Tracktion Waveform nous revient dans une nouvelle version pleine de bonnes idées comme à son habitude.
Depuis ses débuts en 2006, Tracktion a toujours été synonyme d’innovation et sans même parler de l’énorme impact du framework Juce sur l’industrie du logiciel audio (voir encadré), la petite STAN de Julian Storer l a ainsi apporté quantité d’idées que la concurrence s’est bien souvent empressée de copier : l’édition InLine, les racks virtuels, les points de gel (soit la possibilité de freezer’ où on le souhaite dans une chaîne de plug-ins), l’imbrication de projets, etc.
Héritière de tant de bonnes idées, la version 8 de Tracktion aura marqué un tournant dans l’histoire du logiciel : d’abord parce que ce dernier a été rebaptisé Waveform, ensuite parce qu’entre autres nouvelles fonctionnalités, il s’est doté d’une table de mixage, lui qui s’était toujours refusé à en intégrer une. De guerre lasse, le père Tracktion serait-il désireux de faire comme tout le monde, lui qui n’a jamais rien fait comme personne ? C’en est-il fini de l’innovation et des bonnes idées qu’on ne trouve nulle part ailleurs ? Waveform 9 vient nous rassurer sur ce point : Tracktion rime toujours avec innovation. Même en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs, ses développeurs parviennent toujours à mettre ce petit grain de sel capable de faire la différence. Et ça commence d’ailleurs avec une flopée de modulateurs venant prendre la relève des basiques LFO et Step Sequencers apparus dans Tracktion 6.
Mo-mo-module
L’un des gros apports de cette nouvelle version tient en effet dans le déploiement d’un arsenal de sept modulateurs prêts à donner du mouvement à n’importe quel effet ou instrument, voire plus si affinités. On commencera par un passage en revue de tout ce petit monde.
LFO est comme son nom l’indique un oscillateur de base proposant différentes formes d’ondes (sinusoïdale, carré, dent de scie, mais aussi forme aléatoire et bruit). Breakpoint est lui aussi un oscillateur et s’avère donc semblable à LFO dans son principe si ce n’est que grâce à un nombre variable de points, vous pouvez dessiner votre forme d’onde.
Step est comme son nom le suggère un séquenceur à pas capable de gérer de 2 à 64 pas en bipolaire (chaque pas peut avoir une valeur positive ou négative). Envelope Follower permet de générer des messages MIDI en fonction de l’amplitude d’un signal audio. Random est encore un LFO à forme d’onde aléatoire, à ceci près qu’il peut fonctionner par sauts de valeurs. Et MIDI Tracker permet enfin de générer un signal à partir de la hauteur et de la vélocité des notes MIDI, de manière relative ou absolue.
Comme vous le voyez, l’ensemble est complet et je vous laisse imaginer les possibilités qui s’offrent à vous sachant que ces modulateurs peuvent être utilisés à quasiment tous les niveaux dans Waveform : sur le paramètre d’un plug-in au niveau d’une piste, dans un Rack, ou au niveau plus global d’un projet, le modulateur pouvant avoir autant d’assignations que vous le souhaitez et sur quasiment tous les contrôles disponibles, ce qui inclue par exemple les faders de volume de chaque piste… mais aussi les paramètres des modulateurs eux-mêmes !
La chose servira bien sûr à réaliser des effets créatifs (accélérer un trémolo ou prononcer une réverbe en fonction du niveau d’un signal par exemple), mais aussi à simplifier la programmation d’instruments virtuels (faire varier aléatoirement le paramètre d’un instrument virtuel pour humaniser son jeu) ou le mixage (automatiser un fader de volume pour qu’il compense les fluctuations de niveaux d’une piste et ainsi linéariser son volume sans recourir à un compresseur). Bref, entre ces modulateurs, les Racks et la modularité dont fait preuve Waveform, les possibilités sont énormes, et ce n’est là que la partie émergée de ce neuvième iceberg signé Tracktion, vu que les Racks regorgent aussi de nouveautés enthousiasmantes.
I love Rack’n’roll
Si Tracktion fut le premier à incorporer des racks modulaires dans une STAN pour construire des combinaisons d’effets et d’instruments, force est de constater que les concurrents qui ont repris l’idée l’ont pour certains bien améliorée, notamment sur le plan de l’ergonomie. On n’est pas trop surpris, de ce fait, de voir débarquer une version 2 des fameux racks avec de nombreuses nouvelles fonctionnalités à la clé.
La première, c’est la possibilité de réaliser automatiquement les connexions en entrée et sortie d’un nouveau module, ce qui permet un gain de temps non négligeable lors de la confection d’un rack. Mais il y a plus intéressant : vous pouvez désormais réaliser des boutons macros.
À la manière de ce qu’il est possible de faire avec les multis de Studio One, les Smart Control de Logic ou les façades des Combinators de Reason, vous pouvez ainsi réaliser des macro commandes de racks, c’est-à-dire affecter un ou plusieurs paramètres des composants de votre rack à un contrôleur pour tout piloter avec ce dernier. Imaginons ainsi que vous ayez créé un rack avec un synthé rentrant en parallèle dans une disto et un delay, lesquels sont ensuit mixés pour entrer dans une réverbe. En utilisant une macro, vous pouvez contrôler avec un unique potard le dosage de la réverbe, de la distorsion et le feedback du delay mais aussi la résonance du filtre embarqué sur le synthé. Sachant que, contrairement à la concurrence, vous pouvez faire autant de macros que vous le souhaitez, vous imaginez bien les vastes horizons créatifs que la chose déploie.
Mais il y a mieux car au-delà de ces possibilités d’assignation, vous pouvez ensuite réaliser une interface graphique personnalisée pour organiser et utiliser vos commandes. Potard, Sliders, pads XY et boutons peuvent ainsi être disposés et redimensionnés comme bon vous semble sur une façade quadrillée appelée Faceplate. Vous pouvez même choisir entre différents styles pour chaque contrôle et bien évidemment charger l’image de votre choix pour la façade elle-même.
Dès lors, on est bien au-delà de tout ce que propose la concurrence sur le plan ergonomique et on peut ainsi réaliser les interfaces les plus pratiques et minimalistes qui soient pour manipuler les traitements très complexes qu’on aura mis au point dans un Rack. Sans aller jusqu’à des montages sophistiqués, on pourra aussi utiliser les Faceplates pour simplifier le rapport à certains plug-ins un peu touffus (ABsynth, Superior Drummer 3 ou n’importe quel synthé modulaire par exemple) ou dont l’interface est mal foutue parce que tel ou tel bouton est trop petit par exemple ou que le développeur n’a fait aucun effort pour hiérarchiser les contrôles (pas mal de plug-ins chez Glitchmachines par exemple).
Bref, c’est une excellente idée parfaitement réalisée à laquelle ne manque qu’une chose : le possibilité de définir la courbe de progression d’un réglage par exemple, comme cela se fait avec Studio One, ou encore de cranter un bouton pour qu’il fasse des sauts de valeurs. Mais en dehors de cette petite réserve, c’est parfait.
Accompagnant cette fonction, précisons qu’il est désormais possible d’afficher les Racks en vue Stack, soit un empilement de toutes les interfaces que vous avez réalisées, ou de tous les plug-ins composant votre rack. C’est une très bonne chose là encore, car ça permettra aux débutants de bénéficier de la puissance des racks sans même se rendre compte qu’ils les utilisent.
Les loops dans la bergerie
Rien qu’avec toutes ces nouveautés, cette mise à jour vaudrait déjà sacrément le coup, mais Tracktion ne s’est pas arrêté là et propose encore quelques nouveautés intéressantes, dont les Track Loops.
Si Tracktion permettait déjà depuis sa version 5 de faire des ‘edits’ de pistes, soit des sortes de projets dans le projet pour organiser le travail dans la verticalité (on pouvait ainsi avoir un projet renvoyant à autant de sous-projets imbriqués pour l’intro, le couplet, le refrain, etc.), il est désormais possible d’effectuer le rendu d’une portion bouclée d’un projet sous forme de Track Loop. De la sorte, vous disposerez d’un fichier à manipuler comme n’importe quelle boucle audio dans l’explorateur, à ceci près qu’il vous sera possible d’accéder au projet source de cette boucle pour y opérer des changements, comme cela se fait avec les Musicloops de Studio One.
Un ajout à saluer donc, tout comme on saluera l’apparition d’une piste Accords. Utilisable pour gérer les progressions d’accord réalisée avec les générateurs d’accords, arpèges, mélodie et basse du logiciel, cette dernière permet désormais de répercuter les changements sur les pistes MIDI du projet. Ça ne fonctionne évidemment pas sur l’audio comme le propose Studio One 4, mais c’est déjà ça.
Sampler multivitaminé
La grande nouveauté du côté des instruments, c’est l’apparition de Multi Sampler, un sampler à l’ancienne dans la mesure où il n’est pas question ici de gérer quelque script que ce soit comme le font Kontakt ou Falcon, mais qui n’en propose pas moins quelque chose d’autrement plus évolué que l’échantillonneur de base qu’on trouvait jusqu’ici dans Waveform et remontait à la première version de Tracktion.
Côté acquisition, Multi Sampler permet d’abord d’ouvrir des banques aux formats SF2 ou SFZ, mais aussi d’importer des fichiers WAV/AIFF ou bien d’enregistrer ce qui passe par l’entrée micro ou la sortie du logiciel. Vous disposez bien évidemment d’outils pour définir le début et la fin du sample, en boucler une portion, mais également d’une fonction pour découper le son en fonction des transitoires (utile pour isoler les différents coups d’un groove de batterie ou de percussion notamment). Passé cette phase, vous pourrez ensuite mapper votre son sur toute ou partie du clavier, et ajouter autant de sons que vous le souhaitez en définissant la tessiture comme la plage de vélocité de chaque couche. Enfin, vous disposez d’un paramétrage de base de la lecture (lecture inversée, pitch, pan, gain, sensibilité à la vélocité), d’un filtre multimode et d’une section de modulation composée de deux enveloppes ADSR, de deux LFO et d’une possibilité d’assigner n’importe quel contrôleur continu pour animer votre petit monde.
L’outil est simple et bien conçu, même s’il n’a rien de bien transcendant non plus. Contrairement à ce dont on dispose dans la Sampler Track de Cubase, on n’a droit ici à aucun algorithme de pitch shifting/time stretching avec possibilité de jouer avec les formants, ce qui fait que les samples sont pitchés à l’ancienne : plus on va vers l’aigu, plus ils sont lus rapidement, plus on va vers les graves, plus ils sont joués lentement. Et on est loin aussi des possibilités offertes par le Sampler de Live ou plus encore le SampleOne XT récemment ajouté à Studio One sur plusieurs points : pas de section d’effets, pas de mode mono avec glide, pas de mode de lecture ping pong. Bref, c’est assurément mieux que l’antedilivéen Sampler, mais ça demeure un outil qui, on l’espère, sera amélioré.
Tant qu’on y est…
Ce bémol sur le Multi Sampler sera l’occasion de basculer vers les points moins glorieux du logiciel, à commencer par sa localisation très approximative en français parce qu’elle est partielle et repose en partie sur le travail d’un bénévole tandis que certains textes demeurent en anglais. On sent que de ce côté, il n’y a aucun contrôle qualité ni même aucun cahier des charges précis, de sorte qu’on se retrouve avec des traductions très discutables (traduire « Mute » par « sourdine » fait sens pour les canadiens francophones, mais pas pour les français vu que sourdine a en France le sens d’atténuation) et que le passage de l’anglais succinct à un français plus bavard se solde par de nombreux problèmes de textes tronqués et des tailles de caractères très hétérogènes.
C’est d’autant plus ennuyeux que le principal défaut du logiciel depuis ses débuts demeure : il est souvent assez bordélique, agglutinant des commandes qui ne sont pas forcément liées, sans les hiérarchiser. Une règle de base voudrait que le plus important soit le plus visible, mais en dépit d’un code couleur pas très évident, tout est mis sur le même plan, qu’il s’agisse d’une fonction essentielle ou d’une option. Ajoutez à cela des menus contextuels qui comprennent parfois plus d’une centaine d’items ou l’impossibilité d’éditer certaines valeurs directement (tempo, signature rythmique…) et vous aurez compris que Waveform a une belle marge de progression du côté de son interface graphique.
On en dira tout autant des effets et instruments fournis en bundle car même s’il est proposé à un prix agressif, Waveform peine à rivaliser avec certains concurrents sur ce terrain, dans quelque gamme de prix que ce soit. Il faut dire qu’entre Reason 10 Essential et Logic Pro (et sans parler des freewares), le descendant de Tracktion a des concurrents assez redoutables.
Bien que nous testions ici la version 9.2, le logiciel n’est pas non plus exempt de bugs se soldant parfois par des plantages. La chose est certes rare et ne m’a jamais fait perdre de données, mais elle n’en demeure pas moins une réalité qui en refroidira certains.
Enfin, même si le logiciel est vendu à un prix très agressif et même si l’on peut trouver d’excellents freewares sur le marché, soulignons que le logiciel demeure loin d’être convaincant du côté des plug-ins et notamment des instruments. Collective
Conclusion
Il y a suffisamment de très bonnes choses dans ce Waveform 9 pour emporter l’adhésion. Entre les nouveaux modulateurs, les Loop Tracks, le nouveau sampler et toutes les nouveautés concernant les Racks (Macros, Faceplates, Stacks), Tracktion s’avère plus puissant que jamais sans perdre certains aspects lumineux de son ergonomie. De fait, il demeure un formidable logiciel pour créer de la musique parce qu’il permet de mettre très vite en forme ses idées, de tester des choses. Il a en outre l’énorme avantage de tourner sur Mac, Windows. Linux et même Raspberry Pi, de gérer le MPE comme les écrans tactiles et d’être proposé à un tarif très agressif.
Hélas, même en tenant compte du fait que Waveform n’est pas là pour être un Cubase ou un Logic de plus, l’un des défauts majeurs du logiciel depuis ses débuts est toujours de mise : malgré la lisibilité de l’interface, malgré les codes couleur employés, il garde un côté bordélique dans son panneau de propriétés où s’accumulent parfois quantité de contrôles et de paramètres sans réelle hiérarchisation. On voudrait que les éléments les plus importants ou utilisés les plus couramment soient logiquement les plus gros et les plus mis en avant, mais ce n’est pas le cas. On peine aussi à comprendre pourquoi il ne suffit pas de double-cliquer sur le tempo du logiciel pour en changer la valeur. On pestera enfin sur des menus contextuels absolument indigestes. Bref, il y a quantité de petits défauts d’autant plus agaçants qu’ils ne datent pas d’hier et qu’ils ne seraient pas forcément compliqués à corriger (la bonne nouvelle, c’est toutefois qu’ils seraient en cours de correction si l’on en croit le développeur).
Reste enfin à parler des différentes versions dans lesquelles le logiciel nous est proposé. Vendue 109 $, la version Basic du logiciel vaut clairement le coup vu que vous accédez à toutes les fonctionnalités de Waveform et qu’une version de Melodyne Essential est fournie. Pour 50$ de plus, vous mettrez la main sur la version Waveform+Pack qui, comme son nom l’indique, vous propose en bundle le pack de 16 plug-ins DAW Essential Collection vendu 159$ séparément. La chose peut valoir le coup si vous êtes dépourvu d’effets car la qualité de l’ensemble est de bonne tenue du point de vue audio comme du point de vue ergonomique, même s’il manque encore des choses pour qu’on puisse parler d’une suite complète (simulateur d’ampli, processeur à convolution, dé-esseur, résonateur, processeur de transitoires, modulateur en anneau, Leslie, etc.). Enfin, pour 259$, vous pouvez accéder à Waveform Ultimate Pack qui complète l’offre précédente avec le synthé Biotek 2, un instrument capable de produire des textures complexes dans une interface originale, et qui, s’il ne plaira pas à tout le monde (ce n’est clairement pas un synthé ‘Go to’ et il faut un certain temps pour l’apprivoiser car on a un peu l’impression au départ qu’il fait de la musique tout seul), n’en ravira pas moins les Sound designers à la recherche d’expériences nouvelles. Bref, l’offre est bien lisible, avec un excellent rapport qualité/prix sur les offres Basic et Pack. Il n’y a pas de raison de ne pas se laisser tenter, d’autant qu’une version d’évaluation de 30 jours vous permets de voir si le logiciel vous convient.
Gageons en tout cas que les nombreuses bonnes idées de cette version valent assurément leur Award Innovation, en sachant qu’on a déjà hâte de voir de quelle bois sera fait le dixième millésime dont on me murmure à l’oreille qu’il s’attachera à améliorer notablement l’expérience utilisateur. On a hâte de voir ça…