Surfant sur le revival vintage et déclinant sa stratégie de clonage à outrance, Behringer présente le VC340, une copie du célèbre « Vocodeur Plus » Roland VP-330 MkII.
Produit à la fin des années 70, le VP-330 rassemble un clavier 4 octaves, un vocodeur 10 bandes avec HPF, une section voix et une section Strings. Entièrement analogique, il est basé sur des diviseurs d’octave et un triple chorus stéréo, capable de faire des merveilles en modulant des lignes à retard (BBD) avec de subtils LFO. On trouve aussi un LFO séparé pour animer le son des voix. Prisé par la scène disco-funk pour créer des voix de robot typiques, c’est aussi l’un des instruments de prédilection de Vangelis, avec ce mélange spatial de cordes et de chœurs synthétiques. Le VP-330 a connu deux révisions : la première, dotée de sélecteurs à bascule et de BBD de type SAD et la seconde, équipée de boutons poussoirs colorés et de BBD de type MM. Roland a récemment émulé le VP-330 en format mini-module avec le VP-03, mais il n’existait pas de clone analogique… trop tentant pour Behringer, bien décidé à cloner tout ce qui bouge ! Le VC340 reprend les fonctionnalités et le look du VP-330 MkII, pour une fraction du prix. Si en plus il en a le son…
Contrôle total
La première bonne nouvelle, c’est que Behringer n’a pas choisi le format mini-module, mais un véritable clavier de taille standard. Contrairement au VP-330, il se limite à trois octaves, mais un sélecteur permet de changer d’octave à la volée (les notes maintenues sont immédiatement transposées). Certains regretteront cette réduction puisque le clavier est splittable, avec une partie basse et une partie haute sur lesquelles on peut activer chaque section sonore (voir ci-après) ; d’autres au contraire apprécieront la compacité de l’instrument, d’autant que la profondeur est aussi réduite grâce à une extrême miniaturisation des circuits. Du coup, la machine mesure 649 × 257 × 103 mm pour 6,6 kg. Ce poids est lié à la construction tout en métal de très bonne facture, avec flancs en bois. On apprécie également l’ancrage des commandes (potentiomètres, curseurs et boutons) et leur bonne résistance au maniement.
Le clavier offre un toucher semi-lesté curieux, avec une résistance qui augmente quand on enfonce les touches, un « effet purée ». Il répond à la vélocité, assignable au volume et transmise via MIDI DIN/USB) ; en contrepartie, le VC340 reçoit la vélocité, si on le souhaite. Sympa !
Mis à part le sélecteur d’octave en partie gauche et l’interrupteur marche/arrêt passé à l’arrière, les commandes sont strictement identiques à celles du VP-330 MkII : au total, 14 curseurs linéaires, 5 potentiomètres rotatifs, 10 interrupteurs à LED et 2 sélecteurs. Elles sont un peu plus serrées mais pas plus petites que celles du VP-330 (curseurs de 30 mm identiques, par exemple). Du coup, la prise en main est impeccable, car mis à part quelques réglages globaux nécessitant des combinaisons de touches à l’allumage (vélocité fixe ou assignée au volume, canaux MIDI en émission/réception), tout se fait en prise directe. En partie supérieure de la façade, on commence par le volume casque, le niveau de l’entrée synthèse (signal porteur externe) avec deux diodes verte/rouge de présence/saturation et les niveaux de sortie (micro direct, section voix, section Strings).
On continue par les réglages du vibrato des sections voix et vocodeur, permettant d’humaniser le son : vitesse, délai et profondeur. On passe ensuite à la section vocodeur : brillance (Tone), niveau micro avec là encore deux diodes verte/rouge de présence/saturation, activation sur la partie basse, activation sur la partie haute et activation de l’effet d’ensemble. Puis c’est au tour de la section voix : activation sur la partie basse (voix d’hommes 8 et 4 pieds), activation sur la partie haute (voix d’hommes 8 pieds et femmes 4 pieds), activation de l’effet d’ensemble et réglage d’attaque. Le Release est commun aux voix, strings et vocodeur. On arrive enfin à la section Strings : Release commun, attaque, brillance, activation sur la partie basse et activation sur la partie haute (l’effet d’ensemble est toujours actif ici). Bref, tout du VP-330 !
Connectivité accrue
À gauche du clavier, on trouve les commandes liées au pitch : accordage fin, transposition d’octave, vitesse d’Autobend (uniquement vers le haut), pitch de départ d’Autobend et décalage de pitch manuel. Mis à part la transposition d’octave, toutes les commandes sont encore une fois identiques au VP-330. Anecdote amusante, les capuchons des potentiomètres de pitch et de volume ont été inversés au montage (on peut les remettre correctement en les arrachant délicatement, le plus gros devant atterrir sur le volume, comme en témoigne la position de la sérigraphie). Certains propriétaires de VC340 ont déjà signalé cette anomalie.
La connectique est entièrement située à l’arrière, comme sur le VP-330. Tout ce qui touche à l’analogique est quasi identique au modèle originel : entrée micro XLR et jack (TRS ici), sortie casque, entrée audio pour synthé externe, entrée pour pédale d’activation du vocodeur, entrée pour pédale de décalage de pitch, sorties audio gauche / droite (stéréo ou mono) avec sélecteur de niveau à trois positions. Les jacks sont tous au format 6,35 mm. Là où le VC340 se distingue, c’est par l’ajout de connectique numérique : trio MIDI DIN et prise USB type B (MIDI uniquement). L’alimentation est interne (détection automatique de tension et fréquence), on a donc une magnifique prise IEC 3 broches pour y relier le cordon fourni, merci ! Signe que l’analogique règne à l’intérieur, des grilles de ventilation permettent de dissiper la chaleur en évitant le recours à un quelconque ventilateur.
Trois sections
Le VC340 combine vocodeur, section Voix et section Strings. Comme son ancêtre, la polyphonie est de 49 notes, nous l’avons vérifié avec un clavier externe 5 octaves. On peut jouer les trois sections en même temps, avec un dosage fin pour chacune. Les voix et les Strings utilisent le principe du diviseur d’octave : douze oscillateurs maîtres génèrent des impulsions à hautes fréquences, divisées à plusieurs reprises pour créer les octaves inférieures. Le son obtenu est ensuite égalisé et filtré, expansé ; il est traité par un triple chorus analogique stéréo qui l’enrichit et l’élargit considérablement au moyen de lignes à retard, les fameux BBD, qui mélangent et modulent les signaux. La section Voix utilise les mêmes générateurs sonores, filtrés et égalisés différemment. Ces filtres à formants font la richesse et le grain caractéristique du VC340. Le volume est modulé par une seule enveloppe, la machine est donc en réalité paraphonique. Quand on ajoute des notes à un accord, elles empruntent l’enveloppe en cours sans la redéclencher.
La section Vocodeur possède 10 filtres passe-bande et un HPF. Rappelons-en rapidement les principes : un vocodeur utilise deux signaux audio, modulateur (signal d’analyse) et porteur (signal de synthèse). Le signal d’analyse (voix, BAR par exemple) est découpé en tranches de fréquences par des filtres passe-bande. Les amplitudes des bandes sont alors appliquées en temps réel au signal de synthèse (en général un son synthétique riche en harmoniques, ondes dent de scie, impulsions fines/larges, ou encore sample de chœurs) via des filtres à fréquences équivalentes. Plus il y a de bandes, plus le signal est intelligible. Certains vocodeurs permettent d’égaliser les bandes de filtres, d’autres de les repatcher (une fréquence basse de la partie analyse va par exemple aller moduler une fréquence haute de la partie synthèse). On trouve aussi un générateur de bruit qui peut être déclenché par les bruits du signal d’analyse (par exemple les sifflantes et les plosives de la voix humaine), pour augmenter l’intelligibilité du signal final. Sur le VC340, le signal porteur est généré soit en interne (non modifiable), soit via l’entrée synthèse, alors que le signal modulateur provient de l’une des entrées micro.
On n’a aucun accès aux différentes bandes de fréquences ni au générateur de bruit. Aucun des réglages en façade n’est mémorisable ; de même, les commandes ne répondent pas aux CC MIDI. Le manuel de prise en main, assez laconique, invite à consulter la page produit sur le site du constructeur pour avoir des informations sur les Sysex reconnus : nous n’avons rien trouvé sur le sujet… On conserve donc intégralement l’esprit du VP-330, mis à part les quelques fonctionnalités MIDI de base : notes, vélocité et éventuelles mises à jour d’OS.
Couleur analo
Nous avons vu que le VC340 reprenait le look, l’ergonomie, les commandes, la connectique et les fonctionnalités du VP-330 MkII. Qu’en est-t-il du son ? Commençons par la section Strings : on retrouve le soyeux et le crémeux du VP-330, aucun doute là-dessus. En faisant varier la brillance, on retrouve les mêmes timbres, avec un son sombre en réglage minimum et scintillant en réglage maximum. Sur toute la tessiture du clavier, le VC340 fait parfaitement le job. Il existe cependant une légère différence au niveau du chorus (toujours actif sur la section Strings) : on perçoit un léger pleurage bref à chaque cycle du LFO le plus lent (toutes les 3 ou 4 secondes), ce qui n’est pas le cas sur notre VP-330 ; sur les forums, on a trouvé deux autres signalements de ce comportement, ce qui nous fait penser à des fluctuations de tolérance dans les composants analogiques ou un calibrage différent.
Nous avons contacté l’équipe de développement du VC340 et envoyé l’exemple sonore du test : ils nous ont confirmé ce phénomène, tout à fait normal, de dispersion des composants analogiques. Il en est d’ailleurs de même pour les VP-330 utilisés lors du rétro-engineering. Tout comme pour le VP-330, il y a deux ajustables sur la carte audio (ceux situés dans l’alignement du Do inférieur, voir photo interne) qui régissent le comportement des BBD ; chaque VC340 est calibré à l’usine, mais chacun est libre de décider s’il veut les modifier à ses risques et périls, c’est la particularité des synthés analogiques. De toute façon, noyé dans un mix, c’est difficilement perceptible. On a aussi remarqué une attaque plus claquante (sorte de mini-plop) lorsque le curseur est à zéro, alors que notre VP-330 ne produit pas cela… Augmenter un poil l’attaque permet de supprimer l’effet (cf. exemple sonore là aussi), donc rien de grave au final.
La section Voix imite parfaitement celle du VP-330, que ce soit dans le timbre, la répartition des registres sur la tessiture, la largeur stéréo lorsque l’effet d’ensemble est enclenché, le LFO dédié et le comportement spécifique de l’enveloppe dans les transitoires. Sur le VP-330, le segment d’attaque est suivi d’un léger déclin sur le volume avant que le son ne soit maintenu, créant un petit saut de volume intéressant. Les développeurs du VC340 ont bien observé et reproduit ce comportement, bravo ! De même, le segment de Release commence à un volume plus faible que le niveau de maintien, créant une sorte de réverbe ; là encore, le VC340 est fidèle !
Côté vocodeur enfin, on retrouve le grain typique du VP-330, rond et chaud, plus intelligible quand on monte la brillance, ainsi que le comportement sur le traitement des consonnes ; pour le test, nous avons utilisé un micro dynamique Shure SM58 connecté l’entrée XLR, puis des boucles de TR-8S envoyées à l’entrée micro jack. Avec le micro, l’impédance d’entrée est parfaite (signal à –3 dBu max), il suffit de doser avec le curseur, pas la peine de brailler ou d’amplifier. Avec la BAR, comme pour tout signal de niveau ligne, il faut atténuer pour ne pas saturer l’entrée, logique. Nous aussi connecté des signaux externes à l’entrée synthèse (+12 dBu max), en les mélangeant au signal de synthèse interne : résultats très satisfaisants. Pour terminer, nous allons démontrer aux plus sceptiques la proximité entre le VC340 et notre VP-330 MkI avec un petit blind-test : quatre extraits sonores ont été enregistrés, avec pour chacun une version A et une version B ; alors, pour chaque extrait, qui joue A et qui joue B ?
- VC340_1audio 01 Uncle Bend00:46
- VC340_1audio 02 Voices00:45
- VC340_1audio 03 Pleurage00:18
- VC340_1audio 04 Pop00:19
- VC340_1audio 05 Vocoder Mic 100:34
- VC340_1audio 06 Vocoder Mic 200:16
- VC340_1audio 07 Vocoder Rhythm 100:22
- VC340_1audio 08 Vocoder Rhythm 200:44
- VC340_1blind 1A00:14
- VC340_1blind 1B00:14
- VC340_1blind 2A00:30
- VC340_1blind 2B00:31
- VC340_1blind 3A00:31
- VC340_1blind 3B00:30
- VC340_1blind 4A00:33
- VC340_1blind 4B00:34
Conclusion
Le VP-330 a aujourd’hui atteint une cote astronomique. Seul Roland proposait jusque-là une alternative matérielle, le VP-03, émulation numérique au format mini-module. Avec le VC340, Behringer réalise un véritable clone analogique, avec un clavier standard, des commandes quasi identiques, un look similaire et un son hyper fidèle. 21e siècle oblige, la connectique MIDI DIN / USB a été ajoutée, toutefois limitée aux notes et à la vélocité. On aurait aimé que le VC340 réponde aux CC MIDI, faute de mémoires, mais l’esprit du VP-330 a été conservé. Ce n’est pas très pénalisant, vu le nombre restreint de paramètres et leur accès direct, avec des commandes bien dimensionnées. Certains regretteront le clavier réduit à trois octaves, mais il reste le pilotage MIDI avec un clavier externe pour ceux qui veulent jouer avec leurs deux bras à l’horizontale. Ils pourront ainsi déclencher 49 voix de paraphonie, vu que la machine n’a qu’une enveloppe de volume… Notre remarque concernant le léger pleurage de l’effet d’Ensemble n’est pas à proprement considérer comme point négatif, c’est le propre des machines analogiques de fluctuer d’un modèle à l’autre. Mais on chipote, car dès qu’on rapproche le tarif serré de la qualité de construction et de la fidélité sonore, l’Award Qualité/Prix 2019 s’impose tout naturellement.