Que propose donc RayBlaster, le nouveau synthé virtuel de l’éditeur Tone2, alors que son mode de synthèse est qualifié par son créateur de révolutionnaire ? Éléments de réponse...
Sur AudioFanzine, on pointe régulièrement les ressemblances et différences entre monde virtuel et monde réel, que ce soit au niveau de la synthèse ou de la reproduction de nos périphériques préférés, et ce à tous les points de vue. Concernant les différences, il en est une qui n’a peut-être pas été assez relevée, celle de la production. Par exemple, à l’époque de nos vieux coucous analogiques (voire numériques ou hybrides), il n’était pas question d’imaginer des sorties de nouveaux modèles ou nouvelles synthèses (tout du moins prétendues telles) au rythme que l’on connait actuellement dans nos domaines informatiques. Il suffit de prendre la liste des news de l’année 2012 sur AF pour se rendre compte de la masse de produits sortant chaque année, la plupart revendiquant les plus grandes merveilles techniques, les meilleures prouesses, le son le plus fidèle, etc.
Bref, le temps où l’annonce d’un nouveau modèle surprenait vraiment est bien révolu. À l’époque, et ce que l’on a peut-être un peu tendance à oublier, les modèles haut de gamme se déclinaient en tout un éventail incluant généralement des produits très accessibles (que l’on repense aux Jupiter/Juno chez Roland, aux CS puis DX chez Yamaha, et autres séries chez les différents constructeurs). On devrait donc aussi naturellement se poser la question pour les synthés virtuels ; après tout, une fois qu’un éditeur a développé et maîtrisé une technique, il semble logique qu’il cherche à l’amortir, d’autant qu’il est bien plus simple de le faire dans le monde logiciel. C’est une question que l’on devrait se poser systématiquement et à laquelle on a cherché à répondre ici, chaque fois que c’était visible ou évident ou que l’on pouvait obtenir une confirmation de l’éditeur (là, on a affaire à une pratique de la langue de bois qui n’a rien à envier à celle des politiques…).
Cette intro ne préjuge pas forcément de ce qu’annonce l’éditeur Tone2, lorsqu’il clame que son nouveau synthétiseur virtuel, RayBlaster, intègre un mode de synthèse révolutionnaire, « a revolutionary new method of synthesis ». Rappelons cependant que c’était déjà le cas pour Gladiator, « a revolution in synthesis! The award winning Gladiator gives you a groundbreaking approach to sound generation » et que l’éditeur n’hésitait pas à présenter le synthé suivant, ElectraX, comme « the award- winning ElectraX is one of the most powerful synthesizers ever ».
Introducing Tone2 RayBlaster
Vendu 149 euros TTC, compatible PC et Mac, 32 et 64 bits, RayBlaster pourra être utilisé dans tous les logiciels gérant les formats VST et AudioUnit. À noter que le logiciel peut être installé sur les vieux coucous, notamment Mac, puisqu’il suffit d’avoir un OS 10.5 installé sur un G4 ou G5 (et MacIntel, évidemment). Pas dit que les ressources permettent des folies, mais il est toujours agréable que des machines dites « vieilles » puissent être utilisées.
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Les possesseurs de PC seront eux avantagés par la présence de versions autonomes (standalone 32 et 64 bits), toujours absentes des versions Mac des synthés de l’éditeur. Pourquoi ? Mystère. Peut-être un élément de réponse : l’éditeur ne semble pas versé dans les techniques propres à Apple, puisqu’adaptant ses plug-ins VST au protocole de la Pomme grâce à Symbiosis.
Installation et autorisation sans problème, via un simple petit fichier au suffixe .t2k. Plutôt ennuyeux en revanche, le programme d’installation continue à déposer les différents fichiers et dossiers à la racine du dossier Plug-Ins (au lieu des dossiers dédiés), comme pour tous ses précédents synthés (et pas moyen de les déplacer sous peine d’empêcher leur fonctionnement). Pourvu que la production de l’éditeur ne soit pas pléthorique, sinon on ne retrouvera bientôt plus les dossiers Components, VST et autres au milieu des dossiers de l’éditeur…
Under the Hood
La lecture des différentes infos données par l’éditeur, que ce soit sur son site ou dans le manuel, permet de se faire une (toute) petite idée de ce qui se cache sous le capot de RayBlaster. La paire habituelle oscillo-filtre du modèle de synthèse soustractive (qui peut compter plusieurs oscillos et plusieurs filtres) se voit ici (presque) débarrassée de l’élément « filtre » au profit d’une configuration maison. N’oublions pas que l’éditeur a signé pour Gladiator, le summum de sa synthèse HCM, des oscillos aux possibilités assez époustouflantes. Ici, même si l’on retrouve quelques caractéristiques communes aux produits de Tone2 (notamment l’import de formes d’ondes), les choses se présentent sous un jour apparemment nouveau : RayBlaster présente deux oscillos composés d’une section Display et d’une section Parameter.
Dans la première (deux écrans bleus, un par oscillo), on chargera une ou deux formes d’onde, à choisir parmi toutes celles fournies (l’éditeur en offre à son habitude un grand nombre), qui vont de la période de forme d’onde classique à la boucle de batterie, en passant par des tables d’ondes, toute forme d’échantillon maison (que l’on peut importer très facilement, avec une durée maximale de cinq secondes et bouclage propre de préférence), en piochant dans les menus Resynthesis et Loop Resynthesis. L’option est appréciable et appréciée.
La gestion de ces formes d’onde est en revanche assez différente de ce que l’on a l’habitude de rencontrer, sauf à être familier des produits Tone2 (lire aussi le test d’ElectraX qui donnera plusieurs infos sur les modules communs ou quasi semblables des deux synthés). D’abord les deux formes sont mixables au sein d’un seul oscillo, avec réglage de balance entre les deux. Ensuite, on les « force » à travers une fenêtre (Cosinus, Saw, Comb, Sine, etc.) qui va modifier leur contenu harmonique. L’exemple suivant nous fait entendre, tous paramètres du synthé en position neutre, une simple sinus avec fenêtre Cosine (valeur par défaut), puis Exponential 1, Comb4, Sweep2 et Sinc BP3 (voir aussi la capture d’écran).
On l’entend, ce simple changement permet déjà d’ajouter des caractéristiques supplémentaires au son. Ensuite, on modifiera encore le spectre, les harmoniques ainsi obtenus via le réglage Harmonic, en allant du très brillant (valeurs positives) au plus sombre (valeurs négatives). Le paramètre Start permet de décaler le point de départ de la lecture de la forme d’onde/échantillon, afin d’éviter tout problème de phase.
On dispose ensuite d’une gestion de la Pulse Width un peu particulière, puisqu’il s’agit d’une séquence autour de cette dernière ; c’est-à-dire que l’on va d’abord partir d’une forme d’onde, et passer à une autre via le réglage PW (considéré comme un PW Morph dans l’automation…). Cela peut paraître un peu abstrait, en voilà donc la démonstration : d’abord une Saw de base, puis se transformant en Double Saw (Saw<PW>DbSaw), la même chose avec les réglages Tri<PW>Steps et pour finir JX<PW>Square.
Ajoutons à cela un choix entre trois bruits (Formant, Pitch et Ampl), leur niveau, et un boost des aigus, et l’on conviendra que l’on dispose là d’oscillos particulièrement puissants, sachant que l’on n’a pas encore abordé la nouveauté, l’IMS, ni la partie Parameters… Le plus intéressant étant que l’on peut partir des simples paramètres Harmonic et Window Mode pour recréer des filtres de tous types.
On déplorera donc l’absence cruelle de toute documentation sérieuse sur le sujet, aucune des logiques ou techniques à l’œuvre n’étant détaillée, seulement quelques exemples. Et de là à en tirer une règle de programmation, il y a quelques pas…
Under The Hood Some More
Passons maintenant à ce qui fait la nouveauté du synthé, l’IMS. Cette technique permet, selon les explications de l’éditeur (encore une fois très succinctes, et peu claires, à base de « short bursts of energy » et de « psychoacoustic processing »…), de se passer d’une section dédiée de filtrage, puisque RayBlaster permet d’importer les caractéristiques de n’importe quel filtre via une simple réponse impulsionnelle dudit filtre. La procédure est assez simple, on règle une Saw sur le synthé que l’on cherche à reproduire, on place le CutOff aux alentours de 30 % de la valeur maximale, on joue une note grave que l’on couche en audio, et que l’on éditera pour obtenir une forme d’onde d’un seul cycle. Ne reste ensuite qu’à l’importer dans Rayblaster. Ce dernier se charge alors de recréer/modéliser le comportement du filtre, que l’on va gérer principalement via le bouton Formant de la section Parameter. Allons-y (notons que la procédure est exactement la même que celle décrite pour importer un sample dans le synthé…).
Dans cet exemple, en suivant strictement les consignes, on a d’abord une forme d’onde en provenance de Diva, sur une note (avec un filtre LP de quatrième ordre). Ensuite, le résultat importé dans Rayblaster, en jouant la même note. Le son n’est pas le même. Le troisième exemple fait entendre Rayblaster après adaptation du réglage de Formant, ainsi que celui de Key (le suivi de clavier). Mais même ainsi, le contenu en fréquences hautes est toujours plus fort que celui de Diva. Et la lecture dans un éditeur nous montre une forme d’onde inversée par rapport à l’originale.
Ensuite, quelques accords et notes joués sur Diva et sur Rayblaster avec la même forme d’onde, cette fois avec ajustement de Formant et compagnie. Le signal reste néanmoins plus brillant que celui de Diva.
Pour finir, un sweep sur Diva et l’équivalent du sweep sur Rayblaster, via le réglage Formant (il faut se méfier, passé un certain réglage, le comportement de Formant s’apparente à celui d’un filtre Band-Pass).
Même si assez proche, on n’est pas encore là dans de la copie fidèle. Une comparaison dans un analyseur montre bien la fidélité au comportement global (mêmes trous et peaks que l’original), mais révèle aussi la différence en termes d’amplitude des fréquences, ainsi que les accidents dans les basses.
De nombreuses autres expérimentations montrent que ce comportement est bien celui du synthé, et qu’il n’a quasiment jamais été possible d’obtenir une copie fidèle à 100 % (on y reviendra dans le bilan).
Avant de conclure, un petit aperçu des diverses fonctions restantes (rappel, voir le test d’ElectraX) : dans la section Parameter, donc, Formant, Tune, Volume, Pan, LoCut, Sync, BPM et Damp parlent d’eux-mêmes, et l’on dispose de suivis de clavier pour Formant et Tune, ainsi que du taux de l’enveloppe. Ces réglages sont présents deux fois, pour chaque oscillateur. Phase, Drift et Ring permettent de déphaser, désaccorder, et d’activer une fonction de Ring Modulator entre les deux oscillos.
On dispose de deux enveloppes librement assignables plus une enveloppe de volume, deux LFO, d’un arpégiateur complet, d’une matrice très puissante, de plusieurs effets (réverbe, délai, chorus, disto, compression, etc.), d’une Drive globale. Bien entendu, on retrouve les habituels réglages de l’éditeur autour de la largeur stéréo : Tone2 aime en effet les sons amples et truffe ses présets (parfois trop) d’effets d’élargissement, ici via les boutons Pan et Unison/Spread. Il faut cependant reconnaître que l’effet sur la phase (donc la stabilité du bas, le respect des transitoires, l’image centrale) est moins prononcé que dans Gladiator par exemple (avec son menu Unison Mode), même si le son de l’éditeur reste identifiable instantanément. Posséder une signature sonore est certes une qualité, mais peut aussi se révéler un défaut quand c’est au prix de trafics sonores par trop évidents. Mais reconnaissons-lui d’avoir eu la main moins lourde que d’habitude de ce côté du sound design.
Voici quelques extraits de différents présets du synthé, histoire de se faire une idée de la sonorité d’ensemble de l’instrument. Pour commencer, les Lead.
On appréciera (ou non…) la qualité « vocale » du second. Puis les Pads.
Ensuite des claviers.
De batteries (dont certaines sont obtenues via un équivalent de table d’ondes).
Viennent les basses.
On finit par les arpèges (avec fonction Straight ou Swing, offrant quatre variations).
Bilan
Tout d’abord, il est évident que l’on retrouve la patte sonore de l’éditeur : des sons précis, détaillés, parfois (trop) larges comme déjà mentionnés, aux graves biens marqués quand ils ne pâtissent pas d’effets sur la phase, mais l’ensemble manque d’une certaine douceur, d’une « rondeur » que l’on peut trouver sur d’autres synthés, virtuels ou non. Non que ce soit un mal en soi, mais cette approche assez « métallique » du son peut ne pas convenir à tout le monde.
Ensuite, soyons clairs : la révolution annoncée n’est pas là. D’autres éditeurs utilisent la convolution, l’import de samples, la modélisation, la resynthèse avec des résultats semblables (ou différents), mais sans prétendre remettre à plat le monde de la synthèse. Certes, le principe de programmation sans section de filtrage peut sinon sembler nouveau, du moins déstabiliser, mais c’est aussi un plus, car obligeant à d’autres approches, et l’import de cycles de formes d’onde fonctionnant très bien, les surprises peuvent s’avérer très créatives. Quand je dis que le principe n’est pas nouveau, il suffit de songer à la synthèse FM par exemple, puisqu’il n’y avait pas de filtre dans les DX7. Quant à l’import, la copie et la modélisation fidèle de vos filtres préférés, là aussi, les choses ne sont pas aussi simples que ça, et l’on est souvent déçu par le résultat, loin des modèles de départ.
De plus, répétons-le, le manuel est tout sauf clair et explicite et ne fait que souligner l’aspect marketing des proclamations de l’éditeur. Franchement, quand on voit l’explication donnée par exemple pour la PW particulière, on se demande quelle est la volonté de l’éditeur : on pourra faire du morphing en temps réel grâce au paramètre PW pour ajouter du mouvement au son (« add movement to the sound. ») ? Pardon ?
Alors qu’il aurait simplement suffi que Tone2 nous présente ce synthé comme doté d’une synthèse non pas révolutionnaire, mais différente, ludique (il est très amusant d’ouvrir n’importe quel type de forme d’ondes, RayBlaster créant alors ce que Tone2 appelle des « fantasy filters » dont on ne connaît jamais à l’avance le résultat sonore) et instinctive (le logiciel se manipule très facilement et l’ergonomie est très bien faite), dans la grande lignée de ses précédents produits. Mais aucun son de RayBlaster ne semble impossible à réaliser avec d’autres synthés, d’autres synthèses et tant d’autres lui semblent inaccessibles. Et le synthé ne peut lutter avec les rois de la resynthèse comme le surpuissant Alchemy, par exemple.
Prix : 149€