Fruit de la collaboration du designer Axel Hartmann, du programmeur Stephan Sprenger et du compositeur Hans Zimmer, le Neuron est une météorite sans équivalent dans la synthèse, basée sur une carte PC et un logiciel on ne peut plus original. Découvrons la bestiole…

(Test initialement paru en mars 2003)
2003 serait-elle l’année du retour des synthétiseurs ? Mieux, celui de la synthèse ? Après près de 15 ans d’hégémonie sans partage des lecteurs d’échantillons, nos chères stations de travail à touches sont aujourd’hui chahutées. D’un côté, par les logiciels et leur souplesse inégalable ; de l’autre, par les boîtes à DSP polyvalentes. A tel point que les machines dédiées ont aujourd’hui bien du souci à se faire, à moins de ne sortir du lot en proposant une pléthore de commandes temps réel ou, beaucoup mieux, de nouvelles formes de synthèse. A ce jour, deux nouvelles machines réalisent l’exploit de conjuguer les deux : le V-Synth de Roland et le Neuron de Hartmann. C’est ce dernier qui vient de passer ses premiers jours en France entre nos mains. Un concept et un son à tomber par terre !
Physique hors du commun
Entre les 2 DCR, une molette permet de doser l’interaction des modules. A droite de la section de commandes (pavé numérique + touches de mode + bouton « Compare »), il y a le module « Silver ». Il s’agit d’un combiné filtre / multieffets hyper complexe fonctionnant avec un joystick, 4 LCD et 3 ensembles de 4 paramètres. Dans les 3 sections (DCR1, DCR2 et Silver), une touche « Record » permet d’enregistrer les mouvements vectoriels de chaque joystick et de les mémoriser au sein de chaque programme, génial !
Connectique de côté
Juste à gauche du clavier, on trouve un joystick de pitch / modulations façon Korg, un bouton de volume et 2 modulations supplémentaires (un bouton sans fin et une molette avec diodes). Aucun doute, le Neuron a été conçu pour la programmation intuitive et le jeu en temps réel. Le jeu est d’ailleurs très agréable sur le clavier 5 octaves sensible à la vélocité et à la pression. Sur la façade arrière, le désert ou presque : un énorme interrupteur éclairé pour la mise en service, protégé contre les fausses manipulations. En fait, toute la connectique a été rassemblée sur le flanc gauche, ce qui facilite l’accès au câblage. Basée sur une carte son TerraTec greffée sur la carte PC, elle se compose d’une borne pour secteur (alimentation interne), une prise casque, 3 paires de sorties stéréo configurables en mode 5.1, une paire d’entrées stéréo (désactivées sur la version actuelle de l’OS), un trio Midi, une prise USB, des entrées / sorties S/PDIF et 3 prises pédales. C’est tout à fait complet ! Les sorties fonctionnent en 16 bits / 44 kHz. Dans l’antre du monstre résident en standard un disque dur 20 Go et 256 Mo de Ram. De quoi bien partir dans la vie !
Défilé de modèles
Inutile de comparer les résultats avec des multisamples de K2600, XV-5080, Motif ou Triton. Ici, les points de montage sont un peu évidents, les boucles parfois douteuses et certains sons souffrent d’un aliasing prononcé. Mais attention, il ne s’agit pas d’échantillons stériles figés en mémoire morte, mais de véritables ondes resynthétisées que l’on va pouvoir retoucher en profondeur (voir encadré). Tout de même, il y a trop d’artefacts liés à l’échantillonnage lui-même, pas à la resynthèse. Nous ne saurions trop conseiller à Hartmann d’accorder plus de soin aux multiéchantillons bruts avant traitement.
Programmes d’usine mitigés
« ChurchRe-Organ » est un exemple très singulier d’orgue liturgique : on modifie la pression du souffle dans les tuyaux, leur forme, leur dimension, leur matière. C’est incroyable d’obtenir une telle variété d’ondes utiles et musicales à partir d’un seul multiéchantillon, proche ou carrément à des années lumières de l’original. « Mighty Pad » démontre la virtuosité du Neuron dans la production de nappes épaisses comme le Fog londonien. Ca bouge, ça grouille, il se passe toujours quelque chose de musical, avec plus ou moins de subtilité. Hélas, beaucoup de programmes n’ont pas reçu le même soin : pianos électriques imaginaires, basses résonantes étouffées, effets spéciaux sans intérêt. Heureusement, la puissance des DCR et des filtres permet de rattraper la misère dans bien des cas. Combien de machines géniales ont été desservies par des programmes d’usine moyens ! Par ailleurs, les modèles fournis manquent, à notre sens, de punch.
Au cœur des DCR
Le second DCR dispose des mêmes paramètres, totalement indépendants. Pour torturer davantage le son, on peut faire interagir les 2 DCR grâce au « Blender ». Ces interactions vont du simple mélange à l’intermodulation de paramètres. Imaginons que le DCR1 contienne un modèle de flûte et le DCR2 un modèle de piano. On peut imposer que les vibrations des cordes du piano influencent la taille du corps de la flûte. De même, on peut faire chanter un chœur à travers un piano, pincer les cordes d’une guitare avec une caisse claire. Bref, le genre de truc assez inhabituel dans la vie de tous les jours… Il existe 8 algorithmes de Blender régissant les connections entre les différents paramètres, donc le mode d’interaction. Pour corser le tout, on peut faire agir un LFO et une enveloppe. Epoustouflifiant !
La couleur de l’argent
Le premier multieffets agit sur les fréquences. Les algorithmes sont EQ / compresseur (3 bandes paramétriques), distorsion, modulation en anneau (avec choix de l’onde porteuse, du temps et du délai de crossover), décimateur (circuit sample & hold), et « Warp ». Le second multieffets est basé sur les évolutions temporelles. On peut choisir entre une spatialisation, un délai stéréo, un flanger, un phaser ou un chorus. Les paramètres sont en nombre suffisant et ils s’expriment dans leurs véritables unités (Hz, secondes). Côté modulations, le joystick rend d’innombrables services, comme nous allons le voir sans plus tarder.
Des modulations…
Autre perturbateur de signal, le module « Shaper 1/2 », qui comprend jusqu’à 6 enveloppes. Elles se décomposent en 3 types : amplification, niveau des paramètres et enveloppe libre. Pour l’amplification, on trouve 2 enveloppes ADSR affectées aux DCR1 et DCR2. Pour le niveau axial des paramètres, il y a également 2 enveloppes ADSR pour chaque DCR. Leurs niveaux d’action sont séparés pour les 3 couches de « Scape » et de « Sphere ». Enfin, l’enveloppe libre peut être configurée comme 2 ADSR séparées ou une enveloppe 4 temps / 4 niveaux. Elle peut moduler séparément le pitch des DCR et le Blender. Quant au module « Shaper 3 », il comporte 3 enveloppes ADSR pour moduler les 3 couches du module « Silver ». Chaque enveloppe peut être bouclée et soumise à l’action de la vélocité. Pas mal.
… à la pelle
Enfin, le Neuron offre une matrice de modulation pour affecter les contrôleurs physiques tels que la pression, le joystick main gauche (pitch / modulations), les contrôleurs rotatifs ou les pédales. Chaque contrôleur module 4 destinations simultanées avec réglages séparés. La liste est faramineuse, avec pas moins de 124 destinations, c’est-à-dire l’essentiel des paramètres de synthèse et d’effets. Glarg !
Effets maîtres
Mode multitimbral
Par ailleurs, c’est dans le mode « Setup » que le Neuron peut entrer en 5.1, en utilisant les 6 sorties audio analogiques (un port numérique multipistes ADAT est annoncé en option). Grâce au joystick du module « Silver », on peut placer les 4 programmes du Setup dans l’espace. En enregistrant les mouvements du joystick, on mélange les 4 sons, comme en synthèse vectorielle, mais en 5.1. Fabuleux ! Au global, la mémoire interne du Neuron dispose de 512 Setup utilisateur.
Lourdeur administrative
Hors norme
Les superlatifs manquent pour qualifier le petit bijou de Hartmann, mais aucun n’est galvaudé pour ce synthé hors norme. Le son est extraordinaire, la souplesse totale, les paramètres illimités. Subitement, les frontières de l’échantillonnage volent en éclat, on contrôle enfin les composantes structurelles du son. Mais le mieux, c’est que l’utilisation de la machine est d’une simplicité déconcertante : commandes en temps réel immédiates, ergonomie excellente, navigation matricielle immédiate. Les quelques défauts trouvés peuvent pratiquement tous être améliorés. Le Neuron est une machine somptueuse qui se démarque totalement de l’offre actuelle par tous ses aspects, composants, interface, terminologie, sons. De quoi ébouriffer les designers sonores les plus blasés !