Il est rare de pouvoir mettre la main sur une guitare Caparison, marque japonaise de prestige qui propose des instruments réalisés en demi-séries à la main. Ne boudons pas notre plaisir avec cette Dellinger.
Pourtant jouées par de grands noms tels que Mattias Eklundh de Freak Kitchen, Michael Romeo de Symphony X ou Christopher Amott quand il faisait partie d’Arch Enemy, les guitares Caparison restent confidentielles malgré un succès d’estime indéniable. Ces instruments orientés metal jouissent d’une réputation excellente auprès des guitaristes portés sur les soli, tentons donc d’y jeter une oreille de façon totalement objective.
Faisant partie des Regular Series au même titre que les Angelus ou Horus, cette Dellinger affiche une robe noire sobre mais classe. La caisse en 3 parties est constituée d’un tronc central en érable autour duquel sont collées deux ailes en acajou. Un tel choix de bois est cohérent car l’érable du corps entre en résonance avec l’érable du manche pour une bonne dispersion des vibrations, et donc du sustain. Ce manche vissé en 4 points est serti d’une touche en ébène de très bonne qualité, brillant et présentant de belles fibres similaire à la qualité ESP. Les 24 frettes qui ornent la touche sont finies de manière irréprochable, sans aucun accroc d’aucune sorte. Les repères en montres molles constituent un agrément visuel typique des Caparison.
Le chevalet est un vibrato bloquant et flottant Schaller dont l’ancrage dans le corps est plus haut que d’usage sur une guitare de ce type, l’angle du manche étant ajusté en conséquence. Il s’agit là d’un détail qui n’influe pas sur le confort de jeu mais permet de tirer le vibrato plus haut dans les aigus sans rencontrer la caisse. Les contrôles sont peu nombreux, un volume très progressif et un toggle switch 3 positions sans split. Dommage, il est toujours sympathique de pouvoir bénéficier de sons hors phase. Les positions sont donc limitées à du full humbucker (micro chevalet/les deux micros ensemble/micro manche). Ces micros sont des réalisations Caparison qui répondent au doux nom de PH-F et PH-R. La prise jack Switchcraft est insérée dans la caisse pour éviter les décrochements intempestifs, à la façon d’une Ibanez Jem.
La tête à la forme caractéristique est garnie de 6 mécaniques Gotoh dont les cabestans ont été réduits pour permettre aux cordes d’être bien calées sur le sillet lors du montage et ainsi éviter l’usage d’une barre de rétention. Le pitch des cordes ne gagne donc pas jusqu’à un ton au moment de la fermeture des galets. Après dévissage de la plaque arrière, on constate une baie de ressorts de rappel dénuée de poussière, peinte en noir au même titre que le corps et très propre.
Le talon est profilé pour favoriser la vitesse et un accès aux aigus aisé. Rien ne vient gêner la main lors d’un démanché fou aux alentours de la 24e case. Le manche est très confortable, en D aplati mais ne plaira pas à tout le monde. Assez arrondi vers les bords, il constitue une bonne raison pour essayer l’instrument en magasin avant achat, quand on a la chance de pouvoir le faire bien entendu… La jonction tête/manche est parfaite et l’équilibre une fois debout et sanglé l’est tout autant, nous en reparlerons en fin de test.
La guitare est livrée dans un sublime étui semi-rigide parfaitement conçu et favorisant un transport sans aucun danger. Bon, on branche ?
Kuro no josei (la dame en noir)
Le test est réalisé avec la tête EVH 5150 III 50w EL34 dans un baffle Laboga 4×12 équipé en Celestion V30 et repiqué à l’aide d’un unique Shure SM57 dans une carte Scarlett Focusrite 18i8. Aucune EQ à part celle de l’ampli n’est mise en œuvre sauf dans le mix final. Les effets que l’on entend dans certains exemples proviennent uniquement de pédales : Fender Micro Comp, Boss CE-3, TC Electronic Flashback et Mini HOF.
Déjà, il convient de signaler que la résonance à vide de cette Dellinger est assez notable, claire et bien définie. L’ébène de la touche apporte une précision certaine au delà de la 12e case, là où le palissandre devient un peu flou.
En son clair, la guitare offre de belles sonorités full humbucker. Le grain n’est pas droit et brille par une attaque franche similaire à celle des Seymour Duncan. La position intermédiaire impliquant les deux micros en simultané sera la plus favorable à de beaux arpèges mouillés de reverb ou de chorus. Assez délicieux à dire vrai, à tel point que l’on se prend à enclencher ses effets. Comme nous nous en doutions, l’absence de split réduit tout de même les possibilités tonales en clean. Certes c’est une modification simple qui ne coûte pas grand chose, mais sur un instrument à 2 500 euros on est en droit de ne rien avoir à changer du tout.
- clean01:39
- cleancompreverb01:54
- cleancompchorusdelay01:54
Le second canal du EVH nous amène directement en terre heavy metal, tant pis pour le crunch. Cette Caparison n’est pas faite pour ça, sacrilège ! En saturation assez franche, les micros continuent de bien s’en sortir avec de belles articulations et une belle réponse aux harmoniques artificiels ou pincés. La gestion du gain au volume est efficace avec un potard progressif apte à apaiser le niveau de sortie à la volée. Le grain est décidément appréciable même si on commence à constater une légère imprécision dans les graves et une tonalité assez sombre ce qui est assez étonnant alors qu’en clean c’était le contraire, la brillance était de mise. Cette guitare en l’état conviendra parfaitement à un ampli un peu bright comme les EVH équipés en 6L6 ou la gamme Engl.
- saturation02:14
- saturationdelay01:39
Le confort de jeu est bien présent, la forme du dos du manche ne gêne absolument pas votre serviteur. La finition des frettes est véritablement digne du meilleur luthier et rend possible n’importe quel démanché de la mort qui tue sans aucune résistance pour la main gauche. La tenue d’accord est diabolique malgré une violence absolue lors de la manipulation de la tige de vibrato grâce à un sillet parfaitement ancré dans la tête et une stabilité des bois parfaite obtenue après un séchage sérieux. Hé non les amis, quand l’accord n’est pas tenu sur une guitare à vibrato à blocage, ce dernier n’est presque jamais responsable… C’est le sillet qu’il faut accuser ! Comme vous pouvez l’entendre, le fameux effet « flutter » est au rendez-vous, la disposition assez haute du vibrato par rapport à la caisse nous permet d’y aller de bon cœur.
L’accès aux aigus se vérifie sans peine, les bends jusqu’au Mi en 22e case sortent sans accroc. Le sustain général est très bon, merci l’ajustement parfait du manche dans la neck pocket ! Toutes les vibrations sont transmises de belle manière et la présence d’érable au centre de la caisse n’y est certainement pas pour rien.
Sur le canal 3 de la tête EVH qui déchaîne la disto de l’enfer, la guitare s’en sort bien. À nouveau, le très léger manque de précision dans les graves se fait sentir surtout lors des palm mute. Cela ne dérangera pas le hardos ou le heavy métalleux dans son travail sidérurgique mais pourra éventuellement titiller le djenteux accordé en drop de La en 13/52. Dans ce cas, le changement de micros pourrait pointer le bout de son nez ce qui est un peu dommage pour un instrument haut de gamme. Pourtant, certaines marques comme Kiesel/Carvin arrivent à équiper leurs modèles de micros propriétaires absolument parfaits, ce qui ne rend pas l’indépendance vis à vis des classiques Seymour Duncan ou Dimarzio impossible.
Le rendu est très cohérent dans un contexte de mix. Une très légère EQ a été ajoutée sur Cubase pour faire ressortir le solo dans le style de Marty Friedman. En situation de studio, la fiabilité de la tenue d’accord et le peu de variations physiques grâce aux bois parfaitement maîtrisés soulageront le musicien désireux de travailler dans de bonnes conditions sans devoir tripatouiller son instrument tous les quarts d’heure. La guitare n’a pas été ré-accordée une seule fois lors de l’enregistrement des exemples audio. Belle performance !
Jouée debout, l’équilibre est sans faille. On aurait pu craindre le syndrome Gibson SG avec une tête qui plonge mais il n’en est rien malgré la grande dimension de cette jolie crosse. La prise jack Switchcraft semble par contre atteinte du même problème que toutes les prises dans ce style, certains câbles étant plus ou moins générateurs de faux contacts en fonction des minuscules différences de calibres. Attention de bien utiliser des câbles équipés de jacks de bonne qualité sous peine d’être tout simplement muté en plein jeu. Ce petit souci n’est en rien inhérent à la qualité de la guitare, beaucoup de Vigier Excalibur ou d’Ibanez Jem en sont d’ailleurs victimes.
Woman from Tokyo
Contrairement aux clichés qui entourent la marque, cette Dellinger assure aussi bien en rythmique qu’en solo et n’est pas uniquement destinée au shredder chevelu (ou non). Le spectre tonal est assez large et flexible pour affronter tous les styles métalliques en dépit de légères réserves concernant les micros Caparison. Rien de grave, mais à un tel tarif l’exigence est de mise. Un changement de kit pour du Seymour Duncan TB4 et SH1N serait particulièrement pertinent, à chacun de décider en son âme et conscience. Caparison propose une vision de la guitare metal et il convient de la considérer comme telle. L’instrument reste un bel outil, fiable et à la lutherie parfaitement travaillée. Plus que jamais, un test en magasin est conseillé, autant en ce qui concerne le manche que la tonalité globale. Si vous avez l’opportunité de réaliser ce test pré-achat, apportez un ampli que vous connaissez par cœur pour « entendre » la guitare. À ce niveau de qualité, c’est un peu comme les voitures de collection : certaines ont des défauts mais tellement de charme qu’on leur pardonne tout…