturation impitoyable peut être injectée avant le VCF, histoire de booster le signal ou le faire décrocher dans d’horribles hurlements. Conjuguée à la résonance ultra prononcée, ça peut faire très mal ! La fréquence de coupure est directement modulable par le suivi de clavier et l’enveloppe 2. En sortie de VCF, on trouve un VCA final, dont la largeur stéréo est réglable en mode DUO, nous en avons déjà parlé. Au plan électronique, cette section VCF-VCA utilise pas moins de 3 VCA SSI2164, des circuits intégrant chacun 4 VCA, ce qui fait 12 VCA combinés au total. Comme il peut y avoir de grandes diversités de niveau sonore à travers cette cascade de VCA, la combinaison SHIFT + OSC Balance permet d’ajuster le volume du Patch.
Effets
La sortie du VCA final est envoyée vers un double processeur d’effets numériques en série, avec niveaux séparés : un chorus stéréo à quatre modes (différentes valeurs de profondeur et de vitesse) suivi d’une réverbe de type Schroeder (filtres All-Pass en série), avec niveau, temps et enclenchement de HPF et LPF sur le signal réverbéré. Les chorus donnent de bons résultats, parfois à la limite du flanger, très éloignés des chorus large bande à la Juno. La réverbe sonne quant à elle un peu comme une réverbe à ressort, métallique et bouclée, bien dans l’esprit du synthé.
Modulations matricielles
Pour moduler les sons, on peut commencer par ajouter plus ou moins de Glide (permanents ou seulement entre les notes liées). Viennent ensuite 2 LFO à 6 formes d’onde (sinus, triangle, dent de scie, rampe, carré, S&H), avec plage de fréquence de 0 à 54,5 Hz, synchro Midi, fondu en entrée ou en sortie et déclenchement du cycle ou cycle libre. La combinaison SHIFT + LFO Sync place le LFO en mode coup unique. On passe aux 2 enveloppes ADSR avec réglage du temps de chute du Sustain (sorte de second Decay), boucle activable, action bipolaire de la vélocité et type de redéclenchement (permanent ou jeu legato). Les temps d’attaque varient de 2 ms à 15 secondes et il y a un bon « clic » sur les segments Attack/Decay si on le souhaite (agréable, pas un « ploc » infâme), ce qui est bien mieux que sur le Malevolent. La première enveloppe est routée vers l’amplitude, la seconde au VCF, mais toutes deux sont réassignables.
Cela se fait via une petite matrice de modulation. Elle permet d’affecter l’une des 6 destinations par 2 signaux multipliés (source x modulateur). Les destinations concernent la fréquence de chaque oscillateur, la variation de forme d’onde de chaque oscillateur, la fréquence de coupure du VCF1 et la largeur entre les fréquences de coupure des deux VCF. Les sources sont les 2 LFO, les 2 enveloppes, le numéro de note et une connexion directe (modulation constante maximale). Les modulateurs sont la vélocité, la pression, l’axe X du bâton de joie, l’axe Y du bâton de joie et une connexion directe. Ce n’est pas une grosse matrice, mais elle permet des évolutions intéressantes avec des choix judicieux de modules.
Arpégiateur
L’arpégiateur dispose de sa propre section de commandes, avec touche Tap Tempo, sélecteur de motif (haut, bas, pendulaire, alterné avec répétition des extrêmes, comme joué, aléatoire), transposition (1 à 6 octaves), réglage du facteur de swing et choix de la division temporelle (1/2 à 1/32 — détection automatique d’horloge via Midi DIN/USB). Le motif en cours peut être maintenu (HOLD = fonction LATCH). Il existe un mode spécial (SET ARP) pour le mode DUO dans lequel l’arpégiateur scinde les deux voix, l’une étant arpégée, l’autre réservée au jeu au clavier, en combinaison avec le bâton de joie. Original, mais pas évident à maitriser, on avait cru à un bogue au départ. Les notes arpégées sont transmises en Midi, un bon point.
Thanks Chris !
Le Mantis est le deuxième synthé de la marque PWM. Il est très différent du Malevolent, grâce à son clavier à touches standard, ses oscillateurs numériques, ses deux VCF multimodes combinables, ses deux voix de polyphonie, ses modes Duo et Paraphonique, son arpégiateur, ses effets, ses mémoires… au détriment de la semi-modularité. Il offre un son tout aussi teigneux, mais dans un registre différent. Le double filtre lui donne un petit côté Syrinx, sa conception dévoile sa filiation à l’OSCar, même s’il ne possède pas la possibilité de créer des ondes additives utilisateur. C’est un synthé taillé pour la performance, que ce soit sur scène ou en studio. Il s’adresse à ceux qui veulent sortir des sentiers battus, faire une pause dès qu’ils le souhaitent et reprendre le chemin plus tard grâce aux mémoires, avec le plaisir de se perdre de temps en temps. Nous félicitons PWM de poursuivre l’aventure sur des voies peu empruntées, tout en faisant honneur à l’héritage de Chris Huggett.