Se connecter
Se connecter

ou
Créer un compte

ou
< Tous les avis Roland JUNO-106
aurélien chubilleau aurélien chubilleau

« Vous avez dit... Classique ?  »

Publié le 18/01/17 à 11:51
Rapport qualité/prix : Correct
Cible : Tout public
Il n'est jamais simple d'apporter un avis sur un instrument aussi connu dans le monde des synthés que le Roland Juno-106. L'exercice est d'autant moins simple que c'est le premier véritable synthétiseur sur lequel j'ai posé mes doigts. J'étais ado, c'était en 1993, et à ce moment là je me contentais de jouer d'un petit orgue GEM PX3... Ce fut une vraie révélation, c'est à dire ce déclic qui m'a plongé dans une grande passion pour la lutherie électronique. La scène s'est produite dans un obscur dépôt-vente, l'endroit le plus sûr à l'époque pour trouver un Juno-106, avant le revival analogique... Je n'avais pas pu acheter à l'époque le Juno, et quelques mois plus tard, mon premier synthé a finalement été un Korg Poly-800, d'ailleurs plus affûté du côté de la fiche technique.

Mais, trêve de conversation au coin de la cheminée, allons au vif du sujet : si le Juno-106 était une vieillerie poussiéreuse en 1993, il n'en est plus de même aujourd'hui et il compte parmi les incontournables, sans pourtant être rare. Mais posons-nous les vraies questions : à quoi le Juno-106 doit-il sa réputation, et surtout, est-elle méritée... ?


Simplicité avant tout
Rendons à César ce qui lui appartient : à vrai dire le plus couru des Juno reste le Juno-60, plus beau à regarder, muni d'un arpégiateur qui fait défaut au 106, et dont on dit que le son reste plus « punchy ». Pourtant, le Juno-6 (1981), le Juno-60 (1982), et le Juno-106 (1984) emploient la même chaîne de synthèse, les mêmes ingrédients, et on retrouve donc au détail près les mêmes commandes aux mêmes places. Retenons des caractéristiques simples : un oscillateur doublé d'un sub-oscillateur, un filtre, un LFO qui influe sur l'onde dent de scie, l'impulsion de l'onde carré ou le filtre, un générateur d'enveloppe ADSR affecté à l'oscillateur comme au filtre, un VCA proposant de router vers le générateur d'enveloppe, ou vers une enveloppe « on-off », et un chorus à deux étages (c'est à dire, à deux niveaux et donc sans réglage progressif). A ce stade, vue la simplicité de la fiche technique, surtout comparée à celle d'autres instruments de la même période, on est en droit de se dire que Roland nous enfume avec bien peu de choses.... Et pourtant ! C'est oublier que Roland a déjà à son actif, en 1984, une belle expérience en ayant proposé des gros synthétiseurs modulaires, et que le facteur d'instrument réalise lui-même ses propres ingrédients, sans avoir recours à des composants venus de l'extérieur, comme les SSM ou les CEM de chez Curtis. Il en résulte que, malgré sa simplicité, le schéma proposé sur le Juno 106 est bien pensé grâce à des modulations bien introduites, et que la personnalité sonore de cet instrument lui est vraiment propre. L'objectivité nous oblige cependant à rappeler que du côté de chez Korg, les Polysix et Poly-61 se signalent par une même simplicité, des caractéristiques très comparables sur le papier avec aussi leurs astuces, et se distinguent par le choix peu courant et très noble des composants SSM. Mais, quand on entame une discussion entre Korg et Roland, cela revient à deviser entre Iphone et Android, Mac ou PC, Mercedes ou BMW... Pourtant, à certains moments, il nous faudra les comparer...

Une belle musicalité
Contrairement à Korg dès le Poly-61, Roland n'a pas cédé aux sirènes de l'interface « calculette » , et l'accès direct aux commandes du Juno-106, très intuitives, représente un atout majeur, en parfaite concordance avec la très bonne musicalité de l'instrument. En ayant sous la main le Juno-106 confié par un ami, je retrouve en effet avec plaisir les sensations procurées en 1993 : une belle aisance, un instrument versatile, très musical, avec lequel on obtient intuitivement des sons assez riches, enthousiasmants. Bref, avec peu de choses, le Juno-106 sait impressionner son monde. Le chorus, ou la modulation par le LFO de l'impulsion de l'onde carré (que l'on retrouve aussi sur les Korg Polysix et Poly-61), savent faire illusion et donner de l'épaisseur. Les enveloppes sont rapides, un peu plus d'ailleurs que chez Korg, et les potentiomètres linéaires répondent rapidement. Les oscillateurs -rappelons-le, de conception Roland-, ne sont pas avars en infra-basses, ce qui demande de surveiller d'assez près ses boomers et les niveaux de la table de mixage. Pour, au besoin, atténuer les fréquences graves, Roland a prévu un filtre passe-haut graduel, à la manière d'un égaliseur, alors qu'il était linéaire sur le Juno-6.

Un classique... Trop classique ?
Bref, vous l'aurez compris, le Juno-106 s'en sort bien dans les basses rapides et courtes, surtout que le sub-oscillateur -fournissant la seule onde carré- joue à l'octave inférieure de l'oscillateur principal. Chez Roland, on a donc cherché l'efficacité, la précision aussi, pour offrir de bons résultats, même pour les débutants en synthèse. Avec cette génération d'instruments d'une précision sans faille -les Juno et les Jupiter-, Roland a certainement tiré les lettres de noblesse du son « made in Japan », Mais, le revers de la médaille se situe bien là : le Juno-106 est un classique, on s'attend à le trouver là où il brille et on a tendance à le chercher sur son terrain de prédilection, ou plutôt, là il a construit sa célébrité. Par conséquent, avec cette approche, le Juno-106 plaît, mais ne surprend pas par une grande originalité. En se laissant aller à la facilité, on risque de ne faire avec lui que des citations, des redites. Tout en explorant de nos jours le Juno-106, j'ai gardé sous la main mon Korg Poly-61, ce qui m'a amené à faire quelques constats : le 106 est certes précis, avec des aigus brillants et des infra-basses qui se détachent bien sans faire dans la bouillie sonore. Mais chez Korg, l'emploi des oscillateurs et filtres SSM (made in USA avant d'être « clonés » à partir du Poly-800) rend une impression plus organique, et lorgne du côté des américains... en mode unisson, c'est particulièrement flagrant, et sans conteste, c'est une victoire par K.O. pour Korg. Il en est de même pour la modulation de l'impulsion de l'onde carré par le LFO, elle est plus franche et violente chez Korg, ce qui donne de l'épaisseur, sans avoir recours au mode unisson.... Là ou Roland a cherché à plaire, Korg a cherché une certaine radicalité avec, parfois, un côté plus agressif. Enfin, si Roland a abandonné l'arpéggateur avec le Juno-106, Korg l'a conservé sur les Poly-61 et DW-8000.... mais Roland gardé l'accès direct aux commandes, jusqu'aux Alpha Juno 1 et 2.

A retrouver
Tout comme le Yamaha DX7 dans un autre genre, le Juno-106 est victime de son succès... Or contrairement au DX7, il ne peut pas compter sur des possibilités de synthèses infinies, ni une multitude de paramètres. Pour retrouver le Juno-106, il faut donc savoir le quitter, jouer sur d'autres synthétiseurs, puis revenir le chercher, soit pour faire ce que les autres ne savent pas aussi bien faire, soit pour le redécouvrir là où on l'attend moins... le Juno 106 sait aussi délivrer des sons progressifs, des nappes, la résonance du filtre est belle, l'inversion de la courbe du générateur d'enveloppe donne des résultats intéressants, tout comme on peut jouer du délai de réponse du LFO. Détail intéressant, comme sur un Prophet, on peut accumuler les formes d'onde de l'oscillateur. Avec une oreille vierge des poncifs trop entendus d'un mix à l'autre, et fort de l'expérience d'autres instruments, le Juno-106 peut redevenir l'instrument très musical qui a plu à ceux qui l'on dépoussiéré dans les années 1990. Un bon conseil avec cet instrument : oubliez que c'est un Roland Juno-106, et essayez de jouer du synthétiseur, tout simplement...

Bilan :
Avec le recul nécessaire et au delà de toute passion, le Juno-106 est un synthétiseur qui ne brille pas par une fiche technique des plus complètes, mais il offre une grande musicalité, à même de procurer d'emblée le plaisir de jouer, à défaut d'étonner par son originalité. S'il est très simple d'utilisation – et donc très recommandable pour les débutants-, il faut néanmoins une certaine expérience des synthétiseurs et une vision débarrassée d'a priori pour espérer en sortir autre chose que le tout-venant de la musique électronique. Enfin, il est certain que nombres d'instruments proposés moins chers, comme le Korg DW-8000, l'Ensoniq ESQ-1, ou enocre le Roland JX-8P, apporteront beaucoup plus de possibilités, mais il est vrai, avec souvent la contrainte de passer par l'interface « calculette ». Le Juno-106 se positionne parfois en concurrent du Prophet-600, or là encore, l'américain se distingue par des ressources plus vastes, et aussi une personnalité différente, d'une autre classe. Finalement, les principaux concurrents du 106 restent le... Juno-60, et, comme à la grande époque, le Korg Polysix. Là, le débat reste sans fin...