Alors que moins de trois années s’étaient écoulées entre les sorties des Push de première et deuxième génération, il aura fallu attendre plus de sept ans pour voir enfin débarquer la 3e version. L’attente fut longue, mais la récompense pour les utilisateurs d’Ableton Live est à la hauteur des plus folles espérances. Mode autonome, matrice de pads compatible MPE, les nouveautés sont marquantes et tournées vers de nouvelles façons de faire de la musique.
Pour fêter les 10 ans de Push, on ne pouvait rêver mieux qu’une troisième mouture du célèbre contrôleur pour Live. On l’a attendu ce Push 3, les rumeurs s’intensifiant depuis quelques mois, tandis que les stocks amoindris de Push 2 ne faisaient que confirmer la sortie prochaine d’un nouveau contrôleur.
À l’annonce du Push 3, certains ont pu être déçus. Et pour cause, au premier coup d’œil, les nouveautés ne sont pas évidentes à discerner. On aperçoit bien un nouveau jogwheel en haut à gauche du contrôleur, mais l’écran reste de même dimension et la disposition générale des boutons reste peu ou prou identique. Il en va de même du format et de la finition globale.
Mais lors de la présentation du produit, l’équipe Ableton reste pourtant sûre d’elle. On commence doucement avec les quelques nouveautés mineures ici et là, et d’un seul coup, le mot est lâché : autonome. Oui, une version autonome, c’est à dire fonctionnant sans ordinateur, est proposée, en plus de la version « standard » classique. La promesse est belle, même si elle intervient après la concurrence (Akai MPC et Maschine+ de Native Instruments). Reste à voir ce que cela vaut dans les faits, comment cela marche exactement, quelles sont les possibilités et limites. C’est ce que nous allons voir tout de suite…
Intel inside
S’il n’y a plus besoin d’ordinateur pour utiliser la version « standalone » (autonome en anglais), c’est que l’ordinateur est à l’intérieur du Push 3 ! Et qui dit ordinateur dit processeur (ici un Core i3 d’Intel), dit mémoire vive (8 Go) et dit unité de stockage (type SSD 256 Go). Mais que vaut, pour un musicien, un ordinateur sans interface audio ? Pas grand-chose. C’est pourquoi est aussi intégrée une carte son proposant pas moins de 10 entrées et 12 sorties. 8 sont au format numérique ADAT et 2/4 au format analogique en Jack 6,35 mm. Le seul regret concerne l’absence de micro intégré qui aurait été parfait pour le sampling sauvage. On pourra néanmoins brancher un micro dynamique sur une des entrées Jack TRS. La partie logicielle (Ableton Live) tourne grâce au système d’exploitation Linux. Quand je vous disais qu’on avait affaire à un véritable petit ordinateur ! Et qu’est-ce que cela vaut à l’usage ?
Même si cela peut paraitre un peu dur, nous allons commencer par deux grosses limites par rapport à un Ableton Live tournant sur un ordinateur classique, sous macOS ou Windows.
La première, plus liée à l’ergonomie générale du Push 3 qu’à un problème technique, concerne le mode arrangement qui est purement et simplement non disponible. Il faudra donc faire avec le mode Session, ce qui nous semble malgré tout assez logique. En effet, la version autonome du contrôleur se destine, d’après nous, plus à une utilisation scénique et justement « Live » qu’à une utilisation studio et donc le choix du mode Session nous semble tout à fait adapté. De plus, l’ergonomie du mode arrangement aurait été compliquée à intégrer que ce soit au niveau des contrôles que de l’affichage. C’est donc une limite compréhensible, mais qu’il est important de connaître avant achat.
Autre limite importante tenant plus de l’aspect technique : l’absence de support de plug-ins tiers au format VST. Il sera possible de feinter en freezant un effet ou un instrument au préalable sur une session d’Ableton Live tournant sur son ordinateur, mais cela reste une solution de contournement. L’explication d’une telle limite peut être liée au choix de l’OS (Linux) ou tout simplement par souci de stabilité. En effet, qui dit plug-ins tiers, dit bugs et autres incompatibilités supplémentaires. On le sait, un système fermé est beaucoup plus facile à gérer pour un éditeur. Et avant de pouvoir utiliser des plugins tiers, il faut d’abord pouvoir les installer, et donc développer la fonctionnalité pour pouvoir le faire, etc. Bref, ce n’est pas forcément simple à faire, et si aucun des concurrents ne le propose, c’est qu’il y a peut-être une raison, même si nous ne sommes pas à l’abri d’une bonne surprise lors d’une future mise à jour. Quoi qu’il en soit, l’utilisateur aura accès à tous les effets et instruments (y compris Max for Live) liés à sa licence de Ableton Live (de Intro à Suite, en passant par la Standard), ce qui fait déjà pas mal de choses à explorer… On regrettera juste que seule la version Intro soit livrée avec Push 3, même en version Standalone. Vu l’augmentation non négligeable des prix (950 et 1900 €), on aurait aimé avoir la version Standard.
Après la première mise sous tension, on nous propose d’associer le Push 3 avec un compte Ableton et d’installer les packs disponibles. Tout ceci est un peu laborieux, vu qu’il faut deux clics par pack (un pour télécharger et l’autre pour l’installer), le tout se faisant directement sur le Push 3 qui se connectera au réseau WiFi. On aime en revanche le transfert des projets qui se fait simplement sur l’interface du Live installé sur votre ordinateur. Le Push 3 connecté au même réseau local apparait directement dans la colonne de gauche du logiciel et tout se fait via glissé/déposé pour une expérience utilisateur parfaite.
Genoux chauds et gros kilos
Qu’en est-il de l’expérience utilisateur de ce Push 3 autonome ? Pour les utilisateurs d’Ableton Live et de Push 2, l’expérience reste pratiquement identique, avec les mêmes défauts et les points forts. On adore toujours l’ergonomie générale, avec une spontanéité sans pareille grâce à des fonctionnalités comme Capture, Quantize, Simpler, etc. Nous avons néanmoins quelques réserves sur la puissance de la sortie casque sur scène, il faudra choisir avec précaution le modèle utilisé, avec une bonne isolation et une impédance pas trop élevée. La sortie casque pouvant être indépendante de la sortie enceintes, ce serait dommage de ne pas en profiter ! On regrette aussi le même défaut qu’Ableton Live sur ordinateur, à savoir l’absence de tags dans la navigation parmi les effets et instruments virtuels. On a seulement accès à une bête arborescence, ce qui peut rendre la recherche de presets longue et rébarbative. À l’usage, l’interface est restée relativement fluide et le chargement d’instruments ne dure que quelques secondes. Nous n’avons en revanche aucune information concernant les ressources processeur, ce qui est bien dommage et qui permettrait de gérer plus facilement l’utilisation des ressources de son projet, d’autant plus que les fonctions freeze et flatten sont disponibles pour économiser des calculs.
Relativement peu de bugs ont été constatés, n’ayant eu affaire qu’une seule fois à un redémarrage non sollicité, ce qui pour une version 1.1 reste honnête. En outre, il m’a été proposé de recharger le projet sur lequel j’étais en train de travailler (ouf !). Il faut en revanche que le lecteur comprenne que nous avons affaire ici à un beau bébé, avec les mêmes (grandes) dimensions que le Push 2, mais un poids revu à la hausse, ordinateur intégré oblige (presque 4 kilos, soit plus de deux MacBook Air). Aussi le constructeur a-t’il pris le parti d’utiliser un système de refroidissement passif, ce qui a le mérite de proposer un fonctionnement parfaitement silencieux, ce qui est important pour les musiciens, mais en contrepartie, le système, doté d’un radiateur situé sur la partie inférieure de la bête, peut devenir rapidement chaud au fil des heures d’utilisation. Ce dit radiateur sera d’ailleurs en contact direct avec vos jambes dans le cas d’une utilisation « sur les genoux », tranquille posé dans le canapé. Un mode d’utilisation qui fait rêver les plus flemmards d’entre nous, mais qui aura donc ses points d’inconfort. Il faut aussi savoir que l’utilisation complètement nomade, et donc sans prise électrique à proximité, sera possible grâce à la batterie intégrée permettant d’avoir une autonomie d’environ 2 h 30. C’est peu, diront certains, chacun jugera suivant son utilisation. À voir dans le futur si Ableton proposera une version basée sur une architecture ARM, plus souvent utilisée dans les appareils mobiles, car moins énergivore. Maintenant qu’Ableton Live sous macOS est natif pour les plateformes Apple Silicon (ARM), on peut penser que cela reste du domaine du possible.
Une dernière chose intéressante pour les utilisateurs d’ordinateurs : la version Standard pourra être alimentée via le connecteur USB-C et donc s’affranchir de bloc secteur. Vu l’autonomie des MacBook récents, il sera préférable d’opter pour un couple Push 3 Standard + MacBook pour une autonomie record.
Glissandos et vibratos
La deuxième grosse annonce du Push 3 est la compatibilité de la matrice de pads avec la norme MPE (MIDI Polyphonic Expression). Cette fonctionnalité peut paraître simple vu comme ça, mais elle implique de gros changements côté hardware. Chaque pad est désormais beaucoup plus sensible et peut réagir à la position de votre doigt sur les axes horizontaux et verticaux, en plus de l’axe de la profondeur habituel servant à l’aftertouch. Ainsi, suivant si vous posez votre doigt au milieu ou sur la partie haute ou basse d’un pad, un filtre ou n’importe quelle autre modulation peut se déclencher. De même, si vous posez votre doigt près des bords de gauche ou de droite du pad, la hauteur de la note peut être altérée, un peu plus haute ou un peu plus basse suivant la position. Nous avons donc deux dimensions expressives en plus par pad, car tous les pads sont complètement indépendants. En plaquant un accord, on peut donc activer un filtre sur une seule note, ou encore enclencher un effet sur une autre.
Dans les faits, cela ajoute une expressivité inégalable et le jeu sur pad n’a plus rien à voir avec le Push précédent. Des glissandos sont aussi possibles entre deux pads situés sur la même ligne, le son étant totalement ininterrompu pour un rendu parfait et une utilisation très naturelle. Vous pourrez aussi faire des glissandos d’accords, le mode diatonique de Push 3 permettant d’enchainer des accords mineurs vers majeurs ou inversement, et ce très facilement ! Les kits de batterie profitent aussi de cette avancée avec notamment des charleys qui s’ouvrent plus ou moins suivant la position de notre doigt sur le pad, leur précision étant assez étonnante.
La seule réserve concerne les vibratos, qui ne sont pas évidents à exécuter et dont le résultat sonore reste peu naturel. Nous sommes loin d’un clavier comme l’Osmose à ce niveau-là, la faute à des pads immobiles là où une corde de violon, de guitare ou une touche d’Osmose suit physiquement le mouvement du musicien. On voit mal cependant comment Ableton aurait pu faire autrement, et les exemples manquent dans l’industrie, la marque étant la première à proposer une matrice de pads compatible MPE, rappelons-le.
Une autre remarque concerne le relatif manque de presets et instruments compatibles (Drift, Wavetable et Simpler) avec la norme MPE, même si cette tendance est générale à l’industrie. Gageons que l’offre, grâce à des produits récents comme l’Osmose ou le Push 3, se développe à l’avenir.
Un Push écolo ?
L’ultime point fort de la communication d’Ableton concerne la réparabilité et l’évolutivité du produit. En effet, il est annoncé qu’une partie des pièces constituant l’ordinateur intégré, comme le processeur, la mémoire vive ou le système de stockage, pourra être remplacée facilement dans le futur par l’utilisateur à l’aide d’un simple tournevis, que ce soit pour remplacer une pièce défaillante ou pour faire évoluer son bébé afin d’augmenter le stockage ou la rapidité de calcul. Cerise sur le gâteau, les acquéreurs de la version standard pour faire évoluer leur Push 3 en version autonome à la fin de l’année pour une somme de 1000 €. C’est une excellente nouvelle pour les indécis ou pour celles et ceux qui sont désireux d’échelonner leurs dépenses.
On termine avec quelques informations intéressantes : les prises pour les pédales sont aussi compatibles CV/Gate, ce qui ravira les utilisateurs de synthés modulaires voulant mettre le Push 3 au cœur de leur système. Aussi la prise USB-A située à l’arrière pourra accueillir n’importe quel clavier contrôleur afin d’avoir un « véritable » clavier de piano à disposition. Cette prise ne permet a priori pas (pour le moment) de brancher un SSD externe ou une clé USB, ce qui aurait autorisé l’échange de fichiers entre deux Push sans avoir à passer par un ordinateur.