La réverbe de FabFilter est enfin là et vu la réputation d’excellence de l’éditeur hollandais, elle pourrait bien être un de ces produits de rupture qui remettent les pendules de la concurrence à l’heure. Il n’y a plus qu’à pousser le potard sur Wet pour le savoir…
Dire que la réverbe de FabFilter était attendue est un euphémisme car, sans qu’elle n’ait jamais été annoncée, elle était à l’évidence l’effet qui manquait le plus au catalogue de l’éditeur hollandais pour qu’il soit complet. Quand on connaît en outre le soin apporté par FabFilter à ses réalisations, tant sur les plans ergonomiques et fonctionnels qu’au niveau du son, il va sans dire que l’arrivée de cette Pro-R est un événement dans le petit monde des réverbes logicielles, où elle aura fort à faire pour se faire un trou tant la concurrence y est acharnée.
Sans même parler des excellents processeurs à convolution émanant d’AudioEase, Liquidsonics, Waves, Melda, HOFA, Vienna, Voxengo ou encore SIR, on dispose sur le marché de la réverbe algorithmique de très nombreux éditeurs proposant des produits de haute volée : Lexicon et Eventide bien sûr, mais aussi Overloud, Exponential Audio, Flux, UVI, Waves, IK Multimedia, Melda, Sonnox, Arts Acoustic, Universal Audio, 2CAudio, Softube, Wave Arts, ReLab, Native Instruments, eaReckon, Brainworx, 112dB, PSP… Et c’est sans compter Valhalla DSP qui a fait exploser l’entrée de gamme en proposant à 50$ des plug-ins absolument stupéfiants, ou encore les éditeurs de STAN qui proposent avec leurs logiciels des réverbes de bien meilleure facture que par le passé.
Bref, pour se positionner sur ce marché saturé, des algos de qualité ne suffisent pas : il faut soit emmener la réverbe sur d’autres terrains comme l’ont fait 2CAudio, Overloud ou encore Zynaptiq, soit proposer une ergonomie qui simplifie le réglage de l’effet. Car, c’est un fait : de tous les traitements qu’on utilise en production musicale, la réverbe est indubitablement le plus complexe à maîtriser et à paramétrer, donnant souvent lieu à des usines à gaz qui demandent un doctorat en traitement du signal dès lors qu’on veut s’aventurer hors des presets fournis. C’est donc sur ces points qu’est attendue la Pro-R, qui devra nous prouver qu’elle n’est pas une réverbe de plus.
R comme Réverbe
Le nom du plug-in ne surprendra pas les habitués de FabFilter, pas plus que son interface. On retrouve en effet le design épuré et léché qui a fait le succès de la marque, avec une belle place laissée à la visualisation où s’ébattent des courbes parfaitement lissées, flanquées de quelques boutons bien hiérarchisés. C’est d’ailleurs de ce « quelques » que vient la première bonne nouvelle de cette Pro-R : Fabfilter a réussi en effet à se limiter à sept boutons pour les contrôles de son effet, assistés de deux courbes que nous allons détailler par la suite. Nous voici rassurés : on ne se retrouvera pas comme chez Lexicon, Overloud ou encore 2CAudio avec des pages de paramètres abscons pour régler la bête, d’autant que les noms de ces derniers sont assez parlants pour ne pas avoir à garder le manuel sur les genoux.
Commençons par le plus important d’entre eux, comme le montre sa taille : Space. Ce dernier détermine la taille de la pièce que vous allez simuler, adaptant à la fois le temps de déclin de la réverbe (de 200 ms à 10 secondes) comme l’algo utilisé car, contrairement aux réverbes plus classiques, la Pro-R ne vous propose pas de choisir entre des programmes bien définis (Ambience, Room, Chamber, Hall, etc.). Et même si ce système a été retenu par bien d’autres développeurs avant FabFilter (eaReckon, 112dB, Valhalla DSP, etc.), force est de constater que c’est un choix pertinent qui nous change des grosses Bertha où il faut raisonner en termes d’algo avant de penser à la notion beaucoup plus intuitive de pièce.
Fonctionnant de concert avec Space, Decay Rate permet de diminuer de moitié ou de doubler le temps de déclin défini par Space (du coup, si vous comptez bien, on peut donc avoir un temps de déclin allant de 100 ms à… 20 secondes, soit le modèle de Cathédrale de stade dans le canyon !). Les autres paramètres sont tout aussi évidents : outre Mix qui permet de définir le dosage entre signaux traité et non traité, Brightness permet de jouer sur la façon dont la pièce va globalement absorber les graves et les aigus, Character introduit des modulations dans l’effet, ce qui permet de passer d’une réverbe statique à un mouvement que Fabfilter décrit comme proche du chorus (on en est tout de même loin, disons qu’on a une grosse modulation des réverbérations générées mais pas du signal) et Distance de définir la proximité de la source audio par rapport à l’auditeur. Nous reste Stereo Width qui, comme son nom l’indique, fera passer l’effet du Mono à 0% vers le True Stéréo à 50%, puis à du Dual Mono à 100% pour enfin atteindre dans les 20 derniers % qui restent (le potard va jusqu’à 120 %) un mode malin où la réverbe passe en mode M/S et où le Side est amplifié. L’intérêt : offrir une image stéréo bien large tout en préservant la compatibilité mono. C’est très bien vu.
Le huitième passager
7 potards pour tout régler ? Pas tout à fait si l’on considère qu’en marge de ces paramètres qui définiront les grandes lignes de votre pièce, le potard de Predelay se cache dans le bas de l’interface, ce qui est assez étrange. Vu sa grande importance (c’est lui qui définit le temps qui s’écoule entre la source et les premières réflexions, ce qui contribue à la sensation d’espace), on l’aurait plutôt vu dans le bandeau supérieur avec ses petits copains tandis que Mix, qui est plus accessoire (il ne servira qu’en Insert), aurait plus eu sa place au bas de l’interface, aux côtés des réglages des niveaux d’entrée et de sortie. C’est d’autant plus dommage que ce Predelay est très bien pensé, offrant un réglage en ms (jusqu’à 500 ms) ou en division rythmique par rapport au tempo de l’hôte (de la noire jusqu’à la triple croche), ce que personnellement, je ne me souviens pas d’avoir vu dans une réverbe et peut s’avérer d’une redoutable efficacité pour ne pas noyer un élément dans l’effet. Bref, c’est malin et pratique. Mais pourquoi diable l’avoir mis là ? J’ai beau retourner le problème dans tous les sens, je ne comprends pas…
Reste à aborder les deux derniers grands outils mis à notre disposition : Decay Rate EQ et Post EQ.
Réverbe à spectre
Comme son nom l’indique, Post EQ est un égaliseur de 6 bandes placé en bout de chaîne qui vous dispensera de devoir utiliser un plug-in dédié comme on a souvent besoin de le faire pour les besoins du mixage. Reprenant les fonctions basiques comme l’ergonomie d’un Pro-Q, il est couplé à un système de compensation de gain qui vous permet de tweaker votre EQ sans que cela change le niveau de la réverbe : merci d’y avoir pensé. C’est aussi à ce genre de petits détails qu’on reconnaît FabFilter.
Mais face à cet EQ somme toute assez conventionnel, l’originalité vient plus de Decay Rate EQ qui permet de définir librement la façon dont se comporte votre pièce sur toute l’étendue du spectre. Si en effet dans la plupart des réverbes évoluées ce genre de réglage se limite à un système de gestion du bas et des aigus avec un crossover, c’est à notre connaissance la première fois qu’on peut réellement personnaliser la courbe de réponse en fréquences de la pièce avec autant de précision. Grâce à ses 6 bandes, cet EQ permet ainsi de simuler des résonances particulières comme des trous dus aux annulations de phase, mais il offre en outre un moyen simple de faire des réverbes très complexes : on peut ainsi mettre l’accent sur le timbre de la caisse claire plutôt que sur sa frappe, ou l’inverse. Par ce biais, on peut surtout construire une pièce en parfaite adéquation avec la piste traitée et le reste du projet, et on peut recourir à des réverbes bien denses et bien longues sans craindre de perdre forcément en intelligibilité sur les fréquences qui posent problème. C’est très fort de la part de Fabfilter et confère à Pro-R une grande polyvalence… pour peu que l’on ait conscience de sa vocation première : la musique.
En pratique
Un passage en revue des presets met en effet en évidence l’à-propos du plug-in sur tous types de sources, avec toujours beaucoup de musicalité et la possibilité de tweaker très facilement les réglages pour parvenir au résultat souhaité. Du placard à balais à la Mosquée-Cathédrale de Cordoue, tout est a priori permis, même si on se rend compte que le plug-in reste avant tout pensé pour sonner bien, réaliste et pour un usage musical. En effet, si les 20 secondes de déclin produisent des choses assez sympathiques, si grâce au potard Character on peut mettre du mouvement dans tout cela et si le pré-delay synchronisable permet de produire des patterns rythmiques assez fun sur une batterie, il faut souligner toutefois que cette réverbe n’est pas conçue pour le sound design comme peuvent l’être la ReMatrix d’Overloud ou encore la B2 de 2CAudio. On peut bien obtenir quelques bizarreries avec, mais en l’absence de fonction Freeze ou de la possibilité de jouer soi-même avec des modulations complexes, on peinera à emmener Pro-R vers des choses plus barrées. Ce n’est absolument pas un reproche ; c’est juste un fait : la réverbe de FabFilter est un outil de mixage plus que de création sonore.
Et c’est dans ce registre qu’elle est redoutable car elle sonne très bien, s’avère très polyvalente, raisonnable en termes de consommation CPU, et jouit surtout de l’excellente conception ergonomique et fonctionnelle qui fait la signature de FabFilter. Avec son interface redimensionnable et ses contrôles clairs qu’il est très facile de paramétrer, soit au pavé numérique soit à la souris en s’aidant de nombreux raccourcis, ou d’automatiser via le mode MIDI Learn, Pro-R est un régal à l’usage. Le rendu même de la réverbe qui, à mesure qu’on progresse vers des longs déclins, évoque des volutes de sable flou, concourt à cette impression d’adéquation entre l’interface et l’effet. En dehors du positionnement saugrenu du Predelay, on n’est pas loin de la perfection. Encore une fois : bravo !
Conclusion
Ce n’est pas encore avec Pro-R que FabFilter va ternir sa réputation, bien au contraire. Le plug-in sonne non seulement très bien, mais il jouit d’une polyvalence surprenante et parvient à générer une large palette de réverbes très convaincantes, de la petite ambiance discrète au tsunami de réflexions. Comme souvent avec FabFilter, ce n’est pas tant sur l’excellence sonore que l’éditeur fait la différence mais sur la conception de l’interface et de l’ergonomie, et l’intelligence des fonctions proposées. Ne serait-ce l’emplacement saugrenu et inexplicable du potard Predelay, on sent en effet beaucoup de soin dans la façon dont les paramètres ont été pensés pour favoriser au maximum le rapport simplicité/efficacité. Au-delà du très pertinent Decay Rate EQ, le comportement du potard Stereo Width est sur ce point un modèle du genre. Résultat : là où d’autres pondent des interfaces bavardes qui rendent le paramétrage laborieux, FabFilter parvient à nous proposer un outil que le plus néophyte des utilisateurs n’aura pas de mal à prendre en main.
Sans qu’il s’agisse d’un reproche, notons-le toutefois : si cette simplicité ne se fait pas au détriment de la complexité du moteur de la Pro-R, elle résulte également de choix parfaitement assumés. La réverbe de FabFilter n’est pas une émulation de tel ou tel processeur, cependant qu’elle n’est utilisable qu’en stéréo et que le contrôle des modulations se résume au potard Character. Pour toutes ces raisons, ce ne sera peut-être pas l’outil que l’on conseillera aux sound designers avides d’expérience sonores comme à ceux qui font de la post-prod. Mais dans le contexte de la production musicale, Pro-R est un excellent choix qui simplifie grandement le quotidien et peut parfaitement convenir pour mixer un album de A à Z. À ce titre, le dernier né de FabFilter pourrait bien devenir devenir la ‘go-to’ réverbe de plus d’un musicien.