Succédant au SH-01 « GAIA », le GAIA 2 est un synthé à synthèse VA et tables d’ondes qui se veut abordable, compact, intuitif, polyvalent et extensible, pour la programmation rapide de sons variés et séquences évolutives. Va-t-il renouveler le genre ?
Devant la qualité et la puissance atteintes par les synthés logiciels, les constructeurs de matériel se sont rendus à l’évidence qu’un VST dans une boite avec des boutons et des touches n’est plus une réponse suffisante à la demande des musiciens. Par ailleurs, le segment du synthé d’entrée/moyen de gamme est aujourd’hui bien achalandé, avec une offre variée d’instruments numériques, hybrides, voire tout analogiques. Pas facile de se différencier dans cette complexité, qui plus est dans un contexte économique d’inflation, donc de gestion de priorités. Les moyens s’amenuisent, les surfaces disponibles aussi. On voit donc poindre une nouvelle génération de synthés compacts, voire très compacts, chez la plupart des constructeurs, au point que le synthé à clavier 3 octaves est en passe de devenir un standard, que ce soit avec des touches mini ou normales. Le GAIA 2 est arrivé dans ce contexte incertain et disputé il y a quelques mois. Avec un prix vite revu à la baisse, un look fort sympathique, des dimensions compactes, de nombreuses commandes directes et une émancipation assumée par rapport à son prédécesseur SH-01, voyons en quoi il peut sortir du lot.
Ergonomie réussie
Le GAIA 2 est carrossé dans une coque en plastique fin et une façade en alu naturel. Embarquant un clavier 3 octaves à touches standard sensibles à la vélocité (mais pas à la pression), il mesure 66 × 34 cm pour 4,4 kg. La qualité de construction est soignée, avec des potentiomètres de bonne résistance et un clavier de bonne facture, bien au-dessus de ce que proposent la plupart des concurrents dans cette gamme de prix. La compacité permet à l’instrument de s’intégrer dans un environnement contraint ou de se promener facilement en tournée. Dommage que les piles aient disparu. Avec un look fort réussi, la face avant est couverte de commandes pour l’édition des paramètres de synthèse et d’effets, l’édition des séquences, ainsi que le jeu en temps réel. Ce sont 32 potentiomètres, 7 sélecteurs rotatifs, 7 encodeurs, 8 curseurs linéaires et 49 boutons qui attendent nos mains expertes, logiquement répartis sur toute la surface disponible. On apprécie que chaque section ait ses propres commandes directes, tels les 3 oscillateurs, les 2 LFO et les 2 enveloppes. Pas de compromis sur ce plan en ce qui concerne les paramètres essentiels.
Le reste de l’édition se fait par les menus. En maintenant la touche Menu, il suffit de bouger une commande ou un contrôleur pour atteindre la page correspondante. En appuyant sur l’encodeur principal, on accède à un synoptique représentant les différents modules, au sein desquels on navigue avec l’encodeur ou le pad (navigation en 2D + sélection). Ce dernier permet également de piloter deux paramètres simultanés en temps réel ou de programmer des mouvements synchronisables à l’horloge, à différente vitesse, avec option bouclage et condition de retour à zéro, une excellente idée ! Tant qu’on parle des contrôleurs, signalons les 2 molettes, un peu petites, mais tout à fait dosables avec un peu de concentration, ainsi que les touches de transposition, par demi-ton ou par octave. On apprécie également le soin apporté aux graphismes utiles dispensés par l’écran OLED 128 × 64 points : visualisation des formes d’ondes des oscillateurs en temps réel, formes d’ondes des LFO, courbes des enveloppes, mouvements du pad, accords… du très bon boulot. Du coup, l’expérience utilisateur est bien supérieure à ce qu’on ressent sur un Jupiter-Xm, par exemple. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, Roland a prévu les fonctions d’initialisation, le mode manuel et le classement des programmes par catégorie. Dommage que la fonction Compare soit absente.
USB toujours à l’honneur
Mise à part la prise casque au format jack 3,5 mm judicieusement placée à l’avant sous les molettes, le reste de la connectique est situé à l’arrière. On commence par les prises jack 6,35 mm : sorties audio L/R, seconde sortie casque stéréo, entrée pour pédale largement assignable (interrupteur ou continue). Vient ensuite l’entrée et la sortie Midi DIN, puis les deux prises USB : USB-A pour relier une clé de sauvegarde, un clavier de commande ou l’interface optionnelle WC-1 permettant la connexion au Cloud Roland en wifi ; USB-C pour le Midi et l’audio Class Compliant, bravo ! Le GAIA 2 transmet et reçoit les CC Midi via ses prises DIN et USB. Si l’alimentation de puissance peut s’effectuer avec la borne circulaire (bloc externe central assez qualitatif fourni), on peut également utiliser la prise USB-C avec un bloc optionnel (5V/1500 mA requis). Avec cette connectique plutôt complète, on regrette simplement l’absence d’entrées audio pour traiter des signaux externes.
Sonorités variées
Le GAIA 2 est un synthé numérique monotimbral polyphonique 22 voix. Si la polyphonie est assez confortable, que penser de la monotimbralité ? Avec un clavier limité à 3 octaves, difficile de jouer en split. Quant à l’empilage de couches sonores, il est moins critique quand on a 3 oscillateurs par voix, qui plus est avec différentes couleurs de synthèse. Du coup, c’est un point moins négatif que prévu. On apprécie les bons niveaux de sortie et la propreté du signal. On apprécie également la diversité de couleurs sonores rapidement accessibles grâce aux commandes généreuses et aux changements radicaux faciles à opérer, que ce soit par les paramètres de synthèse (type d’oscillateur, interactions, type de filtrage, modulations par les LFO, effets) ou les contrôleurs physiques, notamment le pad à mouvements vraiment bien pensé pour modifier le son en temps réel ou de manière programmée. On apprécie également les transitions douces entre les programmes lorsque des touches sont maintenues, un vrai atout pour la scène.
Au plan sonore, le GAIA 2 offre 256 présélections, classées par banque et par catégorie. Les pads évolutifs, les effets spéciaux, les puissants leads désaccordés type Hoover, les basses métalliques ou filtrées, les synchros déchirantes, les modulations en anneau agressives, les ondes distordues ou FM, voilà les domaines de prédilection du synthé. On note de l’aliasing dans les hautes fréquences lorsqu’on balaie rapidement les tables d’ondes ou qu’on module les oscillateurs dans l’audio, ça fait partie de l’identité sonore de la machine. Celle-ci change pas mal par rapport à la rondeur habituelle des synthés de la marque. Cette dernière n’est toutefois pas négligée, grâce au moteur SH-101 intégré qui prend ici tout son sens en parfait complément sonore (96 présélections spécifiques sont d’ailleurs intégrées pour ne pas partir d’une page blanche). On apprécie au passage la qualité des effets bien musclés, que ce soit dans le nombre ou la variété des traitements proposés. Et pour ceux qui aiment programmer leurs sons, la mémoire interne offre 512 emplacements. Bref, le GAIA 2 fait totalement oublier son ancêtre SH-01 sur le plan sonore, dont on ne regrette pas la perte de la partie PCM multitimbrale.
- GAIA 2_1audio 01 Mod Pad01:16
- GAIA 2_1audio 02 WT Bass00:28
- GAIA 2_1audio 03 Wave Tines01:01
- GAIA 2_1audio 04 GAIA-30301:04
- GAIA 2_1audio 05 Motion Chord00:39
- GAIA 2_1audio 06 Simple Solo00:26
- GAIA 2_1audio 07 Pluckimba01:18
- GAIA 2_1audio 08 SH SawSub00:27
- GAIA 2_1audio 09 SH FastEnv00:38
- GAIA 2_1audio 10 SH Poly00:41
Tables d’ondes et VA
Le GAIA 2 intègre un moteur sonore spécifique et est par ailleurs capable d’importer certains moteurs ZEN-Core. Le moteur SH-101 est intégré, mais on peut acheter des licences supplémentaires (Jupiter -8, Juno-106 et JX-8) sur le Roland Cloud (voir encadré plus bas pour le modèle intégré SH-101 et se reporter au test du Jupiter-Xm pour les modèles optionnels). Dans l’architecture de base, chacune des 22 voix comprend 3 oscillateurs, un mélangeur, un filtre, un ampli, 3 enveloppes et 2 LFO. Les voix peuvent être jouées en polyphonie, monodie, unisson (mono/poly avec désaccordage et élargissement stéréo) ou accord (jusqu’à 8 notes mémorisables).
L’oscillateur 1 est basé sur les tables d’ondes, dont le point de lecture (128 indexes) est modulable en temps réel par une enveloppe, deux LFO ou des contrôleurs physiques. On trouve 63 tables d’ondes en mémoire interne : résonances, dents de scie tordues, impulsions variables, textures métalliques, percussions, bruits, voyelles, spectres, rythmes, accords, feedback, FM, basses, voix synthétiques. On ne peut hélas pas importer ses propres tables, contrairement à certaines machines concurrentes. On peut régler l’octave sur 6 octaves et ajuster finement la hauteur. Mieux, on peut moduler la phase ou déformer les ondes en audio (15 Wave Shapers intégrés) avec le pad à deux axes (déformation + saturation pour les Wave Shapers). Cela crée des contenus harmoniques variés et évolutifs, parfois chaotiques, parfois métalliques, parfois distordus. C’est surtout sur ce point que le GAIA 2 se distingue des autres synthés purement VA.
Les deux autres oscillateurs sont plus classiques, de type VA, avec des formes d’ondes continuellement modulables, à partir de 6 ondes de base : sinus, triangle, dent de scie, impulsion, Supersaw, bruit. La modulation concerne la largeur d’impulsion/le désaccordage (Supersaw) ou le niveau des basses fréquences. Pour le bruit, on trouve différentes couleurs ou textures continuellement variables : blanc/rose, rose/applaudissements, écoulements/gargouillis, vinyle/moteur, vent/métal. Les variations d’ondes ou de couleurs se font sur 256 valeurs. Les oscillateurs 2 et 3 peuvent interagir de différentes manières : synchro de 3 par 2, modulation en anneau de 3 sur 2, modulations croisées (2 variantes ajustables et modulables par la vélocité). Cela permet de produire les classiques sons de percussions et drones métalliques. Une section de génération sonore très fouillée…
Filtre multi-mode résonant
Une fois le niveau des trois oscillateurs ajusté, on entre dans le filtre multimode. Il offre 3 pentes (2–3–4 pôles) et 3 modes de réponse (passe-bas, passe-bande, passe-haut). Il n’est pas modélisé sur un synthé en particulier (c’est évidemment différent pour les modèles Zen-Core additionnels). La fréquence de coupure répond de manière très lisse. Capable de pousser le filtre en auto-oscillation, la résonance est particulièrement agressive en modes passe-bande et passe-haut. Elle n’est pas compensée, ce qui est dommage sur un synthé numérique (en fait, on aimerait que les constructeurs intègrent d’office des modes compensés et non compensés, chacun ayant ses avantages). On trouve aussi une saturation avec possibilité d’ajuster le gain de sortie, dont l’action se conjugue aux autres réglages.
La fréquence de coupure est directement modulable par le suivi de clavier (-200/+200 %), la vélocité et une enveloppe ADSR dédiée. La résonance est directement modulable par la vélocité, toujours sympa à prendre. En bout de course, on peut encore ajuster le volume du programme, l’action bipolaire de la vélocité au volume, la brillance, le panoramique, le tempo, le portamento, les différents modes de voix et la catégorie sonore. Cela se fait dans différentes pages menu, Roland aurait pu simplifier un peu en regroupant certains paramètres (notamment les niveaux), vu que le synthé est monotimbral.
Modulations limitées
Les modulations du GAIA 2 sont pour la plupart préassignées. Seuls les LFO et les contrôleurs physiques sont assignables à des destinations libres, les enveloppes ADSR étant assignées dans le dur, dommage. Il y a 2 LFO quasi identiques, offrant 6 formes d’ondes (sinus ou triangle, dent de scie, carré, aléatoire, S&H et une onde programmable sur 16 pas). La vitesse peut être réglée librement (on reste sous les fréquences audio) ou synchronisée au tempo, avec division temporelle. Le cycle peut être libre ou redéclenché. On trouve aussi des réglages de délai, fondu d’entrée, courbe de pas (pour l’onde programmable) et 4 destinations libres d’assignation (quasiment tous les paramètres continus de synthèse et d’effet en façade), avec quantité de modulation bipolaire. L’assignation se fait en direct avec les commandes, bien vu.
La première enveloppe, de type AD, agit au niveau oscillateur(s), mais ne possède qu’une occurrence : pitch (OSC1 débrayable), position de table d’ondes (OSC1), variation d’onde (OSC2 ou 3), modulation de phase (OSC1), modulation de forme d’onde (OSC1), saturation (OSC1). La vélocité peut agir sur l’enveloppe lorsqu’elle est réglée en mode pitch (bipolaire). Une seule enveloppe AD pour 3 oscillateurs et plusieurs fonctions à assigner, c’est un peu trop juste. La deuxième enveloppe, de type ADSR, est directement routée vers le filtre (modulation bipolaire et quantité de modulation pilotable par la vélocité). La troisième enveloppe, également de type ADSR, est directement assignée au volume, sans réglage de quantité ou de réponse en vélocité (le volume est toutefois directement modulable par la vélocité). Voilà, il n’y a rien d’exceptionnel…
Effets musclées
Le GAIA 2 est équipé d’une solide section effets. Par programme, on trouve un multi-effets (MFX), un chorus et une réverbe/délai. Leur ordre peut être modifié. Le MFX offre 53 algorithmes variés avec de très nombreux paramètres éditables, certains synchronisables à l’horloge, d’autres destinations de modulation des LFO. Au programme, différents filtres (EQ, Enhancer, résonateur…), Phasers (vintage et modernes), Flangers, Chorus (dont le CE-1 et le Dimension-D), effets tournants (autopan, Leslie…), distorsions/simulateurs d’ampli, compresseurs/limiteurs, délais, boucles, effets basse fidélité, décalages de pitch et chaîne d’effets du JD-800. Quand on utilise un moteur Zen-Core, le MFX diffère un peu, nous ne rentrons pas dans les détails ici.
Le chorus combine différents modèles vintage et récents de la marque, parfois cumulables. Il y a peu de réglages en dehors du type de chorus : niveau de bruit, dosage des sons traité/direct et niveaux d’entrée/sortie. Enfin, la réverbe/délai propose les 7 algorithmes auxquels Roland nous a habitués sur ses derniers synthés : Shimmer, modulation, Integra-7, SRV-2000, délai stéréo, délai double et écho à bande. Là encore, de nombreux paramètres sont à disposition ainsi que des possibilités de modulation par le LFO et des dosages des signaux traité/direct. Enfin, au plan global du synthé, on trouve un compresseur multibandes suivi d’un EQ paramétrique 5 bandes, avec différents gabarits pour ceux qui ne veulent pas éditer les très généreuses trentaines de paramètres disponibles. Une très belle section effets alliant qualité, diversité, souplesse et quantité !
Arpèges et séquences à mouvements
Chaque programme peut mémoriser un arpège ou une séquence. On dispose de 5 motifs d’arpèges : haut, bas, alterné, aléatoire, dans l’ordre joué. On peut régler la durée de note (en %), transposer le motif joué sur +/- 3 octaves, mettre un peu de Shuffle, régler la division temporelle, ou encore prendre en compte la vélocité réelle ou la fixer. Du bon classique. Le séquenceur comporte quant à lui 64 pas avec une polyphonie maximale de 8 voix. La lecture peut se faire à différentes divisions temporelles avec un temps de Gate global relatif. Le sens de lecture peut être altéré : avant, arrière, avant/arrière, pas pairs/impairs inversés, ordre aléatoire, pas à pas. La rangée de 16 boutons permet de sélectionner ou muter rapidement les pas. On peut également transposer les séquences au clavier si on le souhaite.
On peut enregistrer en temps réel (avec métronome, en doublage) ou en pas à pas, avec édition après coup. Le séquenceur enregistre les notes, la vélocité et le mouvement de 4 lignes de paramètres (potentiomètres en façade). Ces mouvements peuvent être lissés en lecture. Par pas, on peut aussi définir une durée de note, une probabilité, des roulements (fla, ratchets x3, ratchets x4, une note sur 2). Des fonctions utilitaires sont prévues : duplication, copie/collage, décalage de note/de pas, effacement des notes, effacement des mouvements, initialisation du motif. Tout cela se fait sous la forme de listes déroulantes très claires. En cas de panne d’inspiration, une fonction de création aléatoire de motifs est prévue, sympa. Les notes arpégées et séquencées sont transmises en Midi.
Bonne impression
Avec le GAIA 2, Roland sort des sentiers battus de la modélisation analogique stricto sensu, apportant les tables d’ondes et les modulations audio (déformation d’onde, modulation de phase). Du coup, le son rondouillard habituel cède la place à des textures plus complexes ou des timbres plus métalliques. Le bon gras n’en est pour autant pas négligé, grâce aux extensions Zen-Core, telles que le SH-101 préinstallé, que l’on peut compléter avec d’autres modèles compatibles en sortant son portefeuille. Nous avons apprécié la prise en main facilitée par une façade bien achalandée et une navigation dans les menus bien pensée. Autres points de satisfaction, la section effets très musclée, le séquenceur à mouvements très souple, le clavier dynamique de bonne facture (mais sans pression), ainsi que l’interface USB-C Midi & audio Class Compliant.
L’utilisation devient moins évidente lorsqu’on utilise un moteur additionnel ne correspondant pas vraiment aux commandes physiques. Il faut trouver ses repères (notamment via le menu). On regrette aussi que le synthé ne soit que monotimbral, notamment pour les empilages sonores, mais les trois oscillateurs par voix permettent des sons déjà épais. Les synthétistes les plus chevronnés pourront reprocher l’unique enveloppe sur les oscillateurs ou le manque de matrice de modulation, mais l’interface offre de bons contrôleurs en temps réels, en particulier le pad à mouvements fort sympathique. Finalement, une bonne surprise à tarif abordable, sérieusement construite, qui saura se montrer utile dans bien des situations où l’espace est devenu trop exigu.