En 1983, l’Oxford Synthesizer Company met sur le marché un synthé monodique hybride au son et au design sans équivalent, fait essentiellement de plastique et de caoutchouc : ladies and gentlemen, please welcome Mr OSCar !
Chris Huggett, un brillant et fort sympathique ingénieur anglais, commence sa carrière de constructeur de synthés en cofondant la société Electronic Dream Plant avec Adrian Wagner, près d’Oxford, vers la fin des années 70. Leur objectif d’alors est de créer des synthés bon marché. Leur produit phare est le Wasp, un synthé hybride à oscillateurs numériques et filtre analogique doté d’un clavier tactile plat ; on pourra ensuite l’associer au Spider, un mini-séquenceur à pas. Le Wasp sera décliné en Gnat, puis viendra le Caterpillar, un clavier de commande avec de vraies touches pour jouer jusqu’à 4 Wasp ou Gnat en polyphonie. Mais au tout début des 80’s, EDP doit mettre la clé sous la porte. Chris Huggett gagne alors sa vie comme il peut ; il nous confiera un soir arrosé de Musikmesse avoir fait des petits boulots, y compris réparer des lave-linge. Cela renforce notre sympathie pour cet homme vraiment hors du commun, aussi brillant que modeste…
Dans cette délicate période de vache maigre, il finit par lancer l’Oxford Synthesizer Compagny avec les deniers de ses parents, accompagné de Paul Wiffen. Nous sommes en 1983. Le premier synthé de la nouvelle société est l’OSCar. Pour la petite histoire, le nom provient d’une abréviation de la société, auquel le suffixe « a » est ajouté, en tant que premier produit de la marque (OSC-a) ; puis la fine équipe y colle un « r » parce que ça sonne mieux ainsi. Chris nous avouera aussi que la façade est construite à partir de profils PVC de chemins de câbles récupérés sur un chantier d’hôpital situé en face de son atelier. Au-delà de son look tordu et de ses matériaux improbables, L’OSCar sonne bigrement bien. Après 2000 OSCar produits en deux ans, la société disparait, avec de beaux projets qui resteront sur les étagères. On retrouvera Chris plus tard consultant pour Akai, puis responsable technique d’une petite société anglaise prometteuse : Novation. Le Bass Station et le Supernova lui doivent beaucoup, mais c’est une autre histoire… pour l’heure, revenons à notre ami OSCar.
Plastic fantastic…
Impossible de rester insensible au look sans pareil de l’OSCar. Une façade en plastique noir et beige pas très rectiligne, des gros flancs rectangulaires en caoutchouc et des séparateurs de section en quinconce dans le même caoutchouc tout mou… Curieusement, les commandes sont plutôt fermes et fiables. On dénombre 36 rotatifs, décomposés en 27 potentiomètres et 9 sélecteurs multiples, ainsi que 15 boutons poussoirs. Ils sont organisés en différentes sections séparées par les fameuses bandes de caoutchouc : oscillateurs, modulation par les molettes, mixeur, LFO, filtre, enveloppes et mode de déclenchement des voix. Pas super logique tout ça… La partie inférieure de la façade est occupée par les fonctions de gestion de la mémoire et de programmation du séquenceur. Certains boutons activent des fonctions secondaires en conjonction avec les touches du clavier : sélection/création des formes d’onde (nous y reviendrons), choix des programmes, choix des séquences. Cette ergonomie peut paraître compliquée, mais elle s’avère au final très efficace.
À gauche du clavier, on trouve les habituelles molettes. Là encore, la conception est originale, puisque les deux molettes sont bipolaires, équipées d’un ressort de rappel, mais n’ont pas de point central mécanique. Celle de gauche est assignée au pitch bend, alors que celle de droite dose l’action du LFO sur le pitch et sur le filtre (les quantités d’action des molettes sont mémorisées dans chaque programme). Dans cette même section, on trouve 2 boutons de transposition d’octave (5 positions de –2 à +2, repérées par 5 LED) et un bouton SPACE, dont le rôle est d’ajouter des pas silencieux dans le séquenceur. Le clavier de 3 octaves n’est pas un modèle du genre, car outre le fait d’être statique, il génère souvent des doubles déclenchements intempestifs de notes à l’enfoncement ou au relâchement… Autre désagrément, la hauteur et la proximité des flancs gènent le maniement des molettes et le jeu du do supérieur (ce sera avec le petit doigt ou rien). Pas très bien pensé, sur ce coup-là…
…rubber cheeks
Sur l’OSCar, la connectique est disséminée un peu partout. Les prises analogiques sont placées sur le flanc en caoutchouc droit. On y trouve une sortie audio jack 6,35 mm, à la fois ligne et casque (en fait, c’est un connecteur casque stéréo). Juste à côté, un autre jack stéréo permet de raccorder un Trigger pour le séquenceur (entrée/sortie) et fait aussi office d’interface cassette pour sauvegarder/recharger les programmes/séquences/formes d’ondes utilisateur. En revanche, pas d’entrée audio pour traiter un signal externe, c’est bien dommage…
Pour l’alimentation électrique, cela se passe sur le flanc gauche : interrupteur poussoir et cordon secteur captif. Point de curiosité, on peut rentrer le cordon à l’intérieur de la coque de la machine et brancher l’extrémité de la prise dans le caoutchouc du flanc gauche où ont été usinés des percements pour fiche électrique anglaise : cette position de rangement est originale et pratique pour promener l’OSCar un peu partout sans que le cordon ne pendouille… Lorsque le synthé est équipé d’une interface MIDI (In/Out/Thru), celle-ci est située à l’arrière, entre les coques supérieure et inférieure.
Sound of anarchy
On associe souvent l’OSCar à des sons filtrés acidulés, type basse résonante, mais l’instrument est capable d’une panoplie sonore bien plus étendue. Certes, il excelle dans ce type de son grâce à un filtre si particulier. Mais il est aussi capable de produire des sons bien gras, des graves aux aigus, en s’appuyant notamment sur la conception particulière de ses ondes PWM, dont la vitesse de modulation par un LFO suit le clavier, avec des vitesses différentes pour les deux oscillateurs. Fort de son filtre multimode résonant, les sons de synthés classiques sont assez faciles à construire. Avec le mode passe-bande, on obtient des couleurs vocales en poussant la résonance et en jouant sur la séparation des fréquences de coupure.
C’est également la faculté des oscillateurs à générer des ondes additives qui permet de produire des spectres très variés, des bruits de tubes tels que des orgues d’église ou des résonances de tuyaux, ou encore les percussions métalliques telles que des cloches ou des xylophones de différentes couleurs. On peut aussi mélanger un oscillateur de « type analogique » à un oscillateur additif, pour des textures hybrides qui sortent des sentiers battus. Nous verrons bientôt qu’un mode DUO permet de jouer les deux oscillateurs à des fréquences différentes…
- 01 Bass Hard 01:13
- 02 Bass Res 01:05
- 03 Bass Res Cl 00:20
- 04 Bass House 00:33
- 05 Bass Fat1 00:22
- 06 Bass Fat2 00:18
- 07 Bass Pulse 00:29
- 08 Bass Agressive 00:20
- 09 Octave 00:29
- 10 Metal 00:19
- 11 Lead Seq 00:47
- 12 Lead Vibrato 00:21
- 13 Lead Filter 00:21
- 14 Lead Tri 00:20
- 15 Voice1 00:22
- 16 Voice2 00:20
- 17 Church 00:24
- 18 Gliss PWM 00:14
- 19 HPF 00:25
- 20 BPF 00:23
Two hearts
On lit souvent que l’OSCar est équipé de DCO, mais c’est inexact. Les oscillateurs sont entièrement numériques, comme à peu près tout dans la machine, mis à part le filtre et l’amplificateur de sortie (basés sur des doubles OTA LM13600, pour les adeptes des petits trucs rectangulaires en plastique à pattes métalliques). Les oscillateurs sont capables de produire des ondes de base ou des ondes générées par addition d’harmoniques. On trouve 5 formes d’onde de base : triangle, rampe, carrée, impulsion à largeur variable (réglage manuel de la largeur) et impulsion à largeur modulée par un LFO triangulaire (réglage de la profondeur de modulation). Dans ce dernier cas, on n’accède pas à la vitesse de modulation, qui est fixée par le concepteur à une valeur « intéressante » qui suit le clavier ; si on met les deux oscillateurs en position PWM, le son devient énorme, car le concepteur a eu l’excellente idée de donner des fréquences légèrement différentes aux deux LFO. En plus des 5 ondes de base, on peut assigner une onde générée par addition d’harmoniques : on dispose de 5 ondes programmées (orgue, clavecin, lead riche, double impulsion, triple impulsion) et 5 ondes programmables (voir encadré ci-après).
On peut décaler le jeu sur 5 octaves, décaler les deux oscillateurs de manière grossière (plus ou moins 7 demi-tons) ou finement (plus ou moins un demi-ton) ou créer un intervalle en décalant le second oscillateur (mêmes réglages). En revanche, il n’y a pas d’interactions possibles entre les oscillateurs, type synchro ou modulation en anneau. Il faut dire qu’à l’époque, les calculs dans le domaine audio numérique étaient peu performants et généraient un aliasing insupportable… Une première balance permet ensuite de mélanger les deux oscillateurs, puis une seconde de mélanger le résultat à un générateur de bruit. Un troisième potentiomètre (STORE + Volume) permet de doser la saturation du signal dans le filtre (sans changer le volume global), gros son assuré. Bref, rien que dans la section d’oscillateurs, l’OSCar est plein d’originalité !
Twin Peaks
Nous venons de louer la section d’oscillateurs de l’OSCar par sa qualité et son originalité. La section de filtres mérite les mêmes types de compliments. À l’époque, la majorité des synthés mono étaient dotés de filtres passe-bas 4 pôles. L’OSCar offre 2 filtres analogiques 2 pôles multimodes montés en série. Ils peuvent agir en mode passe-bas (4 pôles), passe-haut (4 pôles) ou passe-bande (2+2 pôles). Il y a donc 2 fréquences de coupure indépendantes, gérées par les potentiomètres FC et séparation, agissant sur une plage confortable de 16Hz-16kHz. Le fait de pouvoir régler la séparation entre les deux fréquences de coupure permet plusieurs choses intéressantes : en modes passe-bas ou passe-haut, augmenter la séparation fait baisser la pente de coupure progressivement de 4 à 2 pôles. En mode passe-bande, en conjonction avec la résonance, on peut créer des sons à caractère vocal (les anglicistes appellent cela un filtre Twin Peaks, car le profil ressemble à deux montagnes jumelles).
Nous avons déjà dit un mot sur la possibilité de saturer le filtre en entrée. Parlons un peu de la résonance, commune aux deux filtres, procurant à l’OSCar un grain piquant sans équivalent. Une sorte de couleur acidulée qui tranche dans un mix sans tacher, avec une résonance qui n’écrase pas les fréquences lorsqu’on la pousse. Nous n’avons pas le souvenir d’avoir entendu ailleurs des filtres qui sonnaient comme ceux de l’OSCar, de près ou de loin. La résonance pousse les filtres en auto-oscillation en position maximale. Du coup, on a des filtres à la fois colorants et oscillants… Les fréquences de coupure sont modulées ensemble par une enveloppe dédiée (modulation bipolaire), le LFO et le suivi de clavier. Ce dernier réglage est exclusif avec le LFO (c’est en fait une des positions d’onde), dommage car il n’y a qu’un seul LFO dans la machine, comme nous allons le voir…
Motion and emotion
Le LFO de l’OSCar travaille dans une plage de 0,1 à 30 Hz et offre trois ondes classiques : triangle, dent de scie et carrée (mono-direction). On peut leur substituer l’enveloppe de filtre, le suivi de clavier ou un générateur S&H. Un paramètre INTRO permet de régler le temps que met le LFO à atteindre son effet maximum, en partant de zéro. Le LFO peut moduler le pitch ou la fréquence de coupure du filtre. On trouve aussi deux enveloppes, assignées au VCF et au VCA. L’enveloppe VCF peut aussi moduler le pitch (position ENV, comme nous venons de le voir). Elles sont de type ADSR, avec des plages de temps différentes d’une enveloppe et d’un segment à l’autre. Pour l’enveloppe de VCA : 1 ms à 15 secondes pour l’attaque, 1 ms à 60 secondes pour le Decay et le Release. Pour l’enveloppe de VCF : 1 ms à 60 secondes pour l’attaque, le Decay et le Release. Si le Sustain est réglé sur zéro, le Release prend le rôle d’un délai, sur une plage de 1 ms à 1 seconde. Original, là encore ! À noter aussi que le segment d’attaque de l’enveloppe du VCA est linéaire, pour une meilleure patate, et les autres exponentiels. L’OSCar n’a toutefois pas la patate d’un Minimoog…
Il parait important de s’arrêter un moment sur les différents modes de déclenchement des voix (réglages globaux) : le mode MULTI permet de redémarrer les enveloppes lorsqu’on joue des notes liées, alors que le mode SINGLE poursuit les enveloppes sans les redémarrer entre les notes liées. Mieux, la fonction REPAEAT permet de répéter les cycles d’enveloppe à une vitesse réglée par le potentiomètre de tempo. Cela peut affecter chacune des enveloppes ou les deux en même temps. Sympa ! Dernier mode, DUO passe l’OSCar en mode duophonique, dans lequel jouer une seconde note déclenche le second oscillateur ; n’oublions toutefois pas que ce mode est paraphonique, puisqu’il n’y a qu’un filtre et des enveloppes communes. Nous verrons, au paragraphe suivant, qu’une astuce de conception permet d’obtenir une pseudo-bitimbralité avec le séquenceur… Un dernier mot sur le Glide tout à fait complet, avec mode portamento (transition continue) et glissando (transition chromatique) à vitesse constante, temps constant ou automatique (actif seulement si les notes sont liées). Complet !
Seq’s and the City
L’OSCar intègre un arpégiateur programmable. Il peut évoluer en mode normal, HOLD (tenu) et MEMORY (les nouvelles notes jouées sont ajoutées à l’arpège). Il offre les motifs haut, bas et alterné. Leur choix se fait avec les boutons STEP du séquenceur, en maintenant au moins une note pour ne pas lancer le séquenceur involontairement… Tous ces réglages sont stockés par programme, mais il faut être en mode normal de voix pour en bénéficier, anglaise curiosité. Le déclenchement des arpèges peut aussi être piloté par un signal externe (Trigger type impulsion).
Passons au séquenceur, capable de mémoriser 22 séquences de 255 pas, à concurrence de 1500 pas au total. Les 12 premières séquences sont de simples motifs, qui contiennent des notes et des silences. Les 10 suivantes sont des chaînages plus complexes de séquences. Une séquence peut être lue une seule fois ou en boucle, à un tempo et avec un temps de Gate donné. Le tempo peut être asservi à un Trigger externe, suivant différentes divisions temporelles. Avec la touche TUNE et le clavier, on peut transposer la séquence en temps réel sur une plage de –7 à +7 demi-tons.
La programmation se fait uniquement en pas-à-pas. On peut entrer des notes détachées, legato (en les jouant ainsi) ou liées sur plusieurs pas. On peut aussi entrer des silences avec la touche SPACE. Après coup, on peut insérer, supprimer ou remplacer les événements en se baladant dans les pas. En mode d’édition, l’OSCar joue toujours le programme n°6 (bien adapté) et indique les pas silencieux par un son de bruit, rigolo… Avec les 12 premières séquences simples, on peut changer de programme à la volée. Les 10 séquences suivantes permettent de mémoriser des enchaînements des 12 premières séquences, des notes, des silences et des changements de programmes. En mode DUO, l’oscillateur séquencé utilise le temps de Gate programmé en guise d’enveloppe, ce qui permet de réserver les enveloppes VCF/VCA au second oscillateur. Presque bitimbral pour le coup !
Evolution theory
Fabriqué de 1983 à 1985, l’OSCar va connaître plusieurs évolutions de son OS, stocké sur Eprom. Les versions 3, 5, 6, 7 sont pré-MIDI. La version 5 permet la mémorisation de la position des sélecteurs rotatifs. Le version 6 apporte la normalisation automatique des niveaux des harmoniques lors de l’édition des formes d’onde et accélère les temps de calcul. La version 7 permet l’édition directe des potentiomètres (mode saut), sans obligatoirement repasser par leur valeur stockée (mode seuil). La version M1, datant de fin 1984, est la première version MIDI de l’OS. Elle transforme la mémoire en 36 programmes utilisateur (contre 24 Presets + 12 programmes utilisateur auparavant) ; elle augmente par ailleurs la capacité du séquenceur à 1 500 notes. La dernière version, M2, date de début 1985. Elle étend la reconnaissance des notes MIDI au-delà du clavier physique et prend en compte les commandes de transport du séquenceur.
À l’époque, un OSCar pré-MIDI pouvait être facilement mis à jour. Il suffisait pour cela de lui ajouter l’interface maison qui venait se glisser à l’arrière entre les deux coques en plastique et l’Eprom idoine à l’intérieur pour qu’il ait les mêmes fonctionnalités qu’un OSCar MIDI d’origine. Ainsi, un OSCar MIDI était capable de transmettre/recevoir les numéros de note, les molettes d’expression et les numéros de programme. Il pouvait aussi prendre en compte la synchronisation et le transport du séquenceur, la transmission (ou pas) des notes arpégées/séquencées, ainsi que les dumps des mémoires (sons, formes d’onde utilisateur, séquences) par Sysex.
Goodbye friend
Voilà donc un synthé original en tout point : spécifications, ergonomie, design, matériaux… et couleur sonore ! L’OSCar n’a pas d’équivalent lorsqu’il sort en 1983, et l’ambition du concepteur d’en faire une machine à part est en ce sens réussie. Des oscillateurs mixtes aux filtres doubles, des modes de déclenchement des notes au séquenceur, rien sur cette machine ne laisse indifférent. Une fois que l’on s’est fait au positionnement et au fonctionnement des commandes, on en tire une panoplie sonore riche et variée. Certes, la machine pêche sur certains aspects, comme la qualité de construction plastoc et caoutchouc, ou l’ergonomie parfois déconcertante. Mais ces défauts alliés à l’ensemble des qualités originales proposées font tout le charme de ce très rare, très anglais et très cher OSCar…
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