Baby Audio, la marque californienne de plug-ins qui monte, a collaboré avec le Youtubeur et artiste Andrew Huang l'an dernier pour concevoir un multieffet dédié aux transitions. Idée géniale ou simple storytelling ?
Depuis quelque temps, vous avez du remarquer que le concept du plug-in multieffet, qui donne la possibilité de contrôler et de paramétrer plusieurs effets dans un seul au lieu de les utiliser séparément, est revenu à la mode. On comprend bien l’intérêt d’opérer de la sorte, notamment pour pouvoir naviguer dans des chaines d’effets complets via des présets, pour reproduire le feeling d’équivalents hardware en matière de visuel ou de gain staging (dans le monde de la guitare ou sur les émulations de modules 500 de Slate, IK Multimedia ou Overloud par exemple), pour cumuler des effets typés dans une direction donnée (comme le RC-20 Retro Color de XLN Audio et ses multiples clones), pour utiliser quelques twists via des séparations du signal en bandes ou en composantes transitoires et autres (chez Eventide et Wavesfactory), des modulations générales, ou de l’automation avec des séquenceurs…
Sur ces deux derniers credos, on a vu apparaître récemment quelques gros cartons comme Devious Machines Infiltrator², le ShaperBox 3.5 de Cableguys, Byome (Build Your Own Modular) et sa version multibande Triad de Unfiltered Audio, Kilohearts Snap Heap, Sugar Bytes Effectrix 2/Turnado, ou encore Arturia EFX Motions, qui sont parfois livrés avec un bundle limité d’effets qui peut être étendu via des DLCs. Il nous arrive alors de temps en temps de nous interroger devant l’intérêt de cette offre pléthorique, notamment par rapport à des effets ou plug-ins dédiés qui pourraient aller plus loin que leurs équivalents inclus dans un bundle en termes de fonctionnalités voire même de qualité.
Aussi lorsque les californiens de Baby Audio – que l’on voit un peu partout en ce moment (avec le rachat de Denise Audio ou les synthétiseurs Atom et BA-1 qui ont eu leur petit succès) — ont rajouté leur pierre à l’édifice en août 2023, inutile de vous dire que ma première réaction a été de revenir transi (…) de l’annonce de leur nouveau produit. J’avais certes apprécié les qualités de leur précédente sortie BA-1, véritable machine à Synthwave bien plus intéressante qu’une simple émulation du simpliste Yamaha CS01, mais je ne comprenais pas trop l’intérêt d’un énième plug-in multieffets… Jusqu’à que j’entende Andrew Huang, le fameux Youtubeur et artiste canadien, connu autant pour sa musique, sa chanson de licornes et d’arc-en-ciels que ses vidéos challenge, parler du fait que c’est à la base son idée de plug-in, et qu’il n’en était pas à sa première collaboration avec des développeurs (le fameux module Eurorack Ghost de Endorphin.es ainsi que sa version pédale).
Ce plug-in a ainsi été conçu comme un moyen de créer des transitions avec un workflow aux petits oignons dans vos morceaux de musique, via un gros potentiomètre virtuel, qui commande des paramètres aisément assignables dans 7 slots d’effets parmi 18 types différents disponibles, et qui peut être utilisé en live ou automatisé dans votre STAN préféré. Nous allons à présent voir si cela constitue un simple gimmick ou présente un intérêt pour nos oreilles et notre processus créatif !
Baby come back
Vendu au tarif de 99 euros hors promos, disponible sur Windows, macOS et même sur iOS, Transit de Baby Audio est donc un multieffet dont l’ergonomie est centrée autour de l’usage en live ou de l’automation d’un gros potentiomètre, présent constamment dans l’interface, appelé « Transition Control » ou TC en abrégé. Lorsqu’on fait varier sa position, des changements vont s’opérer dans les 7 onglets d’à côté, qui peuvent chacun potentiellement contenir un effet, et dont tous les paramètres sont en nombre réduit et toujours visibles ce qui est une particularité importante de la proposition. En effet, tout ce qui est fait sur le son est toujours visible et il n’y a pas d’onglets cachés avec des paramètres supplémentaires pour les FXs.
L’usage le plus simple que l’on peut imaginer de Transit pourrait être par exemple d’avoir qu’un seul effet utilisé, disons un filtre passe-haut, dont la fréquence de coupure va passer d’une valeur minimale rendant l’effet imperceptible à une valeur plus significative autour des 10–15 kHz, pour réaliser une transition entre une section A et une section B dans l’arrangement d’un morceau de musique électronique. Pour ce faire, l’instance du plug-in est disposée sur un bus d’instruments (par exemple tous les synthés ou uniquement la batterie) ou carrément sur le master. L’utilisateur va charger un préset comme celui de l’image du dessus, ou le créer from scratch en sélectionnant simplement un des filtres dans le premier emplacement à FX. Dans les paramètres disponibles, on choisit le type de filtre voulu (passe-haut dans ce cas, il y a aussi passe-bas, passe-bande ou notch), une valeur de résonance qui sera fixée, le mix de l’effet à 100 %. En face de chaque potentiomètre de réglage, on remarque qu’il y a un rond coloré, qui met sur ON ou sur OFF un paramètre « Motion », qui détermine si la valeur associée va bouger ou non avec celle du paramètre TC. On décide donc de ne l’activer que sur la fréquence de coupure. Puis on sélectionne la valeur que l’on veut en au minimum et au maximum de la course du TC tout simplement en mettant le TC à zéro ou à 100 % et en choisissant une valeur de fréquence de coupure dans chaque cas. En un simple et rapide coup d’œil, toutes ces informations sont affichées et on va pouvoir maintenant mettre en pratique notre réglage. Il y a même un code couleur pour indiquer si le paramètre augmente (vert) ou descend (rouge) sur la course montante du TC.
Ensuite, nous allons donc préparer dans l’arrangement le passage entre les deux sections, par exemple avec un renfort sur la partie rythmique comme une répétition de caisse claire très caractéristique ou n’importe quelle descente de toms, pour créer un build-up. À la fin de celui-ci, alors que la tension qui était à son terme redescend brutalement (un drop), on se retrouve sur la section suivante.
Pendant le build-up, on pourra déplacer progressivement sur 2, 4 ou 8 mesures par exemple la valeur du potentiomètre TC vers 100 % ou moins si on le souhaite, puis revenir instantanément à zéro ou plus progressivement après le drop. Cela pourra se faire manuellement, de façon monotone ou ondulée, avec la souris ou un contrôleur, ou bien géré directement par l’automation du STAN, enregistré lors d’un précédent passage ou écrit à la main dans la partie automation du STAN. On pourra également accélérer ou ralentir la variation du contrôle, à l’usage au contrôleur, via les courbures de l’automation dans l’écriture de l’enveloppe du paramètre du STAN, ou dans Transit grâce à la ligne présente à l’intérieur de chaque paramètre, qui peut être infléchie à la souris dans un sens ou dans l’autre pour agir sur la vitesse des changements en début de course. Sur cet exemple très simple, on obtient ainsi le résultat suivant avec Transit uniquement sur le master :
C’est pas mal, mais un peu violent, on pourrait faire mieux soit en mettant le mix à 50, soit en appliquant l’effet uniquement sur le bus drums par exemple.
- Simple HP Transit House – Mix00:31
- Simple HP Transit House – Drums00:31
Ton délai bébé, ta soul bébé
Intégrer l’effet de filtre passe-haut glissant dans un arrangement s’est fait ainsi de manière très rapide, très DJ et effets de passage entre les morceaux dans Serato dans l’esprit. Transit est de plus rempli à ras bord de présets qui utilisent tous les effets disponibles, et ceux-ci peuvent être inclus dans un arrangement de la même manière, sachant que le plug-in possède également un réglage de mix global, un réglage de volume, un limiteur en fin de chaîne qui peut être activé ou désactivé, et que ces paramètres ainsi que ceux présents dans chaque FX peuvent être automatisés dans le STAN.
De plus, le slot du potentiomètre TC peut donner accès à un autre moyen d’actionner les transitions, qui s’appelle le Motion Sequencer. Celui-ci permet d’enclencher une transition complète et linéaire de 0 à 100 % en appuyant sur un bouton Play, en synchronisation avec la barre de transport et le démarrage d’une mesure dans votre STAN, bouton qui est lui-même automatisable tout comme un bouton Stop associé. On peut également régler la longueur du processus en nombre de mesures avec des divisions par 16 plus fines, avoir la possibilité d’enclencher un retour de même longueur de 100 % à 0 % à la fin de la transition, et même mettre en boucle infinie le déplacement du TC, tel un LFO ! Plus besoin même d’automatiser quoi que ce soit en mode bouclage, le lancement de la séquence se lançant automatiquement à la lecture du morceau, utile par exemple pour traiter un clip sur une piste seule isolé dans la fenêtre d’arrangement du STAN, ou pour essayer différents présets à la suite !
On apprécie globalement l’usage du plug-in assez fluide, avec un tutoriel intégré qui se lance au démarrage de Transit, un manuel (en anglais seulement) qui décrit assez bien les opérations et le contenu du software, les deux skins, l’interface redimensionnable ou quelques options supplémentaires qui permettent de définir le comportement de Transit quand le TC est à 0 %, avec tous les effets en bypass ou non dans cette position, et la possibilité de garder les queues des effets des réverbération et de délai. Bien pensé !
On ne met pas n’importe quoi dans son biberon
Autre moyen de s’amuser, Transit propose une fonction de randomisation un peu sophistiquée — ce qui est une constante intéressante dans les produits Baby Audio – qui permet de changer aléatoirement le contenu des slots d’effets, au niveau du type de FX et de ses paramètres. Les effets inclus dans le plug-in ayant chacun un nombre très limité de paramètres, ce qui réduit par design le nombre de combinaisons de paramètres qui donnent des sonorités inutilisables et privilégie plutôt la quantité de sweet spots, Transit se prête très bien à cette fonctionnalité. Celle-ci est accessible en cliquant une fois sur une icône en forme de dé, ou peut être commandée par un événement MIDI si on active cette possibilité. Mais ce n’est pas tout, un onglet dédié dit de randomization lock permet d’indiquer dans la configuration en cours quels sont les paramètres que l’on veut voir affectés par la randomisation, notamment le type d’effet lui-même qui peut rester fixe ou variable voire devenir désactivé, et même le degré de variation d’un paramètre donné ! De quoi s’occuper encore un moment après avoir parcouru les présets fournis, et multiplier les chances de tomber par hasard sur quelque chose d’intéressant dans une session de composition donnée (déconseillé peut-être en live par contre !).
Au passage, précisons que le plug-in propose un certain nombre de présets, disposés sous forme de packs « artistes », avec du contenu gratuit supplémentaire accessible notamment sur le serveur Discord de la marque (le nouvel eldorado des réseaux sociaux dans l’industrie de la musique), parfois nommés pour indiquer une catégorie (Transition, Generator, Drums, FX, Vocals, Guitar par exemple dans ceux de Andrew Huang). Parcourir ces présets dans Transit est une action avec une vibe différente de ce qu’on a l’habitude dans des effets ou synthétiseurs classiques, car il ne s’agit pas ici simplement de changer de sonorités, mais aussi de naviguer dans des propositions artistiques pour la composition ou l’arrangement…
À présent, parlons-en enfin de ces effets, qui n’en sont pas d’ailleurs pas tous. Au nombre de 18, la majorité d’entre eux traitent simplement le signal entrant tandis que deux autres très intéressants dans ce contexte permettent de générer du bruit blanc filtré et un son d’oscillateur de synthétiseur, avec le pitch assigné à un des paramètres. Les sons ainsi obtenus sont additionnés au signal en entrée et peuvent être traités par les effets présents à la suite dans le chemin du signal, leur ordre pouvant être modifié par simple glissé déposé, ce qui ouvre la possibilité de créer des risers et autres sweeps sur des pistes dédiées ! On remarque dans la foulée que chaque type d’effet ne peut être présent qu’une seule fois malheureusement, et aussi qu’ils disposent de leurs propres présets.
Les effets accessibles, en plus du générateur de forme d’ondes et de bruit, sont donc les suivants : auto panning, bitcrusher, chorus, délai, distorsion, filtre avec atténuation à –12 ou –24 dB par octave, flanger, OTT (pour compresseur multibande comme celui de Ableton Live avec son fameux préset), phaser, pitch shifting, Pump (compresseur avec un kick sur chaque temps en sidechain et enveloppe réglable), réverbération, Spread (effet sur la spatialisation), trémolo, et Utility (volume + pan + tone). Il n’y a rien ici de forcément très remarquable, mais n’oublions pas que ces effets sont avant tout présents pour générer des transitions, et de ce point de vue il y a largement de quoi s’occuper avec autant de contenu, d’autant qu’ils sont tous de bonne facture sans être transcendants non plus, et que la charge CPU de Transit nous a toujours semblé très faible même avec tous les slots utilisés (ici sur des guitares et sur des sons de batterie électronique).
- Transit Drums02:00
- Transit Guitars01:22
Alors bien sûr on n’aurait pas dit non à plus de variantes de filtres, d’effets de distorsion et de dynamique, des traitements granulaires, du beat repeat, du reverse etc. Peut-être sur une prochaine mise à jour ? À noter que le développeur travaille déjà selon ses dires sur la prochaine version de Transit (actuellement 1.2), avec entre autres un autre navigateur de présets j’imagine comme celui qui est apparu récemment dans BA-1…
De la dynamique en duty-free
Tester un plug-in, dont le principe de base est de nous aider à rajouter du ear candy un peu partout dans les productions ou en utilisation live, a forcément été une expérience assez plaisante. À l’usage, il fonctionne très bien dans l’optique noise/special FX/sweeps/risers/effets de transition, que ce soit sur des bus d’instruments ou tout seul pour les générateurs, et la charge CPU étant faible on se surprend vite à vouloir en mettre partout pour enrichir l’espace ci et là sans que ça soit forcément trop flagrant à l’écoute. Cela n’empêche pas toutefois de pouvoir en faire des caisses avec si c’est l’effet recherché (par exemple ici avec du DFAM, l’Analog Rytm de mister Aceboo, de la réverbe à ressorts avec du feedback, et le retour des vidéos de jardinage aléatoires sur YouTube).
On ne va pas se mentir sur le fait que la plupart du temps ce qu’on en fait peut être réalisé avec d’autres plug-ins, certains concurrents que j’ai déjà cités, d’autres dédiés aux risers et sweeps, ou les plug-ins livrés avec votre STAN, et aussi qu’il a une orientation assez musique électronique. Les points clés du plug-in sont la vitesse à laquelle on arrive à un résultat donné, l’envie de vouloir le réutiliser, et la simplicité avec laquelle on arrive à réaliser nos intentions en quelques clics. Transit est très à l’aise également dans l’effet plus classique sans utilisation du potentiomètre TC, comme l’effet de compression/pompage sidechain, un OTT sur un bus, du morphing d’effets qui peut trouver sa place dans une production purement acoustique, un délai sur une portion de voix, des modulations sur des sons de guitare, une petite distorsion ci et là, ou une onde dont on peut automatiser le pitch de manière continue sans envoyer d’information MIDI.
Conclusion
Vous l’aurez compris, j’ai été plutôt touché par la proposition de Baby Audio, qui sans être d’une originalité excessive, apporte une certaine touche de fraicheur dans le marché saturé du plug-in, et de fun. De plus, l’ergonomie, l’attention apportée par les designers aux petits détails (tels que les différences de volume entre les présets), et l’orientation dédiée à la composition, au live et à l’arrangement, ainsi que le contenu proposé niveau présets et randomisation, lui confèrent un côté exploratoire qui donne envie d’y revenir très souvent sans que cela ne devienne forcément un gimmick, ou quelque chose de systématiquement reconnaissable à l’écoute, grâce aux possibilités de customisation et de sound design.
On notera aussi que c’est une certaine prouesse de concevoir des effets qui consomment peu de CPU et proposent peu de paramètres, mais qui sonnent bien et qui font correctement ce qu’on leur demande. Ou encore de mettre autant de possibilités et d’usages possibles dans un plug-in sans que cela ne devienne trop chargé au niveau de l’interface graphique, ce qui n’est pas toujours le cas chez les concurrents sans que cela ne leur enlève d’intérêt comme compléments à Transit. Alors évidemment, si on est plutôt axé modulations complexes, FX de type Virtual Analog, sons acoustiques purs, ou qu’on veut pouvoir manipuler des effets plus sophistiqués, on ira voir ailleurs et c’est très bien aussi.
Mais pour toutes ces raisons, il me paraît nécessaire de vous conseiller fortement de jeter une oreille à Transit si la proposition vous parle, et nous lui accordons un award AudioFanzine valeur sûre. À vos transitions !