Au Superbooth 2017, Novation a dévoilé le Peak, un synthé polyphonique hybride, combinant une technologie numérique à base de FPGA à des filtres et ampli analogiques.
Il y a bientôt un quart de siècle. Novation fait une entrée réussie sur le marché des synthés analogiques monodiques démocratiques avec le Bass Station. Quelques années plus tard, la société anglaise présente le Supernova, un puissant synthé polyphonique multitimbral à modélisation analogique. Au milieu des années 2000, la marque est rachetée par Focusrite et se réoriente vers les interfaces Midi et audio. Il faudra attendre fin 2010 pour assister au grand retour des synthés signés Novation avec l’Ultranova puis le Mininova. Mais c’est en 2013 que Novation renoue avec ses premières amours analogiques avec le Bass Station 2. Aujourd’hui, nous assistons à une nouvelle étape dans l’offre de la marque : le Peak combine en effet une technologie audionumérique innovante à des filtres/amplis analogiques. Dans l’équipe de concepteurs, please welcome Mister Chris Huggett, le papa de l’EDP Wasp, de l’OSCar et du Supernova…
Peak et Peak
Trapu et costaud, le Peak est un module de 46 × 23 cm tout en métal soigneusement sérigraphié, habillé par des flancs en bois et des patins en caoutchouc toute largeur. La qualité de construction est de très bon niveau, avec des rotatifs (potentiomètres ou encodeurs) vissés à la façade, sans le moindre jeu sur l’axe, offrant une résistance parfaite. On peut poser le module à plat ou utiliser un stand optionnel assez design, qui lui donne deux positions obliques supplémentaires. La machine est organisée de manière limpide : en partie supérieure gauche, on trouve la section de navigation/édition (programmes, menus) ; la partie supérieure droite regroupe les modulations (arpégiateur, Glide, LFO, enveloppes) ; enfin la partie inférieure comprend l’ensemble des modules audio (oscillateurs, filtre, ampli, effets). Le Peak totalise 43 potentiomètres rotatifs, 2 encodeurs, 8 curseurs linéaires et 49 interrupteurs, répartis sur toute sa surface. Il est donc prédestiné à la programmation sonore ou aux manipulations en temps réel. Un écran OLED 4 × 20 caractères, visible sous tous les angles, affiche le nom des sons et la valeur des paramètres édités (valeur en cours et valeur stockée).
Programmer le Peak est un jeu d’enfant, puisqu’il combine de généreuses commandes directes (séparées pour chaque oscillateur, chaque LFO et pour les deux tiers des enveloppes…) et une édition par pages menu pour les fonctions supplémentaires ; on appelle ces dernières via une touche dédiée par module, puis on les édite avec un encodeur (pour aller vite) et des touches +/- (pour être précis). Seul reproche sur l’ergonomie, la réponse des potentiomètres se limite au mode saut : à mettre à jour, please ! Novation n’a pas oublié d’équiper sa machine des fonctions Initialise, Compare, Audition (qui joue la note C3) pour nous faciliter la vie. Faute de molettes et autres rubans, on trouve deux pads Animate avec fonction Hold assignables à des destinations de modulation via une matrice complète. À l’arrière du Peak, c’est assez classique : une sortie casque en jack 6,35 mm stéréo, deux sorties audio gauche/droite en jack 6,35 mm, une entrée CV Mod en mini-jack (permettant de piloter une destination par un signal continu analogique externe), deux prises pour pédales assignables en jack 6,35 mm, un trio Midi standard (notes, CC, dump des mémoires en Sysex), une prise USB (pour le Midi, Class Compliant), une borne pour alimentation 12V hélas externe et un interrupteur secteur. Il n’y a pas d’entrée audio, c’est bête vu la qualité du filtre et des effets dont nous parlerons bientôt…
Et Colégram
Le Peak offre une polyphonie de 8 voix, mais est hélas monotimbral. Une petite fonction split/layer aurait été appréciable, mais Novation semble avoir abandonné la multitimbralité depuis pas mal de temps, c’est vraiment dommage… Dès les premières notes jouées, on se rend immédiatement compte qu’il faut réduire le volume, tellement les niveaux sont élevés : il est quasi impossible d’avoir le volume à fond sur une table en entrée ligne, fader à 0 dB. Aucun bruit de fond n’est à déplorer, Novation a vraiment soigné cet aspect. L’écoute des programmes fournis (256 d’usine et 256 réinscriptibles) nous a laissé une impression mitigée quant à leur utilité directe : beaucoup de démonstratif, des trucs qui bougent, des bruits agressifs, des arpèges secouées, bon… le Peak pique, c’est certain, en tout cas c’est ce que tendent à démontrer les sons d’usine choisis par le constructeur, certainement pour incarner une certaine modernité, pour ceux qui veulent du son neuf. Mais la machine ne se cantonne pas à ce registre et nous avons pu apprécier la très large palette sonore dont elle est capable après quelques touillages. Le Peak est même capable de reproduire les imprécisions (ou les défauts) de calibration des synthés analogiques vintage, en jouant sur l’accordage des oscillateurs et l’ouverture des filtres.
Les basses sont profondes et savent gronder lorsqu’on désaccorde légèrement les oscillateurs. On sent qu’il y a du monde sous le capot à ce niveau, trois oscillateurs par voix avec différents modes unisson, ça le fait ! On sent également les nombreuses possibilités de modulation dans les formes d’onde (type balayages spectraux de tables) ou entre les oscillateurs (modulations audio type synchro, anneau, FM). Du coup la machine montre une grande flexibilité avant même que l’on attaque le filtre. Ce dernier est très souple lui aussi, avec différents modes et pentes qui permettent là encore de nombreuses explorations. Lorsqu’on laisse passer les hautes fréquences, on chope des aigus assez prononcés. Suivant les goûts, on les rabotera à coup de filtre… On salue au passage les effets intégrés, qui permettent d’ajouter un petit écho, d’élargir le champ stéréo et d’adjoindre de la réverbération sans modération, tout cela en même temps ! Enfin, les nombreuses possibilités de modulation (matrice, arpégiateur) permettent de créer des textures évolutives, puisque les oscillateurs, leurs formes d’onde, leurs intermodulations, le VCF et les VCA sont tous modulables.
Bour…
Le Peak est un synthé hybride innovant, puisque c’est l’un des tout premiers synthés à combiner FPGA et électronique analogique. Les oscillateurs, les modulations et les effets sont numériques ; le filtre, l’ampli et les différents étages de saturation sont analogiques. Chaque voix du Peak comprend trois oscillateurs, un filtre multimode, différents étages de distorsion et un VCA. Les oscillateurs sont des NCO (Numerically Controlled Oscillators), ici baptisés New Oxford Oscillators, certainement en clin d’œil à Chris Huggett, originaire de cette sympathique City anglaise où l’on fait de la synthèse en plus de l’aviron. Ils sont générés par un FPGA (Field Programmable Gate Array) cadencé à 24 MHz, c’est-à-dire un circuit intégré comprenant des centaines de milliers de portes logiques, dont la structure même est reprogrammable. Cette technologie, très complexe au plan du codage, a été développée au milieu des années 80 mais est très récente dans la synthèse. L’ambition de Novation était d’obtenir un comportement équivalent aux oscillateurs analogiques, tout en conservant la souplesse du contrôle numérique. Le résultat est à la hauteur, puisque la machine est dépourvue d’aliasing et le grain sait se faire chaleureux sur les formes d’onde classiques.
Les trois oscillateurs ont les mêmes caractéristiques : 4 formes d’onde classiques (sinus, triangle, rampe et impulsion) et 60 formes d’onde complexes accessibles via le menu. Ces dernières sont des tables contenant 5 ondes dont on peut moduler l’index de lecture (Shape Amount), le Peak se chargeant de faire les transitions en douceur ; ceci est également possible sur les 4 ondes classiques, qui du coup le deviennent beaucoup moins… Parmi les tables proposées, non répertoriées dans le manuel, on reconnait des ondes courtes bouclées de cordes, orgues, piano électrique, Clavinet, vents, tubes, voix et formants synthétiques ; aucun aliasing à l’horizon quand on module la lecture dans la table ou qu’on monte dans les aigus. Attention, ce ne sont pas des multisamples, juste des ondes à cycle court. Au passage, il n’est pas possible d’importer ses propres ondes ou tables, contrairement au Micromonsta. Depuis la façade, on peut directement régler la tessiture (2–4–8–16–32 pieds), l’accord par demi-ton, l’accord fin, la forme d’onde, les modulations directes (bipolaires) du pitch par l’enveloppe 2 et par le LFO2, la variation de forme d’onde (Shape Amount) et les sources de modulation directes de cette variation (manuelle, enveloppe1 et LFO1). Les oscillateurs du Peak présentent d’autres particularités très intéressantes : note fixe avec débrayage du suivi de clavier, réglage de la densité de la dent-de-scie (Ultra Saw), synchronisation à un oscillateur maître virtuel sans consommer d’autre oscillateur, cycle d’oscillation forcé/libre, FM à trois oscillateurs, modulation en anneau entre deux oscillateurs, simulations de fluctuations de l’accordage…
…et Bour
Les niveaux des trois oscillateurs, du générateur de bruit (à couleur variable continue) et de la modulation en anneau (oscillateurs 1×2) sont finement dosés puis passent dans un premier VCA avec réglage de gain, avant d’attaquer le filtre. Ce dernier est dérivé du filtre du Bass Station 2, dans son mode classique : il s’agit d’un VCF multimode résonant. Il offre les réponses passe-bas/passe-bande/passe-haut en 2 et 4 pôles. La fréquence de coupure est codée sur 256 pas, mais bouger le potentiomètre ne génère pas d’effet de palier notable dans la plupart des utilisations. Elle peut directement être modulée par l’une des deux enveloppes (bipolaire), le LFO1 (bipolaire), l’oscillateur 3 (bien vu !) et le suivi de clavier (0 à 100 %). Le suivi de clavier n’a donc pas été oublié, contrairement au Bass Station 2 ! La résonance peut entrer en auto-oscillation (à partir de 115 sur 127), où elle produit une onde sinus que l’on peut parfaitement jouer au clavier en réglant le suivi sur 100 % ; dans ce cas, on entend des paliers d’un demi-ton par pas lorsqu’on fait varier lentement la fréquence de coupure. Le filtre dispose d’un réglage d’Overdrive en entrée et de distorsion en sortie, tout cela dans le domaine analogique, ce qui apporte du grain et du caractère. On trouve même des paramètres Divergence et Drift qui imitent les défauts de calibration ou stabilité des synthés analogiques d’antan. Toujours en analogique, on attaque le VCA final. C’est le moment de faire quelques petits réglages de voix : mode unisson (1, 2, 3, 4 ou 8 voix par note avec désaccordage programmable), séparation stéréo (chaque voix est alternativement placée dans le champ stéréo, avec une largeur progressive), modes Mono/Poly avec type de rotation des voix. Puis vient le moment de prendre l’air, avec une ultime distorsion analogique stéréo et un volume final programmable.
Mais juste avant la sortie à l’air libre, on trouve un circuit de départ/retour stéréo avec conversion A/N puis N/A vers la section effets numériques. Au menu : chorus, délai et réverbe cumulables, merci ! Le chorus offre trois algorithmes différents (double ligne, quadruple ligne, effet d’ensemble) ; en façade, on peut directement régler la vitesse et le niveau ; via le menu, on peut régler la profondeur, le feedback (de chorus à Flanger), puis les EQ haut/bas. Le délai offre des commandes directes pour le temps (jusqu’à 1,4 s, avec synchro à l’horloge interne/Midi suivant 16 divisions/multiplications temporelles), le feedback et le niveau ; via le menu, on peut éditer l’atténuation des fréquences hautes/basses, le ratio gauche/droite, l’effet Pitch Shift et la largeur stéréo. Enfin, la réverbe propose trois algorithmes : les commandes directes concernent le type d’espace, le temps et le niveau ; via le menu, on peut éditer le pré-délai, l’atténuation des fréquences hautes/basses, la taille de l’espace, la profondeur de modulation, la vitesse de modulation et les EQ haut/bas. Les effets sont d’excellente qualité, y compris la réverbe, même quand on règle des temps très longs… Une touche Bypass permet de couper tous les effets pour ne conserver qu’un signal sec. Dans les entrailles de la machine, on peut régler le routage d’effets : en parallèle ou en série (dans l’ordre qu’on veut). Amélioration notable de l’OS VXX, on peut désormais moduler globalement les paramètres d’effets grâce à une matrice dédiée à 4 cordons, merci !
Et Ratatam
Le Peak fait partie des synthés où les possibilités de modulation sont très généreuses. À commencer par un petit Glide à temps réglable avec Pré-Glide (Autobend bipolaire), qui fonctionne aussi bien en mono qu’en polyphonie. On poursuit avec 2 LFO totalement identiques et pas mal sophistiqués : dotés de 4 formes d’onde (sinus, dent de scie, carré et S&H), ils peuvent osciller dans deux gammes de fréquence (basse : de 0 à 200 Hz – haute : de 0 à 1,6 kHz, c’est-à-dire très largement dans l’audio !). Appuyer sur Sync permet d’assigner la fréquence à l’horloge interne/Midi suivant de très nombreuses divisions/multiplications temporelles. On peut régler le temps de fondu ou de Gate, en entrée ou en sortie. On peut aussi changer la phase (oscillation libre ou entre 0 et 359°), le mode de redéclenchement en jeu mono et poly (relancé ou non, calé sur toutes les voix ou non), l’adoucissement de la forme d’onde (pour passer de carré à sinus par exemple ou de S&H à aléatoire continu) ou le nombre de cycles (1 à 127 ou infini). Sympa ! Viennent ensuite 3 enveloppes, dont une pré assigné au VCA. Elles sont de type ADSR, avec un claquement sec sur les segments courts ; ceux-ci peuvent durer jusqu’à une vingtaine de secondes. On apprécie les commandes directes, disponibles pour deux enveloppes sur trois. Via les menus, on peut régler l’action bipolaire de la vélocité sur l’enveloppe et le mode de redéclenchement (Legato/Retrig).
Mais le morceau de bravoure, c’est la magnifique matrice de modulation à 16 cordons, dans chacun desquels on relie 2 sources (multipliées) à une destination, avec une quantité bipolaire. Il y a 16 sources possibles, en plus du contrôle direct (valeur de modulation fixe) : molette, pression, 2 pédales, vélocité, suivi de clavier, 2 LFO (en positif ou bipolaire), 3 enveloppes, 2 boutons Animate et entrée CV. Il y a 37 destinations possibles : le pitch global, le pitch de chaque oscillateur, la synchro virtuelle de chaque oscillateur, la position d’onde de chaque oscillateur, le niveau de chaque source audio, le VCA global, la fréquence de coupure du filtre, la résonance, les distorsions en entrée/sortie de filtre, chaque temps de chaque enveloppe, la FM entre chaque oscillateur (2 par 2), la FM de l’oscillateur 3 sur le filtre, la FM du bruit sur le filtre. Les réglages se font via le menu, sur deux pages écran pour chaque cordon, ce qui nécessite un temps d’apprentissage. Pas aussi pratique que le Prophet Rev2 récemment testé qui assigne sources et destinations en tournant une commande dans la section souhaitée.
On termine ce chapitre dédié aux modulations par l’arpégiateur intégré, qui peut transmettre ses notes via Midi. On dispose 7 modes de jeu : haut, bas, alterné, alterné avec répétition des notes extrêmes, comme joué, aléatoire, accord. Un paramètre Rhythm permet d’ajouter de la complexité au motif joué, suivant 33 valeurs variations rythmiques non éditables. L’arpège peut être joué sur 1 à 6 octaves, avec un facteur de swing (20 à 80 %) et selon différentes divisions temporelles lorsqu’il est synchronisé à l’horloge globale/Midi. On peut aussi régler le temps de Gate et le mode Latch (maintien du motif avec ajout de notes). Tiens, on ne retrouve pas le petit séquenceur à 32 pas du Bass Station 2. Il faut dire qu’en polyphonie, ce ne serait pas la même histoire…
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Am Stram Gram !
Le Peak est un coup de maître : innovant, bien conçu, soigné, il couvre un territoire sonore très étendu, grâce à ses oscillateurs puissants, son filtre analogique multimode, ses étages de distorsion nombreux, ses effets dynamiques cumulables, ses possibilités de modulation étendues et ses différents générateurs de drift. Son originalité, sa compacité et sa robustesse le destinent aussi bien au studio qu’à la scène. La technologie FPGA évite l’aliasing, que ce soit au niveau des oscillateurs, des modulations ou des effets. Cela place le synthé sur une gamme premium, ce que le tarif reflète bien. Du coup, on devient plus exigeant et plus sensible aux défauts : le moteur monotimbral, l’absence d’entrée audio et l’alimentation externe. Ceci étant posé, compte tenu de ses très nombreuses qualités, dont l’intégration de technologies innovantes au service de la puissance de synthèse et de la qualité sonore, nous lui décernons l’Award Audiofanzine Innovation 2017.