Un petit synthé doublé d'un séquenceur, pensé pour être joué seul ou à deux, que l'on soit bébé confirmé, adulte débutant ou vice versa? Voici le Dato Duo !!
Il y a quelques mois, je me baladais dans les allées du Superbooth de Berlin quand mon regard fut attiré par un petit stand sur lequel était disposée une série d’objets qui affichaient de sympathiques couleurs et lumières clignotantes et invitaient immanquablement à l’utilisation. Ce fut mon premier contact avec un groupe de Duo(s) du fabricant néerlandais Dato. Le Duo est un drôle de petit séquenceur-synthétiseur numérique que ses créateurs ont pensé en premier lieu pour le partage et l’initiation musicale à tout âge, mais qu’ils veulent également attrayant pour les utilisateurs expérimentés. Qui plus est, cette petite machine est intégralement conçue et fabriquée en Europe, aux Pays-Bas plus exactement. Mais une fabrication européenne entraîne souvent un tarif plus élevé. Vendue au prix moyen de 329 € TTC, cette petite machine tient-elle toute ses promesses ? C’est ce que nous allons voir immédiatement.
Duo de ces pyramides…
Le Duo se présente sous une forme quasi-pyramidale de 23 × 18 cm de côté pour 9 cm de hauteur et un poids de 1,1 kg. La coque est en métal, les flancs en bois et le tout repose sur 4 pieds en plastique caoutchouteux qui assurent une bonne adhérence sur toutes sortes de surfaces. L’appareil est livré avec un bloc d’alimentation USB similaire à ceux des smartphones, un câble USB/micro-USB et un mode d’emploi réduit au strict minimum. Les commandes du Duo sont réparties sur les deux faces principales de l’appareil, opposées l’une à l’autre.
La face du Dato dédiée à la partie synthétiseur de l’appareil comporte trois faders contrôlant respectivement la forme d’onde de l’oscillateur principal, la fréquence de coupure du filtre et le temps de relâchement de l’enveloppe. Chaque fader est équipé d’une petite LED dont l’éclairage varie en intensité selon la position du fader concerné. Un potard contrôle les conditions de mixage du signal du second oscillateur à celui du premier, un deuxième potard contrôle le niveau de résonance appliqué au filtre et un troisième le volume général de l’ensemble. Quatre poussoirs ajoutent des effets pré-programmés sur lesquels nous reviendrons. Enfin, deux strips tactiles permettent le déclenchement des sons de la boîte à rythmes intégrée. L’ensemble des fonctionnalités de l’appareil est illustré non seulement par une nomenclature écrite parfaitement claire, mais également par une signalétique faite de petits dessins très mignons et parfaitement explicites. Le bouton gérant la vitesse de lecture par exemple est ainsi illustré par une petite tortue et un petit lapin.
De l’autre côté nous avons les commandes dédiées à la partie séquenceur. Le jeu à proprement parler s’effectue sur une ligne de 10 pads représentant les deux octaves d’une gamme pentatonique, avec une couleur distincte pour chaque note. L’ensemble est surmonté de deux flèches pour la transposition vers le haut ou le bas. La ligne de séquence est quant à elle représentée par un cercle de huit pas colorés au centre duquel se situe le bouton de lecture. Cette face comporte en outre deux boutons rotatifs dédiés respectivement à la vitesse de lecture et à la longueur des pas de séquence, ainsi que deux boutons-poussoirs permettant de déclencher la lecture aléatoire ou le doublement de la vitesse de lecture de la séquence.
Toute la connectique du Duo est réunie sur le bas de l’un des flancs de l’appareil. Elle s’avère plutôt complète et comprend une sortie ligne stéréo au format jack 3,5 qui fait aussi office de sortie casque, une prise d’alimentation au format micro-USB autorisant également la connexion MIDI avec un ordinateur, une paire de prises MIDI au format DIN pour une utilisation plus traditionnelle de ce protocole et enfin une autre paire de prises jack 3,5 pour la synchronisation avec d’autres matériels comme les Korg Volca par exemple. La présence de ces prises est encore suffisamment rare pour être soulignée, mais elle s’inscrit toutefois dans le regain général d’intérêt pour les architectures modulaires que l’on peut constater chez les fabricants aujourd’hui. Au niveau de la fabrication justement, l’ensemble est globalement bien réalisé et fini. Seuls les faders peuvent sembler un peu fins et potentiellement fragiles – le temps nous le dira.
Mais maintenant que nous avons fait le tour de l’aspect extérieur du Duo et avant de nous pencher sur l’ergonomie particulière qui le distingue éventuellement de la concurrence, intéressons-nous immédiatement à ce qui représente le cœur et la raison d’être de tout synthétiseur : le son.
Sur la même longueur d’ondes
La génération sonore sur le Duo se fait grâce à deux oscillateurs numériques 12 bits, l’un générant une onde carrée et l’autre une en dents de scie. Mais contrairement à de nombreux autres synthétiseurs, les deux oscillateurs ne sont pas traités à égalité.
En effet, le son du Duo est principalement produit par le premier oscillateur. La largeur d’impulsion de l’onde est pilotée par le fader « Wave ». Contrairement au premier, le second oscillateur ne peut être utilisé seul et n’est mis à contribution que si l’on souhaite superposer à l’onde carrée une dent de scie dont on peut sommairement contrôler le désaccordage grâce au potentiomètre Detune. Lorsque le potard est complètement à droite, le second oscillateur est désactivé, lorsque le potard est au centre, les deux ondes sont superposées à l’octave et lorsque le potard est totalement à gauche, la dent de scie agit comme un léger effet de flanger sur l’onde carrée. Les différents paliers de désaccordage sont activés lorsque le potard se situe entre ces positions extrêmes.
En guise d’exemple audio, voici tout d’abord une évolution de la forme d’onde avec en premier lieu la modulation de la largeur d’impulsion suivie de la superposition des deux oscillateurs et leur éventuel déaccordage :
L’ensemble du signal entre ensuite dans un filtre passe-bas 2 pôles (12 dB/octave) plutôt efficace, mais dont le réglage de la résonance ne permet pas l’auto-oscillation.
Voici un exemple avec une fermeture progressive du filtre sans résonance suivie d’une ouverture avec la résonance poussée à fond :
L’enveloppe du signal se limite à un contrôle du relâchement. Pour ce qui est de l’attaque, on pourra éventuellement simuler son adoucissement par l’utilisation de la fonction Glide, malheureusement ponctuelle tout comme les effets suivants : Accent qui renforce la vélocité, Crush qui comme son nom l’indique est un bit-crusher et Delay qui ajoute un effet d’écho. Aucun de ces effets n’est paramétrable, et le Delay ne s’adapte pas au tempo de lecture du séquenceur.
Voici différents exemples mettant en œuvre ces fameux effets, en alternant signal original et signal traité :
- Accent00:13
- Crush00:11
- Delay00:10
Tout ceci est accompagné d’une toute petite boîte à rythmes de quatre sons – grosse caisse, tom, caisse claire et charley. Les deux premiers sons sont issus d’une sinusoide basse fréquence et les autres d’une sinusoide plus haute mêlée à du bruit blanc. Chaque paire de sons est pilotée par un petit ruban tactile. Parmi les effets sus-cités, seul le delay affecte la boîte à rythmes, et encore uniquement sur les sons de caisse claire et de charley. C’est un choix plutôt cohérent si l’on souhaite conserver tout son punch à la grosse caisse. Puisque l’on parle des sonorités de la boîte à rythmes, ces dernières peuvent certes sembler un peu « cheap », mais elles s’inscrivent assez bien dans la philosophie générale de la machine et pourront parfaitement correspondre à certains styles de musique électronique.
Voici d’ailleurs pour finir une petite composition faite uniquement avec les sons et effets du Duo séquencés sur une DAW externe sans ajouter aucun traitement autre qu’une gestion des volumes :
Et puisque nous parlons de composition, voyons maintenant comment tous ces sons se déclenchent et s’organisent en interne sur le Duo.
Un petit cinq à seq… ?
Le clavier symbolisé par la ligne de pads au bas de la face séquenceur permet de jouer les notes et de peupler en même temps les pas de séquence. Grâce aux deux flèches situées au-dessus, on peut transposer l’ensemble respectivement de plus ou de moins 24 demi-tons, plus encore une octave supplémentaire lorsque l’on est parvenu au bout des demi-tons en maintenant la flèche correspondante enfoncée. Chacun des huit pas de séquence disposés en rosace reprend la couleur de la note qui lui a été affectée.
Un pad blanc indique la présence d’une note étrangère à la pentatonique (par exemple reçue d’un clavier externe) alors qu’un pad éteint indique l’absence de note quelle qu’en soit l’origine. Le bouton au centre de la rosace déclenche la lecture de la séquence. Que la lecture soit déclenchée ou non, le séquenceur du Duo intègre chaque nouvelle note entrante dans le pas de séquence actuellement actif, et passe automatiquement au pas suivant dès que le pas actuel a été peuplé. On notera bien sûr qu’il s’agit toujours d’un séquençage monodique, même lorsqu’il s’agit de commander un module externe. Ainsi, un accord joué sur un clavier maître ou envoyé d’une STAN sera toujours interprété comme un arpège ascendant par le Duo.
La vitesse de lecture de la séquence peut être doublée par la fonction Boost, en revanche cette dernière n’agit véritablement et strictement que sur l’envoi de notes MIDI et n’entraîne pas un doublement de la vitesse de lecture d’un séquenceur externe synchronisé au Duo. À ce sujet je n’ai pas rencontré de problème particulier pour synchroniser le Duo à une STAN externe.
Duo, trio, quatuor…
Le Duo est d’ailleurs plutôt bien équipé pour la communication et l’échange avec toutes sortes d’autres instruments et outils sonores, que ce soit par sa double interface MIDI USB et DIN ou par ses prises de synchro analogiques.
Au-delà de ça, le Duo permet d’émettre des messages MIDI CC, et comme cela n’est pas précisé dans le mode d’emploi (nous y reviendrons plus bas), je me permets de vous transmettre les informations ici. Concernant tout d’abord les faders : celui intitulé Wave envoie du CC 70, celui de fréquence de coupure du filtre du CC 74 et celui du relâchement d’enveloppe du CC 72. Pour les potards : celui contrôlant la résonance du filtre envoie du CC 71, celui intitulé Detune du CC 94 et enfin celui de volume du CC 7 de manière tout à fait traditionnelle. Enfin, les boutons poussoirs envoient chacun la valeur fixe maximale sur les CC suivants : 65 pour le Glide, 80 pour le Delay et 81 pour le Crush. Mais trêve de considérations techniques et penchons-nous maintenant sur le jeu car c’est avant tout pour lui que le Duo a été pensé.
Veux-tu jouer avec moi ?
À ce niveau-là, il faut reconnaître une chose : le Duo EST ludique. Quand je l’ai approché pour la première fois au Superbooth, j’ai eu immédiatement plaisir à jammer dessus. Le design général de l’appareil massivement orienté vers l’accessibilité et la simplicité d’emploi compensent largement le fait que la disposition de ses commandes n’ait pas forcément été pensée en premier lieu pour l’utilisation solitaire. Mais même seul, on se surprend à prendre du plaisir à triturer la matière sonore du petit synthé de Dato. Toutefois, ne nous leurrons pas : le Duo porte bien son nom et c’est bien dans le jeu à deux qu’il révèle vraiment sa personnalité. Telle note maintenue par le « joueur » en charge de la partie séquenceur donnera envie au « joueur » en charge de la partie synthétiseur de moduler le son pour le faire évoluer, tel son de basse inspirera à son tour une nouvelle séquence, et ainsi de suite. Le fait que le clavier soit limité à la gamme pentatonique permet de ne jamais faire de fausse note, et en cela la manipulation du Duo sera d’autant plus valorisante et plaisante pour quelqu’un qui n’a jamais touché à un instrument de musique. D’où également la parfaite adéquation du Duo à l’initiation musicale, au jeu avec des enfants etc. De plus, à l’instar d’autres instruments ou contrôleurs atypiques, le Duo nous incite par son ergonomie originale à sortir de nos schémas de création habituels en pouvant se révéler ainsi un formidable catalyseur d’inspiration. Toutefois le concept de l’appareil de Dato trouve ses limites, et parfois peut-être plus rapidement que prévu…
Dissonances
Je dois reconnaître que je me trouve aujourd’hui pour la première fois dans ma carrière de testeur fort ennuyé au moment d’aborder les défauts d’un produit. Les outils musicaux qui font d’habitude l’objet d’un banc d’essai de ma part entrent généralement dans des catégories bien définies auxquelles se rapportent des critères de jugement précis. Le Dato Duo s’avère beaucoup plus compliqué à évaluer. D’une part, son design général – appuyé par la communication commerciale du fabricant – le définit comme un produit à la destination des enfants ou de l’exploration de nouvelles manières de faire de la musique. Il peut alors sembler déplacé d’exprimer les mêmes attentes à son égard qu’à celui d’un instrument plus classique. D’autre part, sa fabrication intégralement européenne implique obligatoirement une tarification différente de celle touchant des produits fabriqués de manière délocalisée. Mais en tenant compte des réalités économiques d’aujourd’hui, il m’est difficile de considérer un appareil vendu 329 € comme un simple jouet. Je me vois donc obligé de relever toutes les faiblesses du Duo en tant qu’instrument de musique électronique de cette gamme de prix, ceci malgré l’aspect potentiellement incongru de l’exercice en regard du concept de base de l’appareil et de la sympathie qu’il éveille en moi.
À ce titre, la limitation du « clavier » aux gammes pentatoniques est ainsi particulièrement symptomatique des difficultés rencontrées dans le jugement porté sur le Duo. Car l’argument de la simplicité est ici parfaitement recevable ! En revanche, les restrictions mélodiques qui découlent de ce choix sont beaucoup moins excusables dans le cadre de l’usage plus poussé que l’on est en droit d’attendre aujourd’hui d’un synthétiseur à ce prix-là. On peut également regretter l’absence de vélocité sur les pads et le peu de souplesse de la fonction de transposition : l’impossibilité de transposer directement par octave est assez incompréhensible, je dois le dire, et presque encore davantage d’ailleurs dans une optique de simplification des commandes. On notera certes qu’à l’exception de la vélocité, toutes ces limitations disparaissent dès que l’on contrôle le Duo par un dispositif externe… ce qui en retour peut impliquer éventuellement une dépense supplémentaire.
Restons dans le domaine des échanges MIDI pour souligner une autre limitation importante du Duo. Si la plupart des faders et boutons du synthé envoient bien des messages MIDI CC, l’appareil n’est en revanche pas en mesure d’en recevoir ! Donc inutile d’enregistrer un mouvement de potard du Duo via une automation dans votre STAN : l’instrument de Dato sera incapable de la reproduire. Encore une fois, à ce prix-là, on peut attendre des paramètres d’un synthé numérique qu’ils soient midifiés aussi bien en entrée qu’en sortie… Quand je les ai interrogés là-dessus, Dato m’a répondu que les créateurs souhaitaient que la position physique des contrôleurs reflète toujours l’état du paramètre contrôlé. Si l’argument peut à la limite se justifier pour les potards rotatifs (et encore…), ce n’est à mon sens pas le cas pour les faders qui sont équipés d’une LED dont l’intensité progressive de l’éclairage fait actuellement doublon avec la position physique du fader concerné. Dans le cas où la réception des messages de CC aurait été possible, on aurait pu imaginer par exemple que l’intensité de la LED soit désolidarisée de la position physique du fader et qu’elle traduise la valeur des données reçues quelle que soit ladite position physique. Bref…
Concernant la partie séquenceur, on regrettera l’impossibilité de séparer celle-ci de la partie synthétiseur de l’appareil. Chaque note jouée étant immédiatement enregistrée dans un pas de séquence, on peut ainsi totalement oublier le fait d’alterner entre une séquence pré-enregistrée et le jeu libre. Pour cela, il vous faut… un séquenceur externe ! En plus du clavier-maître cité plus haut, cela commence à faire beaucoup en termes de matériel à ajouter pour profiter pleinement du produit ! Mais encore une fois, je n’exprime ces critiques qu’en regard du tarif proposé, et j’ai parfaitement conscience que ledit tarif découle directement d’une fabrication entièrement européenne. Mais on ne peut pas oublier que pour un prix équivalent ou même parfois inférieur, on trouve par exemple un Novation Circuit, un Arturia Microfreak ou les Reface de Yamaha. Certes tous fabriqués en Chine mais autrement plus complets que le Duo.
Je terminerai par l’aspect extrêmement succinct du mode d’emploi, lequel ne tient que sur quatre pages et s’avère lacunaire, même pour un appareil au final peu complexe tel que le Duo. Ainsi, outre l’absence de numéros de messages CC déjà mentionnée plus haut et outre l’absence de mention de la capacité même de l’appareil à envoyer ce type de messages, le mode d’emploi ne décrit même pas la procédure à suivre pour changer de canal MIDI ! Par conséquent je me permets de vous livrer ladite procédure après m’être renseigné auprès de Dato à ce sujet : on maintient un pad enfoncé pendant la mise sous tension, le numéro dudit pad correspondant au canal MIDI souhaité.
Conclusion
Après un premier contact plutôt réjouissant avec le Dato Duo au Superbooth de cette année, le test s’est avéré plus ardu que prévu car il était compliqué d’appliquer à cet instrument les critères habituels de qualité et de comparaison. Tout d’abord parce que la philosophie générale du produit diffère de celle de beaucoup d’autres, et ensuite parce que sa fabrication intégralement européenne vient forcément bouleverser nos repères tarifaires de consommateurs habitués (malheureusement ?) aux prix de vente des productions délocalisées.
Se contenter de présenter le Dato Duo comme un concurrent des appareils que l’on trouve habituellement dans cette catégorie de prix, ce serait passer à côté de ce qui fait la raison même de l’existence de cet instrument et qui le distingue des autres : offrir la possibilité de s’amuser immédiatement sans se poser aucune question, seul ou à deux, que l’on soit musicien ou non et quel que soit son âge. De ce fait, le Duo peut être un excellent outil d’initiation à la musique pour les débutants ou une nouvelle source d’inspiration pour les plus expérimentés.
Mais à ce prix-là justement, il est difficile de faire l’impasse sur les nombreuses limitations de l’instrument. Bien entendu, certaines sont directement liées à la philosophie-même du Duo visant l’accessibilité et la facilité de prise en main. En revanche, elles peuvent aussi s’avérer parfois handicapantes dans le cadre de l’utilisation plus poussée que pourrait nous inspirer notamment la présence d’une connectique réservée habituellement à des outils plus « pros ». Et certaines de ces limitations s’avèrent vraiment peu défendables quel que soit le type d’utilisation que l’on souhaite avoir de cet instrument.