La plus configurable de toutes les STAN nous revient dans une sixième version, l’occasion de faire le point sur un logiciel qui a considérablement évolué depuis sa dernière mise à jour payante.
Autant le dire, si Reaper passe le cap symbolique de la nouvelle version, il convient de souligner la façon très particulière dont Cockos fait évoluer son logiciel depuis ses débuts. Extrêmement productif, l’éditeur ne cesse en effet de publier des mises à jours entre deux versions qui comportent bien évidemment des corrections de bugs mais aussi et surtout des myriades de nouvelles fonctionnalités plus ou moins ambitieuses. C’est ainsi qu’en version 5.11 est arrivée la possibilité de faire des sous-projets dans un projet, tandis qu’un éditeur de partition a fait son apparition en v5.2, que la 5.5 a apporté rien de moins que l’édition spectrale dans le logiciel et que la 5.97 a vu Reaper s’ouvrir aux plug-ins ARA2… Là où la plupart des concurrents gardent ce genre de gros morceaux pour justifier l’achat d’une mise à jour, Cockos fait donc montre d’une générosité inouïe, à plus forte raison si l’on considère le prix extrêmement bas du logiciel : 225$ si vous faites plus de 20 000$ de CA par an, et 60$ si ce n’est pas le cas… ce qui est le cas de la grosse majorité des utilisateurs, sachant en outre qu’aucune protection n’empêche son usage sans payer : ce n’est pas fairplay vis-à-vis des développeurs, mais à l’heure où certaines nous polluent avec des dongles USB, c’est un geste de confiance qui donne vraiment envie de passer à la caisse….
Rien que cette politique tarifaire pourrait expliquer l’engouement que suscite le logiciel, mais c’est surtout dans son rapport à sa communauté que Cockos fait très fort car l’éditeur est à l’écoute continuelle des désidératas de ces derniers, tandis que Reaper est assurément la STAN la plus personnalisable du marché : de l’apparence du logiciel à quantité de ses fonctions, tout ou presque peut être changé pour s’adapter à l’utilisateur, ce qui fait que l’évolution du logiciel n’est pas seulement tributaire de la force de développement de Cockos mais aussi des milliers de ressources qui émanent de sa communauté d’utilisateurs. Un mode Session à la Ableton Live ? C’est possible. Un look à la Cubase pour faciliter la migration ? C’est possible. Un bouton qui, d’un simple clic, vous permet de supprimer tous les silences d’une prise en rajoutant des fondus d’entrée et de sortie sur tous les segments restants ? C’est possible. Bref, Reaper est plus qu’une STAN, c’est un environnement de travail que chacun peut a priori adapter selon ses goûts et ses besoins. Et c’est d’ailleurs sur le plan de l’interface et de l’ergonomie que nous allons commencer pour faire le tour de cette nouvelle version.
Adjust can get enough
Fenêtre sur plug
Tendre bézier
On dispose également aussi de la possibilité d’utiliser des courbes de Bézier pour réaliser des automations de contrôleurs continus MIDI : plus besoin de juxtaposer des dizaines de points pour faire une courbe en cloche par exemple, deux points et une petite poignée suffisent. Bien que ce soit un ajout non négligeable, on ne s’attardera pas trop là-dessus vu que Reaper comble plus sur ce point son retard sur la concurrence.
On en dira autant de l’aptitude du logiciel à suivre dynamiquement les automations de tempo, si complexes soient-elles, grâce à ses algos de Time Stretch… Encore une fois : un ajout précieux mais pas forcément révolutionnaire, moins en tout cas que certaines fonctions apparues de la v5 à la V6 comme l’édition spéctrale, même si c’est précisément sur cette dernière que nous pourrons basculer vers le versant plus critique de ce banc d’essai.
Fâcheuse faucheuse
Tout génial qu’il soit sur quantité d’aspect, le défaut de Reaper en V6 est assurément toujours le même qu’en V5 : à trop donner de possibilités de personnalisation à l’utilisateur, il tourne souvent à l’usine à gaz, avec des menus qui n’en finissent plus et des options d’options parfois très accessoires, comme si les dévs ajoutaient au soft tout ce qui peut faire plaisir à sa communauté, sans se rendre compte parfois que le trop est l’ennemi du bien. La coloration de pistes est un bon exemple de cela : pour cette seule fonction, on dispose de 4 entrées dans un sous-menu suivant que l’on veut choisir une couleur ou plusieurs pour une ou plusieurs pistes de façon aléatoire ou non. Ne suffisait-il pas d’une unique fenêtre rassemblant tout cela ? Toutefois, on n’aurait pas pu appeler ces différentes fonctions dans des macros ou des scripts, ceci expliquant cela.
Pour résumer sur ce point, disons qu’on sent parfois que derrière cette liberté un refus d’investir une réflexion ergonomique et de faire des choix, tout en livrant des fonctionnalités souvent déroutantes sur le plan de l’utilisation. C’est manifeste sur l’édition spectrale par exemple, où les contrôles s’affichant en roll over n’ont rien d’évident à comprendre au premier abord, en l’absence de libellé. De fait, même si l’outil est parfaitement utilisable, on se sent face à un module dont le développement n’aurait pas été achevé. Cela n’a rien de bien grave évidemment, car au rythme où s’enchainent les mises à jour, on se doute bien que cette partie du logiciel comme le reste va évoluer dans les versions à venir. Mais cela refroidira certaines utilisateurs qui passeront toutefois à côté d’un formidable logiciel.
Reap Reap Reap Hourra
Bien qu’ils puissent rebuter certaines utilisateurs qui préféreront les terrains plus balisés et documentés d’un Cubase, d’un Logic ou d’un Pro Tools, fournis avec autrement plus de contenu, tous ces défauts ne pèsent toutefois pas bien lourd en marge des énormes qualités du logiciel dans l’absolu, sans même tenir compte de son prix. Évidemment, on rappellera la puissance des macros et des scripts qui permettent de grandement simplifier les tâches fastidieuses (et l’enregistrement comme le mixage n’en manquent pas), et on louera la souplesse du moteur audio de Cockos, capable de faire se cotoyer sur une même piste de l’audio ou du MIDI adressant plusieurs instruments virtuels là où la concurrence réclamerait quantité de pistes pour faire la même chose. On parlera encore de la puissance des Recalls et des snapshots, des événements d’automations, de la gestion avancée du routing ou de la capacité du logiciel à générer du MIDI à partir de l’audio… Bref, à plus d’un titre, Reaper est une tuerie qui ne vole en rien sa popularité croissante et ses concurrents feraient souvent bien de s’inspirer de la façon dont Cockos travaille.
Conclusion
Mille nouveautés sont apparues entre la version 5 et la version 6 de Reaper, et si le logiciel en a profité pour combler quelques retards sur ses concurrents (courbes de Bézier sur les contrôleurs continus, gestion globale du tempo, éditeur de partition) au point de devenir l’un des logiciels les plus exhaustifs du marché, il n’en garde pas moins des défauts qui subsistent depuis sa toute première version : un côté geek assumé à cause de ses myriades d’options et de la possibilité de le configurer à outrance, et quelques pans réellement en friche du côté de l’ergonomie. C’est dommage car il ne faudrait sans doute pas grand chose pour corriger cela, mais on sent qu’on n’est pas loin d’un parti pris qui fait l’identité même du logiciel, comme si Reaper était à Cubase et Logic ce que Linux est à Windows et MacOS : un environnement de travail puissant et fiable, mais qui demandera un minimum d’investissement de la part de l’utilisateur pour en profiter pleinement. Il n’y a donc sans doute pas de quoi lui attribuer les cinq étoiles d’une note parfaite, mais sûrement plus que les quatre étoiles et demies liées à notre système de notation.