Un an et demi s’est écoulé depuis la sortie de Reason 8 qui, pour l’essentiel, consistait en une refonte d’une partie de l’interface. C’est dire qu’on attend beaucoup de cette neuvième mouture, à l’heure où les STAN concurrentes ont fait bien des progrès sur les plans fonctionnels comme ergonomiques.
Même si les quelques changements apportés par Reason 8 allaient en effet dans le bon sens, nombreux étaient les utilisateurs qui avaient été déçus par cette mise à jour bien pauvre en comparaison de ce à quoi Propellerhead nous avait habitués jusqu’ici. On s’était consolé en se disant qu’une petite version 8 laissait sans doute présager une grosse version 9. Or, quitte à briser le suspense, disons-le tout de suite : on avait tort. Voyons les choses dans le détail.
Pour ceux qui ne veulent pas lire… ;-)
Et pour ceux qui veulent bien…
L’installation du logiciel et son autorisation se passent sans aucun problème (il faut dire qu’il n’y a pas non plus des masses de Go à installer) et on a vite fait de se retrouver face à notre bon vieux rack. D’emblée, la nouveauté qui saute aux yeux, c’est l’apparition d’une nouvelle catégorie nommée ‘Players’ dans le navigateur ajouté en version 8. Un clic sur la rubrique nous permet de découvrir que les lecteurs en question sont ce que d’autres ont coutume d’appeler des effets et des générateurs MIDI. On dispose aussi de Dual Arpeggio, un double arpégiateur, Note Echo, un delay MIDI, et enfin Scale & Chords qui, à partir d’une gamme définie, peut générer des accords que vous activerez avec une seule note.
Très simples à configurer et à utiliser, ces trois utilitaires s’avèrent redoutablement efficaces, surtout lorsqu’on les combine : il y a ainsi moyen d’animer le plus bête son et de produire, en conjonction avec les modules utilitaires, des Combinators de folie qui déploieront des entrelacs sonores d’une simple pression de touche. Les 1000 nouveaux patches proposés dans le logiciel donnent d’ailleurs un assez bel aperçu de cela.
On regrettera toutefois que nos amis suédois s’en soient tenus au strict minimum fonctionnel : on est bien content de voir que Chord & Scales gère les renversements, mais un peu déçu que les développeurs n’en aient pas profité pour creuser du côté des progressions d’accords comme un Cubase ou du côté des microtonalités, et qu’ils n’aient pas jugé nécessaire d’ajouter d’autres processeurs MIDI (filtre, compresseur, modifier à la Cubase, etc.). Du coup, l’ajout de ces modules qui n’a déjà rien d’extraordinaire (quantité de STAN proposent ce genre de choses depuis bien longtemps) sent le minimum syndical.
Et la déception de se transformer en amertume lorsqu’on s’aperçoit que c’est la plus grosse nouveauté de cette version 9, avec l’intégration du Pulsar Dual LFO autrefois vendu et l’ajout d’un éditeur de pitch monophonique qui, s’il est efficace et reprend les standards ergonomiques établis ailleurs, reste très loin d’offrir les raffinements d’un Melodyne (pas de gestion du vibrato et des enveloppes de volume, juste le pitch, les formants et le placement). Cet ajout n’a rien d’anecdotique et permettra aux utilisateurs de Reason de s’affranchir un peu plus d’un séquenceur tiers. Il n’a juste rien de surprenant : Reason propose enfin ce qu’on a partout ailleurs depuis des lustres, et sans chercher à proposer quoi que ce soit de plus ou de différent. Quoi que ce soit qui nous fasse dire : Wouah !
Dans le sillage de ce dernier, on mentionnera la possibilité de faire de la conversion Audio vers MIDI en monophonique uniquement, ainsi que l’apparition d’un « Bounce in place » et d’une commande permettant d’inverser un fichier MIDI. Et c’est à peu près tout…
Ah non, j’oubliais : on dispose désormais de deux thèmes d’interface supplémentaire : un bleu, un dark qui seront autrement plus reposant pour bosser de longues heures de nuit. On croise les doigts pour que Reason 10 nous propose du rose, du vert et de l’orange ou, soyons fou, un éditeur de couleurs dignes de ce nom…
Un an et demi pour ça ?
Oui, alors qu’après une version 8 bien pauvre en nouveautés, tout portait à croire que les Suédois reviendraient cette fois avec du lourd. On est d’autant plus déçu que Reason a vieilli sur quantité de points sans que Propellerhead semble s’en soucier, le plus préoccupant demeurant l’interface graphique. Car si le logiciel est stable et bien fini, si son usage s’avère logique une fois qu’on rentre dedans, s’il jouit d’indéniables qualités et de fonctions qui en font un soft à part, son parti pris du mimétisme hardware et du skeuomorphisme montre clairement ses limites avec le temps sur le plan ergonomique.
Loin de faire dans le Responsive Design, Reason est ainsi très difficilement utilisable sur un 27 » en 2560×1440 et on n’ose imaginer à quoi il pourrait ressembler sur un écran 4K. Pourquoi ? Parce que les textes comme les contrôles y sont minuscules, entassés les uns sur les autres dans un coin de fenêtre tandis que le reste de l’espace n’est pas utilisé. Bien sûr, la possibilité de dé-docker les fenêtres permet de mieux organiser l’écran, mais ça n’agrandit pas l’interface pour autant et on passe son temps à scroller dans tous les sens, à plier et déplier des trucs, à réduire et déployer des fenêtres, et à plisser les yeux pour distinguer ce qu’on cherche. Voyez cette capture réalisée avec un Macbook Retina 15" : vous lisez facilement tous les textes ? Moi pas.
En face arrière, c’est encore pire : au nom d’un photoréalisme parfaitement contreproductif, il faut jongler avec la touche K pour désopacifier les câbles et lire le nom de l’entrée ou de la sortie sur laquelle ils sont connectés (mais alors les connexions ne sont plus claires, en l’absence d’usage de couleurs différentes), tandis que le système de racks finit par produire, sur les projets les plus complexes, un fouillis où l’on ne sait plus qui fait quoi. On plie, on déplie, on scrolle dans un sens puis dans l’autre, on replie et on redéplie, on presse tab puis k, qu’on relâche, qu’on represse encore, on represse tab, on rereplie, on reredéplie, on scrolle… Le tout en plissant les yeux pour voir des typos haute de 3 pixels. Épuisant ! Un conseil d’ailleurs, si vous souhaitiez vous mettre à Reason, n’hésitez pas à acheter plusieurs écrans que vous pourrez disposer en mode portrait pour réduire les scrolls sur la table ou les racks. Achetez aussi des modèles suffisamment anciens et peu performants pour que leur résolution ne soit pas trop haute.
Et ce n’est hélas pas le seul grief qu’on pourra formuler à l’égard du logiciel. Si le navigateur arrivé en version 8 était un ajout bienvenu, on espérait bien que Propellerhead aurait à coeur de continuer sur sa lancée en proposant, en plus des dossiers, un système de tags et de filtres permettant de naviguer au sein des milliers de patches proposés. Il n’en est rien et c’est bien dommage de devoir toujours naviguer dans l’arborescence et d’être obligé de cliquer sur des noms ésotériques pour avoir une idée du son qu’ils rendent.
Les sons, puisqu’on en parle, sont toujours aussi recommandables grâce à la qualité globale des modules et les possibilités offertes par le routing et les Combinator, à condition de ne pas s’intéresser de trop près aux instruments acoustiques et électroacoustiques sur lesquels les samples proposés comme la rusticité fonctionnelle de NN-XT montrent leurs limites (en l’absence de la moindre gestion de scripting, on se croirait revenu à l’époque des samplers Akai). Évidemment, on trouvera au sein de la communauté bien des Refill Freeware pour améliorer cela et, plus encore, des Refills et des Rack Extension sur le store de Propellerhead mais concernant ces derniers, sachez que l’offre en freeware se réduit à quelques utilitaires (bien difficiles à débusquer puisque l’éditeur a pris bien soin de ne pas permettre un tri par prix).
Du coup, même si globalement, le système RE est une réussite grâce à de nombreux excellents éditeurs proposant des extensions et des ReFills à des prix très agressifs, on ne peut que constater que l’écosystème mis en place est loin, très loin, de la richesse des formats VST et AU ou des plateformes de sampling/synthèse que sont Kontakt, UVI, Reaktor ou Max/MSP. Même si certains éditeurs comme ProjectSAM ou e-instruments proposent des produits dignes d’intérêt dans le domaine des instruments samplés, on galèrera bien pour trouver des guitares acoustiques dignes d’Efimov par exemple, que ce soit en termes de réalisme sonore ou de simplicité de programmation.
Ce n’est pas bien grave quand la plupart des utilisateurs de Reason font de l’électro, mais cela conduit à cette désagréable impression qu’à vouloir à tout prix virtualiser un studio des années 80, le logiciel oublie que le sampling a bien progressé depuis. Et sans même parler des samplers, on rage surtout en voyant les synthés et effets que Propellerhead préfère vendre en sus plutôt que de les intégrer à cette mise à jour bien peu généreuse. Parsec, PX7, Synchronous, les guitares A-List ou les Radical Keys : le choix ne manquait pas pour donner à cette v9 un air de fête. Mais non. On devra se contenter des trois Players et du Pulsar Dual LFO…
On déplore encore que certains effets soient toujours aux abonnés absents (pas de processeur de transitoires, ni de déesseur, ni de Leslie) tandis que d’autres accusent leur grand âge ergonomiquement parlant : dur de se faire aux EQ old school de Reason quand on a goûté à l’ergonomie d’un Fabfilter Pro-Q 2. Toujours au rayon ergonomie : on déplore que l’édition MIDI soit aussi fastidieuse sur certaines opérations de base (changer la vélocité d’une note par exemple) et que bien des menus nous proposent parfois des centaines de noms à la queue leu leu, sans aucune hiérarchisation…
On peste enfin sur quantité de manques dont certains peuvent être compensés par des bricolages astucieux (pas de gestion du Mid/Side, de faders VCA, ou de possibilité de sélectionner plusieurs tranches pour les contrôler d’un seul mouvement de souris) quand d’autres ne le sont pas (pas de marqueurs, pas de dossiers de pistes, pas d’objets audio, pas de lecteur vidéo).
Reason sera toujours Reason
En vis-à-vis de ces motifs de mécontentement, il conviendra de ne pas oublier les qualités qui sont celles du soft depuis ses débuts. Outre sa robustesse (ça ne plante jamais) et les avantages de son système fermé en matière de rétrocompatibilité avec les anciens projets, on évoquera surtout ses fabuleuses possibilités en termes de routing. À n’en pas douter, avec ses connecteurs et ses câbles virtuels, Reason offre bien plus de possibilités à ce niveau que la plupart de ses concurrents : il est ainsi possible de patcher d’incroyables assemblages d’effets, d’instruments et de splitters ou mergers pour faire des choses très complexes et très créatives. Ou encore pour se bricoler des utilitaires. De ce point de vue, le soft de Propellerhead est extrêmement pédagogique car on y retrouve toute la logique d’un vrai studio. Et il n’a pas d’équivalent.
L’autre aspect agréable du logiciel tient dans sa relative fermeture. On nous file un studio virtuel relativement complet et prêt à l’emploi : il n’y a pas à se demander si tel instrument ou tel effet nous convient. Il y a juste à apprendre à tirer le meilleur de tout cela et faire de la musique. Une bien belle leçon quand on sait à quel point la contrainte permet de stimuler la créativité, à quel point on peut perdre du temps dans les STAN à se demander si tel plug ne serait pas mieux que tel autre… même si, concédons-le, le système des Racks Extensions tend à revenir vers ça.
Dernier point fort de Reason : il a une personnalité. Revendiquée. Assumée. Que ce soit dans ses synthés ou effets mais aussi dans sa table de mixage, émulation d’un modèle SSL. À l’heure où tous les concurrents, en dehors du Mixbus d’Harrison, argumentent sur la transparence que nous nous évertuons à pervertir à grand coup de simulation de consoles ou de bandes, j’avoue être sensible au fait que Reason ait son son à lui, comme n’importe quel instrument.
Loin de moi donc l’idée de vous déconseiller Reason : c’est un formidable logiciel, capable de grandes et belles choses.
Et donc ?
Vous l’aurez compris : on attendait mieux de cette v9 qui, bien qu’elle soit plus intéressante que la v8, n’en demeure pas moins une évolution mineure du logiciel. Disons qu’à elles deux, la v8 et la v9 auraient fait une mise à jour correcte il y a un an et demi et que Reason, comme depuis quelques versions déjà, comble plus son retard qu’il fait avancer le schmilblick de la MAO.
De ce fait, si les possesseurs de Reason 8 verront midi à leur porte, c’est surtout aux possesseurs des versions 7 ou antérieures qu’on recommandera de faire la mise à jour, cette dernière étant dans tous les cas facturée 129 euros. Bravo à Propellerhead pour cela.
Quant à savoir si l’achat de la version complète se justifie pour les autres, c’est une autre histoire. Toujours très orienté vers la musique électronique, Reason fascine autant qu’il agace. D’un côté, on dispose en effet d’un environnement de travail très cohérent, offrant quantité de possibilités et extrêmement pédagogique dans son approche du routing, de l’autre le soft semble avoir beaucoup de mal à se réinventer (quantité de défauts que l’on pouvait reprocher à sa version 1 sont toujours présents). Et en face d’un FL Studio ou d’un Live qui ne cessent d’évoluer et d’explorer de nouvelles fonctions comme de nouveaux worlkflows, en face d’un Logic à 200 balles et d’un Reaper à 60 dollars, Reason peine à faire valoir ses arguments pour être autre chose qu’un second séquenceur. C’est vrai sur les fonctions de séquençage, d’édition et de mixage, c’est vrai sur l’ergonomie et l’interface en général, mais ça l’est encore sur des points qui étaient autrefois les principaux arguments du soft, à savoir les instruments et effets fournis, qui accusent leur âge pour certains. De fait, RedDrum, Dr Octo Rex, NN-XT ou la Mastering Suite sentent vraiment la naphtaline alors qu’il y aurait bien des façons de les faire évoluer en levant le nez et en s’inspirants des inventions de quelques éditeurs de premier plan (FXpansion, Sugar Bytes, Fabfilter, Izotope, Native Instrument, Spectrasonics).
Même à 329 euros, ce qui est sensiblement moins cher que bien des STAN concurrentes, le bilan est donc mitigé, au point que ces 3 étoiles récompensent plus Reason pour l’ensemble de son oeuvre que pour cette mise à jour particulière. De ce fait, on espère franchement que pour la dixième version de son produit phare, Propellerhead aura à coeur de faire ce qu’il n’a plus fait depuis des années : nous surprendre et nous faire rêver.
Et pour ceux que ça intéresse :
De Jean-Louis Shotard et Gérard Granjean sur une musique de Pierre Bénichou et Marie Gopierre : MIS… Non, sur une musique de Red Led avec des paroles de Los Teignos et une guitare de Locomotiv :
Désolés.
Mise à jour du 31/05/17 : On ne l’avait pas vu venir et voici qu’avec la version 9.5, 16 ans après Reason 1, Propellerhead ouvre son logiciel au format VST. La chose est d’ailleurs relativement bien intégrée au système de câble maison puisque l’usage d’un instrument ou effet VST passe par une sorte de Rack hôte avec la câblasse qui pendouille à l’arrière, et la possibilité de définir quoi contrôle quoi. Du bon boulot donc et une formidable bouffée d’air pour un logiciel qui jusqu’ici était vraiment replié sur lui-même, en dépit du format Rack Extension (on ne donne d’ailleurs pas cher de ce dernier dans les années qui viennent, les développeurs n’ayant plus vraiment de motifs pour gérer un format supplémentaire en plus du VST). Reason 9.5 permet donc désormais d’utiliser tous les plug-ins stars du marché, de Kontakt à Reaktor en passant par les créations d’Izotope, Fabfilter, Soundtoys, etc. et même si cette ouverture arrive bien tard, elle mérite que nous revoyons la note du logiciel à la hausse. Il passe donc de 3 étoiles sur 5 à 4 étoiles, en guise d’encouragement et pour saluer la gratuité de cette version 9.5 qui aurait pu faire l’objet d’une version payante. Reste à voir si la 10 mouture du soft poursuivra sur cette bonne lancée, car si désormais on a moins d’attentes concernant les effets et instruments, il reste pas mal de travail à faire du côté de l’ergonomie du logiciel que les années n’ont pas épargnée.