Né à la fin des années 2000, Kush Audio s'est d'abord fait connaître dans le milieu de l'audio pro avec du matériel hardware.
Curieusement, leur premier joujou n’était pas une création originale, il s’agissait d’une modification d’un processeur déjà existant, le Fatso d’Empirical Labs. Baptisé UBK Fatso, l’engin a su séduire bon nombre d’ingénieurs du son dont votre serviteur. J’ai la chance de posséder l’un des premiers modèles et je vous assure que cette belle bête n’est pas prête de quitter mon studio ! Fort de ce succès, Kush Audio a depuis commercialisé plusieurs produits hardware (Clariphonic, Electra, etc. ) qui ont continué à alimenter leur excellente image atypique. Et l’histoire ne s’arrête pas là puisque Gregory Scott, alias UBK, le « cerveau » de la marque, a su très tôt (2011) se démarquer de la concurrence en attaquant également le marché du côté « virtuel » de la force, fait pas si répandu que cela chez les constructeurs de matériel « physique ». Je dois avouer que je n’avais jamais pris la peine de tester l’un de leurs plug-ins jusqu’à présent. Je m’en vais donc aujourd’hui rétablir cette « injustice » en passant sur le grill leur petit dernier : le compresseur logiciel Novatron.
Kush que c’est ?
Disponible pour Mac et PC en 32 et 64 bits aux formats VST, AU et AAX, mais malheureusement pas VST3, Novatron requiert impérativement une clé physique iLok 2 ou 3, ce qui ne manquera pas d’en faire rager certains… D’autant que d’autres plug-ins signés Kush Audio proposent le système d’autorisation iLok lié directement à l’ordinateur, mais passons.
Arborant une robe châtain du plus bel effet, l’interface graphique demeure claire et fonctionnelle malgré ses dimensions fixes. Cette dernière met d’emblée en évidence les réglages qui sont au coeur de la spécificité du bestiau. Car non, Novatron n’est pas un plug-in de compression comme les autres. En effet, pour concevoir ce joujou, monsieur Scott a eu l’idée de modéliser les cent premières microsecondes de la réponse aux transitoires typiques de certains compresseurs hardware de légende. Ainsi, les constantes temporelles et la réactions aux transitoires peuvent évoluer de la violence caractéristique des compresseurs à FET à la force tranquille d’une architecture Vari-Mu, en passant par le claquant type d’un VCA, et ce, de façon continue indépendante pour l’attaque et le relâchement. Ce concept novateur profite donc de la souplesse du monde virtuel pour offrir un traitement de la dynamique fortement inspiré du meilleur de l’analogique sans pour autant tomber dans le mimétisme bête et méchant. Chapeau bas ! Au-delà de cette particularité, Novatron propose bien d’autres friandises…
Le potard central « Compress » ajuste le seuil ainsi qu’un algorithme d’auto-gain censé éviter de trop fortes variations du volume sonore perçu. Attention cependant, cet algorithme ne dispense pas d’ajuster le volume en sortie afin de pouvoir comparer convenablement le signal source avec le signal traité. En fait, il s’agit là d’une fonction permettant de ne pas voir le niveau varier outre mesure lorsque vous attaquez l’engin avec fougue.
Afin de gérer les niveaux d’entrée et de sortie, Novatron dispose de potentiomètres « Input » et « Output » jouissant d’un champ d’action de +/- 18 dB. À l’usage, cette plage me semble un peu courte pour la sortie car cela ne permet pas toujours de compenser la différence de niveau avec le signal source. Dommage.
Question ratio et knee, ce compresseur présente trois modes de fonctionnement aux noms suffisamment évocateurs :
- « Mix » – ratio bas avec soft knee ;
- « Limit » – ratio de 6:1 avec knee moyen ;
- « Punish » – ratio élevé avec hard knee.
Concernant la coloration du signal, Novatron n’est pas en reste.
Il y a tout d’abord les sliders dosant la saturation pré-compression (modélisée à partir d’un transformateur générant des harmoniques impairs) et post-compression (transfo générant des harmoniques pairs). Ces derniers sont particulièrement utiles pour « pétrir » les transitoires en amont et en aval de la compression à proprement parler. Notez qu’un bouton « Link » permet de régler les deux circuits ensemble sans affecter les ratios relatifs, ce qui est diablement efficace ! Seul regret, l’absence d’un switch pour bypasser complètement cette section.
Si cela ne suffit pas à vos envies de coloriage sonore, le potard « Tone Shift » permet d’enclencher un circuit pré- et post-compression de façon à malaxer la couleur tonale du rendu. Comme les noms le laissent supposer, « Dark » rabote gentiment le haut du spectre sauce API 525, « Airy » joue sur l’aspect aérien tendance LA2A et « Flat » court-circuite cet étage de traitement.
Un mot à présent sur les retours visuels disponibles. Comme souvent chez Kush Audio, le Novatron est plutôt avare en données chiffrées, ce qui n’est pas forcément un mal puisque cela invite à l’utilisation de nos chères esgourdes. Ceci étant, le vu-mètre baptisé « Energy Delta » indique les niveaux d’entrée et de sortie grâce à deux aiguilles virtuelles respectivement verte et jaune. Ce cadran est franchement pratique pour s’affranchir rapidement de la balance entre le volume perçu du signal source et celui du signal traité. De plus, un deuxième cadran affiche la réduction de gain. Notez toutefois que celui-ci fonctionne selon le principe d’un vu-mètre et renseigne donc sur la réduction RMS (à la manière d’un LA2A), pas sur la réduction des crêtes.
Ce tour d’horizon du Novatron pourrait encore s’étaler sur plusieurs paragraphes, mais je sens que vous êtes impatients d’entendre ce que la bestiole a concrètement dans le ventre. Aussi, je me permets de prendre un petit raccourci en citant pêle-mêle les derniers détails d’importance :
- Potard « Blend » pour mélanger le signal traité au signal source ;
- Sidechain interne / externe avec filtrage HPF jusqu’à 3 kHz ;
- Oversampling débrayable d’un clic pour l’ensemble des instances d’une même session ;
- Bouton d’inversion de phase ;
- Fonction Linked/Unlinked pour chaîner les canaux lors de l’utilisation sur une piste stéréo ;
- Gestionnaire de presets et de banques de presets pratique ;
- Presets particulièrement bien faits ;
- Pas de fonction de comparaison A/B…
Pour finir, sachez que le Novatron est plutôt bien optimisé puisqu’il ne consomme que 0,5% avec l’oversampling sur ma machine de guerre (Mac Pro fin 2013 Hexacoeur Xeon 3,5 GHz – 32 Go DDR3) et 0,2% en mode économe. Seule ombre au tableau, une instance induit 219 samples de compensation de latence, ce qui n’est pas la mort en soi en situation de mixage mais qui sera gênant pour une utilisation en live.
Bien, il est grand temps de passer à notre séance d’écoute…
Kush Investigation
Commençons avec une voix :
- 01 Vox dry 00:12
- 02 Vox Control 00:12
- 03 Vox Growl 00:12
- 04 Vox Bicolor 00:12
Le premier extrait se réduit à la source dans son plus simple appareil.
Le deuxième utilise une instance du Novatron pour bien tenir la bride de ce chant (mode Limit, attaque mi-FET mi-VCA, relâchement FET, compression au 3/4, Tone Shift Airy, saturation In 30%, saturation Out 40%, filtre sidechain à 96 Hz). J’ai volontairement ramené les exemples au même volume sonore perçu de façon à pouvoir mieux comparer mais sachez qu’ici, la plus haute crête se voit diminuer de près de 5 dB.
Pour le troisième extrait, le Novatron est réglé de façon à colorer le signal en lui donnant plus de corps (mode Mix, attaque FET, relâchement mi-VCA mi-Vari-Mu, compression au 3/4, Tone Shift Dark, saturation In 13%, saturation Out 55%, filtre sidechain à 250 Hz). La réduction de gain atteint 5,6 dB.
Enfin, deux instances du plug-in travaillent en série sur le dernier sample. C’est certainement un poil outrancier, mais avouez que cette voix possède alors beaucoup plus de personnalité qu’à l’origine, non ?
Passons à un bus de batterie acoustique :
- 05 Drum Bus dry 00:14
- 06 Drum Bus Dark 00:14
- 07 Drum Bus Punch 00:14
Le sample estampillé « Dark » illustre l’emploi d’une seule instance du Novatron (mode Punish, attaque FET, relâchement Vari-Mu, compression au 3/4, Tone Shift Dark, saturation In 50%, saturation Out 60%, filtre sidechain à 235 Hz) pour assommer les médiums et le haut du spectre au profit de la grosse caisse. La réduction de gain maximum est de 3,6 dB. Pour l’extrait suivant, un second Novatron (mode Limit, attaque VCA, relâchement mi-VCA mi-Vari-Mu, compression à 47%, Tone Shift Flat, saturation In 14%, saturation Out 12%, filtre sidechain à 15 Hz) permet de regagner en punch. La réduction de gain passe alors à 1,3 db.
Enchainons avec une batterie électronique :
- 08 Firethief Drums dry 00:22
- 09 Firethief Drums Flat 00:22
- 10 Firethief Drums Dark 00:22
- 11 Firethief Drums Airy 00:22
- 12 Firethief Drums Dark Airy Flat 00:22
- 13 Firethief Drums Flat Airy Dark 00:22
- 14 Firethief Drums Flat Dark Airy 00:22
Ici, trois instances du plug-in sont à l’oeuvre : un sur le bus, un sur le kick et un sur la snare. Je ne vais pas vous détailler les réglages de chacun d’eux, sachez juste que les suffixes des extraits indiquent le seul changement entre chaque exemple, à savoir le réglage « Tone Shift » de chaque instance en respectant l’ordre Bus / Kick / Snare. Les différences de coloration sont subtiles mais bel et bien présentes.
Poursuivons avec un arpège de synthé :
- 15 Firethief Synth dry 00:34
- 16 Firethief Synth Flat 00:34
- 17 Firethief Synth Dark 00:34
- 18 Firethief Synth Airy 00:34
- 19 Firethief Synth ClickLess 00:34
- 20 Firethief Synth Drive 00:34
Comme toujours, le premier extrait se résume au signal source. Sur les trois suivants, outre le changement du réglage « Tone Shift », une attaque modérée mi-VCA mi-Vari-Mu couplée à un relâchement ultra-rapide et une petite dose de saturation (In à 17%, Out à 30%) permettent de réduire les crêtes de un à deux décibels sans pour autant trop rogner sur le « clic » de chaque note. À l’inverse, avec une attaque ultra-courte (0,1 ms) et un relâchement entre VCA et Vari-Mu, l’exemple suivant s’attaque fortement aux transitoires pour une réduction de 3,5 dB. Enfin, le dernier extrait est assez extrême avec beaucoup de distorsion et une réduction de gain de 7,6 dB. Notez qu’ici le Novatron opère en mode stéréo « Unlinked », ce qui fait joliment vaciller l’image stéréo de cet arpège et le rend un poil plus vivant.
Dans un style tout aussi extrême, le Novatron malmène à présent une ligne de basse synthétique :
- 21 Firethief Bass dry 00:12
- 22 Firethief Bass wet 00:12
Avec une réduction de gain de près de 8 dB, cette basse ainsi traitée pourra se caler où l’on veut dans le mix. Cerise sur le gâteau, la couleur sonore apportée par les transformateurs colle parfaitement à l’esprit « ténébreux » de la ligne mélodique. Que demande le Peuple ?
Avant de passer au clou du spectacle, voyons ce que donne la bête sur un bus de guitares électriques :
- 23 Gtr Dry 00:18
- 24 Gtr Bite 00:18
À l’origine, il faut bien reconnaître que cette rythmique manque cruellement de mordant. Qu’à cela ne tienne, une instance du Novatron avec un temps d’attaque lent sauce Vari-Mu et un relâchement rapide à mi-chemin entre un comportement FET et VCA permet de rendre le tout beaucoup plus « saignant » en un tournemain. De plus, le traitement stéréo en mode « Unlinked » apporte une fois de plus un je-ne-sais-quoi de chaloupé du plus bel effet. Simple, efficace, que demander de plus ?
Jusqu’ici, la bestiole s’est montrée diablement habile tant du point de vue de la coloration du signal que de celui du maniement de la dynamique. Mais je vous ai réservé le meilleur pour la fin…
- 25 The Firethief dry 00:53
- 26 The Firethief Glue 00:53
- 27 So Pretty dry 00:26
- 28 So Pretty Dancing 00:26
Sur le premier titre, une seule instance est insérée sur le bus master. Ici, le mode Punish et les transformateurs ne font pas semblant de travailler mais un savant dosage du mélange entre le signal source et le signal traité rend la chose limpide et permet de renforcer agréablement la sensation de cohésion du mix. Joli !
Sur le second titre, le Novatron sert à revigorer la rythmique un poil lisse. Nous passons tout bonnement d’un mix plat à un morceau qui groove. Tout simplement génial !
Pour conclure cette session d’écoute, sachez qu’au delà de ses qualités sonores indéniables, ce Novatron est vraiment très agréable à utiliser. Malaxer la dynamique avec cet outil devient une simple formalité et donne des résultats d’une efficacité confondante avec en sus un fort joli grain.
Kush toujours, tu m’intéresses…
Comme quoi, même en s’inspirant du sacro-saint matériel audio analogique, il est encore possible d’innover ! Novatron est un outil puissant et ô combien efficace ! Ça groove, ça claque, ça colle, ça contrôle… Bref, ça vie et c’est beau.
Avec ce compresseur virtuel, Kush Audio affirme haut et fort que la guéguerre opposant hardware et software a fait long feu et qu’il est grand temps de passer à autre chose. La porosité entre ces deux mondes existe bel et bien, monsieur Gregory Scott l’a clairement compris. J’espère qu’il continuera encore longtemps à bousculer les habitudes du milieu de l’audio pro avec ses beaux joujoux. Et si au passage cela pouvait pousser d’autres constructeurs / développeurs à faire de même, ce ne serait pas pour me déplaire…
Bien entendu, je vous invite comme toujours à télécharger la version d’évaluation de ce plug-in afin de tester la bête sur vos propres projets. Mais prenez garde car à la fin des dix petits jours, vous risquez fort de vous retrouvez plus léger de $149… À moins que vous n’optiez pour l’offre d’abonnement donnant accès à l’ensemble des plug-ins de la marque, auquel cas il vous en coûtera $9,99 par mois.
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