Sans complexe, le Model D se veut la version la plus abordable et la plus fidèle du plus célèbre synthé analogique monodique. A-t-il relancé la guerre des clones ?
Il y a environ deux ans, des images du circuit imprimé jaune d’un petit synthé monodique signé Behringer venaient habilement chatouiller la toile ; quelques photos de façade plus tard, la marque annonçait clairement la couleur, sans faux nez : cloner le Minimoog D pour une fraction du prix. Un an et des millions de commentaires sur les forums du monde entier plus tard, le Model D (ou plus exactement « le D » si on s’en réfère à la sérigraphie en façade) était présenté au NAMM 2018 dans une version fonctionnelle. Portant la marque à l’oreille enfermée dans un triangle, le petit module était enfin prêt à conquérir les home-studistes à la recherche de l’expérience Minimoog. Alors, le bon plan ?
Facsimile
En bon clone de Minimoog, le Model D reprend la charte graphique et les commandes du vénérable Moog, en y ajoutant quelques fonctionnalités. C’est donc une copie quasi à l’identique, pour en donner une expérience utilisateur la plus proche possible de l’originel. Fort est de constater qu’à part le format module et la taille réduite (37 × 14 × 9 cm pour 1,7 kg), c’est réussi ! On trouve 6 interrupteurs rotatifs multi-positions (octaves et formes d’onde des VCO), 23 potentiomètres rotatifs et 19 interrupteurs à bascule (rouges, bleus, blancs et noirs) suffisamment dimensionnés et espacés pour une prise en main correcte. La disposition est très logique, avec de gauche à droite, bus de modulations, VCO, mixeur, VCF, enveloppes et volumes finaux (sorties audio et casque). C’est une ergonomie un bouton pour une fonction, impossible de se perdre dans cette conception signée Moog qui a fait ses preuves depuis des décennies. Le constructeur n’a pas oublié le générateur de La 440, au cas où le Model D se désaccorde au court du temps.
Un mot sur la qualité de construction : elle est très bonne, avec une coque tout en métal sérigraphiée de manière bien visible, des flancs en bois teinté (mince et tendre) et des potentiomètres à tige métallique bien ancrés (mais pas vissés). Seul point d’interrogation, la longévité des interrupteurs à bascule, qui nous paraissent un peu lâches, avec un jeu latéral et surtout vertical surprenant ; quelques utilisateurs nous ont reporté des problèmes de fiabilité sur les premiers modèles, on laisse les membres partager leur expérience sur le forum.
La majorité de la connectique est située en façade, pour faciliter la mise en Eurorack ; il s’agit d’une prise MIDI USB 2 (Class Compliant), 2 prises MIDI DIN (In/Thru, donc pas de Out) et 15 prises mini-jack 3,5 mm pour les modulations (cf. ci-après). En partie arrière, on trouve 2 sorties audio mono jack 6,35 (Hi à 0dB / Low à –30dB), 4 sélecteurs de canal MIDI, un interrupteur secteur et une borne pour alimentation externe 12V DC / 1A (à bloc extrême, cheap et non repérée par une étiquette).
Air connu
Il y a eu trois révisions de Minimoog Model D (sans compter la réédition de 2016), qui diffèrent essentiellement par le type de VCO utilisé : le modèle R.A. Moog, à base de transistors discrets triés à la main, le plus rare, le plus recherché mais aussi le plus instable ; il fut suivi du modèle « Early », à base de CA3046 appairés, plus stable ; puis le modèle « Late », le plus répandu, à base d’UA746, très stable mais soi-disant moins gras que le modèle « Early », lui-même soi-disant moins crémeux que le modèle R.A. Moog.
Le Model D de Behringer est un clone du modèle « Early », tout comme la réédition Moog de 2016. Il s’agit donc d’un synthé monodique analogique pur à 3 VCO, 1 VCF, 1 VCA et 2 enveloppes ADS®, dans lequel le son passe directement ; ceci implique qu’il n’y a pas de tensions de commandes pilotant des VCA, donc qu’on ne peut mémoriser des réglages ou modifier des paramètres à distance ; tout se fait à la main, à l’ancienne ! Seuls les paramètres liés au MIDI sont mémorisables.
Ayant sous la main un Moog Source et un MG-1, nous avons immédiatement constaté, en comparaison directe, la similitude des sons, que ce soit le grain des VCO ou la couleur du VCF. Les basses sont épaisses et bien grasses (d’autant plus à 3 VCO), on aime autant en jouer filtre ouvert que les arrondir en modulant sa fermeture et en le faisant résonner. Lorsqu’on augmente la résonance, les fréquences non filtrées sont affaiblies, il n’y a pas de compensation de niveau, le Model D utilise un filtre Moog en échelle de transistors. On obtient aussi les leads saturés façon ELP ou flûtés façon Pink Floyd caractéristiques du Mini, ainsi que de puissantes percussions. On peut saturer le filtre en poussant le niveau des VCO ou en créant directement un feedback interne. Les enveloppes claquent comme on aime ! Nous avons contacté Laurent (Baloran), qui possède un Minimoog vintage et un Behringer Model D ; il nous a confié avoir été bluffé par la similitude sonore ; il a aussi précisé que le comportement des potentiomètres différait parfois de ceux de son Minimoog, mais que l’on pouvait facilement créer des sons identiques.
Autre point crucial, la tenue de l’accordage : notre Model D de test tient parfaitement l’accordage, même au bout de plusieurs heures d’utilisation ; après renseignements, il semble que les premiers Model D étaient équipés d’ajustables monotour sur la carte voix, alors que notre Model D est équipé d’ajustables multitours, beaucoup plus fiables ; tant mieux, car dans le mode d’emploi (très complet au demeurant mais parfois répétitif), la procédure d’accordage complètement détaillée (12 pages sur 44) affolera à coup sûr les ennemis du multimètre, des éditeurs et du mini tournevis !
- Model D_1audio 01 Open Bass00:20
- Model D_1audio 02 Res Sawbass00:26
- Model D_1audio 03 Res Squarebass00:24
- Model D_1audio 04 Fifth Lead00:16
- Model D_1audio 05 Soft Lead00:41
- Model D_1audio 06 Voice Lead00:42
- Model D_1audio 07 HPF Pulse00:17
- Model D_1audio 08 Self Delirium00:44
Bonnets D
Pour générer le son, le Model D reprend l’ensemble des modules du Minimoog, auxquels il apporte quelques ajouts. On commence par les 3 VCO, capables de générer 6 ondes exclusives : trapèze, dent de scie, carrée, impulsion large, impulsion étroite. Il n’y a pas de PWM, dommage. Sur le VCO3, l’onde trapèze est remplacée par une rampe ascendante, idéale pour créer des annulations de phase ou des modulations cycliques ascendantes via la section Controllers. Chaque VCO peut être réglé sur 2–4–8–16–32 pieds, plus un mode LO (domaine vibratoire). Les VCO2 et 3 peuvent être finement désaccordés sur plus ou moins 7 demi-tons (en théorie, car sur notre modèle de test, nous trouvons –9/+8 demi-tons). Le suivi de clavier du VCO3 peut être déconnecté, idéal pour les interactions avec les autres VCO (cf. chapitre suivant). On trouve aussi un générateur de bruit blanc ou rose. À ces différentes sources, on peut ajouter le signal de l’entrée audio (avec indicateur de saturation par diode). Chaque source dispose d’un interrupteur marche/arrêt et d’un potentiomètre de volume. Pousser les niveaux permet de saturer le filtre naturellement. Si rien n’est connecté à l’entrée audio externe, la sortie principale est réinjectée, créant une saturation plus ou moins crade suivant le niveau, bravo !
La sortie mono du mixeur attaque ensuite le VCF 4 pôles résonant en échelle de transistors. Contrairement au Minimoog, ce Model D ajoute un mode passe-haut, toujours intéressant pour étendre la panoplie sonore, sans être ici renversant. En plus de son réglage par potentiomètre, la FC peut être modulée par une enveloppe dédiée (sans inversion hélas), la section modulation (activable par un interrupteur dédié, nous en reparlerons) et le suivi de clavier (réglable avec deux autres interrupteurs sur les valeurs 0–1/3–2/3–3/3). La résonance est capable de faire auto-osciller le filtre passé un certain seuil, produisant une sinusoïdale pure (qui ne hurle pas quand on pousse le niveau). Elle a aussi tendance à écraser le reste des fréquences (donc les basses), non compensées ; de ce point de vue, c’est le même comportement que le filtre du Minimoog. Enfin, le VCA final peut être modulé par une enveloppe dédiée. Que du classique ou presque…
Modulations augmentées
Nous avons vu que le Model D disposait de deux enveloppes ADS® vers les VCF/VCO et le VCA. Les attaques vont de 1 ms à 10 s et les Decay de 4 ms à 35 s. Les temps de Release sont identiques aux temps de Decay. Les segments de Release peuvent être activés séparément sur chaque enveloppe, via deux interrupteurs (Filter et Loud Decay). La section Controllers est dédiée à la modulation du pitch des VCO et de la fréquence du VCF, pour peu que les interrupteurs soient activés dans chaque section. On y trouve un potentiomètre de Glide, un mélangeur de sources de modulation (entre VCO3/enveloppe VCF et bruit/LFO), deux sélecteurs de sources associés au potentiomètre précédent (choix VCO3 ou enveloppe, bruit ou LFO), un potentiomètre de dosage de modulation, un sélecteur de forme d’onde du LFO (triangle ou carré) et un potentiomètre de fréquence du LFO (0,05 à 200 Hz, portés à 300 Hz via l’entrée CV modulation). Par contre, impossible de synchroniser deux VCO, dommage !
Tant qu’on parle des nouveautés par rapport au Minimoog, quelques mots sur le rôle de l’entrée MIDI, au-delà de la réception des notes. Via la prise USB, l’application Model D Synth Tool (PC > Windows 7 / Mac > OS10.11) permet de régler les paramètres généraux : canal MIDI, priorité de note (basse, haute, dernière), multi trigger, étendue du pitchbend, courbe de modulation, transposition, Polychain, calibrage et mise à jour d’OS. Au passage, certains de ces paramètres sont aussi directement accessibles par répétition + combinaison d’interrupteurs en façade. La fonction Polychain permet d’utiliser plusieurs Model D en polyphonie. Pour ce faire, on relie les MIDI Thru aux MIDI In des modules en cascade ; on définit ensuite le premier maillon, puis les suivants, tous réglés sur le même canal MIDI, mais avec un numéro ID différent ; jouer plusieurs notes en même temps sollicite chaque module comme une carte voix dans un synthé polyphonique analogique, à la différence près qu’il faut régler chaque Model D à la main pour avoir le même son, la machine étant incapable de recevoir des CC, vu sa conception analogique pure. Retour au bon vieux temps des modules SEM Oberheim !
Système D
Pour satisfaire le nombre croissant d’amoureux des spaghettis en plastique et cuivre, le Model D est à la fois semi-modulaire et compatible Eurorack (ce format, inventé par Dieter Döpfer, normalise les dimensions physiques, alimentations, connecteurs entre modules et tensions des CV de notes / CV de commande / Gate / sorties audio). En enlevant 8 vis en façade et en déconnectant deux nappes, on peut insérer le module complet dans un rack 3U (il occupe alors 70 HP de large, 1 Horizontal Pitch valant 5,08 mm ou 1/5 de pouce) et le connecter au rail d’alimentation via la nappe fournie. Au chapitre de la semi-modularité, on dispose des 15 prises jack 3,5 mm situées en façade, dont voici la liste : entrée modulation audio des oscillateurs, entrée CV 1V/octave, entrée LFO CV, sortie LFO triangle, sortie LFO carrée, entrée audio mixeur, sortie audio mixeur, entrée CV fréquence de coupure VCF, entrée Gate enveloppe VCF, sortie modulation enveloppe VCF, entrée Gate enveloppe VCA, sortie modulation enveloppe VCA, entrée CV volume VCA, sortie audio ligne (standard Eurorack) et sortie casque. Ce n’est pas aussi complet qu’un Neutron, mais tout de même bien appréciable.
Bon D !
Le Model D de Behringer est une excellente surprise. Le son du Minimoog originel est fidèlement reproduit, de nouvelles fonctions intéressantes ont été ajoutées, la connectique a été modernisée et modularisée et la machine s’insère parfaitement dans un ensemble Eurorack… Le prix hyper serré ne se ressent pas trop sur la qualité de construction, il n’y a que la durabilité des interrupteurs à bascule qui pose question. Comme tout synthé analogique pur, il n’y a pas de séquenceur, mémoire ou réponse aux CC MIDI. Seules les notes sont prises en compte en entrée MIDI, avec possibilité de chainer 16 modules. On peut toujours arguer qu’il est facile, peu éthique et par essence peu original de copier une conception veille d’un demi-siècle. Si ce n’est pas le premier clone de Minimoog de l’histoire, Behringer est en revanche la première marque capable de l’industrialiser à ce point, en améliorant quelques fonctionnalités (mais pas la PWM ou la synchro des VCO). En renonçant à la beauté de l’objet et au luxe de la fabrication artisanale, la marque sort un produit de qualité à un prix plancher, qui met le son et l’expérience utilisateur du Minimoog à la portée de tous. Cela vaut bien un Award Qualité/Prix Audiofanzine 2019.