Lors du dernier Winter NAMM, Cakewalk a présenté le CA-2A T-Type Leveling Amplifier, un nouveau plug-in de compression basé sur le célèbre compresseur Teletronix LA-2A. De son coté Universal Audio, qui l'avait déjà modélisé en 2001, a également profité de cet événement pour annoncer la sortie du bundle LA-2A Classic Leveler Plug-in Collection qui propose pas moins de trois modélisations différentes de la bête. Sentez-vous cette petite démangeaison ? C'est l'envie d'un comparatif qui vous titille les oreilles ! Heureusement, AudioFanzine est là.
The Original
Avant toute chose, il apparaît primordial de savoir de quoi nous parlons. Ces plug-ins revendiquent tous une certaine parenté avec un incontournable dans le monde de l’audio, j’ai nommé le Teletronix LA-2A.
Conçu par Jim Lawrence dans les années 60, ce compresseur opto-électrique à lampes fut le premier du genre et trône encore dans de nombreux studios. Le secret de cette longévité tient au son velouté de l’engin dû en grande partie aux variations inhabituelles des constantes temporelles. En effet, le temps d’attaque est en moyenne de 10 millisecondes, mais varie selon la fréquence du signal. De plus, et c’est là que réside la magie, le temps de relâchement n’est pas constant ! Il atteint sa moitié entre 40 et 80 millisecondes, puis il faut compter 1 à 15 secondes de plus pour un relâchement total.
Tout cela grâce à un fonctionnement interne inédit pour l’époque qui se résume essentiellement au module T4, combinaison d’un panneau électroluminescent et d’une cellule photosensible. C’est le T4 qui détermine non seulement la réduction de gain, mais également l’attaque et le release. Concrètement lorsque le gain du signal audio en entrée augmente, cela augmente la brillance du panneau qui éclaire la cellule photosensible. Celle-ci contrôle la réduction de gain. Ainsi plus le signal entrant est fort, plus la lumière est vive et donc plus le compresseur… compresse. Là où ça devient génial, c’est que la cellule photosensible a une « mémoire » : si le signal reste longtemps au-dessus du niveau de seuil ou si la compression est forte, la cellule s’en « souvient » et retourne à son état de repos plus lentement.
Malgré la complexité se cachant dans ses entrailles, le LA-2A s’utilise on ne peut plus simplement. Un potard Gain pour ajuster le niveau de sortie (et donc après compression) et un Peak Reduction pour régler le traitement. Ce dernier gère simultanément le taux de compression et le niveau de seuil à partir duquel le signal est traité. Un switch permet de sélectionner le mode Compress (ratio d’environ 4:1) ou le mode Limit (ratio infini). Enfin, un rotatif trois positions permet de choisir si le VU-mètre affiche la réduction de gain ou le niveau de sortie (+4 ou +10). Petite subtilité cependant avec la vis R37 de pré-emphase située à l’arrière de la machine… À l’origine, Teletronix a conçu ce petit bijou pour la diffusion radio. Or la bande FM génère une bosse de 17 dB à 15 kHz. Pour éviter la surmodulation des transmetteurs, le réglage R37 de pré-emphase applique un filtre réduisant les fréquences basses dans le circuit sidechain du signal d’entrée pour que le compresseur soit plus sensible aux hautes fréquences.
Voilà, maintenant que nous connaissons un peu mieux l’original, attaquons-nous aux déclinaisons virtuelles.
The Newcomers
Jetons tout d’abord un œil du côté de chez Cakewalk. À l’origine conçu pour le module ProChannel dans Sonar, puis sous la forme d’un Rack Extension pour Reason fin 2012 (RE-2A), le CA-2A T-Type Leveling Amplifier est aujourd’hui disponible pour les autres DAW au format VST et AU. Sur PC, il nécessite au minimum Windows 7 SP1 (32-bit ou 64-bit) et un processeur Intel Core 2 Duo ; du côté de la pomme, il faudra au moins Mac OSX 10.7.5 ainsi qu’un processeur 64-bit Intel Core 2 Duo. Pour le reste, l’éditeur préconise sur les deux plateformes 1 Go de RAM, 100 Mo d’espace disque et un affichage de 1280×800.
Concernant le plug-in à proprement parler, Cakewalk dit avoir soigneusement modélisé les lampes ainsi que le désormais fameux module T4 sans préciser l’époque du LA-2A reproduit, et nous verrons que cela a son importance. Du côté de l’interface nous retrouvons de gauche à droite le switch Limit/Compress, le réglage de pré-emphase R37, les potards Gain et Peak Reduction, le sélecteur d’affichage pour le VU-mètre qui offre en plus la possibilité de surveiller le volume de sortie sur une échelle dBFS, et enfin le commutateur Power. Signalons que par défaut le R37 n’est pas en position « Flat », mais à mi-course, c’est-à-dire qu’une partie du bas du spectre sera ignorée d’office par le circuit de détection… Choix plutôt étrange étant donné que le réglage d’usine de la machine hardware est « Flat ». Au rayon des fonctions cachées et ne se trouvant pas sur l’original, le CA-2A propose une entrée sidechain externe qui déclenchera le traitement via une autre piste pour des effets de type ducking ou de pompage ; ainsi qu’un mode « Fast Reset » qui autorise un temps d’attaque plus rapide que dans la réalité afin d’éviter les « pops » après une longue période de silence. De base, le plug-in est en mode « Classic » et respecte le comportement d’origine, avec les « pops de réveil » donc.
Passons maintenant chez la concurrence.
Universal Audio n’en est pas à son coup d’essai niveau virtualisation d’appareils vintages. D’ailleurs sa famille de cartes à DSP UAD doit en grande partie son succès à l’un de ses premiers plug-ins recréant justement le LA-2A dans le monde numérique.
Toujours disponible aujourd’hui, ce Legacy LA-2A avait le comportement typique dudit compresseur sans offrir le réglage R37 ni la modélisation des transformateurs et de la distorsion en entrée/sortie dans un souci d’économie des ressources DSP. Mais depuis l’agrandissement de la gamme avec les cartes UAD-2, les ressources ne sont (presque) plus un problème ! C’est pourquoi la marque nous propose désormais le bundle LA-2A Classic Leveler Plug-in Collection avec comme promesse un son encore plus authentique. Disponible au format VST, AU et RTAS depuis la sortie de la version 6.5 de l’UAD Software, ce bundle nécessite au minimum Windows 7 64-bit ou Mac OS X 10.6.8 Snow Leopard, 2 Go d’espace disque, un affichage de 1280×800, et bien sûr une carte UAD-2 ou une interface Apollo. À noter que la v6.5 n’offre pas le support des cartes UAD-1. Par conséquent, si à l’instar de votre serviteur vous aviez encore une de ces cartes dans le ventre de votre bécane, vous pouvez lui dire adieu…
Le bundle en question renferme trois modélisations différentes du LA-2A :
• le Teletronix LA-2 basé sur l’un des tout premiers modèles ;
• le Teletronix LA-2A Gray issu d’une machine datant du milieu des années 60 (époque Jim Lawrence) ;
• le Teletronix LA-2A Silver conçu à partir d’une version plus tardive, fin 60's (époque Bill Putnam).
Tous trois offrent le réglage de pré-emphase R37, les potards Gain et Peak Reduction, le sélecteur d’affichage du VU-mètre, et le commutateur Power. Seuls le Gray et le Silver présentent le switch Limit/Compress, le LA-2 n’ayant pas de mode limiteur.
Les forces en présence sont maintenant clairement définies, il est grand temps de passer aux choses sérieuses !
Challenge Accepted
Le test a été effectué sur un PC équipé d’un processeur Intel Core 2 Quad Q6600 2.4 GHz, d’une carte UAD-2 Quad et tournant sous Windows 7 64-bit. Le séquenceur utilisé n’est autre que l’outsider Reaper v4.32 en 64-bit et l’interface audio est une Konnekt Live de TC Electronic.
Les plug-ins que nous traitons ici étant modélisés à partir de différentes versions de LA-2A, il était inconcevable de simplement transposer les réglages de l’un à l’autre pour les comparer. C’est pourquoi nous avons procédé comme suit : nous appliquons une même réduction de gain sur chacun d’eux (lecture via le VU-mètre intégré) puis nous compensons avec le gain en sortie afin de récupérer le même niveau (lecture via la console virtuelle de la DAW). L’ordre des exemples sera toujours le suivant : le signal « dry » (c’est à dire non traité), le CA-2A, le LA-2A Legacy, le LA-2, le Gray et enfin le Silver. Notez que la version Legacy n’apparaitra qu’à titre de référence lors de l’utilisation du filtre R37 puisqu’elle ne possède pas ce réglage.
Commençons par le domaine de prédilection du LA-2A, c’est-à-dire la voix. Nous appliquons une réduction de gain de –5 dB.
- 01 voix dry 00:44
- 02 voix ca2a 00:44
- 03 voix legacy 00:44
- 04 voix la2 00:44
- 05 voix gray 00:44
- 06 voix silver 00:44
Premier constat, les réglages des différentes versions sont très disparates pour obtenir un résultat comparable. Tous ont le comportement typique du bijou de Teletronix et donnent une belle assise à la voix sans pour autant laisser entendre une compression trop évidente. Nous remarquons toutefois que le bundle UAD semble beaucoup plus « coloré » dans le bas-médium et que le modèle Silver donne un volume ressenti légèrement supérieur.
Essayons maintenant le même niveau de compression, mais cette fois-ci avec le réglage R37 de pré-emphase complètement activé.
- 01 voix dry 00:44
- 07 voix r37 ca2a 00:44
- 03 voix legacy 00:44
- 08 voix r37 la2 00:44
- 09 voix r37 gray 00:44
- 10 voix r37 silver 00:44
Comme prévu les compresseurs réagissent moins à l’énergie du bas du spectre, la réduction de gain s’applique donc sur le haut-médium et les aigus. Il en résulte un son légèrement moins agressif pour tout le monde en général avec encore une fois un peu plus de rondeur chez Universal Audio. Remarquons que l’effet du R37 se ressent de façon plus flagrante sur les sons de type « S » en les atténuant, ce qui peut s’avérer utile si l’on ne dispose pas d’un vrai dé-esseur.
Passons à un traitement plus violent avec –10dB de réduction et en poussant un peu sur le gain en sortie.
- 01 voix dry 00:44
- 11 voix 10 ca2a 00:44
- 12 voix 10 legacy 00:44
- 13 voix 10 la2 00:44
- 14 voix 10 gray 00:44
- 15 voix 10 silver 00:44
L’effet de compression est de suite plus évident, mais le résultat reste exploitable pour l’UAD Legacy et le CA-2A avec malgré tout un léger manque de volume pour ce dernier. Le bundle UAD en revanche montre de suite un autre visage avec un très gros niveau moyen de sortie et surtout de la distorsion ! C’est la fameuse modélisation des transformateurs et de la distorsion en entrée/sortie dont se vante Universal Audio et ça déménage. Certes, avec des réglages aussi extrêmes sur une voix c’est difficilement exploitable en l’état (quoique…), mais cela laisse entrevoir de jolies perspectives. Remarquons à nouveau que le volume du LA-2A Silver est nettement supérieur à ses confrères.
Assez pour la voix, enchaînons avec un clavier de type Wurlitzer auquel nous enlevons –10 dB.
Le temps d’attaque plutôt lent fait claquer le premier accord. Cela se remarque surtout avec le CA-2A, c’est le phénomène de « pop » au réveil de la bête après un long silence. Heureusement celui-ci propose le mode « Fast Reset » pour pallier cela si c’est un problème. Cet effet est beaucoup moins présent avec le Silver qui semble avoir un temps d’attaque plus rapide. La compression en soi se fait beaucoup moins entendre avec le nouveau bundle UAD qu’avec les deux autres. En tout cas, les cinq plug-ins rajoutent un beau sustain à ce clavier, et ce grâce au fameux release typique du LA-2A. Encore une fois, les nouveaux venus d’Universal Audio proposent une coloration dans le bas-médium et le Silver crie plus fort que ses confrères.
Avec le filtre R37 en action, les résultats sont similaires avec bien sûr des aigus plus compressés, ce qui fait ressortir les notes médiums.
C’est maintenant au tour d’une ligne de basse de passer à la moulinette avec –10 dB de réduction de gain.
Cette ligne est relativement nerveuse et nécessiterait probablement un compresseur avec un temps d’attaque plus rapide. Cependant, la version de Cakewalk s’en tire plutôt bien et ce grâce à un temps de relâchement sensiblement plus rapide que les autres. Cela se remarque d’ailleurs directement sur son VU-mètre avec une aiguille qui ne cesse de danser frénétiquement, ce qui en rend la lecture difficile. Le LA-2A Legacy a lui beaucoup plus de mal et le claquant de la basse en devient un peu mou. De plus, il est intéressant de relever que nous avons quasiment dû utiliser le gain maximum pour le mettre à niveau avec la concurrence. Le LA-2 s’en sort honorablement par la couleur qu’il propose, mais ses constantes temporelles sont définitivement trop lentes pour ce genre de phrasé. Le VU-mètre confirme d’ailleurs la chose avec une aiguille aux mouvements lancinants. La rapidité et la coloration des deux derniers paraissent beaucoup plus adaptées ici, mention spéciale pour le Gray.
Continuons avec les guitares. La première est un motif rythmique auquel nous appliquons –5 dB de compression avec le filtre R37 pour calmer les aigus un peu trop criards. La seconde est une sorte de riff qui bénéficie du même tarif niveau décibel, mais sans le filtre.
- 19 rythm 01:09
- 20 riff 01:08
Ici la transparence de ce type de compresseur fait mouche. Certes, nous ne récupérons pas beaucoup de niveau car les crêtes passent au travers, surtout avec le CA-2A et le LA-2, mais nous gagnons une certaine consistance qui facilitera le placement au mixage. Les cinq plug-ins font à peu de chose près jeu égal pour ce traitement somme toute très léger.
Même si de prime abord ces joujoux ne semblent pas prédisposés pour les prises de batterie, nous avons quand même tenté l’expérience. Voyons d’abord la grosse caisse à –7 dB, sans le filtre R37 puis avec.
- 21 kick 01:15
- 22 kick r37 01:15
Le résultat est assez surprenant. La lenteur du temps d’attaque laisse bien passer la frappe et nous réussissons tout de même à gagner en puissance, ce qui est plutôt plaisant. L’utilisation du filtre permet d’obtenir un son moins « carton ». À noter que sur cet exemple, le Legacy a peiné pour atteindre les –7 dB. Les modèles Gray et Silver tirent clairement leur épingle du jeu avec un beau volume moyen, certainement dû à une attaque plus rapide.
Le constat est sensiblement le même sur la caisse claire avec –10 dB et le R37. Nous gagnons en claquant et en résonance sauf avec le LA-2 dont la lenteur n’est vraiment pas adaptée à ce type de son.
Enfin, nous avons appliqué –7 dB de réduction de gain sur le bus de batterie, sans filtre puis avec.
- 24 drum 01:08
- 25 drum r37 01:08
Le CA-2A et le Legacy ne sont pas très à l’aise avec une action qui se fait un peu trop entendre, ceci dit en utilisation de compression parallèle, ça peut être intéressant. Le nouveau bundle UAD s’en sort vraiment bien, surtout lors de l’utilisation du filtre qui permet de ne pas trop faire ressortir la ride. Les trois résultats sont largement exploitables avec un très beau grain et un gain en volume perçu significatif. Le choix d’utiliser l’un ou l’autre sera alors essentiellement une question de goût.
Pour finir, nous avons tenté d’employer ces LA-2A virtuels sur le mix bus. Nous avons en premier lieu réalisé une « mise à plat améliorée » avec compression, EQ et quelques effets, mais aucune automation. Le résultat est passé au travers des cinq plug-ins avec une très légère réduction de gain de –3 dB.
- 26 mix dry 01:28
- 27 mix ca2a 01:28
- 28 mix legacy 01:28
- 29 mix la2 01:28
- 30 mix gray 01:28
- 31 mix silver 01:28
Rien d’extraordinaire ici, nous observons un certain gain en volume, mais il nous semble que cela entraine une légère perte en largeur stéréo. Notons tout de même que la couleur apportée par les LA-2, Gray et Silver est bien agréable et qu’ils rendent un volume supérieur aux deux autres.
Quelques chiffres…
Avant de conclure, un petit mot concernant l’aspect pratique. Le CA-2A de Cakewalk est très économe en ressources CPU. Lors de nos tests, chaque instance ne consommait pas plus de 2 à 2.5% de notre processeur Intel Core 2 Quad Q6600 2.4 GHz. Autant dire qu’avec une machine récente vous aurez assez de puissance pour en caler plus qu’il ne vous en faudra jamais. Pour ce qui est des plug-ins d’Universal Audio, vous pourrez caser jusqu’à 96 instances stéréo du Legacy avec une UAD-2 Quad, ce qui est largement suffisant. En revanche, les nouveaux modèles sont nettement plus gourmands… Avec la même carte vous n’aurez droit qu’à 16 instances stéréo ou 24 mono maximum, et cela implique bien sûr de n’utiliser aucun autre plug-in sur cette UAD-2. Il vous faudra donc bien surveiller votre jauge si vous ne voulez pas être pris de court.
Conclusion
Alors, qui est le grand gagnant ? Vous seul pouvez réellement en juger, et nous vous invitons non seulement à écouter les exemples sonores sur un bon système audio, mais également à essayer les versions de démonstration avec vos propres sons. Personnellement, nous trouvons que le LA-2A Legacy a pris un coup de vieux avec ces nouvelles versions. Bien que respectant globalement les caractéristiques temporelles de son illustre modèle, il offre moins de fonctions et manque de caractère par rapport aux autres. Cependant, il pourra toujours rendre service lorsque vous serez à court de puissance DSP. Le CA-2A (99€) pour sa part semble à l’aise dans la plupart des situations. De plus, ses options R37, Fast Reset et sidechain externe sont les bienvenues. Quant au nouveau bundle UAD (149$ prix de lancement, puis 299$), la patte sonore qu’il propose est indéniablement un atout et la diversité de chaque plug-in au niveau des constantes temporelles permettra de faire face à toutes les situations.
Téléchargez les fichiers sonores (format FLAC)