Avec Nave, Waldorf nous propose un nouveau synthé à tables d’ondes. Entre autres particularités, ce synthé logiciel conçu à l’origine pour iOS est décliné en plug-in pour Mac et Windows. Quels sont ses avantages, alors que la concurrence ne l’a pas attendu ?
Air du temps ? Zeitgeist ? Nostalgie ? Redécouverte d’une synthèse et de ses possibilités, voire création de nouvelles ? Toujours est-il que la synthèse à tables d’ondes est particulièrement en vogue, puisqu’on la retrouve au cœur de quatre synthés récemment sortis : Codex de Waves, Serum de Xfer Records, Rapture Pro de Cakewalk que l’on attend toujours (ça devient une mode, rejoignant ce qui se passe déjà dans le monde du matériel : les produits sortent, les versions à tester n’arrivent que plusieurs semaines voire mois après…) et maintenant Nave de Waldorf, qui a de plus l’insigne honneur d’être l’une des premières applications conçues à l’origine pour iOS (sortie en 2013) à être portée sous forme de plug-in pour nos toujours vaillantes bécanes « non-tablettes », sous Windows et Mac.
Nave a en effet été devancé par les PPG WaveGenerator et PPG WaveMapper de Wolfgang Palm, applis iOS devenues plug-ins Mac et Windows. Rappelons que Palm est l’inventeur de la synthèse à table d’ondes, et le créateur du circuit intégré spécifiquement créé (ASIC) pour le MicroWave, premier synthé de… Waldorf.
Revenons à Nave : qu’est-ce qui a pu motiver Waldorf à proposer ainsi une version spécifique pour ordinateur traditionnel, alors que la concurrence fait très fort dans le genre spécifique de la synthèse à tables d’ondes ? Serum, par exemple, semble être difficilement détrônable, tant le son, l’ergonomie et la puissance du synthé s’imposent, tandis que Rapture Pro, avec son mélange de deux synthèses, est assez prometteur (je n’ai pu essayer les versions plugs des PPG, mais l’App PPG WaveGenerator pour iPad est assez monstrueuse…).
Dépiautons donc Nave pour essayer d’en tirer quelques réponses.
Introducing Waldorf Nave
Disponible au téléchargement chez l’éditeur, Nave est vendu 149 euros et offre les plug-ins VST 2 & 3, AU et AAX pour Mac (à partir de Mac OS 10.7) et Windows (à partir de Windows 7), avec la compatibilité 32 et 64 bits.
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Le logiciel est protégé par l’eLicenser de Steinberg, que ce soit sur clé ou sur le disque dur, grâce au numéro de licence fourni. Hasard ou défaut, impossible de le savoir, mais en cours de validation du numéro, ma clé a disparu et il m’a fallu redémarrer l’ordi. Pas d’a priori de ma part envers ce mode de protection, mais l’on peut quand même rappeler qu’il interdit d’avoir plusieurs autorisations sur plusieurs ordis (sauf à passer la clé de l’un à l’autre), à une époque où de nombreux éditeurs, et pas des moindres, ont adopté l’idée inverse (le récent test du Hive de u-he rappelle que ce dernier offre un nombre illimité d’autorisations…).
En vogue
La première ouverture fait un peu peur, tant l’interface est gigantesque… Heureusement on peut passer à une taille en dessous via le menu System. (deux choix, Small et Big Size). L’architecture de Nave repose sur une structure à trois oscillateurs, une petite originalité au sens où Waldorf mélange les attendus oscillos à tables d’ondes (ils sont deux) à un oscillateur conventionnel, doté de cinq formes d’ondes (triangle, pulse, dent de scie, bruit blanc et bruit rose), renforcé d’une section Überwave, portant le nombre d’oscillos à huit maximum (pensez à une Supersaw, mais disponible pour toutes les formes d’ondes, sauf les bruits). Les réglages de l’oscillo sont la hauteur (en demi-tons uniquement), la largeur d’impulsion et son taux de modulation, ainsi que l’activation et le choix de la modulation via un menu déroulant (choix parmi 17 sources, entre LFOs, Enveloppes, divers contrôleurs MIDI, et les différentes valeurs du Pad X/Y plus un None).
Passons aux deux oscillos à tables d’ondes. Leur fonctionnement est semblable : on sélectionne une table d’ondes parmi les 86 offertes par Waldorf, qui apparaît dans la partie centrale du plug, et que l’on pourra faire pivoter selon tous les axes, y compris zoomer via la molette (la barre inférieure, appelée Detail Section, offre des onglets permettant de basculer d’un affichage à un autre, et l’on peut avoir une vision complète de la table en cliquant sur Wave, on reviendra sur cette fenêtre).
Au centre de l’oscillo se trouve un rotatif à double couronne, Wave permettant de choisir le point de départ de lecture (matérialisé par une ligne rouge), Spectrum permettant, lui, de déplacer le contenu spectral de la table lue. Deux paramètres supplémentaires permettent d’affiner ce réglage : Noisy et Brilliance (les noms parlent d’eux-mêmes) On trouve deux réglages d’accord (demi-tons, cents) et l’activation des modulations de la forme d’onde et du spectre, indépendantes, et réagissant à l’une des 17 sources disponibles. Un Amount individuel est fourni, ainsi qu’un suivi de clavier et d’un rotatif Travel, permettant un mouvement cyclique au sein d’une table d’ondes. Une synchro de ce déplacement est possible, au tempo de l’hôte (Clocked, valeur en battements, jusqu’à 1024 !) ou via redéclenchement (Sync). Glide et Pitch Mod (à choisir parmi les 17 sources déjà évoquées) complètent la partie spécifiquement dédiée à la hauteur et à la première « moitié » du timbre.
Hiss et haut
Les trois signaux passent ensuite dans un filtre multimode, multipente. Waldorf connaît en ce domaine aussi son métier : souvenons-nous du D-Pole, plug reprenant les filtres de synthés Waldorf, un des premiers outils de filtrage indépendant sérieux (sorti en 1999). Ici, CutOff et Resonance influeront sur le son suivant le type de filtre (Low, High et Band Pass, 12 ou 24 dB/oct.). Suivi de clavier, taux d’action du générateur de forme dynamique et sa réponse à la vélocité, puis taux de modulation dans la liste des 17 choix forment la partie permettant d’animer l’action du filtre et l’on bénéficie d’un écran de visualisation de la pente et de la résonance.
Le filtre sonne très bien, d’autant qu’il est complété d’un module de Drive très souple. D’abord par le type de distorsion offert (cinq : PNP, transistor, Tub, lampe, PU, pickup, Dio, diode et Cr, waveshaper) et ensuite par le choix de placement : avant ou après le filtre, avant ou après l’EQ. Le taux permet ensuite de doser précisément l’effet.
Nave offre ensuite deux LFO, avec six formes d’ondes, réglages de vitesse, de retard et de phase. On peut synchroniser ou non le LFO, selon sa propre horloge ou celle de l’hôte (valeur en nombre de battements, jusqu’à 1024).
Dans la cale
La section Details permet d’accéder sept sous-fenêtres supplémentaires, la première étant celle dédiées aux générateurs de forme dynamique, Env. Waldorf en offre trois, dont deux sont pré-assignées (Filter et Amp) mais toutes trois peuvent être assignées aux diverses cibles acceptant une modulation. Toutes trois sont de type ADSR, mais offrent plus de raffinements que les classiques quatre segments : d’abord on dispose de fonctions de bouclages, AD ou ADSR (segments Attack et Sustain ou totalité). Ensuite, les deux enveloppes de filtre et de volume offrent des sélecteurs Lin ou Exp sur les segments D et R, et Lin, Exp et RC (simulation d’une courbe convexe) pour l’Attack. On trouve aussi un switch Single Trigger, actif quand le synthé est en mode Mono. Une section puissante et pratique, le réglage s’effectuant via un curseur lumineux et l’action de la boucle éventuelle s’affichant dans le visualiseur. Assez simple, mais bienvenue, la section Matrix offre dix slots avec source, taux bipolaire et destination, dommage qu’il n’y ait pas de possibilités d’insérer un mode Via (par exemple, faire en sorte que le LFO1 module la fréquence de coupure du filtre VIA l’aftertouch).
On continue avec la page Arpeggiator. Assez classique, il offre six directions (Up, Alt Up, Down, Alt Down, Random et Funnel, alternant en mouvement contraire), des possibilités de synchro (à l’hôte, sur le temps faible, Beat ou selon la division rythmique jouée, Onset ou interne). Plusieurs patterns sont fournis, un réglage d’horloge (en division rythmique), de Gate, de Timing (pour le ternaire) et d’octave permettent d’affiner les réglages. Plus intéressant, le Reset permet de définir le nombre de notes avant redémarrage de l’arpège, idéal pour correspondre à des mesures impaires, ou pour des effets de polyrythmie. Enfin, l’Arpeggiator fonctionnera normalement (note maintenue égal note jouée), en 1 Shot (arpège joué une fois) et en continu (Hold, même si les notes sont relâchées), suivant différents ordres (As Played, Reversed, Vel Lo>Hi, etc.).
Enfin les sections FX1 et FX2 proposent les classiques du genre, Phaser, Flanger, Chorus, Delay, EQ, Compressor et Reverb sachant que cette dernière n’égale pas un processeur dédié (mieux vaut en utiliser une externe) et que les autres effets remplissent leur fonction sans grand génie, mais avec une qualité suffisante pour être utiles.
Sur la vague
Les origines de Nave pour tablette tactile font que l’on perd ergonomiquement, malgré tout : ainsi le ruban intégré (dans la section Wave), pratique pour écouter la table d’ondes en cours, en avant et en arrière, avec ou sans les effets, sur différentes octaves, perd de l’intérêt à la souris (même s’il reste utile lors de l’édition), tout comme les mouvements et zooms sur la table d’ondes, le jeu via les Blades (autre représentation d’un clavier) ou les Pads X/Y (dans la section Control).
La section Wave est indéniablement la plus intéressante. En effet, grâce aux possibilités offertes par Nave, on va pouvoir éditer de façon fouillée les différentes tables d’ondes. La concurrence, comme Serum, offrant des fonctions poussées, il fallait que Waldorf fasse aussi bien, voire mieux. Bien entendu, il est assez souvent difficile de juger ce qui est le mieux (assez souvent, car parfois les choses sont simples…), en tout cas Waldorf a fait différent.
On choisit d’abord sous quelle forme graphique on veut visualiser la table d’ondes, en 3D ou sous forme spectrale (nan, pas le fantôme), les deux options manipulables dans tous les sens, avec de nombreuses options de lissage/présentation (Peaks, Smooth Plane, Lines, etc.). Une fois la table affichée, un clic sur Edit fait basculer en mode spectral, accompagné d’outils de sélection : Partials permet de sélectionner une plage de fréquences (jusqu’à 512 rangs), Position sélectionne une partie de la table d’ondes (suivant le nombre de formes d’ondes, variable) et Amount (bipolaire) applique le taux désiré de modifications, à choisir parmi neuf options. Ainsi on dispose de Level, Expand/Contract, Permutate, Rotate Waves, Shift Waves, Rotate Partials, Shift Partials, Gyrate et Random (les noms parlent d’eux-mêmes, pour plus d’informations le manuel est disponible en anglais chez l’éditeur). Le ruban prend là toute son utilité, puisqu’il permet de se positionner précisément à un endroit pour édition. On peut donc sélectionner des zones à éditer, appliquer des traitements différents selon les zones, par exemple baisser le volume sur telle zone (jusqu’à l’effacer complètement, idéal pour rattraper des erreurs ou des artefacts non désirés), modifier les partiels ailleurs, déplacer les formes d’ondes, etc. Extrêmement puissant et efficace, avec un seul regret, de taille : il n’y a pas de possibilité de revenir en arrière (pas d’Undo/Redo). Vraiment dommage quand on est dans un domaine d’édition destructive.
On peut travailler sur les tables fournies, ou créer les siennes de deux manières : une assez amusante est la fonction Talk To Wavetable, dans laquelle il suffit de taper un texte pour que Nave crée la table d’ondes correspondante. En voici deux exemples. D’abord le mot « Audiofanzine » :
Puis « Hello Boys And Girls » dans sa version brute, puis légèrement retouchée via les différentes fonctions de l’éditeur.
La deuxième façon de faire est l’import de fichiers audio, analysés par Nave et mis à disposition de l’utilisateur. Le synthé reconnaît plusieurs formats audio : AIFF, Wave et MP3 (mais ni Flac, ni Alac et autres Ogg Vorbis). Le résultat varie fortement suivant le type de fichier, et faire entendre des exemples pour cette fonction particulière n’aurait pas grand intérêt, puisque les sources peuvent être de tout type et ne sont a fortiori que des bases pour la synthèse. On prendra soin de ne pas importer de fichiers trop longs, et avec une qualité sonore correcte, sauf recherche d’effet particulier.
Du son
Mais écoutons plutôt ce que la bête a à offrir, en piochant dans la vaste bibliothèque accessible via le navigateur intégré, fonctionnant par banques, catégories et Patches. Les Patches ont été parfois modifiés, les effets la plupart du temps ont été laissés tels quels, à l’exception de la réverbe, souvent désactivée. D’abord, quelques arpèges (l’arpégiateur montre parfois quelques sérieux problèmes de maintien de notes).
Puis des Pads et autres nappes.
On continue avec les Basses.
Ensuite des Leads.
Et pour finir, des synthés et autres claviers.
Bilan
Si l’on retrouve bien le côté évolutif des sons à base de table d’ondes, un certain déficit de basses profondes nous rappelle, et ce malgré quelques exceptions (grâce à la présence d’un oscillateur conventionnel, qui nous emmène plus du côté soustractif), que les deux phénomènes associés sont la signature sonore par défaut de ce type de synthèse.
Nave a pour lui de nombreux points forts : la conception de ses oscillos, ses enveloppes, l’ajout d’un oscillateur conventionnel, le Mixer permettant de faire aussi du Ring Mod, les Blades, la page d’édition Wave et ses possibilités de création de tables, notamment via texte, assez bluffantes (les meilleurs résultats étant évidemment obtenus avec l’anglais). Mais face à Serum, voire à l’ergonomie des oscillos de Codex, il n’est pas sûr que son passage à la version plug-in remporte l’adhésion qu’il a pu rencontrer sur tablette tactile, malgré ses qualités.
Si l’on veut en revanche triturer des sons à base de synthèse vocale, jouer avec des mots, des phrases synthétiques, Nave peut se révéler un client de choix.