Voici la petite histoire d’un rare synthé français du tout début des années 80, que l’on doit à la firme tricolore Cavagnolo… petite histoire avec un peu de piquant puisqu’elle se termine par les différentes métamorphoses qu’a vécues l’exemplaire testé !
Peu de synthés français ont marqué l’histoire avant le MiniBrute. Si le Kobol de 1978 trône fièrement en tête de liste, on parle très rarement du tout aussi rare Exagone XM64 commercialisé en 1982 par Cavagnolo. Les deux instruments partagent d’ailleurs certains traits de caractère : tous deux monodiques, ils possèdent des mémoires non modifiables, un clavier 44 touches, un filtre analogique passe-bas 4 pôles et une connectique assez bien fournie pour des machines intégrées de l’époque. D’après le site du constructeur, environ 800 Exagone XM64 auraient été produits. Comme la marque Cavagnolo est alors positionnée sur les instruments de scène (accordéons, orgues – arrangeurs à boutons), c’est tout naturel que l’Exagone soit décliné en versions clavier de 49 boutons et 44 touches. Voici donc l’histoire de la restauration épique d’un Exagone multi-métamorphosé…
Synthé en boîte
Côté physique, l’Exagone est à l’origine encastré dans la partie inférieure d’un flight dont le panneau supérieur est amovible. On trouve des modèles avec ou sans cornières alu. La coque est en ABS moulé, à l’exception des 3 plaques avant en alu recouvertes de Lexan sérigraphié, regroupant les commandes : en haut à gauche, la gestion des 64 mémoires et du mode manuel ; en haut à droite, les commandes de synthèse. Ces 2 plaques sont encastrées dans des cadres moulés en façade, mais pas à la même profondeur ; cela nous a d’ailleurs valu quelques difficultés lors de la transformation (voir paragraphe « Seconde métamorphose » tout en bas). À gauche du clavier, la troisième plaque en alu comprend un potard de volume, un potard d’accordage, un sélecteur de mode de portamento (marche / arrêt / temporaire), un sélecteur d’octave (-1, 0, +1) et un joystick 2 axes. Ce dernier module le pitch à l’horizontale et la coupure du filtre à la verticale (donc pas de modulation type vibrato) ; il est emprunté au radio-modélisme, avec un ressort de rappel et 2 trimmers de préréglage fin (avec une résistance un peu trop molle). Le ressort de rappel est débrayable sur l’axe horizontal en tirant sur le bâton : que ceux qui pensaient que leur joystick était pété se rassurent, c’est fait exprès, mais ce n’est pas une raison pour revendre leur Exagone 200 euros plus cher…
Le panneau arrière reprend l’ensemble de la connectique sur une quatrième plaque en alu sérigraphié : prise secteur IEC 3 broches, bouton poussoir permettant d’enlever momentanément la protection mémoire lors des sauvegardes, sortie audio mono, entrée audio vers le filtre, entrée CV/Gate (sur jack TRS 6,35), sortie CV/Gate (idem), commande de filtre et commande de portamento. On trouve aussi une sortie DIN multibroches pour raccorder un séquenceur numérique ; il était prévu pour 1983, année du MIDI… il n’a à notre connaissance jamais vu le jour. Il n’y a pas d’interface cassette pour sauvegarder les programmes internes. Notre Exagone porte le numéro de série 81 007, on en déduit donc qu’il a été produit en 1981 pour un agent secret britannique.
Ergonomie déroutante
L’ergonomie de l’Exagone est un peu déroutante au premier abord : on est content d’avoir 64 mémoires sauvegardées par une batterie interne rechargeable Nickel-Cadmium (emballée dans un boîtier plastique), mais on peste de ne pouvoir éditer les sons une fois enregistrés ; c’est comme sur un Jupiter-4 (sans Kit IO), un Kobol ou un OB-1 de la fin des 70’s, il faut repartir du mode manuel pour créer son programme « From Scratch » ! Autre point, pour limiter les commandes dans la partie synthèse, certains boutons regroupent deux fonctions en une : par exemple, un sélecteur rotatif à 7 positions permet de choisir l’octave du VCO2 sur les 4 premières positions et l’octave avec synchro sur les 3 suivantes – un autre à 8 positions pour le LFO2 permet de sélectionner 4 valeurs de délai avec onde sinus et les 4 mêmes avec onde carrée. Encore un truc curieux : le detune du VCO2 est non seulement mémorisable mais également modifiable en offset de la valeur stockée – pareil pour certaines fonctions de trigger sur l’unique enveloppe, alors qu’on est censé ne plus pouvoir modifier les paramètres des sons stockés en mémoire. Enfin pour sauvegarder un son, il faut appuyer sur Save et en même temps maintenir un poussoir à l’arrière, une sorte de déprotection mémoire provisoire… French Touch Inside !
Synthèse velue
L’Exagone offre 2 VCO, 1 Sub VCO et un générateur de bruit blanc. Le premier VCO est le plus complexe : il offre des ondes dent de scie, triangle et impulsion à largeur variable. Cette dernière peut être réglée par un potard ou pilotée par l’un des 2 LFO, l’enveloppe ou le VCO2. Dans le dernier cas, on crée une PWM qui suit le clavier avec un VCO2 grave ou une modulation en anneau avec un VCO2 aigu. Tout cela est vraiment original et bien pensé ; on peut accorder le VCO1 sur 2–4–8–16 pieds ; on peut aussi le déconnecter du circuit audio mais pas du circuit de modulations, ce qui est très utile lors de synchro avec le VCO2. Autre fonction utile en synchro, un vibrato permet de moduler uniquement le VCO1. Le VCO2 est plus simple, un peu trop même : il n’offre qu’une onde dent de scie accordable sur 2–4–8–16 pieds, avec potard dédie de Detune. Comme nous l’avons dit, il peut moduler la largeur d’impulsion du VCO1 ou lui être synchronisé.
Les 2 VCO sont mélangés par un potard de balance. On peut ajouter, grâce à un second potard, un Sub VCO2 à onde carrée accordé à –1 octave (potard à droite) ou un générateur de bruit blanc (potard à gauche, donc pas les deux en même temps). S’y ajoute l’effet portamento à temps réglable par potard dédié et l’éventuel signal audio externe connecté à l’entrée idoine… Rien qu’avec cette section originale, on peut créer une base très variée de timbres dynamiques, avant même d’attaquer le VCF. Ce dernier, de type passe-bas 4 pôles résonant, génère un timbre gras et assez râpeux. Pousser la résonance apporte de la distorsion sans agressivité ou sifflement excessifs ; par contre, aucune auto-oscillation véritable n’est possible avec le VCF de l’Exagone, à moins peut-être de pousser les trimmers internes ou de modifier les circuits. La coupure du filtre peut suivre le clavier selon 4 courbes de réponse : 0, 50, 100 et 150%. Bien vu !
Modulations originales
Pour moduler les paramètres de l’Exagone, on a 1 enveloppe et 2 LFO. D’habitude, c’est le contraire. Nous aurions vraiment apprécié une seconde enveloppe, très dommage ! L’enveloppe est de type ADSR. Elle peut être libre, redéclenchée à chaque enfoncement de touche ou par le cycle du LFO1, sympa. Tout aussi intéressant, un inverseur permet de jouer sur la forme du segment d’attaque : exponentiel (lent puis accéléré) ou logarithmique (rapide puis ralenti). L’enveloppe peut moduler la largeur de l’onde d’impulsion du VCO1, le filtre (contour bipolaire réglable par potard dédié) et le VCA (quantité de modulation hélas pas paramétrable).
Les 2 LFO sont simplistes : onde sinus pour le premier et ondes sinus ou carrée pour le second. Chaque LFO a un tempo ajustable et une plage de fréquence différente ; le second LFO possède en plus d’un délai simplifié : 0, 1, 2 ou 4 secondes. On peut les assigner indifféremment au filtre et à la largeur de l’onde d’impulsion du VCO1. Sympa ! Par contre, rien ne permet de les synchroniser à une horloge externe. On ne peut pas tout avoir.
Sound of the bitch
On entend assez peu d’Exagone en situation, sauf sur le dernier Depeche Mode Delta Machine… Question son, il est plutôt à classer dans la catégorie gros gras râpeux… en quelques minutes, on se fabrique plusieurs déclinaisons de basses, là où la machine excelle : 2 VCO en dent de scie, quelques réglages de filtre modulé par l’enveloppe. On décline les ondes des VCO : PWM du VCO1 modulé par le LFO1, puis par le VCO2 : cela évite les gargouillis dans les graves, puisque la vitesse de modulation suit le clavier. Un peu de Sub VCO réveille notre 7060B du côté de ses 18 Hz, le voisin apprécie… On joue alors sur les 2 formes du segment d’attaque d’enveloppe ; très pratique cette fonction, surtout en conjonction avec le redéclenchement de l’enveloppe par le LFO1 !
Un peu de synchro de VCO maintenant : ce n’est pas aussi stable que sur le Prophet-5 ; là, l’oscillateur esclave décroche, on le sent bien lorsque le vibrato est en action : c’est confus et brouillon, le son est bien sale et assez monstrueux dans les graves. Le filtre apporte quant à lui un grain bien gras et lourd, nous l’avons dit. Les leads sont corrects, surtout avec un peu de PWM ou de vibrato pour déstabiliser le son ; d’ailleurs, impossible de moduler le pitch des 2 VCO simultanés avec un LFO (sauf en synchro bien sûr), ce qui limite un peu certains types de solos avec vibrato expressif. Ici, seul le VCO1 a droit au chapitre. Un peu de bruit blanc maintenant pour se faire des Snares / Claps synthétiques, ça répond plutôt pas mal. Quant à la mer ou à l’orage, ça passe aussi, le filtre est vraiment bon, avec une résonance qui n’écrase pas le signal mais le fait gronder.
- Exagone 1 Sync 00:35
- Exagone 1 Percus 00:23
- Exagone 1 Leads 01:30
- Exagone 1 FXs 01:15
- Exagone 1 Bass sub 00:51
- Exagone 1 Bass res 00:21
- Exagone 1 Bass pwm 00:25
- Exagone 1 Bass dark 00:41
Première conclusion
L’Exagone est une machine à la fois originale, déroutante et attachante. Capable à la fois de proposer des fonctions plutôt rares et de montrer des carences importantes. Le son est, quant à lui, tout aussi original. Des graves bien gras et bruts de décoffrage aux aigus les plus incisifs, l’Exagone surprend dans toute sa tessiture. Bref, un synthé vintage qui ne laisse vraiment pas indifférent, au point que nous en avons acquis un !
Première métamorphose
L’Exagone que nous avons récupéré avait subi une première transformation. Il s’agissait d’un modèle à boutons qui s’était vu greffer un clavier 49 touches (puis 44 pour retrouver l’esprit de la version d’origine) et une nouvelle robe en sorte de bois… avant de recevoir l’Exagone transformé, nous avions évidemment demandé quelques photos ; mais les angles ne permettaient pas de voir les multiples défauts d’assemblage : plaquage bois rogné, défauts de parallélisme, jours divers, collages au mastic gris, vis pas prises, liquides douteux ayant dégouliné, massacre à la tronçonneuse… idem pour la partie électronique, puisque le seul potard changé était encore plus rouillé que mon premier vélo abandonné depuis 40 ans au fond du jardin. Les photos parlent d’elles-mêmes ! Par exemple, le potard tout rouillé, c’est celui qui a été changé lors de la « révision » (l’autre est d’origine). Bref, du vite fait mal fait, comme quoi il ne faut pas faire confiance aux soi-disant réparateurs – électroniciens – ébénistes – marabouts – exorcistes sur les forums…
Grâce au forum Anafrog, j’ai fait la rencontre de Marco et Pascal, les 2 héros de ce qui allait être la seconde transformation : au départ, je souhaitais ne changer que le pire, c’est-à-dire le cadre en bois fait de champs plats mal ajustés ; lorsque j’ai montré l’Exagone « première transformation » à Marco, en bon ébéniste qu’il est, il m’a proposé de préparer un bon feu de bois et des saucisses… premières impressions confirmées après ouverture de la chose ! L’option fut ainsi rapidement prise de tout changer ou presque, en ne gardant que ce qui était originel : les 4 plaques en alu regroupant commandes ou la connectique, et bien sûr toute l’électronique…
Seconde métamorphose
Heureusement que l’électronique était 100% opérationnelle, car il n’y a aucun schéma technique d’Exagone disponible à ce jour pour la communauté des passionnés de réparation de vieux bousins. Si quelqu’un a une piste, qu’il le dise tout de suite ou se taise à jamais ! Mais la première difficulté mécanique commençait déjà à nous pendre au nez : les 2 fameuses plaques de façade décalées en profondeur ; drôle de conception… C’est là qu’est intervenu Pascal et ses digts doix : comme ces 2 plaques sont montées sur le même grand PCB, la seule solution plausible était de rehausser de quelques millimètres tous les boutons de la partie mémoire : 4 connecteurs par bouton, soit 76 points à dessouder du PCB double face, sans péter de piste… et Pascal n’a pas pété de piste ! Mieux, il a ensuite monté chaque bouton sur des supports tulipe et soudé le tout en place, soit 152 soudures ! Ah oui, j’oubliais les diodes… comme Pascal était en forme, après avoir réécouté toute la discographie de Vangelis, il a changé 24 des 25 diodes en façade (il en a oublié une, bien planquée…). Un soir, il m’a écrit : « j’ai les yeux qui saignent ».
Pendant ce temps, Marco s’affairait sur la carcasse. Pour le design, il s’est inspiré du Moog Prodigy et du PolyKobol. Pour tenir compte de l’aspect maintenance, les 2 plaques avant on été montées sur une plaque alu laqué noir vissée sur les flancs, ajustée au millimètre ; pour la plaque à gauche du clavier, Marco a fabriqué à la main et en 3D une pièce en bois sur laquelle visser la structure tout en permettant à la tripaille de passer proprement : un coup d’œil aux photos s’impose ! La plaque arrière regroupant la connectique et le logo a également été montée sur une grande plaque alu vissée. Au passage, Pascal a changé le bouton poussoir de protection mémoire, puisque le précédent propriétaire l’avait réparé à la super glu plutôt que le remplacer par un neuf, donc tout était collé dans la masse, bravo !
Seconde conclusion
Pour re-conclure, je ne remercierai jamais assez mes deux héros, Marco et Pascal, respectivement ébéniste et électronicien surdoués, preuves vivantes que l’on peut être sympa, honnête et passionné de synthés vintage ! Vive eux, vive l’Exagone, vive la France !
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