Construit à la main par l’entreprise artisanale française NRsynth, le Retro One mk2 greffe 3 VCO empruntés au Prophet-5 dans un corps de Minimoog au format boitier semi-modulaire. Un mélange détonant ?
NRsynth (https://nrsynth.fr/index.html) a été fondée par Stephen Ingrand, passionné les synthés qui ont façonné le son électronique des 70’s. Ces instruments étaient l’œuvre de génies qui concevaient et produisaient à la main, en série limitée, avec les moyens du bord. Selon Stephen, l’âme des pionniers et le son originel ont aujourd’hui disparu sous l’effet de la démocratisation de la musique électronique et de l’industrialisation de la production.
Le revival analogique s’est ensuite durablement installé dans les courants musicaux, ouvrant la porte au marché prolifique du modulaire. De nombreux petits fabricants ont ainsi vu le jour, mais peu se sont tournés vers les synthés précablés. C’est sur ce segment que NRsynth s’est positionnée, recréant des synthés fidèles à l’esprit de légendes telles que le Minimoog ou l’ARP2600. Plusieurs modèles ont vu le jour, reprenant les schémas et les composants originels pour retrouver le grain typique des pionniers, tout en apportant des nouveautés. Sorti en 2018, le Retro One est un croisement de Minimoog et Prodigy. Présenté au SynthFest 2023, le Retro One mk2 prend ses distances, constituant une évolution de la gamme avec l’Ancestor (le gros modèle). Nous en avons extrait un de sa Côte d’Azur natale (merci Estelle).
À la verticale
Le Retro One mk2 prend place dans un boitier compact qui se pose à la verticale. La structure est en contreplaqué recouvert de Tolex, la façade et le fond sont en Dibond (composite alu/plastique/alu) de couleur noire. Les angles sont protégés par des cornières et le transport est facilité par une poignée vissée sur le dessus. On ne s’en privera pas, sachant qu’il pèse 5 kg pour 50 × 18 × 20 cm. La construction est artisanale, avec des commandes vissées dont la réponse est très agréable. Tout cela appelle à la manipulation sans retenue. Les modules sont logiquement répartis en différentes sections faciles à repérer : réglages globaux, VCO, mixeur, VCF, VCA, LFO, horloge, bus de modulation, baie de brassage. La prise en main est immédiate, il n’y a ni écran, ni menu, mais 29 potentiomètres, 4 sélecteurs rotatifs, 28 interrupteurs et une petite diode qui oscille avec le LFO. A l’intérieur sont vissées plusieurs cartes de circuits imprimés (commandes, synthèse, alimentation, Midi), peuplées à l’ancienne avec des composants traversants.
Sur la partie droite du panneau, on trouve une baie de brassage de 24 prises mini-jacks compatibles Eurorack, apportant la semi-modularité au synthé : VCF (1 entrée audio + 2 entrées CV), mixeur (2 entrées dosables par 2 potentiomètres substituées aux LFO/Noise + 1 sortie), divers (sortie DC de la molette de modulation Midi, entrée S&H, sortie S&H, entrée clavier, entrée mix audio, sortie mix audio), horloge (sortie Midi, entrée externe, battement du LFO), atténuateurs (3 entrées et 3 sorties reliées par 3 potentiomètres de modulation) et entrées globales (2 V/O + 1 PWM pour les VCO1 et VCO2). Le reste de la connectique, assez classique, se trouve à l’arrière : sortie audio mono, entrées V/O et Trig (pour piloter le synthé par un séquenceur analogique, par exemple), entrée Midi (Midi Learn pour le choix automatique du canal) et sélecteur aftertouch / molette pour le CC1 Midi. Cette prise permet de recevoir les notes, la synchro pour le LFO, la vélocité, la molette et la pression. N’oublions pas la prise IEC 3 broches et son interrupteur, synonyme d’alimentation interne, chouette !
Fan des 70’s
Le Retro One mk2 étant un pur synthé analogique, il n’est pas doté de mémoires. Il convient donc de créer ses propres sons de A à Z, de les faire évoluer à son gré dans le parcours créatif, puis de les photographier, ce qui est le mode de création préféré des utilisateurs de ce type de synthé. En ce sens, la machine séduit immédiatement. On allume un VCO, on enclenche une onde impulsion, on câble le bus de modulation n°1 préassigné au LFO sur l’entrée PWM, on tourne un peu le potentiomètre du contrôleur n°1. Puis on choisit une onde sinus sur le LFO, on ajuste la fréquence. La magie opère, le son est gras, généreux, puissant, envoûtant. On ajuste un peu le VCF : réduction de la fréquence de coupure, Attack de l’EG1 à zéro, raccourcissement du Decay et du Sustain, ajustement du contour d’enveloppe. Ouh là, ça claque net ! Puis on enclenche le VCO2 : mêmes réglages, léger désaccordage. Le son prend une ampleur incroyable. On aime ce grain. En poussant les niveaux des VCO, le VCF sature à merveille. On relie la sortie Mix dans l’entrée VCF, on prend de la saturation en plus, jolie, pas celle qui abîme les oreilles.
On pousse alors la résonance tout en réduisant la fréquence de coupure : les basses ne s’effondrent pas, ce qui est surprenant pour un filtre en échelle de transistors non compensé. Déjà à ce stade, le Retro Synth mk2 remplit largement le contrat : nous redonner ce son emblématique 70’s inimitable. Puis on se laisse tenter par le VCO3 : une octave en dessous, onde triangle, niveau entre 7 et à 8 : infrabasses immédiates qui défoncent tout ! Vient alors le moment des modulations. Pas besoin de cordons tout de suite, les préassignations permettent des choses dont le Minimoog ne peut que rêver. Vient alors le temps de la synchro des VCO : c’est crade, instable outrancier. Quant à la Ring Mod, elle ajoute un côté métallique, sans agressivité douloureuse pour les oreilles. On en oublierait presque de surveiller le niveau de sortie : le vumètre est collé au max, tout va bien… Ce qui nous manque, c’est un petit arpégiateur ou un séquenceur à pas. Heureusement que les entrées Midi, V/O et Trig sont là ! Vient enfin le moment du brassage, pour se perdre avec délectation…
- Retro One mk2_1audio 1 Closed Bass01:09
- Retro One mk2_1audio 2 Rez Bass00:22
- Retro One mk2_1audio 3 Open Quint00:35
- Retro One mk2_1audio 4 Mini Lead00:18
- Retro One mk2_1audio 5 Horny Lead00:33
- Retro One mk2_1audio 6 Solo Voice00:38
- Retro One mk2_1audio 7 Dirty Sync00:35
- Retro One mk2_1audio 8 Ultra Ring00:34
VCO de Prophet-5
Le Retro One mk2 est un synthé analogique monodique à 3 VCO, 1 mixeur, 1 VCF, 1 VCA, 1 LFO et 2 enveloppes (EG). À part le LFO, le signal audio et les modulations sont entièrement analogiques et générés par des composants traversants. Les VCO utilisent les circuits intégrés CEM3340 avec une conception de schéma empruntée au Prophet-5 Rev3. Ils génèrent plusieurs formes d’ondes simultanées : triangle, dent de scie et impulsion à largeur variable (10–90%). C’est sur ce point que le Retro One mk2 prend ses distances avec le Retro One premier du nom, qui utilisait des répliques de VCO du Prodigy (ondes non cumulables + PWM). Les possibilités s’en trouvent donc enrichies.
On peut régler chaque VCO par octave de 32 à 2 pieds, puis affiner l’accordage des VCO2 et VCO3 en continu sur +/- 6 demi-tons. Ils se montrent très stables aux variations de température, un bon point. Le VCO-1 peut synchroniser le VCO2, dont le pitch peut être modulé par 2 des 3 bus de modulation (bus 1 ou LFO, bus 2 ou EG2/S&H – nous reprendrons plus tard ces bus). La synchro est très instable et bien crade, très différente de ce qu’on obtient avec un Prophet-5, dû au choix de certains composants. NRsynth prévoit de donner le choix à ses clients entre cette synchro assez barrée et une hard-sync plus nette. Les VCO1 et VCO2 peuvent s’intermoduler en anneau, on adore ça, ce qui constitue une source audio supplémentaire, à laquelle s’ajoute encore un générateur de bruit (rose ou blanc).
VCF de Minimoog
Les 5 sources audio sont ensuite mélangées dans un mixeur, avec pour chacune un potentiomètre et un interrupteur. Un signal audio externe peut prendre la place de la modulation en anneau, dès qu’on branche un jack à l’entrée Mix In. Le VCF est un filtre discret à 4 pôles en échelle de transistors (sélectionnés à la main) emprunté au Minimoog. Ses réglages concernent la fréquence, la résonance et le contour par l’EG1, hélas monopolaire. NRsynth aurait pu en profiter pour ajouter un inverseur d’enveloppe, dommage. En revanche, le constructeur a eu l’excellente idée de rendre le VCF modulable par les 3 bus de modulation, via 3 interrupteurs. C’est via la baie de brassage qu’on pourra moduler la fréquence de coupure par le suivi de clavier.
Ce VCF est en grande partie responsable du gros son du Retro One mk2. La fréquence de coupure a une plage incroyable et une réponse parfaitement fluide. La résonance auto-oscille à merveille. Le VCF sature magnifiquement quand on pousse les niveaux des VCO ou qu’on y entre la sortie Mix Out. Là où il démarque avantageusement de son modèle, c’est que la résonance n’écrase pas les basses fréquences de façon drastique, alors qu’il n’est pas compensé. Nous trouvons son comportement très approprié. En bout de chaine, le VCA est piloté par une enveloppe ADS (EG2), sans position Gate. Dommage car on peut l’assigner à différentes destinations via le bus de modulation n°2, ça aurait été pratique de pouvoir la déconnecter du VCA en partie. Un potentiomètre de volume global complète ce tableau d’ensemble classique mais qualitatif.
Semi-modularité
Le Retro One mk2 est équipé d’un Glide à vitesse variable. Le LFO, numérique, offre quant à lui 8 formes d’ondes (dont une position S&H) avec réglage de symétrie bipolaire continu pour enrichir les modulations. Sa vitesse peut être multipliée par 2 ou 4, pour chatouiller le domaine audio en bout de course. On peut également la piloter par l’horloge Midi. Le S&H peut quant à lui être déclenché par le LFO ou l’horloge Midi. Le LFO peut être routé vers le pitch, le VCO2, le VCF ou une sortie CV via le premier bus de modulation. Son signal peut aussi être mélangé à un autre via le mixeur de la baie de brassage. On trouve ensuite 2 enveloppes (EG1 et EG2) de type ADS avec R commun au D, le segment R pouvant être activé ou coupé, comme sur un Minimoog. Elles héritent de sa pêche légendaire, due à une courte étape de saturation entre les segments A et D, maintenant la modulation à son maximum un bref instant (clippage). Elles utilisent des diodes au germanium et des condensateurs tantale. Si la première enveloppe est réservée à la modulation du VCF, la seconde est assignée au VCA (en permanence) et assignable à 3 autres destinations : pitch, VCO2 et bus de modulation n°2.
Ce dernier appartient à un ensemble de 3 bus dotés d’une entrée, un atténuateur (dosage monopolaire) et une sortie. Ils sont respectivement préassignés au LFO (avec contrôle direct ou modulation par la molette / la pression via Midi), à l’EG2/S&H (sélection par un interrupteur) et à la vélocité. On prend le pas sur ces liaisons en insérant un cordon en entrée ou en sortie de l’un des bus. Quant à la molette de modulation Midi, elle possède en plus d’une sortie DC permettant de la connecter à l’une des entrées de modulation de la baie de brassage (VCF x2, mixeur x2, bus x3, V/O x2, PWM…). N’oublions pas qu’avec cette semi-modularité, le Retro One mk2 s’ouvre aussi au monde modulaire Eurorack ; il ne faut pas se priver de ses entrées/sorties pour le connecter avec l’extérieur !
Conclusion
De fabrication artisanale française, Le Retro One mk2 combine un florilège de deux synthés de légende pour nous offrir un son analogique puissant et généreux, bien dans la veine 70’s. Les VCO rugissent, le VCF rabote sans trop écraser les basses, les enveloppes claquent et le LFO bouillonne. La synchro assez crado des deux premiers VCO et leur modulation en anneau viennent enrichir la palette sonore. On peut logiquement lui reprocher un certain classicisme, mais c’est ignorer les trois bus de modulation assignables, la semi-modularité et l’entrée Midi prenant en compte l’horloge, la vélocité, la molette et la pression. Tout cela étend avantageusement les possibilités de la machine. Le Retro One mk2 réussit le mariage heureux de la tradition et de la modernité, conservant l’ADN et le son signature de ses pairs.
Prix :1690 €