Enfin disponible sur les étagères, le Solina de Behringer est une version module très abordable de la célèbre string machine développée dans les 70’s par Eminent, ajoutant des petits plus bien agréables pour améliorer le concept.
Le Solina String Ensemble a été développé par la société hollandaise Eminent au cours des 70’s, puis sous la marque américaine ARP jusqu’au début des 80’s. Il s’agit d’une string machine à polyphonie totale dotée d’un clavier de 49 touches, dont le son est basé sur un oscillateur maitre générant les 12 notes de base et des diviseurs produisant les octaves inférieures, tout cela passé dans des filtres analogiques pour créer différents registres, cuisinés ensuite dans un triple chorus analogique à BBD venant colorer le son de manière caractéristique.
On ne compte plus les titres utilisant ce son emblématique depuis un demi-siècle, dans tous les styles musicaux, disco, pop, rock, soul, électro, parfois couplé à un phaser, en particulier la pédale Small Stone d’EHX pour ne pas la nommer. Si on trouve des banques d’échantillons et des émulations logicielles de Solina depuis des lustres, il n’en existait en revanche pas de véritable clone en version matérielle, du moins pas au sens où le propose aujourd’hui Behringer avec son nouveau module, annoncé de longue date mais disponible depuis peu. Nous avons réussi à en attraper un entre deux livraisons de containers dévalisés à peine arrivés dans les entrepôts des revendeurs.
Format adaptable
Le Solina est proposé en module compact de 38×14 cm. Le boitier entièrement métallique est très robuste et les flancs en bois teinté noyer sont du plus bel effet (la peinture acajou semble avoir fait son temps, tant mieux). Le module se pose à plat, mais on peut détacher la façade pour le placer dans un cadre Eurorack où il occupera 70 HP (comme un Model D, alors que les Pro-800/Pro-1 occupent 80 HP). On peut aussi acheter des cornières (bien choisir le bon modèle) pour installer l’ensemble dans un rack 19 pouces 3 U. Le Solina Behringer ne pèse que 1,6 kg, soit 14 fois moins que le Solina Eminent.
Côté prise en main, c’est immédiat. Les commandes, judicieusement positionnées, reprennent toutes celles de l’original, avec quelques petits ajouts judicieux pour le phaser dont nous reparlerons plus tard. Ainsi, on trouve 8 poussoirs à LED (2 pour les registres de basse, 4 pour les registres principaux, un pour l’effet Modulation, un pour l’effet Phaser), un sélecteur à 2 positions (couleur du phaser), 2 potentiomètres (accordage de la machine et vitesse du phaser) et 4 curseurs horizontaux de 45 mm (volume des basses, attaque sur le volume baptisée « Crescendo », Release sur le volume baptisé « Sustain », volume global). Les commandes, poussoirs comme curseurs, sont agréables à manier et semblent résistantes.
La connectique est quant à elle répartie entre la façade et l’arrière. En façade, on trouve une entrée Midi DIN et 8 prises au format mini-jack : sorties Trig et Gate, entrée et sortie Modulation, entrée et sortie Phaser, entrée CV vers le VCA et sortie casque. On applaudit des deux mains les entrées/sorties vers les deux effets internes, permettant d’utiliser le Solina comme processeur analogique ou d’insérer des effets externes à volonté. Sur le panneau arrière, on trouve une sortie audio mono au format jack 6,35, une prise MIDI DIN Thru, un quadruple sélecteur de canal MIDI (1–16), un poussoir marche/arrêt et une borne pour adaptateur secteur externe (12VDC/1A) type bloc cheap habituel dans cette gamme.
Génération analogique
Le Solina de Behringer reproduit le Solina String Ensemble MkII, c’est-à-dire le modèle mono avec effet Modulation débrayable, le plus recherché des quatre déclinaisons. Il y ajoute un effet Phaser dont nous ne manquerons pas de reparler, c’est promis. Mis à part le MIDI et l’USB limités à la réception des notes (pas de CC/Sysex), la machine est entièrement analogique, les concepteurs s’étant évertués à refaire les circuits et les composants d’origine (en version CMS). Le Solina délivre 4 registres sonores combinables avec une polyphonie de 49 notes pour sa section principale : violon, alto, trompette, cor. Tout comme le Solina vintage, la section cor n’est pas dissociable de la section trompette (puisqu’électroniquement, elle cumule deux filtres dont celui utilisé cette-ci).
Comme sur l’original, sur les 20 notes inférieures (Do-Sol), on peut superposer un son mono de basse, doté de 2 registres combinables : violoncelles et contrebasses. Il dispose d’un réglage séparé de volume. Le volume des cordes est modulé par une enveloppe AR globale (l’instrument est paraphonique). Quand on ajoute des notes à un accord, elles se calent sur l’enveloppe en cours sans la redéclencher. Le manuel de prise en main rapide est laconique, se contentant d’énumérer les fonctions avec leur vague rôle sans en donner les valeurs ou les réglages intéressants. L’application Synthtribe téléchargeable sur le site du fabricant permet quant à elle de mettre à jour le module, ce que nous avons fait sans aucun problème (version 0.3.5).
- Solina_1audio 01 All In00:33
- Solina_1audio 02 O200:45
- Solina_1audio 03 Violin&Bass00:31
- Solina_1audio 04 Fast Stone01:00
- Solina_1audio 05 Trump&Horn01:41
- Solina_1audio 06 OB-X Moded00:34
- Solina_1audio 07 Flowers Love Phased01:33
Effets analogiques intégrés
Le Solina sonnerait très étriqué sans son effet Modulation, un tri-chorus mono à BBD qui enrichit magnifiquement le son et lui donne sa couleur reconnaissable entre toutes. Le fait de pouvoir le débrayer permet de se rendre compte immédiatement de son utilité (les Solina MKI étaient d’ailleurs dépourvus de cet interrupteur, le tri-chorus étant tout le temps en marche, on comprend vite pourquoi). Mieux, les ingénieurs de Behringer ont eu la merveilleuse idée d’ajouter une entrée et une sortie à cet effet. Nous y avons entré notre Solina MKII (en coupant sa propre Modulation) pour élaborer le petit quiz à découvrir au paragraphe suivant. L’effet n’écrase pas le signal et il le colore magnifiquement bien. Rien n’empêche d’y entrer des sons (un peu pauvres ou statiques de préférence) pour leur faire reprendre des couleurs chatoyantes.
Le Solina est souvent associé à une pédale de phaser Small Stone d’EHX réglée à vitesse lente et couleur résonante. Qu’à cela ne tienne, les concepteurs ont eu l’excellente idée d’intégrer un phaser très inspiré de la fameuse pédale, soit pour traiter le son interne, soit pour y insérer des instruments externes avec possibilité de récupérer le signal traité. Les signaux entrés dans chaque effet n’étant pas coupés (même quand on les prélève aux sorties directes), on peut donc les traiter avec les deux effets en série, ce qui est vraiment sympa. Comme sur la pédale d’origine, on peut changer la couleur (timbre plus ou moins résonant) et régler la vitesse (de très lent à assez rapide). Nous avons comparé à notre Small Stone vintage modèle Sovtek sur des sons externes, l’idée est là, c’est pas mal du tout, ça manque toutefois un peu de rondeur et de profondeur de résonance. Qui plus est, le changement de couleur vers le haut produit un claquement désagréable pas très discret (on gagnera à laisser le curseur en bas). Quant à la comparaison directe Solina + Small Stone vintage, le petit quiz du paragraphe suivant est tout indiqué pour se faire une idée. Ce qu’on apprécie, c’est que le niveau du signal entré ne soit pas autant écrasé que sur une Small Stone. Et pour le tarif, on ne va tout de même pas exiger un préampli !
Couleur sonore
Et le son alors, on en parle ? Oui, on en parle maintenant. D’abord, la qualité audio (histoire de faire trainer le suspens) : les niveaux sont très bons, rien à redire. La machine produit un peu de bruit de fond, qui augmente quand on ajoute l’effet Modulation (on entend les BBD travailler) et qui s’amplifie quand on ajoute le phaser (avec notre couleur préférée, la plus résonante, on l’entend clairement siffler). Tout cela n’est pas vraiment choquant avec ce type de circuits analogiques. Plaquer des accords donne immédiatement le sourire. Le son est crémeux, soyeux, caractéristique du modèle vintage, mais plus brillant. L’empilage des registres est puissant, les basses apportent une belle assise, le tri-chorus joue pleinement son rôle de colorant à outrance, on y est ! Les réglages de Crescendo et Sustain sont assez fidèles au modèle d’origine en notre possession, les courbes diffèrent un peu, le petit nouveau a un peu moins d’attaque, mais cela est sans doute dû à la tolérance des composants ou à la calibration. Bref, ce Solina est une très belle réussite d’un point de vue sonore.
Pour mieux illustrer nos propos, nous n’avons pas pu résister à monter un petit quiz, en plus des extraits sonores classiques. La règle est simple : il y a 3 cas (1–2–3) alternant chacun 2 extraits des 2 Solina (donc 4 extraits par cas) dans un ordre à retrouver (réponse attendue de type « EBEB »). Cas n° 1 : les deux modèles sont joués avec leur effet Modulation respectif. Cas n° 2 : les deux modèles utilisent l’effet Modulation du modèle Behringer (le Solina Eminent est entré tout sec dans l’effet Modulation du modèle Behringer, les niveaux sont adaptés pour correspondre au mieux, l’Eminent sortant moins fort que le Behringer). Cas n° 3 : chaque modèle utilise ses effets respectifs, y compris le phaser, l’Eminent étant passé dans la Small Stone Sovtek. Alors, qui est qui ?
- Solina_1audio 08 Quiz101:04
- Solina_1audio 09 Quiz201:16
- Solina_1audio 10 Quiz301:35
Conclusion
Les Solina vintage ont aujourd’hui atteint des cotes sans rapport avec leur manque de polyvalence et la fragilité de leurs circuits. Souvent rincés après 50 ans de bons et loyaux services, ce sont des sujets à maintenance, avec obsolescence de certains composants. Sans parler de l’encombrement et du poids. Par contre, leur son typé est inimitable, qu’il soit juste traité par le tri-chorus intégré ou passé dans un phaser externe. Du coup, on ne peut que saluer l’initiative de Behringer d’avoir conçu une version modernisée, compacte et accessible. Non content de reproduire le grain sonore et le comportement de son ancêtre pour une fraction du prix, de la taille et du poids, le petit trublion se permet d’intégrer un effet Phaser complétant à merveille l’effet Modulation, avec des entrées/sorties séparées pour chacun. Le Midi est évidemment de mise (pour les notes). Bref, ce Solina du XXIe siècle mérite bien un Award Qualité/Prix !