Que faire, quand on est éditeur souhaitant intervenir dans le domaine de l’orchestre, face aux mastodontes du genre ? Proposer des produits différents, ce que fait Sonokinetic avec Vivace. Revue de détail.
Les lecteurs fidèles des articles d’Audiofanzine ont pu constater qu’en parallèle d’un recensement et d’une étude détaillée des pianos acoustiques virtuels (encore incomplets, pour cause de participants surnuméraires…), a été lancée une même revue des banques orchestrales sous toutes leurs formes, qu’il s’agisse de banques basées sur des échantillons ou de la modélisation permettant de jouer de la version virtuelle de tel ou tel instrument de la palette d’un orchestre symphonique, ou à l’opposé offrant des solutions à des problématiques complexes ou abordant l’orchestre sous un angle différent. Ainsi dans le premier cas, on trouvera les tests du Symphonic Orchestra Platinum, de Wivi Player ou de Wivi Band, de VSL Instruments Pro, d’Hollywood Brass ou encore de Philharmonik, dans le second, ceux d’Orchestral Essentials ou d’Orchestral String Runs et d’autres à venir.
Dans cette deuxième catégorie, voici aujourd’hui Vivace, signé de l’éditeur Sonokinetic. Ce dernier, dont le nom est suffisamment transparent pour que l’on comprenne à quel type de produit il se consacre, a déjà présenté de nombreuses banques dont les démos audio semblent indiquer une grande qualité de réalisation comme de musicalité, notamment en ce qui concerne ses banques vocales et ethniques, et ses solutions orchestrales. Vivace appartient à cette dernière catégorie, et est la suite de Tutti, précédente réalisation de l’éditeur.
Introducing Sonokinetic Vivace
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La bibliothèque est conçue pour Kontakt 5 (à partir de la version 5.02, version complète et Kontakt Player gratuit), et n’est disponible que via téléchargement (pour la somme de 239 euros). Les instruments et échantillons seront watermarkés avec vos infos personnelles et moyen de paiement, donc pas de numéro de série ou d’enregistrement à effectuer.
Les liens de téléchargement sont envoyés via mail, et sont valables 48 heures, donc attention à bien prévoir votre achat en fonction de vos possibilités de téléchargement. Si d’aventure vous souhaitez re-télécharger vos achats une fois le délai dépassé, il vous en coûtera 10 euros. Sauvegarde obligatoire…
La bibliothèque est divisée en 10 fichiers .rar, pour un total avoisinant les 18 Go, instruments et échantillons étant fournis à la fois en 16 et en 24 bits (fréquence d’échantillonnage 44,1 kHz, 33 922 échantillons en tout). Une des particularités de la banque étant de présenter le score correspondant dans la fenêtre de Kontakt (on y reviendra), l’éditeur offre aussi la possibilité de le télécharger en .pdf protégé (pas de copie, de modifications, de sauvegarde, etc.) pour la somme de 118 euros, ou 71,28 euros (précision…) si l’on est déjà en possession de Vivace.
Manœuvres orchestrales
La bibliothèque est donc consacrée à des phrases, ambiances et effets joués par un orchestre, appelés Cues en anglais (le terme usuel dès qu’on parle musique de films), sur des compositions signées Piotr Musial. Les phrases sont classées dans trois catégories, Tempo Synced, qui les ajustera donc en fonction du tempo interne ou celui de l’hôte (dans des proportions raisonnables, pas question de diviser le tempo par deux, le résultat sonore sera inutilisable), DFD Tempo Lite (les mêmes, mais lus directement du disque, avec quelques inconvénients, on y reviendra) et Vivace Bonus (des patches en provenance de Tutti).
Ce qui fait le premier intérêt de Vivace est son principe de gestion de l’audio, et donc de la musique, que l’on trouve dans le bandeau inférieur de l’interface, Levels : on dispose ainsi d’un canal stéréo global, nommé Tutti. Mais aussi de trois canaux stéréo séparés correspondant à trois positions de microphones, Balcony, Decca et Wide. Et pour finir d’une gestion des Groups, pas tout à fait des sections, mais une répartition entre Strings High, Strings Low, Woodwinds, Brass et Percussion, qui semblent être le mixage des prises de proximité. Un simple clic sur le nom sélectionne le canal désiré (et l’affiche en rouge). On peut donc librement choisir l’un ou l’autre groupe et positions de micros, avec réglage individuel de volume.
Cet exemple fait entendre à partir d’une même phrase le mode Tutti et les trois positions, puis chaque Group en mode Tutti.
Si Decca, sur cet exemple, montre une légère tendance au hors-phase, Wide l’est complètement, avec ce que cela implique dans les deux cas en termes de compatibilité mono. On peut donc se poser la question de l’utilité de Wide, d’autant que le hors phase est constaté sur tous les programmes (réelle position de micros, ou bidouillage en post-production ?). En vérifiant les autres phrases, on s’aperçoit que l’une ou l’autre des Positions sont sujettes au problème, ce qui demandera une attention particulière…
Toujours à partir de cette même phrase, l’écoute des Woodwinds seuls, puis avec l’ajout de position de micro, une par une. Petit bug ou choix fonctionnel afin de limiter la polyphonie (ce qui est le cas) : il est impossible de maintenir une note, d’activer une Position ou un Group et de modifier son niveau. Il faut bouger le fader avant de jouer afin qu’il soit pris en compte.
La séparation nette des instruments n’est pas possible, il aurait fallu pour cela enregistrer chaque section de façon séparée. Peut-être une solution à adapter pour un futur produit, sachant que se poseront alors de sérieux problèmes d’équilibre, de phase, de résonances sympathiques, de notes fantômes, d’intention, d’intensité, de réverbe, de cohérence sonore et dynamique, etc. Peut-être pas, alors… Si l’on veut mélanger les différentes composantes d’une Cue à celles d’une autre, il faudra alors choisir des instrumentations plus légères, afin d’avoir le moins de repisse possible dans les micros des différents groupes.
La fenêtre permet aussi d’afficher la partition de chaque groupe, que l’on sélectionnera via les icônes rondes sur l’image de l’orchestre. La taille de l’interface permet tout juste la lecture, le score, malgré son prix à rajouter à l’ensemble, sera plus pratique. On peut naviguer facilement dans l’arrangement grâce aux flèches Section Up, Section Down et l’affichage change en temps réel en fonction de la phrase choisie. En tout cas une très bonne initiative, qui rappelle celle des HollywoodWinds de Cinesamples, en la rendant plus complexe et complète.
Le clavier virtuel permet de visualiser les différentes phrases (en bleu), ainsi que la sélection des tonalités (en vert, et enregistrées réellement dans les 12 tonalités, bravo). L’éditeur a inclus des variations (jusqu’à trois, matérialisées par des touches rouges) et la possibilité de ne pas redéclencher les samples quand on change de tonalité (toggle sample retrigger). On peut aussi définir certaines phrases comme favoris, qui seront visibles (en vert) au-dessus des notes de phrases.
Le bandeau Options permettra de sélectionner la répartition des phrases (All ou Favorites), d’accéder à un EQ quatre bandes définies et à un dosage de la réverbe à convolution, utilisant une IR de la salle ayant accueilli l’orchestre.
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Depuis la version 1.2, plusieurs nouvelles fonctions ont fait leur apparition sur la fenêtre principale : l’accord, d’abord, entre La 440 et 442, la possibilité de purger (et recharger) les différentes phrases par tonalité (bien vu), et deux modes particuliers ITM et Jump. Le premier, l’Intelligent Tempo Mapping (voir aussi encadré), permet de résoudre une des problématiques rencontrées quand on travaille à un tempo différent de celui d’origine, celle des tempos trop éloignés. Ici, l’éditeur a résolu le problème en forçant la boucle à adopter un multiple du tempo, résultant en un dédoublement (half time) ou doublement (double time) de la vitesse d’exécution. Plutôt malin…
On entendra d’abord la phrase au tempo d’origine (130 BPM), puis diminué (75 BPM) sans ITM (on notera quand même la nette amélioration apportée par l’algorithme TMPro de Kontakt 5 ; pour info sur les précédents, voir le comparatif sur le time-stretch et le pitch shift) et pour finir à 75 BPM avec ITM activé. On entend que le logiciel adapte le tempo pour donner une impression de doublement de la vitesse d’exécution :
Très intéressant aussi, la possibilité grâce à la bonne qualité de TMpro de créer des ritardandos, accelerandos et co (spéciale dédicace à E.) très facilement.
Jump offre la possibilité de « continuer » la lecture de la boucle par rapport au nombre de mesures déjà écoulées : si l’on change de phrase après la troisième mesure d’une boucle, par exemple, alors la phrase suivante commencera à la quatrième mesure. Bien vu, là aussi. Ces deux fonctions ne sont pas disponibles avec le mode DFD des programmes DFD Tempo Lite, de même que les Positions et Groups ne sont pas disponibles, toujours pour ces programmes, en mode TMPro.
L’exemple suivant fait entendre des changements de tonalités sans Jump, puis avec. L’exemple est brut, c’est-à-dire que l’on peut encore améliorer le résultat final via quelques subtiles automations de volume et tempo.
Des Cues à foison
Le nombre de phrases fourni est assez conséquent, et l’on trouvera facilement matière à créer une ambiance, suivie d’un développement mélodique (cependant limité), d’un pont créé grâce à des accords plus ou moins complets d’un point de vue instrumentation, le tout enrichi grâce à divers runs et stabs et finissant sur des phrases idoines.
À cet effet, l’éditeur a classé les différentes phrases selon huit types, chacun offrant plusieurs sous-catégories. Ainsi, Chord Patterns regroupe Major A TMpro, Major B TMpro, Minor Battles and Doom TMpro, Minor Mistery and Magic TMpro et Minor Pursuit and Catch TMpro.
On écoutera une phrase de chaque types dans les exemples suivants.
D’abord Chord & Melody Ambiences, ambiances majeures et mineures, et Chord Patterns, proposant différents motifs :
Viennent ensuite les cues de Expressionists & Tutti Suspense, faisant appel à la polytonalité, aux dissonances, pour cordes seulement :
On continue avec un tir groupé constitué de Harmonics, plusieurs types d’accords, parfaits pour créer des transitions, d’Inceptive Brass, référence directe au film de Nolan et à la musique de Zimmer (on aurait aimé plusieurs couches de vélocité), de Runs & Endings, dont la dénomination est assez claire, et de Shocks & Stabs, les fameuses pêches d’orchestre selon plusieurs longueurs en fonction des variations :
On continue avec Transitions & Themes, motifs et phrases en ensemble.
Pour finir sur un des bonus issus de Tutti, ici les Glissandi Cluster With Cresc, dotés d’une dynamique énorme.
Téléchargez les fichiers sonores : flac.zip
Bilan
Première chose à louer, la pertinence des compositions : on est bien là dans un registre de musique de films (avec ses qualités et ses clichés), avec des phrases et ambiances effectivement moins sombres que celles de Tutti (d’après ce que je peux en juger d’après les démos audio et vidéo de ce dernier). Ensuite, l’exécution, l’enregistrement et le bouclage sont quasiment parfaits.
Le gros défaut est celui concernant le hors-phase. Il faudra resserrer l’image stéréo de quasiment tous les exemples et la plupart du temps couper la Position Wide, sous peine de ne pas passer les standards de P.A.D des chaînes par exemple, ou de simplement générer des problèmes au mixage, disparition de fréquences notamment dans les graves, stabilité de l’image stéréo, des attaques, etc.
Quelques très rares exemples font entendre un léger décalage quand on utilise les Groups et Positions, une compensation de retard non effectuée. On pourra aussi regretter qu’à la différence de Tutti (d’après le fonctionnement de l’interface des Bonus), Vivace présente tous les faders en permanence ; avec Tutti, si le Group ne joue rien, son fader est absent. Autre petit reproche, le fader de volume des Positions et Groups doit être bougé avant de jouer une note pour être actif. On pourrait aussi souhaiter que le score soit fourni d’office, quitte à ce que le prix augmente un peu. Là, cela fait un peu bizarre de devoir payer pour un outil qui s’avère indispensable dès lors que l’on veut mélanger plusieurs parties.
En dehors de ces défauts, la banque permettra à ses acheteurs de pouvoir réaliser très rapidement des parties convaincantes, et pour cause, puisqu’il s’agit de travailler non pas à partir de samples d’instruments, mais de phrases d’orchestre complètes, idéalement pour des productions à l’image au budget serré. Dans son genre, une belle réalisation, qui donne envie de s’intéresser aux autres productions de Sonokinetic.