Déferlante de produits chez Arturia en ce début 2012. Parmi les nouveautés, une émulation de l’Oberheim SEM, présentant de nouvelles fonctions maison. Étude de la bête.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’équipe d’Arturia carbure au survitaminé : les updates pour leurs produits existants tombent régulièrement, et sortent quasiment coup sur coup les divers Analog Experience, l’Oberheim SEM V et le MiniBrute (voir ici la dissection effectuée par l’ami Synthwalker). L’Oberheim s’ajoute à la série d’émulations de synthétiseurs mythiques initiée avec le Moog Modular V sorti en 2003 et complétée par des reproductions des Minimoog, CS-80, Prophet 5, Jupiter-8, après une première tentative de produire une version virtuelle d’une autre légende de la firme de Tom Oberheim, qui ne vit jamais le jour…
On ne présente plus la firme Oberheim, légendaire, qui a vécu quelques réussites et vicissitudes au fil de ses reprises par Gibson ou Viscount. Le SEM pour Synthesizer Expander Module fut le premier synthé (officiellement) présenté par son inventeur, en 1974 et récemment ressuscité par son créateur, en 2009, avec addition d’un Patch Panel (offrant les 33 connexions internes du module sur mini-jack 3,5 mm) et d’un Midi To CV Converter. Ce qui a certainement donné des idées à Arturia, puisque sa version virtuelle est elle aussi complétée de nombreuses fonctions.
Introducing Arturia Oberheim SEM V
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Disponible à l’achat sur le site de l’éditeur, à la fois sous forme physique (229 euros) et sous forme de téléchargement (220 euros), l’Oberheim SEM V est compatible Mac (attention, Intel seulement) et PC, et offre une version standalone, ainsi que les plugs VST (VST 3 y compris), RTAS et AU, en 32 et 64 bits. Comme d’habitude, l’autorisation sera faite en ligne via le eLicenser de Steinberg (ex-Syncrosoft), sur clé ou sur le disque dur. Une deuxième licence ne serait pas de trop, comme le pratiquent certains éditeurs, en ces temps de musique nomade où l’on ne souhaite pas forcément trimballer des tas de clés d’autorisation avec soi…
Pas de problème particulier à signaler à l’installation ou à l’activation, la procédure est rapide et transparente. Seule différence par rapport à d’habitude, le synthé autonome s’installe dans un dossier « Arturia » regroupant les plus récentes sorties, alors que les premiers synthés virtuels ont droit à leur propre dossier.
De l’original…
On retrouve la barre supérieure typique de l’éditeur, contenant l’accès aux présets par banques, types et individuellement. À ce propos, Arturia utilise enfin un système de classement et nom de présets dans le dossier installé sur le DD qui est transparent pour l’utilisateur : le nom du préset y figure en clair, et les présets sont classés par auteur. On est (enfin encore) loin des U_1173462144337.jpr du Jupiter, et autres dossiers nommés 0 contenant des présets nommés 0…
On dispose ensuite, depuis la version 1.1, du réglage de la polyphonie (jusqu’à 32 voix) ainsi que d’un switch Poly/Mono, d’une jauge CPU, du bouton d’ouverture des fonctions cachées et du bouton Midi Learn (on y reviendra).
Le centre du logiciel d’Arturia est la reproduction presque fidèle du module original. On trouve donc deux VCO, avec réglages de hauteurs, de modulation (soit de la fréquence, soit de la largeur d’impulsion), sélection du modulateur (enveloppe 1 pour le VCO 1, enveloppe 2 pour le VCO 2, LFO 1 ou 2 pour les deux VCO) et réglage de la largeur d’impulsion (de 10 à 90 %, position neutre au centre, comme pour presque tous les réglages). Entre les deux, l’indispensable bouton Sync. On trouve ensuite le célèbre VCF multimode résonant deux pôles (12 dB/oct.) de l’original, avec taux de modulation bipolaire, sélection du modulateur (Enveloppe 2, LFO 1 ou 2), sélection du type de filtre, Band Pass, et de Low Pass à Notch, puis de Notch à High Pass (en continu).
En-dessous se trouvent les rotatifs de sélection de forme d’onde des deux VCO, de Saw à Pulse. Attention, ce ne sont pas des réglages de balance entre les deux formes d’ondes, mais le volume de l’une ou de l’autre, la position centrale ne laissant passer aucun son. Le dernier rotatif est, selon le même principe, le volume du Sub ou du Noise. Ces deux derniers générateurs sont l’un des ajouts de l’éditeur : le Sub permet de sélectionner une forme d’onde entre Sine, Saw et Pulse avec largeur de l’impulsion, et sélection d’une ou deux octaves sous la fréquence de base. Le Noise est un classique bruit blanc.
Pour finir, les deux enveloppes trois segments (attaque, chute, maintien) et le rotatif de fréquence du LFO, ainsi que le bouton de synchro au tempo. Le réglage du rotatif passe alors d’un réglage de fréquence (de 0,01 à 13 Hz) à un multiple (de 1/32 à 16 fois le tempo de l’hôte). À l’exception des éléments déjà mentionnés, tout jusqu’ici correspond aux réglages disponibles sur l’original.
Par curiosité, et pour avoir lu souvent que tous les synthés de l’éditeur sonnaient de la même façon, j’ai comparé les formes d’ondes du Minimoog V avec celles du SEM V (dans cet ordre) et un réglage de filtrage à 3406 Hz avec résonance à fond (le release est différent, aucune incidence sur le son ici). À l’écran (voir les captures) et à l’oreille, nulle ressemblance…
…au virtuel
Bien évidemment, Arturia ne s’est pas limité aux fonctions du synthé de 1974. Et l’éditeur a aussi adjoint un second LFO, disposant des mêmes formes d’onde que celles du Sub, avec un réglage de vitesse, un switch de synchro et un de retrigger (redéclenchement de la forme d’onde au début de sa période à chaque nouvelle note solo).
Autres ajouts de l’éditeur, qu’il faudra prendre soin de désactiver régulièrement afin d’entendre réellement le soin de la bête, les effets, Overdrive, Chorus et Delay ainsi qu’un volume général et un bouton Soft Clip (ça devient une habitude sur quasi tous les plugs d’inclure ce type de fonction…). Chaque effet dispose sur la façade agrandie d’un réglage Dry/Wet et d’un bouton d’activation. Mais aussi de réglages supplémentaires accessibles via le panneau classique chez Arturia. Ainsi l’Overdrive dispose d’un Drive et d’un Damping, le Chorus de deux formes d’onde, de synchro au tempo, des réglages de vitesse, de réinjection, de profondeur, de largeur et de retard. Le délai quant à lui offre des réglages de temps et de réinjection, avec Link possible entre les deux voix, un effet Ping-Pong, un Damping et une synchro. C’est très complet, les effets sont corrects et remplissent leurs rôles. L’Overdrive ne valant quand même pas une bonne émulation séparée, on pourra utiliser avec profit celles dont on disposera sous forme de plug-ins externes. Si l’on a que celles intégrées aux DAW, on pourra rester avec celle du SEM…
Sur la gauche du clavier virtuel, on trouve un réglage d’accord et un de portamento avec bouton d’activation et rotatif de temps (de 0 à 2000 ms), de quoi faire de beaux Theremin ou tout autre effet de glissando. Ensuite, l’éditeur a inclus un Arpeggiator, avec bouton On/Off et Hold, vitesse de défilement (en Hz ou en division temporelle si l’on active la synchro, de deux mesures au 1/256e de noire !). Ensuite on paramètre le sens de lecture (haut, bas, aller-retour, aléatoire) et la tessiture (d’une à quatre octaves). Un outil qui n’a pas la sophistication des arpégiateurs extrêmement performants que l’on peut trouver sur d’autres synthés, mais qui ne dépare la conception du synthé et qui permet quand même de bien s’amuser.
Un petit problème quand même : en version 1.0, les présets mettent du temps à se charger (certains ne veulent carrément pas se charger…), et les enveloppes et effets continuent à résonner dans les présets suivants. On se croirait revenu au temps du DX7 (même si on pouvait créer des effets intéressants à partir de ce défaut) ! En version 1.1, les présets se chargent beaucoup plus rapidement, les récalcitrants sont rentrés dans le rang, mais le défaut de résonance est toujours là.
Autre défaut corrigé, le non-fonctionnement de la pédale de sustain. Un peu curieux quand même que ce genre de bug puisse passer le contrôle qualité, d’autant qu’il a fallu attendre deux mois l’update 1.1…
Modulations généreuses
Dernier petit raffinement ajouté par l’éditeur, la section Modulations composée de trois modules commutables indépendamment, qui se cache elle aussi dans le panneau escamotable. On commence par le Keyboard Follow, dont la conception et l’ergonomie feraient presque souhaiter qu’on le retrouve à l’identique dans d’autres synthés. On dispose en effet d’une interface permettant de placer autant de points que l’on veut sur une ligne et qui serviront de nœuds pour dessiner des segments très facilement par cliqué-glissé, avec possibilité de changer le segment en courbe (linéaire ou exponentielle), et ce pour chacun des six éléments sonores suivants : fréquence, résonance, type du VCF, largeur d’impulsion et réglage de fréquence du VCO 2 et pan. Extrêmement puissant, très simple d’utilisation, c’est indubitablement un point fort du synthé.
Autre section, celle permettant d’assigner huit contrôleurs (molette, aftertouch, vélocité, pitch bend, Env 1 et 2, LFO 1 et 2) à l’une des 26 destinations possibles (quasiment toutes les fonctions continues du synthé, c’est-à-dire à l’exception des activations ou changement d’état via switch), avec rotatif de taux bipolaire. On notera à ce propos l’excellente implémentation du Midi Learn, via le bouton Midi en haut à droite de l’interface : tous les éléments pouvant être commandés via Midi sont alors surlignés en violet, il suffit de cliquer sur le réglage désiré et de manipuler le contrôleur externe, le réglage passe alors en rouge, avec le numéro de CC correspondant. Difficile de faire plus simple et plus ergonomique, d’autant que les réglages restent en mémoire même après avoir quitté le logiciel, en standalone comme en plug-in. Pour le moment, sur cette section Modulations, Arturia fait un sans-faute.
Mais voici le dernier module, véritable gemme du synthé, le 8-Voice Programmer. Ce module reprend des principes dérivés de la famille des x-Voices ainsi que du mode Rotate de l’Xpander. On dispose ainsi de huit « cartes » activables pouvant être paramétrées de façon indépendante sur chacun des six paramètres suivant : fréquence, résonance, type du VCF, accord VCO 1+2, sustain de l’enveloppe 1 et mix du VCO 2.
On dispose de six modes de lecture, avant, arrière, les deux, aléatoire, Reassign et Forward Retrig. On peut donc finement modifier chaque voix de façon à produire des sons très riches, les « cartes » étant déclenchées conjointement en mode polyphonique, ou alterner des modifications plus drastiques en mode note à note, programmer des hauteurs, des filtrages totalement différents de manière à produire des sons ou notes de façon plus ou moins aléatoire, les contraindre à des changements illogiques, etc.
Voici un simple exemple de gamme de Do sur deux octaves ascendantes/descendantes pilotant des réglages différents en mode aléatoire puis avant/arrière.
Excellente implémentation, ce module ouvre de nombreuses voix de création, bravo Arturia. Pour finir, voici quelques exemples de sons piochés dans la banque de présets, parfois modifiés, où l’on retrouvera un beau son quasi vocal.
Des cuivres à la Hancock/Zawinul.
Et tous les changements de filtre caractéristiques, les enveloppes rapides, les sons et pads « moelleux » typiques de la marque, la rotation des différentes voix, etc.
Bilan
Levons tout de suite un point : je n’ai pas de SEM de 1974 dans le studio. Donc la comparaison est impossible autrement que par les souvenirs d’utilisation, les nombreux disques d’artistes l’ayant utilisé et les enregistrements d’un 4-Voice pour un certain Guide des Claviers paru il y a, ouh… Dire qu’il s’agit donc d’une copie conforme et fidèle n’aurait pas de sens. Fidèle, oui, car les fonctionnalités sont là, l’esprit aussi, et le son général est clairement Oberheim (le filtre doux) plutôt que Roland ou Moog par exemple, donc un outil que l’on peut ajouter à sa sonothèque si on recherche le son du SEM (comment, Jean-Pierre ? Oui, SEM en dernier mot).
Quelques lacunes sont pourtant présentes, comme cette histoire de prolongation des enveloppes/effets dans le préset suivant, les modulations qui font parfois entendre des paliers. Mais en regard des possibilités, du son, de la superbe section Modulations, on ne peut que saluer la qualité du synthé. Sa simplicité d’utilisation, qui n’est pas au détriment de ses possibilités, en fera aussi un outil idéal pour débuter dans le monde de la synthèse.