Basé en partie sur les oscillateurs du 002, le CraftSynth 2 perpétue la gamme de petits modules de synthèse abordables signés Modal. À table !
La société Modal Electronics (initialement Modulus) s’est fait connaître en 2013 avec le 002, un magnifique synthé hybride multitimbral. Prisé par la qualité sonore plus que l’Union Jack tout en couleur sérigraphié en façade, le 002 a été décliné en version compacte (001) et 19 pouces (002R). Puis la série 008 (008 et 008R) a fait son apparition en 2016, basée cette fois sur la synthèse analogique, avec un filtre multimode complet rappelant le Matrix-12 ; du haut de gamme là encore, mais pas forcément un succès commercial…
Début 2017, alors qu’on s’attendait à voir un 007 arriver en sautant d’un hélicoptère sur un Eurostar lancé à pleine vitesse, ce sont successivement deux mini-modules en kit qui nous furent proposés : please welcome Mr CraftSynth et Miss CraftRhythm. Le mini-Brexit ne tarde pas puisque Paula Maddox, fondatrice de la société, quitte le navire dans la foulée pour vivre une nouvelle aventure humaine. Elle a d’ailleurs signé récemment son comeback avec ses nouveaux modules de synthèse, sous la marque Dove Audio.
Mais revenons à nos Modal. La marque était jusqu’à présent assez mal distribuée en France, mais ça c’était avant, puisqu’Algam en a récemment pris la carte, une excellente nouvelle. Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, Modal vient d’annoncer la sortie de l’Argon8, un vrai synthé à touches qui semble prometteur. En attendant sa disponibilité, Algam nous a sympathiquement proposé de passer en revue le CraftSynth 2 et le Skulpt, deux petits modules initialement lancés sur Kickstarter. Voici donc le CraftSynth 2…
Seul en boîte
Si les vidéos d’unboxing ont tendance à énerver pas mal de monde, celle du CraftSynth 2 est en revanche très utile. En effet, elle nous a permis de vérifier le contenu du carton, à savoir la machine même pas emballée, un sachet antihumidité… et c’est tout ! Pas de câble USB pour l’alimentation (sans même parler de l’alimentation elle-même), pas de piles, pas de manuel, que dalle ! Ça commence fort…
Sitôt le bijou extrait de son écrin, on a en main un petit module noir et blanc tout en plastique, très petit (15 × 14 × 7 cm) et très léger (280 g).
On dénombre 12 encodeurs lisses placés en quinconce, ce qui complique inutilement les manipulations, d’autant qu’ils sont proches et que la sérigraphie est en partie masquée quand on pose la machine à plat. On a vite fait d’en toucher un en faisant bouger l’autre, contrairement au dicton bien connu. Leur qualité est douteuse, ça branle, pour garder un vocabulaire châtié. C’est d’autant plus rageant que Modal a équipé les encodeurs de sensibilité à l’accélération, mais rien à voir avec les anciens Waldorf réputés pour cela.
Cherry on the cake, comme on dit chez Modal, la plupart des encodeurs cumulent trois fonctions, accessibles par les touches Shift (commutation permanente) et Preset (commutation temporaire). Ces dernières font partie d’un ensemble de touches capacitives situées en partie basse de la façade, pour choisir les programmes, transposer la machine, jouer jusqu’à 8 notes, programmer l’arpégiateur ou sélectionner quelques sources de modulation (enveloppes et LFO) ; cela signifie qu’en plus de prendre plusieurs fonctions, un encodeur peut piloter plusieurs sources au sein d’une fonction ; ainsi, le premier potentiomètre d’enveloppe totalise cinq fonctions : attaque des trois enveloppes, niveau de distorsion et profondeur du LFO1. Autre point, il n’y a pas d’afficheur pour se repérer. L’ergonomie n’est donc pas le point fort du CraftSynth 2, on comprend mieux l’utilité de l’éditeur proposé (nous en reparlerons plus tard).
Côté connectique, tout se passe à l’arrière : prise micro-USB (MIDI et alimentation), interrupteur secteur 3 positions (arrêt, USB ou piles), sortie casque jack 3,5 mm, sortie audio double mono jack 3,5 mm, entrée/sortie horloge synchro jack 3,5 mm (tensions 5V maximum en entrée !) et entrée/sortie MIDI DIN (utile pour chainer jusque 4 machines). Les sorties MIDI DIN et USB peuvent être commutées en Thru via la ModalApp. En plus de l’USB, on peut alimenter le CraftSynth 2 avec 3 piles de type AA (autonomie inconnue). Tout cela fait globalement très cheap…
Mise à table
Le CraftSynth 2 est capable de mémoriser 8 banques de 8 sons. On peut les jouer avec les 8 pads, les transposer par octave ou demi-ton et maintenir le son (en appuyant simultanément sur les touches – et +). Cela ne remplace pas un vrai clavier mais rend le CraftSynth 2 autonome. Heureusement, il y a le MIDI DIN et USB. Un tour rapide des sons proposés permet d’apprécier la vaste étendue sonore couverte par la machine. On obtient des basses imposantes, des leads incisifs, des pads (monophoniques) évolutifs, des textures mystérieuses, des résonances vocales intimidantes, des motifs arpégés, des bruits étranges… et aussi beaucoup de choses aussi indescriptibles qu’inutilisables. Mais chacun ses goûts…
S’il fallait qualifier le caractère sonore global, nous pourrions dire assez froid, métallique, avec une prédilection pour les ambiances planantes, dans la plus pure tradition des synthés modernes à tables d’ondes. Les timbres sont aussi très clean, avec très peu d’aliasing, contrairement aux PPG d’antan. La filiation est tout à fait établie avec le 002, mais en beaucoup moins chaud et ample ici, faute de VCF et de stéréo. Le bruit de fond est faible et le niveau de sortie très variable suivant les programmes, mais pas de quoi casser les aiguilles d’une console analogique…
- Craftsynth2_1audio 01 Bass 101:22
- Craftsynth2_1audio 02 Hype Arp01:08
- Craftsynth2_1audio 03 Horror Lead01:13
- Craftsynth2_1audio 04 Chords 100:29
- Craftsynth2_1audio 05 Org Obsession00:58
- Craftsynth2_1audio 06 Soft Sync00:43
- Craftsynth2_1audio 07 Pulse Morph00:48
- Craftsynth2_1audio 08 Bass 201:36
- Craftsynth2_1audio 09 Hard Sync00:30
- Craftsynth2_1audio 10 Chords 200:37
Tables intermodulées
Le CraftSynth 2 est un synthé basé sur les tables d’ondes. Il dispose de deux oscillateurs, capables d’utiliser l’une des 8 ou 9 banques de tables d’ondes disponibles (seul le second oscillateur accède à une 9e table passant d’une onde sinus à différents bruits filtrés). Chaque banque de tables est constituée de cinq tables d’ondes à cycle court, de nature variée : VA classiques, numériques (cloches, orgues, métal, spectres, formants, voix) et bruits. Deux tables d’ondes proviennent du 002, le flagship de la maison (qui au passage ne semble plus produit, tout comme le 008 dont nous parlions en introduction).
On peut définir le point de lecture de la banque de tables d’ondes et moduler ce point via la matrice de modulation (nous y reviendrons). Pour aller dans le détail, les banques de tables sont constituées de cinq tables d’ondes « mères » avec 32 pas de transition entre chaque table. Modal nous embrouille un peu avec ses banques de tables, ses tables et ses ondes. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’une banque est ni plus ni moins qu’une grande table d’ondes, qu’il y en a 8 pour le premier oscillateur et 9 pour le second, que la lecture se fait en continu avec lissage parfait, sans artéfact numérique. Il n’existe donc pas de mode où les ondes sont lues sans transition douce, genre PPG ou Micromonsta.
On règle ensuite la balance des deux oscillateurs. On peut désaccorder le second, de manière grossière sur +/- 4 octaves ou fine sur +/- un demi-ton. Vient ensuite une fonction très intéressante, qui permet d’agir sur le contenu harmonique d’un oscillateur ou de faire interagir les deux, de manière plus ou moins drastique (l’effet est dosable). Il y a 16 algorithmes de modulation, parmi lesquels : synchro douce, synchro dure, modulation de phase, FM, modulation en anneau, repliement d’onde, réducteur de résolution, générateur de formants de voix… À tester absolument, sans oublier de faire varier le niveau de modulation via la matrice ! Pour ceux (comme nous) qui trouvent le son de base un peu fin, un paramètre Spread permet de créer de puissants unissons (type chorus ou flanger mono, par duplication d’oscillateurs virtuels) et différents accords (majeurs, mineurs, quartes, quintes, sixtes, octaves…).
Filtrage en continu
Le filtre du Craft Synth 2 est plus fourni que ce qu’on trouve habituellement dans cette gamme de prix. Il s’agit d’un filtre 2 pôles multimode résonant, à passage continu entre les modes passe-bas / passe-bande / passe-haut. On peut aussi régler la fréquence de coupure avec le gros encodeur (de 0 Hz à 22 kHz, avec une réponse parfaitement lisse), la résonance, l’action bipolaire de l’enveloppe dédiée, le suivi de clavier étant assignable via la matrice de modulation (voir ci-après). Le filtre sonne très bien mais a tendance à écraser légèrement le niveau des fréquences quand on pousse la résonance. La résonance est plus colorante qu’oscillante, avec un côté acidulé sympathique, sans excès d’agressivité.
En sortie de VCA, le son passe par deux effets : distorsion et délai. Les réglages sont peu nombreux : gain pour le premier, temps et réinjection pour le second. Le temps varie de 0,022 à 750 ms et peut être synchronisé au tempo suivant différentes divisions (6/4, 4/4, 3/4, 1/2, 1/4, 1/8 pointé, 1/8, 1/12, 1/16). On est dans la simplicité absolue, mais c’est mieux que rien… Signalons aussi que le CraftSynth 2 offre un glide exponentiel de 0 à 2,5 secondes.
Modulations matricielles
Le CraftSynth 2 est bien doté au rayon des modulations. Il offre, pour commencer, 2 LFO à 4 formes d’onde (sinus, dent de scie, carré, S&H) entre lesquelles on passe là aussi en continu, bien vu ! Leur oscillation peut être libre, redéclenchée à chaque note ou jouée une seule fois (cycle unique). La vitesse du LFO1 peut être réglée manuellement (0,02 à 32 Hz) ou synchronisée au tempo suivant différentes divisions. La vitesse du LFO2, quant à elle, peut être réglée manuellement (0 à 32 Hz) ou synchronisée au suivi de clavier suivant différentes divisons de la fréquence fondamentale (idéal pour les modulations audio, type FM ou AM). Dommage qu’il n’y ait pas de délai d’apparition ou de fondu.
On peut assigner chaque LFO à n’importe quel potentiomètre en façade, y compris ceux accessibles via les touches Shift et Preset (un seul paramètre pour celle-ci, dont l’accès nécessite une certaine dextérité, vu que la touche Preset est temporaire) ; pour ce faire, on maintient la touche du LFO à assigner (et la touche Shift ou Preset le cas échéant) et on tourne l’encodeur de destination ; la quantité de modulation, bipolaire, est réglée directement via l’encodeur et sa valeur représentée par les 8 LED du clavier capacitif, nickel ! Si les LED clignotent, c’est que la destination n’est pas compatible (il existe quelques cas du genre, tels que la vitesse et le morphing de forme d’onde, qui ne peuvent être auto-modulés par le LFO de même numéro).
Poursuivons par les enveloppes, au nombre de trois, de type ADSR : deux sont assignées respectivement au filtre et au volume dans le dur, la troisième est assignable librement, comme pour les LFO. Là aussi, il y a quelques restrictions : l’enveloppe assignable ne peut moduler la coupure du filtre, les segments d’enveloppes, le glide ou sa propre intensité. Ces enveloppes claquent bien (temps réglables de 0 à 4 secondes), parfait ! D’autres sources de modulations sont disponibles et assignables uniquement via ModalApp. Il s’agit du numéro de note, de la vélocité, de la pression, de la molette de modulation et d’un CC MIDI. Elles peuvent moduler 36 destinations, de manière bipolaire, mais avec une restriction de taille : si une même destination peut être modulée par plusieurs sources, une source donnée ne peut moduler qu’une destination, grrr. Dans la liste des destinations, on note les formes d’onde continues des oscillateurs, leur mélange, leur fréquence, leur intermodulation, la vitesse des LFO, la fréquence de coupure du filtre, la résonance, le morphing continu, les segments d’enveloppes, la quantité de modulation des enveloppes, les paramètres d’effets, le glide, le spread des oscillateurs, l’intensité des LFO et l’intensité de l’enveloppe de modulation. Il ne manquerait qu’un panoramique pour être heureux, mais le CraftSynth 2 est monophonique.
Arpèges-séquence
C’est à ce moment du test qu’une petite touche capacitive ARP-SEQ attire notre attention. On l’aurait presque oubliée entre les sélecteurs de LFO et d’enveloppes. Celle-ci permet d’activer le mode arpégiateur. Il n’a qu’un seul motif disponible, programmable grâce au 8 pads capacitifs ou un clavier externe MIDI, suivant l’ordre des notes jouées. C’est là que le choix de gamme des 8 pads capacitifs peut s’avérer utile. On dispose de 29 gammes préprogrammées et une gamme programmable par demi-ton, via l’appli ModalApp. On peut même entrer des silences aux étapes souhaitées.
La séquence reste toutefois assez rigide, puisqu’il n’y a pas de réglage de Gate, de Swing, d’automation de paramètres ou d’autres fonctions exotiques pour faire groover la machine. Une fois programmée, on peut transposer la séquence en déclenchant une note avec les 8 pads tactiles ou un clavier MIDI, ou la jouer comme un arpège en plaquant un accord. Les notes arpégées sont transmises en MIDI. L’arpège-séquence est globale pour toute la machine, un programme donné ne sauvegarde que son activation. Dommage !
ModalApp
Les commandes en façade transmettent des CC MIDI. Le CraftSynth 2 est donc le candidat idéal pour l’automation ou l’édition déportée. Pour l’édition, Modal propose deux solutions : ModalApp, une application standalone qui tourne sous Windows 7+, macOS 10.10+, iOS 9+ et Android 6+ ; ModalPlugin, une version VST3/AU (pilotage MIDI uniquement) qui tourne sous Windows 7+ et macOS 10.10+. Ces applis sont disponibles gratuitement sur le site de Modal.
Une fois la fenêtre correctement redimensionnée à la main (sur notre PC 13 pouces, il faut jongler pour choper les bords de fenêtre), on peut accéder à l’ensemble des fonctions du CraftSynth 2, organisées en trois onglets d’édition et un onglet de gestion de programmes. On peut alors assigner les cinq sources de modulation inaccessibles en façade (décrites précédemment) et régler les paramètres système (canaux et filtres MIDI, les canaux étant également accessibles en façade par combinaison de touches). Les applis permettent aussi la création aléatoire de programmes (parfois amusante), l’échange des mémoires avec le synthé (MIDI dump) et la mise à jour de l’OS.
Conclusion
Le CraftSynth 2 est un petit synthé monophonique monodique d’entrée de gamme. Cela se ressent dès qu’on ouvre le panier, pas vraiment garni. Les encodeurs sont serrés et cheap, la sérigraphie peu visible et la connectique très basique. Du coup, l’ergonomie en prend un bon coup. C’est d’autant plus dommage que les possibilités de synthèse sont intéressantes : tables d’ondes dynamiques, déformations et interactions d’oscillateurs, filtre à morphing, modulations sympathiques, mini arpégiateur-séquenceur et mémoires. Mais pour programmer un peu sérieusement, le recours à une assistance externe (éditeur ou contrôleur) est indispensable. La machine n’en est pour autant pas moins autonome, puisqu’elle peut fonctionner sur piles, que la majorité de ses fonctions sont accessibles en façade et qu’elle tient dans la poche. Cela en fait une option à considérer pour qui veut fabriquer une ligne sonore originale en live, au milieu d’un petit setup minimaliste peu encombrant.