Nouvelle venue dans le monde de la synthèse, la société française Norand présente le Mono, un synthé-ligne de basse très original : va-t-il renouveler le genre ?

Inspiration TB
Sons singuliers et pluriels
VCO maison
On peut régler la fréquence par demi-ton sur 8 octaves (C0-C8) et finement sur deux demi-tons (bipolaire). Le pitch peut suivre l’un des 15 tempéraments intégrés globaux ou l’un des 4 tempéraments programmables disponibles par projet. Le cycle de l’oscillateur 2 peut être synchronisé par l’oscillateur 1, permettant d’obtenir les sons pincés caractéristiques de la synchro à la dure. On trouve aussi une véritable FM « thru zero » dosable, où l’oscillateur 2 est le porteur et l’oscillateur 1 le modulateur. Nous verrons également que tous les paramètres de synthèse sont modulables dans le domaine audio par un oscillateur et une enveloppe (chacun !), ce qui revient ici à fabriquer un algorithme de FM à 4 opérateurs. Il n’y a pas de générateur de bruit, ce qui n’empêche pas de créer tout un tas de bruits avec les différentes interactions d’oscillateurs, comme les exemples sonores en témoignent. Dans le mixeur à deux entrées, on règle le niveau de chaque oscillateur vers le VCF. Pousser les niveaux crée une jolie saturation asymétrique dans le filtre, du plus bel effet.
VCF maison
La fréquence de coupure peut être directement modulée par l’enveloppe ADSR principale, avec quantité de modulation bipolaire. On verra plus tard que cela ne s’arrête pas là… Le pic de résonance n’est pas excessif mais plutôt maîtrisé, tout du moins par défaut. Ce choix de conception nous parait très judicieux, car il y a plein d’autres moyens de produire des textures déchirantes avec le Mono. On peut toutefois recalibrer globalement la résonance pour la rendre plus outrageuse. Une affaire de goût. Après le VCF, le VCA. Ce dernier est modulé par l’enveloppe ADSR générale, la vélocité Midi entrante (niveau interne fixe à 100 par défaut), l’accent du séquenceur, ainsi que deux sources additionnelles dont nous allons parler tout de suite tellement elles sont intéressantes.
Modulations contextuelles
Les modulations du Mono ont été pensées comme une alternative aux matrices de modulation programmables, complexes à mettre en œuvre avec une ergonomie un bouton/une fonction et une surface de contrôle compacte. Pour ne pas se limiter à quelques LFO et enveloppes, le Mono est capable de moduler tous ses paramètres de synthèse avec un oscillateur et une enveloppe AD indépendants. Seules exceptions, les segments de l’enveloppe principale, modulables uniquement avec un oscillateur dédié, ce qui semble logique. On parle bien ici d’oscillateur et pas de LFO, car les oscillations peuvent atteindre le domaine audio. Au total, on totalise 20 oscillateurs et 16 enveloppes AD ! On imagine tout de suite ce que cela signifie : FM sur les VCO, FM sur le VCF, AM sur le VCA et tout un tas de modulations audio les plus exotiques les unes que les autres. Le Mono n’a pas d’équivalent hardware dans ce domaine !
Les enveloppes AD ont des temps variables de 32 microsecondes à 20 secondes (énorme !) et une action bipolaire. Le Mono possède également une enveloppe globale ADSR, comme déjà évoqué. Redéclenchée à chaque note, elle agit sur le VCF (quantité bipolaire) et sur le VCA (hélas en permanence, sans réglage de quantité ni de position Gate). Les temps varient là encore de 32 microsecondes à 20 secondes, avec une courbe de réponse exponentielle. Cette enveloppe ADSR a toutefois un comportement particulier, lié à l’orientation séquenceur du Mono : si le temps de Gate est inférieur au temps d’attaque, l’enveloppe passe en mode AD : plutôt que basculer sur le Release avant de terminer l’attaque, le segment d’attaque est lu intégralement et le Decay descend à zéro, bien vu là encore !
Séquences mouvementées
Un projet comprend, nous l’avons dit, 64 motifs de 64 pas. Chaque motif stocke également son programme de base. Nous verrons que le Mono va beaucoup plus loin, en enregistrant des mouvements de paramètres (par décalage) ou en changeant de programme sur chaque pas (parmi la banque de 40 sons). Les moins de 20 ans diront que c’est comme chez Elektron, les plus vieux se rappelleront peut-être du Kobol qui permettait déjà cela il y a plus de 40 ans ! Lorsqu’on sélectionne un motif, les 64 pas sont représentés par la rangée de 16 touches de pas + 4 touches de page. On peut charger un projet pendant que le séquenceur tourne, changer de motif à la volée suivant trois modes d’enchainement : à la fin du précédent, immédiat avec saut de position, immédiat avec retour au début. Il est possible de créer une boucle temporaire forcée à n’importe quelle position du motif, en choisissant les pas de début et fin. En plaçant la fin avant le début, le motif est lu à l’envers, sympa ! Il n’existe en revanche pas de modes de lecture pendulaire ou aléatoire, dommage. On peut aussi chainer 8 motifs, mais ce n’est pas un véritable mode Song, dommage. Chaque motif mémorise un programme, mais il est possible d’enchainer les motifs en conservant le son en cours.
Allez, passons à la programmation. On peut entrer les notes en temps réel (à partir du mini-clavier intégré ou d’un clavier Midi externe) ou en pas-à-pas (pas après pas ou en maintenant le pas souhaité tout en jouant la note à enregistrer). Pour lier une note sur plusieurs pas, il suffit de maintenir les pas extrêmes et d’entrer la note, c’est immédiat ! Sur chaque pas, on peut ajouter un certain nombre de réglages : accent (destinations et quantités entièrement programmables via les commandes en façade), Slide (glissement du pas en cours vers le pas suivant, pas seulement la note, mais tous les paramètres de synthèse qui diffèrent entre les pas), microdécalage temporel (plus ou moins ½ pas), ratchet (1 à 16 répétitions par pas) et probabilité (déclenchement de pas et valeur de ratchet simultanés). Mieux, on peut enregistrer les mouvements de toutes les commandes (48 paramètres !), en temps réel ou pas à pas. Les valeurs sont stockées en relatif, par opposition aux valeurs absolues plus couramment utilisées, ce qui se révèle très pratique à l’usage lorsqu’on fait évoluer à la main un paramètre déjà en mouvement. Les valeurs stockées sont représentées par l’intensité des LED, on atteint ici la limite d’une machine sans écran. Signalons au passage qu’il est possible de dissocier le redéclenchement de n’importe quelle enveloppe AD des pas du séquenceur, intéressant pour créer certains effets rythmiques.
Ce n’est pas fini, puisque le séquenceur du Mono offre un mode spécial appelé Mod Note. Dans ce mode, le mini-clavier intégré ne joue plus de notes, mais est utilisé pour sélectionner, éditer et assigner un programme à chaque pas du séquenceur, parmi les 40 du projet en cours. À nous les rythmiques complexes, les entrelacements basses + percussions ou les tables d’ondes (en n’oubliant pas qu’on reste en présence d’un synthé monodique). Pour éditer l’un des 40 programmes, il suffit de maintenir la note correspondante et de changer les paramètres de synthèse. Pour assigner le programme à un ou plusieurs pas, on utilise les boutons de pas comme en mode classique. C’est là encore très bien imaginé et cela différencie le Mono de la concurrence.

- 01 Pass Pass01:13
- 02 Hard Sync01:34
- 03 3P Bass00:54
- 04 Hat Tricks01:04
- 05 Big Bottom00:57
- 06 Bass & Perc00:53
- 07 Perc & Bass01:05
- 08 Many Drums00:47
- 09 Frouziro FM01:05
- 10 Analog Powa01:00
Conclusion
C’est toujours un grand plaisir de tester un premier produit d’une nouvelle société, qui plus est hexagonale. Présenté comme une TB des temps modernes, le Mono est beaucoup plus en réalité. Le moteur de synthèse analogique est très puissant, les possibilités de modulation pléthoriques et le séquenceur bien travaillé. Au son original se mêlent des fonctionnalités tout aussi originales, on sent une fertilité bouillonnante dans le cerveau du concepteur. Ce joli contrepied est d’autant plus agréable dans un monde où le clonage est devenu le sport mondial et le manque d’inventivité ou de prise de risque l’apanage des constructeurs établis de longue date. Ce sont les petits nouveaux qui portent les inventions et investissent en R&D, bien souvent sur leurs deniers personnels, un comble ! Il en résulte un tarif artisanal premium assumé et quelques compromis également assumés. Si on considère le Mono comme une simple ligne de basse pour faire de l’EDM, on risque de passer à côté d’un instrument bien singulier et très agréable à utiliser. Une belle découverte !
Prix : 839€, disponible sur le site du constructeur.
Interview de Mathieu Frohlich, fondateur de Norand
Quel est ton parcours ?
Avant de devenir un geek à temps complet, j’investissais mon temps et mon énergie dans la composition de musique techno sous le nom de Primitive et l’organisation de soirées avec mon collectif « BP », en enchaînant les boulots alimentaires à côté évidemment. J’ai toujours été passionné par l’électronique et le code, mon premier synthé hardware était Ambika d’Emilie Gillet (Mutable Instrument), à qui je dois beaucoup d’ailleurs, puisque je n’ai pas fait d’étude d’ingénierie. J’ai tout appris dans les bouquins et l’open-source. Il y a quelques années j’ai réalisé que je n’étais vraiment pas fait pour une carrière de musicien pro : trop de contraintes, et peut-être aussi pas assez de talent ! Je me suis donc débrouillé pour chopper une formation qui m’a permis de rejoindre Squarp Instruments il y a 5 ans. Ils m’ont donné énormément de liberté et m’ont chargé du développement d’Hermod, ça m’a permis d’appliquer mon savoir-faire « DIY » dans des conditions plus sérieuses !
Pourquoi avoir créé Norand ?
Avec mes années de musicien, j’avais des idées bien précises de là où je voulais aller. Mono n’est que le début d’une longue liste d’instruments. Je n’ai jamais été 100 % satisfait de mes machines quand je faisais du son, donc tu me dis boite à rythmes, polyphonique, samplers… je sais précisément ce que je veux, et c’est assez délicat d’imposer ses idées dans une équipe préexistante, c’était donc assez naturel pour moi de créer ma structure.
Qu’est-ce qui fait l’ADN de Mono ?
Mono est clairement un synthé conçu par un geek, pour le geek. L’ADN de Mono, c’est assurément le système de modulation : la plupart des utilisateurs perdent la tête quand ils découvrent qu’on peut moduler tous les paramètres indépendamment en audio-rate pingé par une enveloppe elle aussi indépendante. Juste avec un oscillo sinus et le filtre ouvert, tu as déjà des milliers de timbres possibles, c’est infini ! En fait, c’est l’équivalent d’un mur de modulaire, dans une petite boîte.
N’est-ce pas risqué de lancer un synthé monodique aujourd’hui ?
Clairement, ça l’est ! Surtout qu’on fait peu de communication donc je ne peux compter que sur la qualité du synthé. Si c’est un mauvais monodique, je vais mettre la clé sous la porte ! Après c’est vraiment un ovni, et le but n’est pas d’en faire un best-seller, on n’est pas du tout sur la même gamme qu’un clone de 303 à 200 €. Tout ce qui compte pour moi c’est que les musiciens qui l’achètent aient vraiment l’impression de posséder un synthé unique, qui sera irremplaçable dans leur studio. Je n’ai pas besoin d’en vendre des milliers pour pouvoir continuer et développer de nouveaux produits, c’est le plus important.
Quelles difficultés as-tu rencontrées ?
J’ai rencontré des galères de production, de shipping, et je suis aussi affecté par les problèmes d’approvisionnement de composants du moment. Depuis le lancement je fais vraiment beaucoup d’heures, c’est comme ça qu’on surmonte les problèmes, il n’y a pas de secret ! Maintenant qu’on arrive au 3e batch, ça commence à être plus détendu, je maîtrise mieux mon approvisionnement et ma distribution, et le nouveau firmware qui sort cette semaine est vraiment solide donc plus trop de tracas à ce niveau.
Combien as-tu fabriqué de Mono ?
On en a fabriqué et vendu 250, on en reçoit 150 en plus fin mai. Dans l’immédiat, on n’a plus de stock, on a été un peu pris de court par la première grosse review du synthé ! Le synthé est assemblé en France et les pièces (PCB, aluminium et plastiques) sont fabriquées en Chine par des fournisseurs avec qui je travaille depuis longtemps.
Comment peut-on s’en procurer un ?
On vend en direct sur notre site en France et à l’international, ainsi que chez Modular Square pour la France et via six boutiques dans le reste du monde. Mono est un produit « boutique » on ne le distribuera probablement pas chez de gros revendeurs, notre marge est trop faible pour ça !
Quels sont tes futurs projets ?
Concrètement, je veux tout faire. On va commencer par de l’Eurorack, puis du granulaire desktop, et après on va partir sur les grosses pièces : boîtes à rythmes, polyphoniques… Ça prendra probablement 5 à 10 ans, mais je ne suis pas pressé !
Que fais-tu quand tu ne développes pas ?
Je fais de l’administratif, j’envoie des colis… Non blague à part depuis le lancement de Mono je n’ai pas beaucoup de temps libre et encore moins de vacances, mais sinon je fais toujours de la musique, et quand le Covid sera derrière nous, j’espère pouvoir reprendre les lives techno, ça me manque pas mal !