À peine sorti, Serum, synthé à tables d’ondes créé par un petit éditeur, Xfer Records, a tout de suite bénéficié de rumeurs très favorables. À l’heure où la concurrence en ce domaine est assez fournie, Audiofanzine se devait de comprendre pourquoi. Revue de détails.
L’actualité dans le domaine de la lutherie virtuelle présente assez souvent des moments synchrones, calés ou non sur une mode sonore ou esthétique. Un des derniers exemples est la sortie à quelques semaines de décalage de deux synthés à tables d’ondes, le Xfer Records Serum et le Waves Codex, tous deux revendiquant dans leur communication une place de parangon dans la catégorie. Bien entendu, il n’est pas question de dire que l’un a copié l’autre ou inversement, un mois d’écart ne suffit pas pour développer un tel synthé. Disons qu’il s’agit probablement d’une conséquence de l’air du temps…
Le Codex, dernier sorti, a été le premier testé chez AF, non en raison d’une quelconque préséance, simplement parce que le Serum nous était encore inconnu à l’époque de la demande auprès de Waves. Voici donc le test de ce dernier, qui est donc le premier, alors qu’il n’arrive ici qu’après le second. Relisez cette phrase, et passez à autre chose…
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Xfer Records est ce que l’on peut appeler un petit éditeur. Pourtant son créateur, Steve Duda, est tout sauf un inconnu : d’aucuns auront remarqué sa présence en tant que musicien, programmeur ou développeur chez différents artistes (Nine Inch Nails, par exemple), derrière le BFD première manière, ou encore en tant que moitié de l’entité Devine Machine, hélas disparue, créatrice des magnifiques Devine Machine, Lucifer et autres Guru. Il se produit depuis quelques années en duo avec le producteur Deadmau5, avec une utilisation remarquée des Lemur et Monome sous le nom de BSOD (eh oui…), et nous propose sa vision du « dream synthesizer », sous le nom de Serum.
Introducing Xfer Records Serum
Le synthé est disponible sur le site de l’éditeur, pour la somme de 189 dollars (à peu près 155 euros au moment de ce test). Le logiciel est compatible Windows (XP, Vista, 7, 8) et Mac (à partir d’OS 10.6), et fonctionne en 32 et 64 bits. On dispose des formats de plug-ins VST, AU et AAX, mais, premier regret, il manque une version autonome.
On apprécie en revanche le système d’autorisation via numéro de série, et l’absence de limites dans le nombre de machines sur lesquelles on peut installer le synthé : tant qu’elles sont à vous, vous pouvez en autoriser autant que vous en possédez.
Vu la proximité de sortie commerciale et le type de synthèse, on fera inévitablement des comparaisons avec Codex lors de ce test.
Place magique
Indéniablement, les deux synthés présentent des ressemblances mais ils montrent autant de différences. Au chapitre des premières, la conception à deux oscillateurs, un Sub, un Noise, un filtre multimode/multipente, quatre LFO, trois enveloppes, des effets, une matrice de modulation. Quant aux secondes, elles sont très nombreuses, car même au sein d’un même élément commun, le design, la topologie sont très différents. Notons aussi que Codex bénéficie d’un arpégiateur, alors que Serum, non. Serum est conçu autour de quatre fenêtres, Osc, FX, Matrix et Global, la partie inférieure de l’instrument ne changeant pas.
Commençons par les oscillos et ce qui s’y rapporte. D’abord, le générateur de Sub, qui est très complet, offrant six formes d’ondes différentes, sur plus ou moins quatre octaves, avec niveau et Pan et l’assignation possible à une sortie directe (sans passer par filtre et effets). Le Noise n’a rien à lui envier, puisqu’il va bien au-delà des classiques bruits blanc, rose, etc. Ainsi, on dispose de six familles de bruits, allant de Analog, noises provenant de synthés (ARP, Juno 106, MicroKorg, SH, etc.) à des attaques en tout genre, Attack Kicks (des kicks, bien sûr), Attack Miscs (des strum de guitares, des charleys, etc.), en passant par différents spectres (FP Inharms), des sons Organics (sprays, porteuse électrique, sac en papier (!), etc.) et autres bruitages (SOR, de bulles dans l’eau à différentes machines). Si cela ne suffisait pas, le générateur peut être placé en One Shot ou en boucle, peut disposer d’un suivi de clavier, de modifications du point de lecture, fixée (Phase) et/ou pseudo-aléatoire (Rand), de la hauteur d’origine, du pan et du volume. Et, cerise sur legato, on peut ajouter au dossier dédié du synthé ses propres formes d’ondes de transitoires, bruits, ambiances, etc. Très, très bien vu. On se rend déjà compte qu’avec simplement ces deux modules et le filtre, on peut produire des sons intéressants…
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Passons aux oscillos proprement dits : ils sont identiques, offrent jusqu’à 256 tables d’ondes d’origine et les habituels réglages d’accord (octave, demi-ton, fin et grossier). Il y a deux principales différences avec les oscillos de Codex : la première est que les oscillos ne disposent pas de leur moteur de lecture intégré avec point de départ, milieu et fin (voir le test de Codex ici). Il faudra donc passer par les LFO et enveloppes, ce qui pourrait sembler être un handicap, mais on y reviendra. La seconde est que les oscillos de Serum disposent d’un éditeur de forme d’onde extrêmement complet, et là, la balance penche du côté du logiciel de Xfer Records (voir encadré).
On trouve bien entendu un réglage de position de départ de lecture de la table d’onde (sur 256 pas, ou Sub-Tables). Moins commun, un superbe outil pour modifier la table avant même d’envoyer le signal vers le filtre, nommé Warp, et constitué de nombreux processus, de la Hard Sync à la FM (depuis l’Osc 2, le Noise, le Sub), en passant par un Ring Modulator, de la quantification, de l’inversion, du mirroring, etc. Le processus choisi sera appliqué selon un pourcentage réglable via un rotatif. Certaines des modifications (les Remap) ajoutent une loupe à ce dernier, ouvrant un écran d’édition multipoint sur une grille 16 × 16 permettant de redessiner précisément les processus, dont les changements sur les formes d’ondes sont tout de suite visibles dans l’écran affichant ces dernières (sous forme temps/amplitude classique ou en représention Waterfall 3D, la première forme étant très précise, confirmée via passage dans un oscilloscope). Et nous ne sommes même pas encore dans l’éditeur de table…
Les autres réglages sont un Unison, jusqu’à 16 voix (!), avec Detune et Blend (mixage avec le son d’origine), et les Phase, Rand, Pan et Level déjà présents sur d’autres sections. On apprécie la correction automatique du volume lors de l’augmentation de voix, évitant le classique effet de « louder is better ». Si l’on avait loué la qualité et l’ergonomie des oscillos de Codex, force est de reconnaître que ceux de Serum, malgré l’absence de réglages (directs) de formants, mais avec leur nombre de tables, le Warp, la possibilité d’import (également présente sur Codex) et surtout l’éditeur, les surpassent totalement.
Filtrage tout terrain
Voyons ce qu’il se passe du côté du filtrage, élément essentiel de tout synthé qui se respecte (sauf quand il n’en inclut pas directement, à vos exemples dans les forum…). D’abord, le routing : Sub, Noise, Osc 1 et 2 peuvent être envoyés ou non dans le filtre, grâce à quatre boutons dédiés, complétés par celui du suivi de clavier. Puis les réglages : Cutoff, Reso, Pan, Drive, Var (Fat, qui devient Freq2 quand on utilise un filtre multiple, ou Formant, on y revient), et Mix (transformable en volume de sortie du filtre). Ensuite, et là aussi, l’éditeur nous choie : le filtre est multimode, multipente, certes, mais avec bien plus d’options que ce qu’on a l’habitude de rencontrer. Hors quelques plugs spécialisés (du côté de Fabfilter ou Tone2 par exemple), il est rare de disposer d’autant de types de filtrage au sein d’un même plug, qui plus est un synthé. Ainsi, Serum offre quatre familles : d’abord, Normal, regroupant les classiques filtres de type Ladder (Moog), SVF (filtre à variable d’état, Low et High), du premier au quatrième ordre, et les Band, Peak et Notch (12 ou 24 dB/oct. seulement). Ensuite la famille Multi présente des doubles SVF (le bouton Var devient Freq2), ainsi que des triples SVF (permettant un morphing entre les différents états, par exemple de low pass à notch à high pass et vice versa). Puis Flanges propose des filtres en peigne, des phasers et flangers, plus ou moins dotés de filtres (Low, High), extrêmement efficaces. Enfin, Misc regroupe EQ, Ring Mod, S & H, filtres passe-tout, formantique ainsi qu’un French LP (un double filtre avec feedback mutuel, très chouette saturation, en hommage à la french house…), un German LP, etc. Wow…
La place va manquer pour décrire tout ce que l’on trouve dans ce synthé, et il va être temps d’écouter un peu de son. Mais parlons quand même d’autres points (plus ou moins) remarquables : les trois enveloppes sont toutes sur le modèle AHDSR, avec des temps maximum de 32 secondes. Point fort ? Elles sont librement assignables, sans routing pré-établi ; du coup, on peut assigner une même enveloppe à autant de paramètres qu’on le souhaite, très simplement : on clique-maintient le nom de l’enveloppe, on le dépose sur le paramètre visé, et voilà ! Notons que toutes les assignations de modulation s’effectuent de la même façon, bravo. Les LFO sont bien plus flexibles, en ce sens que l’on peut totalement les éditer, suivant une grille 16 × 16, qu’ils disposent de présets, qu’ils peuvent être synchrones ou non, en mode Trig, one shot (Env, avec point de bouclage et loop), ou libres, qu’ils offrent un retard, une montée progressive et un réglage Smooth, ainsi qu’un fonctionnement forcé en ternaire ou note pointée. Bien paramétré, on peut en tirer bien plus de choses qu’un simple arpégiateur…
Au niveau des effets, l’éditeur fait aussi fort : dix sont disponibles dans la page dédiée, routing (cliqué-glissé), activation, modulation étant totalement libres. Filtre, Disto, Flanger, Phaser, Reverb, Delay, etc. sont tous au menu, avec suffisamment de réglages pour être utilisés de façon créative (l’effet Filter reprend tous les types du filtre du synthé, par exemple), sachant qu’il faut les considérer comme des effets en fin de chaîne audio. On utilisera notamment la matrice de modulation pour les… moduler, matrice qui présente dans sa page dédiée 32 lignes d’assignation, dans lesquelles on règlera Source, courbe de réponse, taux (bipolaire), destination, direction (uni, ou bi), deuxième source, action des deux (multiplication, inversion, sans interaction), courbe de réponse encore, et taux d’action final. Eh bé…
Il faut mentionner encore les deux Chaos, sortes de LFO aux réglages « simplifiés », que l’on ne peut assigner que dans la matrice, tout comme l’aftertouch, le pitch bend, une fonction Fixed, une génération pseudo-aléatoire de note ou la sortie du générateur de bruit (si…). Ou encore la puissance et les options de l’import de formes d’ondes, ou les Macros.
Après ce déballage impressionnant, et avant d’écouter quelques sonorités du synthé, le résultat du test effectué concernant la latence propre du synthé (voir test de Codex, et les résultats pour ce dernier et le Wavestation) : si l’on prend un son sans aucun effet (respect du protocole), on obtient à peine huit samples de décalage…
Du son maintenant ; d’abord, quelques basses.
Puis des synthés et autres claviers.
Des sons donnant l’impression de séquences, en rappelant qu’il n’y pas de séquenceur ou d’arpégiateur, merci aux LFO et enveloppes.
Ensuite des Leads.
Et pour finir, des Pads.
Serum sert au logis
On l’a maintes fois dit en ces lieux, si la production de logiciels, plugs d’instrument ou d’effet est assez constante en termes de qualité, elle est parfois tout autant constante dans son ronronnement, ne remue pas grand-chose, ou n’apporte rien d’innovant. Difficile, me direz-vous, d’inventer à chaque fois. Certes, mais il n’y a qu’à éviter de sortir tout et n’importe quoi, certains développeurs montrant très bien l’exemple en n’ayant que très peu de choses à leur catalogue, chacune d’elles en revanche innovant ou présentant de manière différente un concept depuis longtemps connu et pratiqué. Sans compter les fous furieux qui repoussent les limites du traitement audio ou de la synthèse via des voies jusque-là inexplorées, ou peu connues du grand public. Bref.
Xfer Records n’a pas grand-chose à son catalogue, étant relativement récent. En revanche son approche et sa mise en œuvre de la synthèse à tables d’ondes place indéniablement Serum parmi les meilleures réalisations dans cette famille d’instruments, d’autant que le son est à la hauteur des possibilités, ce qui n’est pas toujours le cas. Bien sûr, il y a encore quelques bugs ici et là, mais l’éditeur réagit très vite, et les mises à jour sont régulières ; je n’ai aucun problème quant à lui décerner un Award Valeur Sûre, pas plus qu’à continuer à tripatouiller le synthé en expérimentant toutes sortes de représentation graphique du son avec des modulations (elles aussi parfois conçues graphiquement) aussi farfelues que riches…