Après avoir décliné sa sympathique série de synthétiseurs QS en claviers et en rack, Alesis a décidé de rajeunir son modèle d’entrée de gamme. Avec pas mal de performances multipliées par deux, voyons si le QS6.1 est un bon calcul.
Le Quadrasynth, premier synthétiseur de la marque Alesis, a pris du service il y a plus de cinq ans. Pour un prix très agressif, la machine offrait un clavier 76 touches, une interface numérique ADAT, 64 voix de polyphonie et 16 Mo d’ondes et le plus gros alphadial jamais construit. Puis ce fut le tour de la série QS, déclinée en claviers (QS6 à 61 touches légères, QS7 à 76 touches légères et QS8 à 88 touches lourdes) et en rack (QSR, 1 unité de concentré Alesis). En entrée de gamme, le QS6 disposait de performances nettement inférieures à ses grands frères : 8 Mo de Rom contre 16, 1 seul Slot pour carte externe contre 2 et pas d’interface numérique ADAT. Plus récemment, Alesis a lancé une série de micro racks baptisés Nano, minimalistes dans la présentation mais très performants sous le capot, parmi lesquels le NanoSynth, un sympathique module GM au son costaud.
Souhaitant rajeunir sa gamme en déclinant une technologie déjà bien maîtrisée, la firme californienne vient de donner un second souffle à son clavier démocratique polyphonique 64 voix et multitimbral 16 canaux. Le QS6.1 est une machine qui s’adresse aux musiciens en quête d’un clavier complet, compact, bourré de sons généralistes de qualité, compatible GM et aussi à l’aise sur scène qu’en studio. Si les machines Alesis sont toujours calculées au mieux, le QS6.1 fait appel à la multiplication. Vite, mes tables !
Body double
Le QS6.1 est embarqué dans la même carcasse métallique noire que son prédécesseur, ce qui en fait une machine robuste et compacte, avec à peine plus de 90 centimètres de large, le constructeur ayant conservé le placement des deux molettes au-dessus du clavier 5 octaves. Ce dernier dispose d’une excellente réponse et d’une grande expressivité grâce à sa sensibilité à la vélocité initiale, à la vélocité de relâchement (bravo !) et à la pression par canal. Un excellent choix pour les mains délicates ou les allergiques au toucher lourd.
La façade avant a été sérieusement améliorée par rapport au QS6. A commencer par les Faders dont le nombre passe à cinq, un pour le volume et quatre assignables pour le contrôle en temps réel des sons internes ou externes (via Midi). A noter que le fader le plus à droite fait office de Data Entry en édition, bien vu ! A droite de celui-ci, on trouve les six interrupteurs du mode d’édition : valeurs +/-, pages ou canaux Midi +/-, choix d’édition et Store. Vient ensuite le LCD rétro éclairé, qui a également bénéficié d’un facteur multiplicatif, puisqu’il est capable d’afficher simultanément le numéro de programme (en très gros caractères), 2 lignes de 16 caractères, le mode en cours, le ou les canaux Midi activés et l’état des 4 Faders. Toujours à droite, quatre interrupteurs sont dédiés au mode de jeu : programme simple, Mix multitimbral et sélection des banques +/-, ces derniers faisant office de touche Compare ou d’accès au mode Global en édition. Enfin, la partie droite de la façade est occupée par deux rangées de 13 et 12 touches servant à sélectionner les sons ou les paramètres d’édition (sérigraphiés), suivant le mode en cours. Signalons la présence de deux nouveaux interrupteurs fort pratiques sur la rangée inférieure, servant à lancer des séquences gravées sur FlashRam et à transposer à la volée. Une façade avant très complète qui brille par l’organisation logique et la dimension confortable de ses commandes, on en redemande !
A l’arrière, les choses se sont également améliorées, avec deux Slots capables de recevoir des cartes externes, une prise secteur (alimentation interne, chouette !) et une interface To Host. Le reste est classique, avec un trio Midi, un couple de pédales, une prise casque et des sorties audio stéréo au format jack 6,35. Dommage, Alesis n’a pas prévu d’ajouter une seconde paire de sorties audio ni une sortie numérique, chose à laquelle il faudra se soustraire !
Gras double
La mémoire interne du QS6.1 renferme 640 programmes (5 banques de 128) et 500 Mixes multitimbraux (5 banques de 100), ce qui est très confortable. Les cinq banques se décomposent en quatre banques Presets et une banque utilisateur. Par rapport au QS6, la Rom a été doublée et passe désormais à 16 Mo, échantillonnés à 48kHz sur 16 bits linéaires. L’extension la plus spectaculaire est l’addition du magnifique Grand Piano stéréo du QS8, dont nous avons apprécié la fidélité de reproduction, la discrétion des points de montage et de bouclage et la musicalité dans toutes les situations de jeu. Les pianos électriques ne sont pas mal non plus, surtout les Rhodes et le Wurlitzer. Autres réussites, les sons de cuivres en sections classiques et modernes, mais aussi en solo. Les saxes sont un peu meilleurs que ce que l’on trouve actuellement, c’est-à-dire supportables. Par contre, le son de flûte solo est loupé. Les cordes sont pas mal, surtout la petite section de Strings bien bouclée et propre.
Les orgues dirty sont très réussis, avec une bonne simulation d’Overdrive et de Leslie (démarrage / arrêt). Les faders permettent alors d’agir sur le contenu harmonique ou la percussion (dommage qu’il n’y en ait pas neuf !). Les basses électriques sont excellentes, rondes et expressives à souhait. Quant aux guitares acoustiques, le son tombe trop vite dans les notes moyennes et hautes, dommage car les sons de basses étaient prometteurs. Les percussions ne sont pas en reste, avec la gamme complète pop / rock / jazz / techno / hip hop / orchestrale / ethnique. Rien ne manque, pas même les TR-808, 909 et CR-78, le tout avec une pêche d’enfer. Comme ses compatriotes, le QS6.1 a un grain très US, particulièrement remarquable sur les sons synthétiques, à la fois gras et punchy. C’est le cas des basses à la Moog très « rentre dedans » mais aussi des leads déchirants. Les pads ne sont pas en reste avec une belle collection de sons planants, tantôt doux lorsqu’ils sont mélangés avec des échantillons de chœurs (par ailleurs pas terribles), tantôt acidulés avec des sons de cloche cristallins. Enfin, de magnifiques pêches synthétiques viennent confirmer le gros punch de la machine qui séduira tous les amoureux de son « made in USA ». Bonjour les calories !
Synthèse multiplicative
Comme la plupart des synthétiseurs actuels, le QS6.1 utilise la lecture d’échantillons comme base sonore. La Rom interne renferme 16 Mo constitués d’environ 350 multiéchantillons et 350 échantillons de percussions, soit le double de la machine d’origine. Chaque programme est constitué d’une à quatre couches sonores. En mode normal, chaque couche contient un multiéchantillon (instrument ou kit de batterie « prêt à consommer ») tandis qu’en mode Drums, chaque couche contient de un à dix échantillons simples. Pour faciliter leur sélection, ils sont répartis en 17 groupes instrumentaux.
Les réglages sont assez classiques : accordage, niveau (avec courbe de réponse en vélocité), portamento, incidence des enveloppes, des LFO, de la vélocité, de la pression et des molettes, ainsi que choix du bus d’effets. Le clavier peut être mis en mode monophonique et dispose d’une fonction « 1-Pitch » (poly ou mono) obligeant chaque échantillon d’un multiéchantillon à être joué à sa note d’origine, sans transposition dans sa fenêtre de tessiture. Idéal pour lier un son de basse à une percussion par exemple. Chaque couche dispose de sa tessiture mais pas de sa fenêtre de vélocité, dommage. Bien plus agaçant, le filtre du QS6.1 n’a pas bougé d’un iota et comme sur le modèle d’origine, on doit se contenter d’un unique passe-bas quatre pôles non résonant. La Rom renferme bien une bonne vingtaine d’ondes résonantes, mais cela n’est pas pareil dès lors que l’on parcourt le clavier, puisque la fréquence de résonance varie par à-coup à chaque point de multiéchantillonnage. Bonnet d’âne pour le filtre !
Pour revenir au bon côté des choses, signalons la présence d’une fonction Overlap permettant de fixer le nombre de répétitions possibles d’une même note, astucieux pour conserver de la polyphonie. Un mot sur le mode Drum, permettant de rassembler 10 sons par couche à choisir parmi 430 ondes synthétiques, percussives ou rythmiques. Ces dernières, au nombre de 90, sont des échantillons élémentaires bouclés sur une mesure. Leur intérêt est assez limité, on aurait préféré des RPS à la Roland pour pouvoir en changer le tempo indépendamment de la hauteur. Chacune des percussions dispose de paramètres de synthèse simplifiés : niveau, hauteur, panoramique, tessiture, départ effet, réponse en vélocité, déclin, filtre, groupe exclusif. Pour se fabriquer des Kits personnalisés suffisants (au moins 30 percussions différentes), il faudra tout de même savoir multiplier 10 sons par 3 couches.
Multiples modulations
Pour moduler chaque couche sonore d’un programme, on dispose de 3 LFO, de 3 enveloppes et d’une matrice de modulation à 6 cordons. Chaque LFO dispose de huit formes d’onde (sinus, triangle, carrée, dent de scie ascendante positive, dent de scie descendante positive, aléatoire, bruit et aléatoire positive) avec réglages de la vitesse, du délai, du déclenchement (libre, forcé avec ou sans synchronisation à l’enfoncement de touche), de la profondeur et de la réponse à la molette de modulation et à la pression. Il ne manque aux LFO que des possibilités de synchronisation Midi. Passons aux enveloppes, de type Délai / Attack / Decay / Sustain / Sustain Decay / Release. Sustain Decay est le temps mis par le segment de Sustain pour tomber à zéro. Les enveloppes peuvent être redéclenchées à chaque note ou fonctionner librement. On peut même régler le suivi de clavier sur les temps (marche / arrêt), l’action de la pédale de sustain et la réponse en vélocité.
Mais le QS6.1 se montre également un expert en modulations : si certaines sont fixées d’origine (4 sources vers 14 destinations) comme sur la plupart des synthétiseurs, d’autres sont entièrement libres d’affectation. Ainsi, on peut relier 6 des 25 sources (vélocité, LFO, enveloppes, générateur de tracking, Faders, contrôleurs Midi assignables…) à 6 des 32 destinations (hauteur, amplitude, filtre, segments des enveloppes, paramètres des LFO, portamento) avec, pour chacune, un niveau bipolaire de modulation. Les trois premiers cordons disposent d’un paramètre Gate permettant à la modulation de fonctionner en Note On et de s’arrêter en Note Off. Les trois derniers disposent d’une quantisation leur permettant de fonctionner de façon discrète plutôt que continue. Comme si cela n’était pas suffisant, le QS6.1 possède un générateur de tracking à 11 points permettant de transformer un signal linéaire en fonction affine par morceaux (10 segments de droite continus) ou en fonction en escalier (11 pas discontinus). Une source de modulation à choisir parmi 20 possibilités (molettes, pédales, vélocité, LFO, enveloppes, générateur de nombres aléatoires…) peut subir ces traitements exotiques. Avec tout cela, nul doute que le QS6.1 ravira tous ceux qui aiment tripoter sans compter !
Quadruple bus
Chaque couche d’un programme ou chaque percussion d’une couche peut être envoyée dans l’un des quatre bus d’effets, tirés comme à l’origine de la Quadraverb 2. En fait, la nature des bus est fonction de la configuration d’effets choisie parmi les cinq autorisées. La première permet d’envoyer les quatre bus dans une réverbération finale : les bus 1 et 2 passent au préalable dans des Pitch stéréo et des Délai stéréo indépendants, idem pour le bus 3 mais tout en mono, alors que le bus 4 se contente d’un Délai mono. La deuxième configuration utilise deux réverbérations finales : le bus 1 passe dans un Délai mono et un Pitch stéréo, le bus 3 dans un Pitch mono tandis que les bus 2 et 4 sont directement envoyés dans les réverbérations 1 et 2. La troisième configuration utilise un Leslie sur un des bus et une réverbération finale. En fait, elle est identique à la première sauf le bus 1, sur lequel on trouve un Leslie stéréo puis un Délai mono. La quatrième configuration utilise une réverbération finale puis un égaliseur : les bus 1 et 2 passent chacun dans un Pitch et un Délai stéréo tandis que les bus 3 et 4 sont ignorés. La cinquième et dernière configuration utilise une Overdrive et un Leslie : le bus 1 passe au travers d’une Overdrive, d’un Pitch, d’un Délai, d’une réverbération et d’un Leslie (tous stéréo) avant d’être envoyé dans un égaliseur global. Ouf !
Les autres bus permettent de commencer la chaîne de traitement à l’endroit désiré, ce qui est assez souple. Précisons que lorsqu’on dit « effet stéréo », il faut comprendre mono en entrée et stéréo en sortie. Pour chaque configuration, les effets de Pitch sont de type Chorus, Flanger, Detune ou résonateur. Les délais sont quant à eux mono, stéréo ou ping-pong. Les réverbérations sont de type Plate, Room (différentes tailles), Gate ou Reverse. Enfin, l’égaliseur est un Shelving (fréquence, gain) deux bandes (graves, aigus). Chaque effet dispose d’entre 5 et 10 paramètres, ce qui amène très vite à une cinquantaine de réglages par configuration. De plus, les signaux disposent d’envois directs et de balances pré/post-effet à chaque étape. Mieux, le QS6.1 permet de moduler en temps réel 2 paramètres d’effets au choix parmi 22 destinations (vitesse du Leslie, diffusion de la réverbération…) à partir de 11 sources (molettes, pédales, Faders, contrôleurs Midi), bravo ! Qualitativement, les effets sont très réussis, le constructeur américain n’en est pas à son coup d’essai. Par contre, on aurait aimé plus de souplesse dans le choix des routages ainsi que des effets plus exotiques, tels que des compresseurs… ou pourquoi pas des vrais filtres résonants !
Puissance 16
En mode Mix, le QS6.1 devient multitimbral sur 16 canaux en regroupant plusieurs de ses programmes. Pour chaque canal, on affecte un programme puis on en règle le niveau, la transposition, le panoramique, le bus d’effets et la tessiture. Ces paramètres peuvent fort heureusement rester inchangés par rapport aux réglages effectués en mode Programme. Toujours pas de fenêtre de vélocité en vue, ce qui agace une fois de plus. Ce qui plaît par contre, ce sont les excellentes dispositions de clavier de commande dont fait preuve le QS6.1, capable d’émettre sans broncher sur les 16 canaux Midi simultanément. Pour chaque canal, on peut régler le mode Local en émission comme en réception et filtrer les contrôleurs Midi (molettes, pression, pédales, Faders). Il est donc très rapide de se fabriquer une configuration sur mesure avec partage des canaux entre le générateur de sons interne et des unités externes. Tous ces réglages peuvent bien sûr être mémorisés. Mieux, tous les programmes d’un Mix disposent de leur propre Buffer (donc 17 avec celui du Mix), ce qui permet de les éditer dans leur contexte du Mix.
Outres ses capacités remarquables de clavier de commande et sa compatibilité GM, le QS6.1 se débrouille fort bien en Midi. A commencer par l’émission et la réception des messages de volume et de panoramique sur les 16 canaux. Mieux, la machine est capable de relire directement des séquences Midifiles depuis des cartes insérées dans ses Slots et de les envoyer par Midi Out vers le monde extérieur. Là où cela se corse, c’est qu’il est possible de faire fonctionner le Midi Out comme un Soft Thru. En d’autres termes, le QS6.1 commande des modules externes via Midi Out tout en ignorant le générateur de sons internes, comme un véritable séquenceur. Pour terminer, le QS6.1 est capable d’envoyer ses banques utilisateur (ensemble ou individuellement) et ses paramètres globaux sous forme de Sysex. Voilà, le compte est bon !
Double clic
|
Depuis le Quadrasynth, Alesis a toujours eu la bonne idée de livrer ses machines avec un CD-Rom bourré de logiciels (Cubasis, éditeur MOTU Unisyn pour QS, utilitaires, pour Mac et PC), de sons, d’échantillons et de séquences. L’intérêt de ce package est renforcé par la présence de la prise série To Host qui fait du QS6.1 une interface Midi idéale. Parmi les logiciels contenus dans le CD-Rom, Sound Bridge est un utilitaire qui permet de récupérer des échantillons dans différents formats et de les graver directement sur FlashRam insérée dans le QS6.1 via des messages de Sysex (à quatre fois la vitesse du Midi !). Il est même possible de récupérer directement les Keymaps (accordage, tessiture, groupes de vélocité, paramètres de bouclage) aux formats Samplecell I et II. Pourquoi diantre ce choix, le format Akaï semblait tout indiqué ! Mais ne nous en plaignons pas et félicitons Alesis qui permet à ses clients de créer leurs propres multiéchantillons sans avoir recours à un graveur de cartes PCMCIA. Sound Bridge permet même de graver des séquences Midifiles sur FlashRam afin de les déclencher directement depuis le QS6.1. En résumé, voilà pas mal de valeur ajoutée !
Coup double
Au final, le QS6.1 est une excellente machine dont bon nombre de possibilités ont été doublées par rapport à l’original. L’instrument ravira tous ceux qui recherchent à la fois un gros son généraliste, la possibilité d’étendre les formes d’onde internes, un bon potentiel de synthèse sonore, un clavier de commande complet au toucher léger de très bonne qualité, le tout dans un instrument compact, robuste et abordable. Sans être révolutionnaire, il comble bon nombre des lacunes de son prédécesseur tout en conservant ses qualités premières.
Là où la machine nous a vraiment déçus, c’est sans conteste dans l’absence de résonance sur le filtre, difficilement défendable de la part d’Alesis. Certes, la mémoire renferme des textures synthétiques grasses et rondes à souhait, puisque la Rom contient de nombreuses formes d’onde échantillonnées avec plus ou moins de résonance, mais ce n’est tout de même pas la même chose. Pour en revenir au côté positif, nous retiendrons également les possibilités étendues de modulation matricielle ainsi que le logiciel Sound Bridge permettant de graver des échantillons en mémoire Flash. En résumé, une machine sur laquelle on peut compter sans risquer de faire des fautes de calcul.
Glossaire
Résonateur : sorte de filtre résonant accordé sur une fréquence propre accentuée à l’extrême, produisant un bruit métallique
Filtre résonant : filtre dont les fréquences autour de la fréquence propre sont accentuées pour donner du caractère au son
Raisonner : réfléchir avant de résoudre un problème, le contraire de savoir réciter par cœur une table de multiplication.