En l’espace de quelques années, Strymon s’est imposé comme un acteur majeur de l’effet pour guitare en misant sur des solutions numériques extrêmement complètes. Appréciée par bon nombreux d’amateurs de pédales, la marque s’est surtout illustrée dans les domaines de la modulation, de la réverbe et du delay. C’est donc avec surprise que nous apprenions en octobre dernier la future commercialisation de la Riverside, une pédale de saturation prometteuse mêlant technologies analogiques et numériques.
Quoi, Strymon se lance dans la disto ? Oui ma bonne dame, et même que la marque nous épargne les sempiternelles copies de Tube Screamer et autre Klon Centaur en proposant un concept original truffé de réglages et de fonctions. Pour couronner le tout, le fabricant met un peu d’eau dans son vin, pardon, met un peu d’analogique dans sa pédale, et s’éloigne ainsi de son orthodoxie numérique. Bref, Audiofanzine ne pouvait évidemment pas passer à côté de cet évènement.
Motoko Kusanagi
La Riverside est une pédale d’overdrive et de distorsion à multiples étages en cascade, pouvant également faire office de préampli. Le tout premier étage de gain est analogique, de classe A, et basé sur un transistor JFET. Il ajoute 20 dB, et est contrôlé de manière numérique. En effet, différents paramètres de la pédale sont modifiés à la volée à chaque fois que l’on pousse le bouton de gain. Strymon se targue ainsi d’offrir à tout moment le fameux « sweet spot », ce Graal guitaristique consistant à régler son ampli de manière optimale, et d’obtenir ainsi des sonorités riches harmoniquement et équilibrées. Les trois autres étages, eux, reposent intégralement sur un DSP SHARC. Il s’agit donc d’une machine hybride s’appuyant avant tout sur l’expertise numérique de Strymon. Notons d’ailleurs que la Riverside embarque des convertisseurs 24 bits / 96 kHz A/D et D/A et un traitement du signal en 32 bits à virgule flottante.
Côté look, notre pédale reprend l’esthétique classique de Strymon maintes fois éprouvée. La machine est plutôt petite malgré la présence de deux footswitchs, et son châssis en aluminium anodisé doré est du plus bel effet. Les boutons sont très agréables à manipuler, tout comme les sélecteurs au pied On et Favorite. Ces deux derniers sont chacun surmontés d’une LED offrant de précieuses informations grâce à un code couleur. Mais nous y reviendrons !
Savant fou
La dernière machine de Strymon est particulièrement personnalisable grâce à de nombreux boutons. Rassurez-vous, il n’est aucunement nécessaire d’être un scientifique de renom pour manipuler la bête.
La première étape consiste à utiliser le sélecteur Presence à l’arrière de la pédale pour choisir l’un des trois modes disponibles. Ce bouton agit sur les aigus, et permet de s’adapter à différents types d’amplis ou de configurations. Le mode Minus (-) est utile pour les amplis avec un caractère brillant, le mode Enhanced (au milieu) offre un son un peu plus tranchant idéal pour des amplis chauds, et le mode Plus (+) est à réserver aux amplis les plus sombres et une utilisation dans une boucle d’effets ou en amont d’un ampli de puissance.
- 1 Minus 00:32
- 2 Enhanced (intermédiaire) 00:32
- 3 Plus 00:32
Une fois le choix effectué, il convient de décider du type de saturation attendu par l’intermédiaire du sélecteur Gain situé sur la façade de la Riverside. Le mode Low offre un overdrive assez transparent se voulant vintage, alors que le mode High enclenche une distorsion bien plus moderne et compressée. Le moment est ensuite venu de jouer avec le potard de gain et le potard de volume et, dans les deux cas, la pédale en a sous le pied.
Pour parachever votre son, un EQ actif de 3 bandes agissant après la saturation est disponible. Les boutons Treble et Bass sont classiques, mais le potard dédié au contrôle des médiums est présenté comme un boost/cut paramétrique dont la fréquence centrale est automatiquement ajustée. De plus, le sélecteur Push permet de passer en mode Mid et d’ainsi déséquilibrer la pédale pour obtenir une bosse dans les médiums, à la manière d’une Tube Screamer.
Enfin, le footswitch On permet, comme son nom l’indique, d’activer la pédale, et le footswitch Favorite d’enregistrer et rappeler à tout moment un preset. Il est donc possible de naviguer entre deux paramétrages différents en quelques secondes. C’est très réussi, et même si la pédale n’est pas active, la LED au-dessus du footswitch Favorite s’illumine ou non pour indiquer si le preset est sélectionné. De plus, lorsqu’un bouton est réglé de la même façon que le favori enregistré, la LED au-dessus du footswitch passe du rouge au vert. Il est donc facilement possible de retrouver ses réglages.
Bien que nous ayons présenté tous les boutons de la Riverside, d’autres contrôles sont disponibles par l’intermédiaire des fonctions « secondaires ». En restant appuyé quelques secondes sur le footswitch d’activation de la pédale, le bouton Drive devient un réglage Noise Gate. La LED du footswitch Favorite s’illumine en vert lorsque l’effet n’est pas actif (potard en dessous de 12 h), et change progressivement du jaune au rouge plus le seuil augmente. Notons que le seuil peut être configuré indépendamment pour le réglage favori. Écoutons ce que donne le Noise Gate dans cet extrait dans lequel je pousse petit à petit le potard. La pédale est en mode High Gain et le gain à fond.
Le gate est assez subtil lorsque le réglage Drive est à 12 h et qu’il s’enclenche. Il permet alors de réduire un peu le buzz sans pour autant entamer le sustain de l’instrument. En le poussant encore un peu, il élimine complètement le buzz mais reste sensible à l’attaque, et le sustain est conservé. En poussant le bouton au-delà des 2/3 de la course du bouton de gain — ce qui laisse finalement peu de marge étant donné que le Noise Gate agit à partir de midi — l’effet mange vraiment la résonance d’une note.
Terminons avec l’autre fonction secondaire de la Riverside ! Toujours avec un appui prolongé du footswitch On, le potard de volume se transforme en réglage du niveau du boost intégré dans la pédale. En effet, il est possible de connecter un footswitch à la Riverside et d’activer un boost pouvant aller jusqu’à + 6 dB. Cela nous mène donc aux entrées et sorties de notre machine.
The cake is a lie
La pédale est dotée d’une entrée acceptant des signaux allant jusqu’à +8 dB, ce qui est plus important qu’un niveau ligne. Il est donc tout à fait envisageable de brancher toute sorte d’instruments ou de machines, dont des synthétiseurs. En revanche, il n’y a pas de branchement stéréo, ce qui peut constituer un frein.
Une seule sortie est disponible. Elle peut être reliée à un ampli, un système son ou une interface audio, et être utilisée dans le cadre d’une boucle d’effets. On regrettera d’ailleurs que malgré son statut de préampli, la Riverside ne propose pas différentes sorties comme une sortie avec simulation de HP, une sortie casque, ou même une seconde sortie ligne en XLR par exemple.
Nous avons déjà évoqué le port Boost permettant de connecter un footswich et d’activer un gain de +6 dB. Il est aussi possible de configurer le footswitch externe pour qu’il remplace le sélecteur au pied Favorite. Vous pourrez ainsi activer le preset sans être près de la pédale. Enfin, ce port offre aussi la possibilité de connecter la Riverside à une autre pédale Strymon et d’ainsi enclencher les réglages Favorite des deux pédales d’un coup.
Enfin, le port EXP permet de brancher une pédale d’expression qui peut être assignée à n’importe quel paramètre de la machine (et même à plusieurs boutons en même temps), ou bien être utilisée comme une simple pédale de volume. Dans le dernier cas, le potard de volume sur le châssis de la Riverside contrôle le volume maximum obtenu via la pédale d’expression.
Ajoutons que la pédale est True Bypass, mais qu’il est possible de choisir un mode avec buffer, notamment pour utiliser le boost ou la pédale de volume branchée sur la Riverside même lorsque la machine est inactive. Pour cela, il faut activer les fonctions secondaires, et utiliser le bouton Level (en dessous de 12 h la pédale est en mode True Bypass, au-dessus en mode bufferisé).
Vous l’aurez compris, la Riverside est extrêmement complète et son utilisation est assez intuitive. Il faut toutefois se plonger quelques minutes dans le manuel pour découvrir et maîtriser les fonctions secondaires et les multiples assignations des ports Boost et EXP.
Le bruit de l’eau
Nous vous avons concocté une petite vidéo sur le modèle de celles publiées dans le cadre de notre comparatif How Does It Sound ?. Nous avons utilisé la technique du reamping avec des extraits sonores joués avec une Fender American Standard Stratocaster 2016 et une Gibson Les Paul Standard 2016 T, envoyés dans la Riverside connectée à un ampli Fender ’65 Twin Reverb, lui-même relié à un simulateur de haut-parleurs Two Notes Torpedo VB-101 et une carte son Steinberg UR22. L’interface audio et certains réglages étant différents, nous ne pouvons pas réellement incorporer cette vidéo à notre comparatif, mais le processus de production est tout de même très similaire. Dans cette vidéo, le sélecteur de présence de la Riverside est en position intermédiaire.
Comme nous l’indiquions précédemment, la Riverside ne cherche pas à recopier des classiques de la pédale d’effet. Elle peut arborer les caractéristiques de certaines pédales mythiques, mais elle est dotée d’une véritable identité. Sa polyvalence est incroyable puisqu’elle navigue aisément entre le léger boost et la distorsion puissante. La première chose marquante est d’ailleurs l’excellent respect de la dynamique, quels que soient le gain et le mode de saturation. C’est assez bluffant !
Le « sweet spot » permanent outrageusement vendu par Strymon est avant tout un argument marketing, mais il faut bien avouer que le bouton de gain a quelque chose de particulier. On sent vraiment que la pédale travaille et ajuste de légers paramètres lorsqu’on augmente le gain, et l’on obtient toujours un son optimal. L’EQ est très efficace, et utile sur l’ensemble de la course des trois boutons. L’on peut tout aussi bien obtenir des notes rondes gonflées par les basses qu’un riff tranchant. Comme attendu, le sélecteur Push offre une bosse dans les médiums assez caractéristiques de certains overdrives. Pour autant, le spectre reste bien plus large que sur une TS9 par exemple, et il faudra jouer avec l’EQ pour accentuer encore l’effet.
D’un point de vue global, les sonorités de la pédale sont chaudes, harmonieuses, terriblement flatteuses, mais il manque un je-ne-sais-quoi d’organique lorsque la saturation est un peu poussée, notamment en mode High Gain. Peut-être est-ce dû au caractère finalement assez lisse de la Riverside. Entendons-nous bien, le son ne paraît pas artificiel, et c’est une prouesse pour une pédale avant tout numérique. Mais Strymon a parié sur des sonorités au final assez classiques et sages. Quoi qu’il en soit, l’on a l’impression de mieux jouer lorsque la Riverside est allumée, et de ce fait elle inspire le guitariste. Peu d’effets peuvent en dire autant sans sonner numérique ou trop compressé.
Nous avons aussi rencontré beaucoup de souffle lorsque le gain était au maximum dans les deux modes, alors que la saturation n’est pas non plus extrême. Le matériel utilisé a toutefois une importance cruciale sur ce phénomène somme toute naturel, et il est difficile d’émettre un jugement définitif. De plus, le Noise Gate est là pour contrecarrer cet effet secondaire (à utiliser avec parcimonie…).
Voici une série d’extraits sonores enregistrés avec la Riverside utilisée comme préampli. La Variax Standard de Line 6 rentre dans la pédale, et cette dernière est directement reliée au simulateur de HP Two Notes Torpedo VB-101 et à la carte son Steinberg UR22.
- Low Gain Modes Low et Norm Micros manche et milieu 00:34
- Medium Gain Modes Low et Norm Micro chevalet 00:46
- High Gain Modes Low et Mid Micro chevalet 00:48
- Low Gain Modes High et Mid Micros manche et milieu 00:34
- Medium Gain Modes High et Mid Micro chevalet 00:36
- High Gain Modes High et Norm Micro chevalet 00:42
Conclusion
La Riverside est une pédale enthousiasmante. Nous n’avons cessé d’être agréablement surpris par cette machine tout au long du déroulement de notre test. Il faut dire que le concept mêlant un fonctionnement similaire à celui d’un ampli, un étage de gain analogique, et un DSP est rafraîchissant dans un monde de la saturation terriblement conservateur.
L’effet est très configurable, bardé de fonctions avec une ergonomie facilitée par la technologie numérique. Quant au son, c’est indubitablement l’un des gros points forts de la pédale. Si certains avaient des craintes quant à la nature numérique de la saturation, qu’ils se rassurent ! C’est harmonieux, polyvalent, et assez naturel. Néanmoins, on regrettera un caractère un peu trop lisse surtout sur les grosses saturations. Les oreilles les plus fines et autres ayatollahs de l’analogique jugeront peut-être plus durement la Riverside, mais il nous semble qu’elle contentera la grande majorité des guitaristes aussi exigeants soient-ils.
Mais tout n’est pas rose, notamment car Strymon persiste dans sa politique de solutions fermées. Il n’y a pas de compatibilité MIDI, un seul preset est disponible, et il faut utiliser le footswitch commercialisé par le fabricant ou se contenter du DIY et des rares modèles compatibles chez d’autres marques. De plus, la Riverside est présentée comme un véritable préampli, fonction qu’elle assure sans problème, mais elle n’arbore pas certains éléments très utiles sur ce type d’appareils comme une sortie avec simulations de HP, une sortie casque, ou même une boucle d’effets.
En résumé, le son est là, mais en ajoutant des possibilités (notamment le MIDI et des sorties pour l’utilisation en préampli) Strymon aurait pu proposer une pédale fantastique qui se serait sans nul doute imposée comme un essentiel du monde de la guitare. Et pour un tarif de 349 €, l’on est quand même en droit d’être un tant soit peu exigeant. Reste que l’on ressent un réel plaisir en utilisant la Riverside, et qu’elle nous inspire et nous pousse à jouer. N’est-ce pas là l’essentiel ?