Les boîtes à rythmes Roland ont bercé des générations de musicien·ne·s et producteur·ice·s. Après des années dominées par des modèles entièrement numériques, la TR-1000 marque un retour à l’analogique et plonge le petit monde de la musique électronique dans l’émoi.
Il suffit de deux lettres, TR, pour faire vibrer le cœur des aficionado·as de musique électronique. Les TR-808, TR-909, TR-707 et TR-606 ont marqué de leur empreinte des centaines de tubes. Du kick rond d’une 808 aux claquements secs d’une 909, Roland a forgé l’alphabet du rythme électronique.
Si, pendant longtemps, la marque s’est tenue à distance de ce glorieux passé, elle revisite depuis quelques années son patrimoine avec les Boutique TR-08, TR-09 et TR-06 Drumatix, tout en le modernisant à travers les TR-8 et TR-8S — mais toujours en s’appuyant sur la modélisation analogique.
Pourtant, nombreux sont les utilisateur·ice·s qui réclamaient un véritable retour à l’analogique. Roland a longtemps fait la sourde oreille, mais dans l’ombre, elle préparait la machine qui nous occupe aujourd’hui : la TR-1000. Pas 1001, pas 1010, juste 1000.
Avec elle, la marque ouvre un nouveau chapitre — hybride assumé — où circuits analogiques, modélisation analogique ACB, PCM, FM et même sampling se réunissent dans une grosse boîte métallique grise.
La TR-1000 se veut le summum du savoir-faire Roland : un instrument capable de combiner la chaleur de l’analogique avec la flexibilité du numérique. Reste à savoir si cette renaissance tient toutes ses promesses — et si elle mérite son prix.
Roland TR-1000 : conception et philosophie de la boîte à rythmes

Mais la TR-1000 n’est pas qu’une simple addition de générateurs sonores : elle témoigne d’un gros travail d’ingénierie. Sa conception a nécessité plus de quatre années de développement, durant lesquelles Roland a cherché à reproduire les circuits analogiques de ses légendaires 808 et 909, tout en les associant à l’ACB, à des PCM, à de la FM et à l’échantillonnage.
L’objectif n’était pas de rééditer un passé glorieux, mais de fusionner ces approches pour proposer une machine capable de passer du grain analogique pur à des textures numériques sophistiquées. Cette recherche d’équilibre s’est faite en étroite collaboration avec plusieurs artistes issus de scènes différentes. Roland a ainsi consulté des producteurs influents, tels que Carl Craig et le collectif Underground Resistance à Detroit, Overmono et Floating Points à Londres, ou encore Kuniyuki Takahashi et Satoshi Tomiie au Japon. Chacun a apporté son retour d’expérience sur les timbres, la dynamique et l’ergonomie, orientant la TR-1000 vers un instrument capable de satisfaire aussi bien les puristes de l’analogique que les producteurs électroniques les plus modernes.
Ergonomie, construction et connectique de la Roland TR-1000

Si la disposition des commandes conserve de nombreuses similitudes avec la TR‑8S, le form factor de la TR‑1000 se rapproche davantage de celui de la TR‑909. Son profil incliné, sa large surface et ses commandes bien espacées invitent à la manipulation, tandis que son poids de 5,5 kg et ses dimensions de 486 × 311 × 125 mm semblent plutôt la destiner au studio qu’à la scène. Bien sûr, il reste possible de l’emmener en live, mais la TR‑8S paraît plus adaptée à cet exercice.
Sa finition, sa façade en aluminium et son châssis métallique inspirent immédiatement confiance : la TR‑1000 semble conçue pour traverser les années. Toutes les commandes offrent une sensation mécanique à la fois rassurante et agréable. Au centre, les commandes d’édition des instruments comptent dix faders — soit une de moins que sur la TR‑8S — chacun accompagné d’un bouton de sélection.
Au-dessus des faders, trois rangées de potentiomètres rotatifs permettent l’édition (Tune, Decay, Mix…), dont deux colonnes sont réservées aux quatre premiers instruments. De part et d’autre de cette section se trouvent les commandes générales : sélection et réglages des motifs, choix des drum kits, tempo, ainsi qu’un écran OLED en haut à droite, sous lequel sont situés six potentiomètres contextuels. Tout en haut, à gauche, le potentiomètre de volume général et celui de l’entrée externe précèdent le contrôle des effets, qui comprend une très belle section analogique.

L’ergonomie de la TR‑1000 poursuit l’évolution amorcée par la TR‑8S, tout en conservant l’esprit TR : un accès direct et immédiat aux sons comme aux pas du séquenceur. Les six potentiomètres contextuels sous l’écran changent de fonction selon la page affichée, permettant d’éditer rapidement les paramètres des instruments, du mixage ou des effets, sans passer par des sous-menus interminables. Ce principe, familier aux utilisateurs de machines Elektron, remonte en réalité à des instruments plus anciens : certains Ensoniq, ou encore les Oberheim Xpander et Matrix‑12, exploitaient déjà ce type d’édition contextuelle liant affichage et contrôles physiques. Roland parvient ici à marier cette approche à son workflow typique et à l’abondance de contrôleurs de la TR‑1000, pour proposer une machine à la fois familière, redoutablement efficace et bien plus accessible que les boîtes suédoises.

Autre bonne surprise : Analog FX Out (L/MONO, R) permet de récupérer le signal traité pour l’envoyer vers un ampli, une table de mixage ou un autre appareil. Les deux entrées audio externes (L/Mono 1 et R/Mono 2) seront quant à elles bien utiles pour le sampling. Toutes les entrées et sorties sont au format jack 6,35 mm, mais les connecteurs sont en plastique. Dommage, à ce niveau de gamme, on aurait préféré des embases métalliques vissées.

Enfin, la sortie casque en jack stéréo 6,35 mm TRS, accompagnée de son potentiomètre rotatif de réglage, est judicieusement placée sur la tranche avant. L’alimentation interne est également un point appréciable et fera plaisir à notre Synthwalker national. Tout cela est du bel ouvrage et confirme le positionnement haut de gamme de la TR-1000.
Un manuel papier multilingue accompagne la machine, avec 36 pages consacrées à la version française. La documentation au format PDF reste accessible sur le site de Roland.
Moteurs sonores de la Roland TR-1000 : analogique, ACB, FM, PCM

Chaque instrument peut être édité individuellement via sa section dédiée : filtre, amplification, LFO, effets et compresseur. Les quatre premières pistes offrent la possibilité de superposer deux instruments, chacun avec son générateur, son filtre et son amplificateur.
Sur ce type de piste, il est ainsi possible de combiner, par exemple, un son analogique et un son FM. Les deux peuvent être mixés directement en façade grâce à un potentiomètre Mix dédié, et chacun peut être séquencé indépendamment via une sous-piste.
Pour la partie analogique, Roland s’est attaché à reproduire 16 instruments des TR‑808 et TR‑909 (kicks, snares, low et hi toms, rimshots, claps, hi-hats, cymbales et cowbell). Tous n’ont pas été reproduits, comme les congas et le mid tom, mais les toms (low et hi) offrent un étagement de pitch élargi, compensant cette absence. Quant à la ressemblance avec les originaux, on va laisser les mouches en paix, l’essentiel est de savoir que l’on reconnait immédiatement le pédigrée. Et surtout, ça sonne formidablement bien, avec une belle présence et une pêche qui fait plaisir à entendre. Le kick de la 808 présente une belle rondeur, tandis que celui de la 909 offre un punch capable de percer un mix. Le snare de la 808 reprend celui des modèles « early », un peu plus haut et plus claquant. Les amateurs des versions ultérieures pourront se tourner vers les modélisations ACB. Mention spéciale également aux hi-hats et cymbales de la 808, particulièrement réussis.

- 01 – TR808 – 100000:43
- 02 – TR808 – OG100:55
- 03 – TR808 – OG200:41
- 04 – TR808 – OG300:52
- 05 – TR909 – 100000:50
- 07 – TR909 – OG200:46
- 08 – TR909 – OG300:33
- 10 – 80800:26
- 11 – 90900:44
- 12 – FM Mix tweak Morph Filter Drive Delay01:36
- 13 – FM Dirty Morph Diive Filter01:03
- 14 – CR-78 Tweak01:58
- 15 – Rise01:42
- 16 – Chrome Ghost00:29
- 17 – Evaporate00:37
- 18 – Eccentic01:42

À côté de l’ACB, la TR‑1000 intègre des sons PCM, reposant sur des échantillons numériques de haute qualité pour reproduire des sonorités impossibles — ou du moins difficiles — à obtenir par synthèse seule. Cette section donne accès à des percussions réalistes, des cymbales, des claps ou encore à une large palette d’effets sonores. Comme pour les autres types de moteurs, chaque instrument PCM dispose de son propre filtre, amplificateur et compresseur.
La TR-1000 intègre également la synthèse FM, particulièrement utile pour créer des percussions métalliques, des claps, des toms, des effets et des timbres complexes. Cette synthèse s’avère redoutablement efficace pour enrichir la palette sonore des patterns électroniques contemporains, en apportant des textures industrielles, bruitistes ou, au contraire, cristallines. En plus des paramètres classiques de la synthèse FM — tels que le ratio, le déclin ou le feedback — la TR‑1000 propose des réglages baptisés Body et Click, aux noms explicites, ainsi qu’un filtre passe-haut et un filtre passe-bas résonant.
Sampling sur la TR-1000 : mémoire, import et édition des échantillons

Chaque échantillon peut être assigné à n’importe quel générateur, modifié via les réglages de début, de fin et de hauteur, puis découpé en slices non destructifs. Ces tranches peuvent être jouées, réordonnées ou retravaillées indépendamment, sans altérer le fichier original. Un time-stretch est également disponible. L’affichage de la forme d’onde à l’écran facilite grandement toutes les opérations d’édition, et les potentiomètres contextuels prennent ici tout leur sens. Le moteur autorise également le resampling interne : il est possible d’enregistrer la sortie d’un pattern, d’un moteur ACB ou analogique, puis de la retravailler comme un échantillon.
Un bel ajout qui rappellera forcément à certain·e·s les grandes heures des SP‑1200 et autres samplers mythiques, mais avec une approche résolument moderne.
Effets intégrés et section de traitement analogique de la TR-1000

Tous ces effets sont de qualité très honorable : les délais et effets de modulation sont particulièrement efficaces, et le Crusher fait des merveilles, salissant juste ce qu’il faut le signal pour rappeler les vieilles boîtes à rythmes 12 bits, sans jamais sombrer dans la caricature. Les réverbes, quant à elles, restent parfaitement exploitables, mais pourraient être encore un peu plus profondes.
Chaque instrument peut ensuite être routé vers la réverbe et le délai, avec un dosage indépendant. La même logique s’applique au niveau des kits.
Le bus master accueille ensuite un multieffet numérique axé mix et mastering, suivi d’une superbe section analogique qui combine un filtre state‑variable à OTA inspiré du Jupiter‑6. En poussant la résonance, qui n’écrase pas les basses, on obtient une fine saturation naturelle. Douce, mais musclée, elle redonne vie aux kicks et aux snares un peu trop sages. Ce filtre est suivi par un drive analogique qui réchauffe et compresse le son avec une élégance folle, apportant cette rondeur typiquement analogique. Comme indiqué plus haut, cette section peut également être utilisée pour traiter des sources externes via les sorties Analog FX Out.
Enfin, la fonction Sidechain de l’entrée audio permet de créer un effet de ducking appliqué au signal d’entrée, une fonction bien utile pour les musiques qui bougent.
Séquenceur TR avancé et fonctions de performance de la TR-1000

Le tempo et le shuffle peuvent être définis au niveau du pattern ou du projet. La TR-1000 se synchronise bien sûr avec d’autres périphériques, en maître comme en esclave. Plusieurs utilisateur·ice·s — et nos tests le confirment — ont toutefois observé de légères irrégularités de synchronisation lorsque la machine est esclave. Roland a reconnu le problème et travaille sur une mise à jour correctrice, qui devrait arriver prochainement (note : corrigé dans la version 1.13).
Pour la programmation, deux approches cohabitent. Le mode pas à pas (TR-REC) classique permet de programmer chaque pas avec son volume et sa vélocité, dans la plus pure tradition des TR. En parallèle, le mode temps réel offre un jeu libre, hors grille si souhaité, permettant d’enregistrer un groove naturel sans quantisation rigide. À la manière des fameux Parameter Locks, on peut modifier les paramètres d’un instrument (tune, cutoff, pan…) uniquement sur un pas donné. On peut cumuler plusieurs de ces “verrous”, jusqu’à la limite de la mémoire.

En pratique, l’approche conjugue simplicité et profondeur : on peut poser un beat en quelques secondes, puis s’aventurer dans des expérimentations plus fines — changer la direction d’une piste, activer une variation B toutes les quatre mesures, ou introduire 30 % de probabilité d’ » oublier » un coup de caisse claire. Par certains aspects, on pense ici encore aux machines Elektron, notamment dans la manière d’équilibrer programmation et performance. L’ergonomie, qui permet de passer instantanément du mode pas-à-pas au mode temps réel, offre un terrain idéal pour mêler programmation rythmique et improvisation.
Les mouvements des commandes peuvent être enregistrés et, en performance, le fader Morph permet de manipuler en temps réel plusieurs paramètres assignés, tandis que la fonction Snapshot autorise le rappel instantané de configurations de contrôle sur chaque piste. Enfin, il est possible d’enchaîner patterns et variations dans un ordre libre, ouvrant la voie à la création de morceaux complets directement depuis la machine.
Firmware, logiciel d’édition et limites actuelles de la TR-1000

En plus des griefs — évoqués plus haut — concernant la synchronisation MIDI et l’horloge lorsque la TR-1000 est utilisée en esclave (dans la version 1.11), plusieurs utilisateur·ice·s ont également signalé de légers micro-trous ou coupures lors du passage d’un kit ou d’un pattern à un autre. Rien de dramatique : en pratique, cela ne gêne pas vraiment le jeu, mais pour les adeptes de la performance live millimétrée et chiadée, c’est un point à garder à l’esprit.
Autre point de vigilance : la stabilité et la maturité logicielle. Le firmware de la TR-1000 évolue rapidement, et la version 1.11 (note : la version 1.13 vient de sortir) indique dans ses notes de mise à jour qu’elle améliore le délai de synchronisation avec un périphérique externe et réduit le temps de coupure lors du changement de modèle. Preuve que Roland a pleinement conscience de ces défauts et qu’ils sont déjà en cours de correction.
Merci à Coyote14.
