Concocté dans notre douce France, l’EssenceFM est le premier synthé de la toute jeune société Kodamo. Sa mission, nous plonger dans la FM. Mieux, nous la faire aimer !
Réservée au départ aux gros systèmes numériques tels que le Synclavier au milieu des années 70, la FM a été démocratisée par le DX7 en 1983. On parle ici de FM linéaire, ou plutôt modulation de phase, pour ceux qui ont eu affaire aux formules de produits de sinus dans leur tendre enfance. Bref, le DX déferle, avec sa membrane et son unique curseur pour éditer des paramètres cryptiques coincés dans un petit écran 2×16 sans éclairage. Parmi les synthés FM remarquables, notons le TX816, équivalent à 8 DX7 rackés en modules, d’une puissance sonore impressionnante ; ceux qui ont eu la chance d’assister à des démos à l’époque s’en souviennent… Plusieurs synthés lui succèdent, pour aboutir au FS1r, mêlant FM et synthèse à formants de voix, offrant une panoplie encore inégalée.
Quand on y regarde de près, la FM n’a pas disparu de nos très chers synthés : Korg Kronos, Yamaha Montage (hélas sans la partie formants du FS1r), Waldorf Quantum, Kurzweil Forte… Elektron s’y est mis aussi avec le Digitone et le Model:Cycles. Chacun y va de son approche pour tenter d’améliorer l’expérience utilisateur, mais on n’y est pas encore. C’est du côté de la France qu’une jeune société, Kodamo, propulsée par deux trentenaires, a pris le pari de dépoussiérer entièrement cette synthèse encore pleine de surprises. Son premier synthé, l’EssenceFM, lui est entièrement consacré. Contact, moteur…
Format Malin
L’EssenceFM se présente sous format rack 19 pouces 3U très léger et peu profond, avec ses 133 × 483 × 58 mm pour 1,75 kg. De petits supports et une clé Allen sont livrés, permettant de poser le module sous plusieurs angles (les concepteurs nous informent que des supports bois plus rigides seront envoyés aux acquéreurs de la première heure, bravo). La qualité de construction est très soignée, avec des composants de qualité : DAC 24 bits, circuits analogiques isolés, châssis en acier et aluminium, potentiomètres ALPS, encodeurs Bourns, boutons mécaniques Kailh avec rétroéclairage désactivable. La façade est plutôt dépouillée et clairement organisée : 4 sélecteurs de mode (Voice, Patch, Performance, Global), un bel écran capacitif multipoints 7 pouces (400 × 240 pixels, couleurs 16 bits, angle compensé par logiciel), 6 encodeurs lisses contextuels pour l’édition directe des sons, un encodeur cranté de données, 5 paires de boutons d’édition et 2 potentiomètres de volume (niveaux ligne et casque distincts, la classe !). L’interrupteur secteur est situé en façade, tout comme les prises casque (jack 6,35 stéréo) et USB (échanges de données sur clé et détection de certains contrôleurs MIDI hôtes pour pris en compte).
Allez, un petit tour à l’arrière pour voir le reste de la connectique. Elle est entièrement placée sur un panneau en retrait, ce qui permet une parfaite intégration quelle que soit la solution d’installation retenue. On y trouve 4 paires de sorties stéréo TRS vissées au châssis pour l’audio analogique et plusieurs interfaces numériques pour le MIDI (trio DIN, USB et Ethernet RJ45, permettant de créer un réseau TCP/IP pour échanger des données MIDI-RTP). En revanche, pas d’audio numérique ; après vérification auprès des concepteurs, ce n’est pas au programme et c’est bien dommage. L’alimentation 12VDC/2A est externe, de type bloc au milieu avec cordon IEC 3 broches amovible ; nous préférons toujours les alimentations internes, mais la configuration proposée ici reste qualitative.
Fluidité Maîtrisée
La prise en main est très agréable dès l’allumage (instantané), que ce soit la réponse des boutons poussoirs, la fluidité parfaite de l’écran ou la présence de certaines commandes directes bien choisies : Copy/Paste, Undo/Redo (avec 1024 niveaux d’annulation, rien que ça !), Recall/Save, Note et Panic.
Les encodeurs sont très sensibles et ont tendance à déraper un peu quand on les tourne très vite. La touche Note permet de jouer les sons internes suivant une séquence polyphonique éditable (et pas seulement une note, merci). L’écran est le point central de l’EssenceFM, il est décisif pour nous offrir la meilleure expérience possible de la FM. Les choix graphiques peuvent paraître curieux, avec beaucoup de couleurs pastel (l’important c’est le rose, disait la chanson), des fonds structurés… une affaire de goût ; on peut à la marge modifier certains habillages, chacun devrait trouver son bonheur. La résolution de l’écran n’est pas exploitée à son maximum et certains graphismes peuvent paraître grossiers : c’est un choix assumé pour focaliser les ressources sur la rapidité et fluidité de réponse. Et dans ce domaine, c’est un choix judicieux !
Les premiers synthés FM avaient un côté abscons, davantage lié à l’ergonomie qu’à la synthèse elle-même ; les suivants sont restés plutôt obscurs malgré les efforts faits par les constructeurs. Ici, l’interface a été entièrement repensée : dans chaque page d’édition, on trouve des paramètres directement éditables grâce aux 6 encodeurs contextuels de droite. Leur couleur y est repérée dans chaque menu. On peut aussi se focaliser sur un paramètre et l’éditer avec l’encodeur principal ou les touches incrément/décrémentation, selon la précision souhaitée. Mais la plupart du temps, l’édition se fait à l’écran tactile, avec des gestes intuitifs : sélectionner, cocher, dérouler, tirer, glisser-déposer. Les outils de communication sont clairs : bouton de choix, cases à cocher, boite de dialogue, onglets, radios, listes déroulantes, clavier alphanumérique virtuel, clavier chromatique virtuel à zone dynamique, graphiques éditables (formes d’ondes, algorithmes, enveloppes). Dès que c’est utile, l’interface précise les interactions des différents composants sonores : quelles Voice utilisent telle forme d’onde, quels Patch utilisent telle Voice, donc quelles conséquences en chaine peuvent avoir nos éditions. Bien vu ! Un bémol à ce beau tableau, que l’on retrouve encore assez souvent : certains paramètres ne sont pas mis à jour en temps réel, il faut rejouer les notes pour entendre le résultat. Les concepteurs ont déjà pris en compte nos remarques et amélioré les choses (OS 1.4–1.5–1.6 testés), on en veut encore !
Flash Mémoire
L’EssenceFM est un synthé FM polyphonique 300 voix et multitimbral 16 canaux. C’est simple, on ne connait pas de synthé FM plus puissant actuellement. Il est organisé en trois niveaux hiérarchiques : Voice, Patch, Performance et Global. Une Voice est constituée de 6 opérateurs FM, comme dans un programme de DX7. On peut ensuite arranger jusqu’à 128 couches de Voice au sein d’un Patch. Enfin, on peut assembler 16 Patch au sein d’une Performance, le mode le plus puissant de l’EssenceFM. Impressionnant ! Au cœur de la fournaise, un moteur audio 32 bits à virgule flottante / 48 kHz, alimentant un DAC 24 bits / 48 kHz avec une latence inférieure à 2 ms. Combien de temps faut-il pour mettre en action toute cette puissance ? Deux secondes ! Question mémoires, on trouve 3 328 Voice, 3 328 Patch et 256 Performance internes, avec classement par banque et par catégorie.
L’EssenceFM est livré avec 500 Voice, 400 Patch et quelques trop rares Performance, très typés FM 80’s. Les concepteurs se sont même amusés à recréer une Performance GM en FM. La machine gagnera à fédérer une communauté de musiciens programmeurs pour explorer différentes sensibilités musicales. Et elle en a sous le capot pour tous les goûts, ce que nous avons tenté de présenter dans nos exemples sonores, avec la complicité de l’ami CO5MA. On apprécie d’emblée la dynamique et la qualité audio. Aucun bruit de fond, pas d’aliasing insupportable, bienvenue en 2020 ! On aime aussi les impressionnants empilages sonores, genre orchestres synthétiques abyssaux ou sections de cuivres gargantuesques, que seul le TX816 était capable d’envoyer avec ses 128 voix / 8 canaux multitimbraux. Là, il est sévèrement bousculé dans les cordes ! La FM est aussi capable de textures évolutives type ambiant, de bruitages improbables et de percussions en tout genre. On voit tout de suite l’intérêt des 128 couches par Patch et des sorties séparées, vivent les kits de percussions FM ! Il est aussi possible d’importer des programmes et banques de DX7 par Sysex avec une clé USB. La transcription des algorithmes, niveaux et fréquences fonctionne bien ; il faut en revanche retoucher les enveloppes, LFO, feedback et Key Scaling.
- Essence FM_1audio 01 SW Butt00:40
- Essence FM_1audio 02 Brass Section00:37
- Essence FM_1audio 03 Bouncing Bells00:44
- Essence FM_1audio 04 Rock Organ00:26
- Essence FM_1audio 05 Phased Pad00:33
- Essence FM_1audio 06 Meli Mello00:27
- Essence FM_1audio 07 Exodus Time01:10
- Essence FM_1audio 08 Moonlight Woodwinds00:39
- Essence FM_1audio 09 OB FM00:19
- Essence FM_1audio 10 Drum Kit01:24
- Essence FM_1audio 11 Fresh Air01:02
- Essence FM_1audio 12 FM Choir00:29
- Essence FM_1audio CO5MA 01 Weird Loop (1 voice)00:07
- Essence FM_1audio CO5MA 02 Weird Loop (1 voice no interpolation)00:07
- Essence FM_1audio CO5MA 03 Genesis Loop00:21
- Essence FM_1audio CO5MA 04 Genesis Loop (FX)00:23
- Essence FM_1audio CO5MA 05 Secret of Lana (1 patch de 4 voices + FM drums)00:42
- Essence FM_1audio CO5MA 06 Oliaz (patch of 3 voices)00:27
- Essence FM_1audio CO5MA 07 Veridisko (1 voice FX)00:22
- Essence FM_1audio CO5MA 08 Dejavu (patch of 4 voices plus external fx)00:46
- Essence FM_1audio CO5MA 09 Weird Loop II (1 voice plus external delay)00:24
Fréquences Modulées
L’élément sonore de base est la Voice. En mode Voice, on peut soit éditer une Voice existante (sélection dans une liste de 3 328 mémoires avec classement par numéro ou catégorie, échange de voix, recherche par mot clé), soit partir de zéro (Clear). La première page de l’éditeur de Voice affiche le nombre de Patches utilisant la Voice en cours, un bouton permet d’appeler immédiatement la liste, puisque tout changement dans cette Voice affectera lesdits Patchs. Dans cette même page, on peut aussi régler la quantité de pitchbend, le volume, le mode mono, le portamento (mono uniquement), le panoramique et les effets (nous y reviendrons plus tard).
Pour entrer dans les paramètres FM, on appuie sur Edit. On arrive alors dans une page affichant l’algorithme FM à gauche et des onglets d’édition à droite. Une voix est constituée d’un algorithme FM 6 opérateurs qui s’additionnent (à l’horizontale) ou se modulent (à la verticale). Le premier opérateur peut être modulé par n’importe quel autre opérateur y compris lui-même (feedback). La grande force de l’EssenceFM, c’est de permettre de composer des algorithmes à sa guise, par glisser-déposer ou liaison d’opérateurs. Petite contrainte, seul l’un des opérateurs peut recevoir plus de deux modulations simultanées (ce n’est pas du tout contraignant dans la pratique). On peut facilement désactiver/isoler un opérateur, bien vu. Pour ne pas partir de zéro, l’EssenceFM propose une bibliothèque de 32 algorithmes, ceux du DX7. Les adeptes des jeux de hasard pourront également tenter de lancer les dés du bouton de création aléatoire.
Lorsqu’aucun opérateur n’est sélectionné, on accède aux paramètres de Voice : base (volume, transposition, accordage fin, gamme microtonale parmi 32 tempéraments programmables, catégorie, bibliothèque d’algorithmes), LFO, filtre, matrice de modulation et panoramique. Nous reviendrons plus tard sur les réglages de modulation, concentrons-nous sur le filtre. Il est de type passe-bas résonant. On peut régler la balance signal sec/traité (inhabituel mais utile), l’enveloppe de fréquence de coupure (6 points, la fréquence initiale étant déterminée par le premier point) et la résonance. Ce filtre fonctionne plutôt bien, tant qu’on n’exagère pas la résonance, surtout sur des sons chargés en mediums où elle devient criarde. L’onglet panoramique permet de régler une enveloppe dédiée, sympa d’avoir cela sous la main.
Dès qu’on sélectionne un opérateur à l’écran, on active des onglets spécifiques. Comme l’algorithme est toujours visible, on peut passer directement d’un opérateur à l’autre pour régler un même paramètre. C’est très utile en synthèse FM où on est souvent en train de tester/comparer/annuler. Sur ce point, l’EssenceFM s’élève au-dessus de tous les synthés FM jusqu’alors imaginés, il change la vie. Les paramètres d’opérateur concernent la forme d’onde (24 types, voir encadré), le décalage de phase (avec fonction aléatoire), le volume, l’opérateur source de feedback (pour l’OP1 uniquement), la quantité de feedback (idem), le mode FM (multiple ou fixe), les réglages de fréquence (par multiple et quart de ton si le mode FM est multiple ; en Hz si le mode FM est fixe). On trouve aussi des onglets pour les enveloppes de volume et de fréquence (nous y reviendrons), la réponse du volume à la vélocité (bipolaire), l’action du LFO sur le volume, l’action du LFO sur la fréquence et la courbe de suivi de clavier sur le volume de l’opérateur (3 points de réglage). Une fois la Voice construite, on peut créer un Patch associé en un coup de doigt, bien vu !
Festival Matriciel
L’EssenceFM propose un seul LFO par Voice. On choisit la forme d’onde parmi les 24 disponibles (les mêmes que pour les opérateurs FM), sa déformation (12 réglages), sa vitesse (limitée au sub-audio, avec possibilité de synchronisation MIDI), son délai, son temps d’attaque et sa phase (commune ou non à toutes les voix, fixe ou aléatoire). Le LFO peut directement agir sur le volume et la fréquence de chaque opérateur. Le reste des routages se fait via la matrice de modulation (voir ci-après). On aurait bien aimé un second LFO… Passons aux enveloppes, beaucoup plus nombreuses, puisqu’il y en a 14 par Voice : deux par opérateur (volume et fréquence), une sur la fréquence du filtre et une sur le panoramique. Leur réglage se fait avec l’écran tactile par glisser-déposer (niveau à la verticale et temps à horizontale – de 0,5 vms à 29 s), avec zoom ajustable par écartement/pincement de doigts, ajout/suppression de points, recentrage, choix du point de Sustain, bornes de bouclage et courbe de réponse globale (linéaire ou exponentielle). Lorsque l’enveloppe évolue, on suit la modulation en direct grâce à un curseur qui se déplace sur la courbe, vraiment sympa. On peut aussi éditer les points avec les encodeurs de droite (niveau avec la molette centrale et temps avec les encodeurs contextuels). L’échelle de temps est logarithmique, ce qui offre un ajustement automatique de la fenêtre très efficace lors de l’édition des segments.
Pour chaque Voice, une matrice de modulation permet de relier 138 sources à 228 destinations à concurrence de 8 cordons. Parmi les sources, citons le numéro de note, la vélocité d’enfoncement, la vélocité de relâchement, la pression par canal, l’aftertouch polyphonique, le pitchbend, le LFO, le nombre de notes jouées, un générateur aléatoire, l’une des 14 enveloppes et l’un des nombreux CC disponibles (avec apprentissage MIDI pour router facilement une commande ou un contrôleur). Parmi les destinations, on trouve à peu près tous les paramètres de Voice (globale) et d’opérateurs (individuels), dont ceux de volumes, de fréquences, de filtre, d’enveloppes, de LFO, de panoramique, de feedback, de forme d’onde et de phase. Chaque cordon de modulation compte un réglage de quantité (bipolaire) et de ratio (proportionnalité jusqu’à 400%) de modulation, original.
Full Multi
Un Patch peut contenir jusqu’à 128 couches de Voice et les réglages d’effets. Les Voice mémorisées sont accessibles par liste déroulante (chargement par numéro/catégorie, échange, suppression, recherche par nom).
Une couche comprend la référence de la Voice (banque et numéro), sa tessiture (avec apprentissage MIDI), sa fenêtre de vélocité, son volume, son panoramique, sa transposition (avec possibilité de figer la hauteur sur tout le clavier), son accordage fin et son groupe exclusif (les couches d’un même groupe se coupent mutuellement). On peut même alterner certaines couches à chaque note jouée (Round Robin à 32 positions). Mieux, il existe un très original séquenceur d’évènements, permettant de créer des sons évolutifs ou des motifs rythmiques. Chaque couche est assignée à une piste sur laquelle on positionne des notes ou des permutations, sous forme de grille. Si c’est une note, la couche correspondante est jouée avec un décalage et une durée définie. Si c’est une permutation, les paramètres FM de la couche sont échangés avec une autre couche au choix. On dispose d’une grille de 128 pas sur laquelle on peut entrer un maximum de 128 événements. Il est possible de quantifier les évènements, régler le tempo (horloge interne ou MIDI) et boucler la séquence. Surtout, en abuser !
Une Performance peut à son tour regrouper jusqu’à 16 Patch, pour créer des empilages dynamiques monstrueux ou jouer sur plusieurs canaux MIDI. Les réglages d’effets sont spécifiques à la Performance et partagés par les 16 parties (nous y reviendrons). Pour chaque partie, on peut régler la référence du Patch (banque/numéro), l’état de jeu (activation/coupure/solo), le canal MIDI (sans restriction, plusieurs Patch pouvant répondre au même canal, utile pour les empilages ou le MPE), la quantité de pitchbend, le volume global, le panoramique, le mode de voix (mono/poly), le temps de portamento, la sortie stéréo, le niveau de signal direct, la quantité de départs vers les deux effets et l’assignation des 6 encodeurs de droite à des CC MIDI pour le pilotage en temps réel. Pour chaque encodeur, on définit le CC et le canal de son choix ; nous avons suggéré aux concepteurs de pousser le concept à des fonctions macro (multi destinations / multi canal pour chaque encodeur). L’une des grandes forces de l’EssenceFM, c’est de pouvoir éditer un Patch dans son contexte de Performance, tout comme une Voice dans son contexte de Patch, tout cela en cascade. C’est, encore une fois, vraiment bien pensé !
FX Mini
L’EssenceFM propose deux processeurs d’effets et deux seuls, disponibles dans tous les modes de jeu. Ils sont cependant uniquement stockés au niveau du Patch ou de la Performance ; en mode Voice, on peut faire router le son vers les effets, mais on ne pourra pas les sauvegarder (ou alors on appuie sur le bouton magique pour créer un Patch à partir de notre Voice pour y stocker les effets). Chaque Patch peut être routé vers chacun des deux effets, que ce soit en mode Patch (un seul canal) ou Performance (16 canaux). Chaque sortie d’effet peut à son tour être envoyée vers l’une des paires de sorties audio. Le premier effet peut être routé vers le second, avec possibilité de couper son routage vers les sorties audio. C’est très souple pour comparer plusieurs routages en multipistes.
Chaque processeur d’effet peut charger l’un des 20 algorithmes stéréo disponibles : réverbération (différents espaces et pièces), délai, chorus, distorsion (différents modèles), réduction de bit, modulation en anneau, phaser, haut-parleur tournant, EQ, auto-wahwah et décalage de phase. Il y a très peu de réglages (entre 2 et 5) et on ne peut rien moduler en temps réel, ce qui n’en fait pas le multieffets le plus costaud du marché. De même, certains algorithmes de réverbe sont des déclinaisons d’un même effet de base, car il n’est pas possible d’en régler les temps. Les réverbes sont honnêtes, surtout après un chorus qui les réchauffe, mais le délai trop court, d’un seul type et non synchronisable au tempo (des améliorations sont déjà à l’étude). Le chorus élargit bien l’espace, avec ses canaux séparés. Les différentes distorsions font des merveilles. L’ensemble est bien adapté à la synthèse FM. Une section qui mériterait encore un petit boost.
Fin Mot
Pour un coup d’essai, l’EssenceFM est un coup de maitre. Le synthé respire l’intelligence à tout point de vue : interface, puissance, son. Il dépasse de loin toutes nos espérances et repousse le TX816 à l’âge de pierre. La liste des qualités est longue et les péchés de jeunesse sont corrigés au fur et à mesure par les concepteurs, très à l’écoute et réactifs. Ils concernent surtout l’édition temps réel non prise en compte sur certains paramètres, l’unique LFO et les effets à muscler. En revanche, il n’est pas prévu d’audio via USB. En dehors des stations de travail, les synthés à base de FM ne courent pas les rues, encore moins ceux entièrement dédiés. Les musiciens qui apprécient cette synthèse singulière savent à quel point on peut en tirer des merveilles. Repoussant les limites connues en apportant une interface, une puissance et une ouverture inédites, l’EssenceFM sera un solide allié à leur créativité. Pour tous les autres, sceptiques, insensibles ou réfractaires, l’EssenceFM viendra combler un territoire sonore jusqu’alors inaccessible, avec un côté original, ludique et gratifiant. Bravo Kodamo, vous repartez avec un Award Audiofanzine Innovation 2020 dans le réservoir !
Interview de Stéphane Damo et Masami Komuro, concepteurs de l’EssenceFM
Quel sont vos parcours respectifs ?
SD : J’ai commencé la musique de façon assez atypique, avec les jeux vidéo. J’aimais beaucoup les sons de la Megadrive quand j’étais petit, et ma première vraie claque musicale fut la bande son de Final Fantasy 7 composée par Nobuo Uematsu. Voulant faire comme les grands, j’ai commencé vers 14 ans à composer sur ordinateur et j’ai très vite accroché aux trackers ( ModPlug Tracker sous Windows !). Je n’avais pas de connaissances musicales donc c’était un processus de découverte assez rigolo. Plus tard je m’oriente sur des études en informatique et trouve du travail, tout en faisant de la musique en loisir. Je suis passé par différentes phases ou j’étais plutôt sur la composition, l’impro, le répertoire classique (à la flûte traversière !) ou la fabrication d’instruments… Je changeais souvent d’idée.
Vu que j’étais développeur je m’amusais aussi à faire des « générateurs de son », souvent en synthèse FM. J’ai eu envie de pousser l’un d’eux un peu plus loin, ce qui a donné FM Composer, un logiciel qui combine un tracker avec un moteur FM. C’était sans le savoir à l’époque, une transition vers des projets de plus en plus inscrits sur la durée.
MK : J’ai commencé la musique à l’âge de trois ans environ, par le piano classique, puis jazz. À l’adolescence j’étais déjà très intéressé par les synthétiseurs et le fait de pouvoir enregistrer de la musique seul chez soi. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à m’équiper avec des instruments et du matériel de home-studio (très rudimentaire : Yamaha TX802, RX7, Atari ST, etc.).
C’est comme ça que j’ai mis le doigt dans l’engrenage, j’ai acquis de plus en plus de matériel pour diversifier ma palette sonore. J’ai continué dans cette voie sans m’arrêter depuis lors. Je travaille à présent principalement dans la composition de musique à l’image, et pour le jeu vidéo, mais pas seulement. Dans ce cadre-là, j’aime beaucoup mélanger les sonorités électroniques (qui proviennent uniquement de synthétiseurs hardware) et acoustiques ethniques (voix humaines, percussions diverses, objets, etc.). En parallèle, j’ai une grande passion pour l’électronique et la conception d’objets interactifs.
Comment le projet est-il né ?
SD : Masami et moi nous sommes rencontrés par hasard lors d’un salon dédié aux jeux vidéo. Une anecdote assez amusante nous a immédiatement rapprochés : on s’était en réalité écrit 10 ans auparavant, sur un forum de compositeurs, ignorant tout l’un de l’autre.
On discutait ensemble de FM Composer et lui, en grand fan de synthétiseurs hardware, était un peu déçu que ce ne soit « qu’un logiciel ». Sur le ton de la blague on s’est dit « Et si on en faisait une version hardware ? ». J’étais un peu sceptique. Un générateur de son hardware, en 2018 ?
Mais c’était un nouveau projet très fun alors j’ai commencé à bricoler avec des cartes électroniques, juste pour voir si j’arrivais à allumer un écran et générer une sinusoïde. Les débuts étaient assez frustrants mais il y avait rapidement un résultat, je me souviens de cette joie lorsque la première note commandée par MIDI est sortie !
Avec Masami on discutait souvent des améliorations et je ne pouvais pas m’empêcher d’ajouter chaque idée qu’il avait. Certaines m’ont valu bien des migraines. C’est comme ça qu’on est passé d’un simple « bricolage » à ce qui ressemblait de plus en plus à un synthétiseur.
Le projet était donc né, mais pas encore officialisé. L’élément déclencheur fut le SynthFest France, salon du synthétiseur qui se déroule à Nantes chaque année. C’est ce qui nous a poussés à préparer un prototype, donner un nom à la machine qui ne s’appelait pas encore EssenceFM, et c’était aussi l’occasion de voir comment il allait être reçu par le public.
Les retours ont étés très positifs, à tel point que j’ai pris la décision de quitter mon travail pour me dédier à ce projet. La création de l’entreprise Kodamo s’ensuivit, au courant de l’été 2019.
MK : Je pense que Stéphane a tout dit, l’idée est vraiment partie d’un coup de tête, d’un défi, mais également de l’amour de la FM, puisque c’est la première synthèse que j’ai vraiment expérimentée avec le TX802. Petite anecdote : le nom de la machine a été l’un des éléments les plus difficiles à trouver !
En quoi l’EssenceFM est-il unique ?
SD : C’est le seul synthé FM qui est à la fois ultra puissant et ultra simple à prendre en main. Il est possible que vous n’ayez même pas besoin d’ouvrir la notice. On a essayé de rendre un maximum de choses visuelles pour ne jamais avoir cette sensation « d’édition à l’aveugle », souvent présente sur les synthés hardware qui n’ont pas les grands écrans dont bénéficient les VST et autre softs. Je le vois comme un synthé à deux niveaux de lecture : les débutants pourront faire des sons rapidement de façon assez ludique, et les expérimentés ne seront pas en reste avec la matrice de modulation et autres fonctionnalités avancées.
MK : En effet, c’est une machine qui est, je dirais, orientée plutôt musicien qu’informaticien… On voulait que l’utilisateur pense davantage au son qu’il souhaitait créer, sans que la technique soit un obstacle à son imagination.
Comment le développement s’est-il passé ?
SD : Le développement a été relativement chaotique, c’est un mélange incroyable de travail acharné et de hasard des rencontres. À de nombreuses reprises cela semblait impossible. Et je ne parle que de la conception, l’aspect production qui consiste à trouver les bons fournisseurs et arriver à faire produire ses pièces sur-mesure est une aventure en soi. Mon rôle a été assez polyvalent, il fallait porter le projet et tout ce qu’il implique : logiciel, hardware, interface, sound design, achat de matériel, communication… En plus de l’aide de Masami, Klairzaki Fil-Xter a proposé d’égayer l’interface avec ses icônes. J’ai aussi reçu de l’aide de nombreuses personnes anonymes, freelances et quelqu’un dont je ne peux citer le nom mais que je remercie infiniment pour son aide technique.
MK : En ce qui me concerne, j’ai au départ travaillé sur les concepts abstraits (organisation de la machine, imbrication logique des fonctions), ainsi que sur l’aspect électronique pur (étages de sortie), et bien sûr une grande partie du manuel utilisateur… Mais au fur et à mesure que le projet avançait, les « cases » se diluaient un peu, et chacun d’entre nous a travaillé sur un peu tous les aspects, en fonction du temps qu’il pouvait y consacrer.
Quelles ont été les principales difficultés ?
SD : La principale difficulté était de concevoir un synthétiseur aussi ambitieux, avec le niveau de fiabilité et de finition que l’on attend d’un appareil professionnel. Avec si peu de ressources, humaines comme financières, c’était compliqué. On doit tout faire par soi-même. On l’oublie souvent mais beaucoup de produits sont faits soit par des géants déjà implantés depuis des dizaines d’années, soit par des startups qui lèvent des millions d’euros grâce à des investisseurs, qui ensuite récupèrent le butin et disparaissent. Ici c’est différent, Kodamo est une entreprise totalement indépendante démarrée sur mes économies. C’est donc difficile au début, mais si on passe cette étape critique où le premier produit réussit ou échoue, la suite peut être très prometteuse et viable sur le long terme.
Sinon au niveau des difficultés propres au synthétiseur, il y en a eu beaucoup. Les premières versions du moteur n’en pouvaient déjà plus à 70 voix de polyphonie ! Il n’y avait qu’une sortie stéréo. Pas de séquenceur non plus. Toutes ces fonctionnalités et améliorations qui ont été développées jusqu’à sa sortie en avril 2020 ont demandé beaucoup d’efforts. Ce que je peux garantir, c’est que l’EssenceFM bénéficie d’un niveau d’optimisation rare. Littéralement, toutes les techniques possibles ont été exploitées pour tirer le meilleur du hardware.
Le secret, c’est du café et des nuits blanches !
MK : L’une des difficultés pour moi a été de savoir conserver les idées essentielles, en mettant de côté d’autres fonctionnalités. Il m’a également fallu me mettre à la place de l’utilisateur lambda, qui ne travaille pas comme moi, qui n’a pas les mêmes goûts, et lui proposer des fonctions qui, par exemple, m’auraient semblé inutiles si j’avais acheté cette machine-là… des fonctions qui, pour autant, sont très utilisées par mes collègues musiciens.
Quels sont vos points de satisfaction ?
SD : Avoir réussi à aller jusqu’au bout pour proposer ce synthétiseur à de nombreux passionnés. Il est en quelque sorte notre hommage à la synthèse FM. Pour moi c’est l’une des synthèses les plus amusantes, qui réserve encore des surprises même après des années d’exploration. Et la plus grande satisfaction se déroule en ce moment même, quand vous avez des utilisateurs ravis qui créent des sons incroyables avec votre machine.
MK : Avoir concrétisé une idée un peu folle, mais aujourd’hui bien réelle, et essentiellement, percevoir la satisfaction d’autres musiciens, entendre leurs idées.
Combien d’unités avez-vous planifiées ? Déjà construites ?
SD : On a tout ce qu’il faut pour produire 150 EssenceFM. C’était le minimum viable pour faire fabriquer des pièces sur-mesure. Une cinquantaine sont déjà chez leurs nouveaux propriétaires !
Quels sont les retours des premiers utilisateurs ?
SD : Extrêmement positifs. Certains n’en reviennent toujours pas d’avoir un appareil aussi réactif avec autant de possibilités facilement accessibles sous les doigts. La FM avait vraiment besoin d’un rafraîchissement.
MK : Un étonnement devant l’accessibilité de la machine, la simplicité qu’ils ont de faire de la FM qu’ils croyaient être impossible à programmer auparavant.
Quelles améliorations notables avez-vous déjà en tête ?
SD : On travaille déjà sur de petites améliorations cosmétiques. Également beaucoup d’ajouts de fonctionnalités comme la synchro des LFO, la lecture de fichiers MIDI, l’import de banques DX7 complètes… La liste est longue si on compte aussi les améliorations ergonomiques. Tout ceci sera intégré au prochain firmware, téléchargeable sur notre site.
MK : Quelques idées viennent lors de l’utilisation de l’instrument au quotidien. On se concerte avec Stéphane pour voir si ces idées sont pertinentes, et on les croise avec les retours et doléances des premiers utilisateurs. Le développement ne s’arrête pas lorsque les premières unités sont expédiées !
Vos projets pour l’avenir ?
SD : Développer Kodamo et continuer la production et le support de l’EssenceFM. On réfléchit à un deuxième produit, mais ce n’est pas pour tout de suite. Faites-nous part de vos souhaits, on reste à l’écoute !
MK : Ne pas s’arrêter là, faire vivre ce produit, et en imaginer de nouveaux !