Aussi rare que racé, le 002 est un synthé hybride polyphonique multitimbral conçu à Bristol par des fans du son PPG. Monstre sacré ou sacré monstre ?
![Test du 002 de Modal Electronics : So British](https://img.audiofanzine.com/img/fr/article/cover/3148.jpg?fm=pjpg&w=704&h=396&fit=fill&s=c2a6be05ae0a8f334082de4a0ef8584a)
En 2014, le 002 est le premier synthé polyphonique signé Modal Electronics (anciennement Modulus), conçu par P. Maddox, fanatique du son PPG. Très difficile à trouver de notre côté de la Manche, il aura fallu une traque digne de Sherlock Holmes pour en attraper un exemplaire. « Tout vient à point à qui sait attendre » synthétiserait bien cette aventure, arrivant à son épilogue dans les lignes qui vont suivre. C’est au Pays Catalan que nous avons déniché la perle rare chez l’ami Clarinette66, grand amateur de beaux synthés, qui nous avait déjà confié son Quantum : une fois acquis son beau 002 (l’un des 100 premiers Modulus construits en 2014), il l’a envoyé chez Modal Electronics pour lui faire installer l’option audionumérique/effets et nous l’a ensuite confié ; merci mon cher Stéphane ! Alors que nous venons à peine de tester l’Argon8, il s’agit cette fois d’un rétro-test sur un matériel récent, chose plutôt inhabituelle. Et de l’inhabituel et du déroutant, on n’a pas fini d’en croiser, sous les couleurs de l’Union Jack qui trône fièrement à gauche du panneau… Let’s go !
Say Hello
Connecting people
La prise Ethernet RJ45 permet de relier directement le 002 au serveur de Modal via un routeur, pour partager des banques ou mettre jour l’OS. A partir d’un PC, en tapant l’adresse IP assignée par le routeur, on peut piloter l’ensemble des fonctions du 002 (paramètres sonores, banques, réglages système) avec un navigateur HTML, donc sans appli. Original ! La prise casque est située à l’avant droit, directement dans le pli métallique sous le clavier. Inhabituel mais bien pratique. Nous avons déjà évoqué la carte numérique optionnelle ; elle ajoute trois processeurs d’effets et l’audionumérique multicanal via USB, nous y reviendrons en détail en fin de test.
Hybrid sound
Le 002 est un synthé hybride (oscillateurs numériques, VCF, VCA) polyphonique 12 voix et multitimbral 12 canaux. L’énorme mémoire interne réinscriptible contient 100 banques de 100 programmes simples et 100 banques de 100 performances multitimbrales, ce qui permet de voir venir. Plusieurs centaines de programmes sont proposés par le constructeur et les utilisateurs, gratuitement téléchargeables sur le serveur du constructeur via la fameuse prise Ethernet. Les banques sont un mélange de textures diverses, ensembles synthétiques, nappes évolutives, tables d’ondes, basses, pas toutes inoubliables.
En écoutant les premiers sons, nous avons trouvé les niveaux des sorties analogiques assez faibles, même en XLR symétrique. Nous avons alors désactivé la fonction de compensation automatique de gain de la carte numérique optionnelle (prévue pour éviter la distorsion via l’audio USB multicanal) et réglé le gain à la main (50 à 100 suivant le son). Là nous avons retrouvé un niveau correct. Le 002 est très à l’aise sur les textures évolutives type PPG ou Prophet-VS, les nappes luxuriantes, les sons cristallins et les sons qui se baladent dans tous les sens, grâce à de nombreuses possibilités d’animation. Chose curieuse et sympathique, les oscillateurs numériques ont tendance à dériver naturellement, alors qu’aucun paramètre du genre n’est prévu. Renseignements pris chez le constructeur, cela est dû à leur conception indépendante, chaque carte voix ayant ses propres générateurs oscillant librement avec leur propre phase. Quoi qu’il en soit, le résultat sonore est convaincant. Le 002 est tout aussi à l’aise dans les gros sons de basse (pas seulement empilés), là où on ne l’attendait pas vraiment. Il ne remplacera pas un mono analogique dédié type Moog, mais s’en sort très bien sur les basses à transitoires claquantes…
![](https://img.audiofanzine.com/images/u/audio/487873.png)
- 002_1audio 01 Huge Pad00:50
- 002_1audio 02 Vocal Colours00:58
- 002_1audio 03 Add Harm00:40
- 002_1audio 04 Hybrid Strings01:00
- 002_1audio 05 Stack The Bass00:52
- 002_1audio 06 VCF EG00:52
- 002_1audio 07 DeRez PPG00:41
- 002_1audio 08 The Arrival00:31
- 002_1audio 09 Multi Wave01:01
- 002_1audio 10 Big Phatty00:52
- 002_1audio 11 Big Sync00:19
- 002_1audio 12 Vocal 200:39
- 002_1audio 13 PPG 200:39
- 002_1audio 14 Changed Heart00:49
- 002_1audio 15 Last Bass00:37
Numerical oscillations
Un réglage DeRez permet de modifier la couleur des ondes en ajoutant des aigus, créant par moment de l’aliasing dans les aigus et du buzz dans les graves, un peu comme sur les synthés hybrides vintage. D’ailleurs le 002 produit lui-même un peu d’aliasing dans les aigus, même sans DeRez. On peut synchroniser les deux NCO (le NCO2 étant l’esclave auquel le NCO1 impose sa fréquence, ce qui modifie son contenu harmonique lorsqu’il est désaccordé, puisque sa forme d’onde est redéclenchée hors cycle). Chaque NCO possède un sous-oscillateur, capable de produire soit une onde carrée fixe, soit la même onde que le NCO à l’octave inférieure. Les NCO ne sont donc pas des tables d’ondes modulables, contrairement à l’Argon8 qui va plus loin dans ce domaine. Nous verrons toutefois qu’il est possible de recréer un effet assez proche avec la fonction animateur assignée au numéro d’onde (toutefois sans lissage ni ordonnancement des ondes). Les quatre signaux (NCO et sous-NCO) ainsi créés sont ensuite dosés dans un mélangeur avec les éventuels signaux externes présents aux entrées audio stéréo. Dans ce cas (c’est-à-dire dès que le volume du signal extérieur est supérieur à zéro), seules les 4 premières voix sont utilisables, les autres étant condamnées sans pitié, dommage !
Analog parts
Les signaux mélangés attaquent alors le filtre, doté d’un étage de saturation analogique dosable, au rendu très intéressant. Contrairement à ce que le panneau pourrait le laisser penser, ce n’est pas au mélangeur que cet étage est intégré mais bien au filtre. Ce dernier est un VCF discret en échelle de transistors, capable de passer progressivement entre les modes passe-bas 4 pôles, passe-bande 2 pôles et passe-bas 1 pôle. La position passe-bas 4 pôles reste la plus intéressante, les autres ne sont pas vraiment renversantes au plan sonore, c’est d’ailleurs souvent le cas sur les filtres analogiques en échelle d’autres marques.
Le signal passe enfin dans le VCA, doté d’une enveloppe dédiée avec réglage de quantité de modulation. Il n’y a pas d’autres modulations directes du volume, il faut passer par la matrice de modulation. Les voix sont alternativement routées vers les sorties gauche/droite, sauf avec la carte audionumérique/effets optionnelle où on peut toutes les centrer puis les envoyer vers les effets. Pourquoi Modal n’a-t-il pas ajouté de réglage de panoramique en mode Programme pour les 002 équipés de cette option, vu que cela existe en mode Performance ?
In the mod
On passe à la petite matrice de modulation, disponible sous forme de deux ensembles de 3 sources et 8 destinations directement assignables en façade. Le premier ensemble permet de relier le LFO1, la pression et la molette de modulation aux pitchs des NCO1/NCO2, aux numéros d’ondes des NCO1/NCO2, à la fréquence de coupure du filtre, à la position de réponse du filtre, à la saturation et au volume. Le second ensemble permet de relier le LFO2, la vélocité et le suivi de clavier aux pitchs des NCO1/NCO2, aux numéros d’ondes des NCO1/NCO2, à la résonance du filtre, à la position de réponse du filtre, à la saturation et au volume. Bref, cela représente seulement 6 sources et 9 destinations, les enveloppes n’en faisant pas partie, such a shame ! De plus, la quantité de modulation (bipolaire) est commune pour toutes les destinations d’une même source, sauf le LFO2 qui possède des dosages de modulation par destination (accessibles via le menu). Un mot enfin sur le bâton de joie, avec 4 directions assignables à une longue liste de destinations, dont le pilotage de la molette de modulation / CC1, elle-même assignée via la matrice de modulation.
Triple Motion
L’un des points forts du 002 et de combiner un séquenceur, un animateur et un arpégiateur, tous capables de piloter le moteur interne, des instruments MIDI externes ou les deux en même temps. L’arpégiateur offre 10 motifs : avant, arrière, pendulaire avec répétition des notes extrêmes, pendulaire sans répétition, aléatoire sur un motif répété, aléatoire total, avant par ordre croissant de note, arrière croissant, pendulaire croissant avec répétition et pendulaire croissant sans répétition. Les notes arpégées peuvent être répétées sur 1 ou 2 octaves, mais pas plus. Un mode de maintien permet d’ajouter ou supprimer des notes à l’arpège en cours. Enfin, on peut définir la division temporelle du motif. En revanche, le temps de Gate est fixé à 50% et il n’y a pas de facteur de swing ou autres Ratchets. Bref, ça reste basique.
Enfin, l’animateur fonctionne comme le séquenceur, sur 32 pas et 12 pistes, avec la même possibilité de lissage entre les pas, mais en agissant uniquement sur les paramètres internes ou CC MIDI (donc pas les notes). Autre différence, il est déclenché par chaque note jouée et peut fonctionner en valeur absolue ou relative. C’est ainsi que l’on module le numéro de forme d’onde ou le panoramique d’un programme tout en jouant. Pour la forme d’onde, le lissage ne permet pas le passer progressivement d’une onde à l’autre, car on lisse les numéros d’onde (on balaie les numéros consécutifs au lieu de sauter du premier au dernier), pas les formes d’onde, la nuance est importante. Pour l’animation du panoramique, la déception est grande là aussi, car la carte optionnelle qui permet ce réglage n’admet pas le lissage ! L’animateur dispose de points de début et fin de lecture, d’un sens de lecture et d’un facteur de swing. Il peut être lu en boucle, une seule fois avec arrêt sur les dernières valeurs modulées ou une seule fois avec retour aux valeurs du programme. Là encore, 10 000 mémoires attendent nos animations pour être rappelées rapidement. Une très bonne idée qui souffre des limites du code et/ou du processeur.
Multi Modal
Si les programmes édités sont sauvegardés en mode Programme avec leurs réglages d’arpégiateur, le numéro d’animation et le numéro de séquence associés, ils sont chargés dans la Performance avec leurs réglages d’arpèges et les pointages vers l’animateur et la séquence associés, ceci pour chaque canal, ce qui commence à faire du monde. Lorsque la carte optionnelle audionumérique/effets est installée, chaque canal d’une Performance dispose de trois départs séparés vers les effets, ainsi qu’un réglage de panoramique (bizarrement sur notre modèle, le panoramique fonctionne à l’envers ; ne reculant devant aucun effort, nous avons inversé nos cordons audio gauche et droit, ce qui est au fond plus facile que rouler à gauche en étant assis à droite). D’ailleurs, parlons-en tout de suite de cette fameuse carte.
Digital option
La carte audionumérique/effets optionnelle prend la place de la carte audio de base. Cela nécessite d’envoyer son synthé chez Modal, on aurait préféré pouvoir faire cela soi-même, surtout pour changer un simple PCB. L’option permet d’abord d’utiliser l’USB-B pour véhiculer des signaux audionumériques multipistes vers une STAN, en plus du MIDI de base. On peut la configurer comme 12 sorties individuelles ou 2 paires de sorties stéréo (une traitée par les effets de la carte et une non traitée). Elle offre aussi une entrée numérique stéréo depuis la STAN, que l’on peut envoyer aux circuits analogiques VCF/VCA. Elle fonctionne à une résolution de 24 bits et à des fréquences de 48–96–192 kHz sous Mac, où elle est classe-compatible USB2. Sous Windows, elle est limitée à 48 kHz en USB1 et nécessite d’installation préalable d’un pilote (type Asio4all). Etant sous Windows XP et 10, nous n’avons pas testé cette partie pour ne pas mettre le bazar dans nos pilotes ASIO qui se portent très bien, merci…
Entrons un peu dans le détail des effets. Le chorus offre 5 paramètres : temps de délai, feedback, vitesse, profondeur et largeur stéréo. Il apporte un peu d’ampleur au son, mais n’est pas exceptionnel. Le délai propose 6 réglages : quantité des modulations stéréo croisées, temps du canal gauche, feedback gauche, temps du canal droit, feedback droit et quantité de chorus envoyée dans le délai. Les temps des canaux gauche/droit peuvent être synchronisés à l’horloge MIDI suivant différentes divisions temporelles. Un effet plutôt réussi. Enfin, la réverbe offre 6 paramètres : prédélai, temps, taille des délais internes (résonance de pièce), balance des réflexions, feedback et quantité de délai injecté dans la réverbe. Le son est fin et métallique, plutôt décevant. Le manque d’algorithmes plus exotiques, tels que plaques, portes ou inversions, est aussi regrettable.
En mode multitimbral, rappelons que l’on peut doser l’envoi de chaque partie vers les trois effets, partagés avec l’ensemble de la Performance. Les réglages des trois effets sont stockés indépendamment dans 1 000 mémoires, que l’on lie au Programme ou à la Performance. Les paramètres de mixage (dont le panoramique) et d’effets peuvent être modulés avec l’animateur, mais seulement de façon discrète (pas de lissage, nous l’avons dit), ce qui en limite l’utilisation (notamment pour le panoramique, les départs/retours ou les temps de délai/réverbe). Même avec la partie audionumérique, la note pour obtenir cette carte est très salée (environ 700 € TTC compris montage et transport retour du synthé en Europe) au regard des possibilités et résultats sonores obtenus. Pas vraiment indispensable…
Say good bye
Le 002 a été un bel objet de convoitise à sa sortie. Il a su séduire un public de privilégiés, tant par son tarif haut de gamme que par sa rareté. Il faut dire que sur le papier, il offre des spécifications alléchantes, telles que la multitimbralité, le moteur hybride, les diverses possibilités d’animer le son, les commandes garnies, l’approche Web/Cloud, sans oublier la carte optionnelle qui apporte audionumérique, effets et panoramique ajustable, manquant cruellement à la version de base. Pourtant, le 002 présente plusieurs points de friction, dont certains seront rédhibitoires suivant les sensibilités de chacun : l’OS pas encore stable après plusieurs années de mise à jour, la lenteur surprenante du mode multitimbral, un écran peu visible en position assise et l’impossibilité de recalibrer soi-même les parties analogiques. C’est sans doute ces points, comparativement au prix premium, qui ont pu faire renoncer certains clients potentiels. Dommage, car le 002 avait sa place dans l’univers des synthés élitistes et sophistiqués, avec sa conception singulière et son caractère sonore hybride distinctif. Réservé aux belles collections…