Après un premier contrôleur à vent intégrant un synthé mono, la société nordiste Aodyo présente l’Anyma Phi, son premier module de synthèse, où la modélisation physique côtoie plein d’algorithmes originaux. Sortons des sentiers battus…
Frappée de plein fouet par la crise sanitaire, l’entreprise a dû faire face à l’arrêt brutal de la demande de sa clientèle, essentiellement orientée spectacles vivants. C’est dans ce contexte que les co-fondateurs ont imaginé un synthé orienté studio entièrement éditable, l’Anyma Phi. Une première série a été vendue en financement participatif. S’étant ajustée face à la pénurie de composants, la société a alors décidé de lancer une deuxième série, cette fois commercialisée via un circuit classique de revendeurs, pour le moment en Europe et au Canada. L’Anyma Phi nouveau cru a été présenté au SynthFest 2022. Le boss, Laurent Pouillard, alias Hurolura sur Audiofanzine, nous a gentiment accueilli dans ses locaux et prêté un exemplaire de test équipé de la V1.0.0…
Anyma Phi zic
Parlons d’abord de la matrice : on a plusieurs lignes de 4 fonctions assignables à n’importe quel paramètre du programme (pas forcément les noms sérigraphiés, qui sont des repères symboliques du son) et modifiables avec les 4 encodeurs. En fait, il existe deux ensembles de réglages de la matrice par programme, avec la possibilité de passer de l’un à l’autre, soit à la main avec la fonction bien nommée « Morph », soit via une source de modulation (par exemple un CC Midi comme la molette). Cela permet de modifier rapidement le son, parfois même de manière drastique suivant les paramètres assignés. C’est en fait un super mode macroscopique pour éditer et jouer live. Pour les adeptes de la plongée dans les abysses, on peut zoomer sur les paramètres ou passer d’un module à l’autre en jouant avec les encodeurs poussoirs, mais il existe un éditeur PC/Mac gratuit fort bien conçu (cf. captures d’écran parmi les photos en bas de test), uniquement standalone. Le recours à cet éditeur est vraiment requis pour pouvoir programmer efficacement la machine. Il sera aussi de bon aloi de se plonger dans le manuel de 302 pages (hyper didactique, bravo !) pour appréhender l’ensemble des possibilités offertes et découvrir tous les modules fournis. L’Anyma Phi est un synthé pour sortir des sentiers battus et se perdre, pas un Juno.
Anyma Ch’ti
Point singulier, la machine intègre un capteur piézoélectrique interne, placé sous le logo, qui permet de déclencher le son en tapotant sur la façade lorsqu’aucune prise n’est reliée à l’entrée audio, c’est vraiment addictif, surtout avec des sons de percussions, la grande sensibilité du capteur le rendant dynamique (force de frappe, distance). Autre originalité, l’Anyma Phi reconnait les contrôleurs de souffle Midi (CC2 et 11) ; il les traduit en message d’expression pour contrôler le volume ou le niveau d’excitation lorsqu’on utilise un modèle physique. Si aucun contrôleur de souffle n’est détecté (par exemple quand on utilise un clavier de commande), l’enveloppe de vélocité est automatiquement substituée. Cela rend chaque programme compatible avec tout type de contrôleur sans besoin de reconfigurer, bien vu ! Toutes les fonctions pour sauvegarder, copier, coller, initialiser, randomiser, compacter les données et archiver les programmes sont prévues (mais pas pour comparer, tiens).
Qualité sonore
Le synthé offre des sons variés, dynamiques et expressifs. Ils peuvent être doux, turbulents ou très claquants (il n’y a qu’à écouter les différents programmes basés sur des modèles de percussions pour s’en rendre compte). Nous sommes dans un registre numérique très propre, chirurgical, à large bande. Les niveaux de sortie ne sont pas très élevés, il faut pousser la table, c’est un peu ballot pour un synthé mono. On ne déplore aucun bruit de fond ou pollution, on apprécie que l’alimentation externe ait sa propre borne et ne passe pas par l’USB. De même, il n’y a pas d’aliasing excessif, il faut monter assez haut en fréquence ou tordre les tuyaux virtuels pour mettre en défaut le moteur audio, très soigné.

- Anyma Phi_1audio 01 Modular Party01:16
- Anyma Phi_1audio 02 Art Of Resonator01:19
- Anyma Phi_1audio 03 Jim’s Flute00:40
- Anyma Phi_1audio 04 Tropical Heat00:20
- Anyma Phi_1audio 05 Phatt Bass00:43
- Anyma Phi_1audio 06 Steel Wood01:19
- Anyma Phi_1audio 07 Deep Throat00:29
- Anyma Phi_1audio 08 Para Drawbars00:38
- Anyma Phi_1audio 09 Para SawSquare00:58
- Anyma Phi_1audio 10 Piezo Attack00:53
Principes généraux
Une fois les modules arrangés, il reste à les moduler. On a pour cela 32 cordons complexes de modulation, permettant de relier des sources à des destinations. Plutôt qu’offrir un simple routage avec réglage de quantité de modulation, Aodyo a été beaucoup plus loin. Par cordon, les paramètres disponibles sont : source, destination, quantité de modulation bipolaire, valeur mini, valeur maxi, courbe de réponse, adoucissement, échelle, source latérale (modulation de la modulation principale) et quantité de modulation latérale. Les sources de modulation (principale et latérale) comprennent les contrôleurs physiques Midi (numéro de note, pitchbend, contrôleur de souffle/expression ou enveloppe de vélocité, pédale de maintien, vélocité de l’arpégiateur, vélocité de chacune des 3 notes paraphoniques), 2 ensembles de 4 CC Midi A-B-C-D assignables globalement (avec apprentissage Midi – y compris la pression qui n’est pas un CC à proprement parler), 16 modulateurs à définir soi-même (cf. paragraphe dédié), 14 valeurs des paramètres de la matrice, une valeur constante et un générateur aléatoire. Bref, on va pourvoir s’amuser… jusqu’à ce que le CPU du synthé arrive à court de ressources, ce qui se produit dès qu’on commence à charger la barque. Le pourcentage de charge du CPU est affiché en permanence dans l’éditeur, le synthé indiquant son essoufflement par un « !! », ce qui peut aussi se manifester par des craquements. A nous de nous discipliner. Signalons enfin que certaines parties du moteur de synthèse sont des adaptations du code de Mutable Instruments signé Emilie Gillet et du code des « Parasites » signé Matthias Puech, utilisés en conformité avec les licences respectives.
Réglages par patch
Vient ensuite l’enveloppe de vélocité, qui possède deux ensembles de réglages, l’un pour la vélocité mini, l’autre pour la vélocité maxi : ADSR, niveau d’attaque et forme des segments. Elle est responsable de l’expressivité de la machine et, rappelons-le, automatiquement substituée lorsqu’un contrôleur de souffle est détecté, on sent que les concepteurs de l’Anyma Phi sont des aérophonistes. C’est aussi au niveau du patch qu’on règle la réverbe finale, basique : niveau, balance sec/mouillé, temps, densité, atténuation des hautes fréquences. Elle est mono, pour préserver de la charge de CPU (elle en coûte déjà 14% ainsi). Ceci dit, la qualité est correcte et on peut s’amuser à passer d’un délai court à une longue réverbe en jouant à la fois sur la diffusion et le temps. C’est également au niveau du patch qu’on règle l’arpégiateur : fonction Latch, mode (15 motifs, dont haut, bas, alterné avec répétition de note, pendulaire, convergent, divergent, comme joué, aléatoire), temps de Gate, facteur de swing, nombre de répétitions (1 à 8) et distance de répétition (-64/+63 demi-tons). Les notes ne sont hélas pas transmises en Midi dans la V.1.0.0 testée, mais il semble que ce soit dans la To Do List.
Modules OSC
Certains modules n’ont qu’un paramètre, d’autres une quinzaine. La complexité du module augmente la consommation des ressources CPU, il existe donc des versions plus ou moins simples de certains d’entre eux. En choisissant des modules identiques, on peut jouer en paraphonie. Lorsqu’on utilise certains types de résonateurs ou d’effets qui permettent au son de se poursuivre après l’excitation, on a l’impression d’être en véritable polyphonie, c’est vraiment très surprenant. D’ailleurs, la transition est toute trouvée pour parler des modules SFX…
Modules SFX
Là encore, il faut consommer avec parcimonie, sous peine de voir le CPU s’affoler. On y trouve là aussi des paramètres singuliers tels que matériau, nombre de voix, tension de la peau, position, voyelle, âge, repliement, bus actuel/alternatif, taille/densité/inversion des grains, qui côtoient des choses plus classiques, telles que type de filtre, fréquence de coupure, résonance, suivi de clavier, mix, attaque, seuil, gain, suréchantillonnage, fréquence d’échantillonnage, délai, feedback, envoi… Bref, un vrai voyage au cœur de la synthèse, idéal pour tester des choses et tenter de percer ses mystères. On apprend notamment que la tension de la peau n’a rien à voir avec l’âge… La qualité du moteur audio est très bonne, il faut vraiment le secouer pour faire apparaitre de l’aliasing.
Modules de modulation
Suivant le module, on peut atteindre la vingtaine de paramètres éditables, mais on reste le plus souvent en-dessous de dix. On n’imagine même pas la taille de la pièce qu’il faudrait pour ranger tous les modules disponibles, la surface du synthé modulaire qui correspondrait à un programme avec la charge maximale de CPU et la choucroute formée par les cordons de patch… Il y a un côté explorateur fou derrière les modules proposés, on sent que les concepteurs se sont fait plaisir. Certains termes scientifiques sont dignes des meilleures classes prépa, la bonne nouvelle c’est qu’on n’a pas besoin de comprendre ce qu’il se passe pour expérimenter, après tout, on ne risque rien, c’est bien l’essentiel.
Conclusion